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18, 19 et 20 septembre 1895 : Il y a 121 ans, les nuits dakaroises de Serigne Touba sur la route de l’exil

Rédigé par leral.net le Dimanche 18 Septembre 2016 à 18:35 | | 0 commentaire(s)|

Les nuits dakaroises de Serigne Touba ont scellé définitivement le pacte d'amitié entre la Collectivité léboue et la Communauté mouride, mais aussi Dakar et Touba, en la personne d'Ibra Bineta Guèye Mbengue. Pacte que Cheikh Salihou Mbacké a vivifié à l'occasion d'une invitation à Touba qu'il fit aux notables de "Cëddéem", au tout début de son Khilafah. La délégation de "Cëddéem" était dirigée par le Chef de "Penc" d'alors, Mamadou Mbengue Médoune.


Auparavant le Khalife avait dépêché une délégation à Dakar pour rencontrer la famille d'Ibra Bineta Guèye. A l'occasion de cette visite mémorable, le 5e Khalife a offert au "Penc" un terrain de 1500 m2 à Touba. Ce sont ces nuits dakaroises que célèbre la Fédération de Dahira dénommée "Kureel Giy Maggal Ñetti Guddi Ndakaaru yi" présidées par le pieux talibé mouride, Baye Ndiouga Dieng, les 18, 19 et 20 septembre.

Des dires de l'écrivain Abdou Khadre Gaye, par ailleurs directeur de l'Emad, on raconte que Serigne Touba arriva à Dakar à jeûn, à l'heure où le soleil déclinait. Le cargo dénommé "Ville de Pernambouc", plus connu sous le nom "Cap Lopez", devant assurer son transfert au Gabon étant en retard, le gouverneur Mouttet ordonna son emprisonnement "dans un cachot étroit, obscur, infesté d'insectes et parsemé de toutes sortes d'objets usagés", situé au camp Dial Diop, derrière l'hôpital Aristide Le Dantec, de son premier nom hôpital Indigène.

En y entrant, dit-on, sous la poussée des gardiens, "le Cheikh trébucha et un objet tranchant lui traversa littéralement le pied. Malgré ses souffrances, il fit une prière de deux rakats, récita les sourates "Bakhara" (La Génisse) et "Ali Imran" (La Famille d'Imran)…", narre M. Gaye.

Là-bas, révèle la tradition mouride, il reçut la visitation de grands saints de l'islam, dont sa mère, la sainte Mame Diarra Bousso. Là-bas, il reçut aussi des dons immenses de la part de son Seigneur. Informés de l'affaire, nous apprend le chercheur Abdou Khadre Gaye, la tradition conservée par les populations autochtones de Dakar, les dignitaires lébous s'en désolèrent et dépêchèrent auprès du gouverneur une délégation conduite par Ibra Bineta Guèye, leur porte-parole auprès de l'autorité coloniale.

Il lui tint à peu près les propos suivants : "Nous avons appris que vous retenez en détention Serigne Touba. Nous ne venons pas discuter avec vous des raisons de sa détention. Nous voulons seulement que vous respectiez la tradition de terre d'accueil et d'hospitalité de notre terroir. Alors, permettez au marabout de venir loger chez nous et de jouir de notre hospitalité jusqu'au moment où vous aurez besoin de lui. Nous nous portons garant de sa sécurité".

Du cachot étroit et obscur au "Penc" de "Cëddéem"

Le gouverneur, en homme avisé, accéda à la requête des Lébous. Au sortir de la cellule infecte du Camp Dial Diop où il a souffert le martyr sans jamais se plaindre, avec comme seules consolations ses actes de dévotion et ses visions mystiques, Serigne Touba séjourna, jusqu'à son départ en exil, le 21 septembre 1895, au "Penc" de "Cëddéem" où Ibra Bineta Guèye l'avait confié aux bons soins de son épouse, Anna Diakhère Faye.

"Il cite nommément le couple bienheureux dans son ouvrage intitulé ‘Jazaou Shakoor' (Le voyage de la mer) où il raconte les péripéties de son long et périlleux périple", renseigne le chercheur.

Pour tester les pouvoirs mystiques attribués au marabout, Ibra Bineta Guèye, dit la tradition locale, un fin connaisseur des mystères, fit semblant d'oublier auprès de son hôte, après une visite, sa canne miraculeuse que "deux gros gaillards ne parvenaient pas à remuer et qu'un initié soulevait difficilement".

A peine lui eut-il tourné le dos que Serigne Touba, tenant la canne du bout des doigts, le lui tendit, puis lui dit à peu près ceci : "Je te remercie, toi et ton peuple, pour tout ce que vous avez fait pour moi. Mais déterre le talisman que tu as enterré dans la cour de ta maison pour empêcher mon départ. Sache que je pars volontairement et de bon cœur pour accomplir une mission que Dieu m'a confiée", rapporte le chercheur qui précise que "c'est seul avec Dieu, dans le secret de la nuit, loin des regards indiscrets, qu'Ibra Bineta Guèye avait enterré ce talisman".

La canne miraculeuse d'Ibra Bineta Guèye et le talisman enterré

D'après M. Gaye, une autre version de l'histoire dit que la première rencontre entre Serigne Touba et Ibra Bineta Guèye eut lieu dans la cellule du camp Dial Diop. Car, le gouverneur, exigeant des garanties avant de remettre "son prisonnier". "Dès qu'ils se virent et se parlèrent, ils se vouèrent respect et estime réciproque. C'est là-bas, disent les tenants de cette thèse, que se produisit le miracle de la canne.

Quant au talisman enterré, ils disent qu'il l'était depuis plusieurs années déjà dans la cour de sa demeure et qu'Ibra Bineta proposa à Serigne Touba son déterrement qui le sauverait à coup sûr des mains des Blancs. Proposition qu'il refusa avec déférence, rappelant, à l'occasion, que Dieu était son seul refuge", relève le chercheur.

La décision d'envoyer le Cheikh en exil fait suite à sa comparution devant le Conseil privé au palais du gouverneur général à Saint-Louis, le 5 septembre 1895. Après son arrestation à Jéwol, le samedi 10 août 1895, Serigne Touba séjourna à Saint-Louis jusqu'après son jugement. Dans l'acte d'accusation on pouvait lire cette contrevérité manifeste : "Ses agissements et ceux de ses talibés menacent de troubles la tranquillité du bas Sénégal".

Il fut condamné à l'exil. En guise de signature, il parapha, au bas du document qui lui fut présenté, la sourate "Al Ikhlas" (La pureté). Une façon assez éloquente de montrer son attachement à la pureté de sa foi. Et, nous rappelle Cheikh Moussa Ka, dans son poème intitulé "Nattoo di kerkeraani lawliyaa'i" (l'épreuve est le reposoir - ou bien l'échelle - du saint).

Après sept années de rudes épreuves, l'étoile est devenue soleil et la flamme un flambeau

"Cëddéem" fait partie des 12 "Penc" de Dakar. Il tient certainement son nom du village "Cëddéem" dans le "Diander" qui fait référence à un jujubier (Déem). Il englobe l'actuel marché Sandaga dont le nom vient, selon une opinion assez répandue, d'un arbre appelé "Sànd" qui se dressait à l'endroit occupé aujourd'hui par le "marché d'or" dit "Lalou Ourous" (étal d'or).

C'est "Cëddéem" qui enregistra les premiers convertis à l'islam de la Collectivité léboue et accueillit le lettré arabe Massamba Koki Diop, père du premier Serigne Ndakaaru, Thierno dit Dial. C'est à "Cëddéem" où le "Ndeyi Jàmbur" (président de l'Assemblée des Jàmbur), Youssou Bamar Guèye accueillit et scella avec Cheikhna Cheikh Saadhbou Chérif, un pacte unissant leurs deux familles "jusqu'à la fin des temps".

C'est enfin à "Cëddéem" où Ibra Bineta Guèye, Chef de canton de la banlieue ouest dakaroise de 1855 à 1905 et "Ndey Ji Frey" (président de l'Assemblée des Frey) de 1897 à 1903, accueillit Cheikh Ahmadou Bamba en partance en exil au Gabon, raconte le chercheur Abdou Khadre Gaye.

Un mot sur le "Pénc" de "Cëddéem" et précision sur Ibra Bineta Guèye


Un petit fils d'Ibra Bineta Guèye d'apporter la précision suivante : "En réalité, mon grand-père n'était pas gendarme comme on le pense souvent.

Certes, en sa qualité de Chef de canton, il participait au recrutement des soldats et supervisait la collecte des impôts. Et, lors de la guerre qui avait opposé la France à la Turquie, à Salonique et aux Dardanelles, en 1870, c'est lui qui fit implanter - par les talibés de son neveu Seydina Limamou Laye - le campement militaire de 100 cases qui avait servi à abriter les tirailleurs sénégalais enrôlés, à l'endroit où se situe actuellement la cité militaire dite camp Lat Dior, sur l'avenue Jean Jaurès X Peytavin. Mais, il n'était pas gendarme à proprement parler".

Ceci montre, d'après Abdou Khadre Gaye, que Cheikh Moussa Ka ne se trompe pas en le qualifiant de gendarme, surtout si on tient compte d'une coutume de l'époque qui faisait du gendarme, non pas exclusivement un métier des armes, mais aussi une fonction sociale dans le mesure où le titulaire pouvait intercéder auprès de l'administration coloniale et contribuer à l'apaisement du climat social.

SOURCE SENEPLUS