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Analyse des enjeux de l’idylle retrouvé entre le Sénégal et la Gambie

Rédigé par leral.net le Samedi 20 Mai 2017 à 09:59 | | 0 commentaire(s)|

Une nouvelle page d’amour et d’entente cordiale vient de s’ouvrir entre le Sénégal et la Gambie après plus de deux décennies de “guerre froide”.Cette belle entente s’est illustrée à près de quatre reprises en l’espace de 3 mois, depuis le départ du Président dictateur Yaya Jammeh.

D’abord, à l’occasion de la 52e  fête de l’indépendance de la Gambie célébrée le 18 février 2017, le Président gambien nouvellement élu, Adama Barrow a fait de Macky Sall son invité d’honneur. Un accueil chaleureux lui a été réservé par le Président himself  mais aussi par la population gambienne sortie en masse dans les rues de la capitale.

Même si l’image de cet accueil rappelait un peu celle de François Hollande à Bamako après la libération en 2012 du Nord du Mali par l’opération Serval, elle est hautement symbolique, car malgré la proximité géographique, historique ou encore culturelle entre les deux peuples, aucun Président sénégalais sous l’ère Jammeh n’a eu droit à pareil traitement en terre gambienne.

Pour un petit rappel, le Président sénégalais Macky SALL a joué un rôle clé dans le dénouement de la crise post-électorale gambienne. Craignant pour la vie du nouveau Président Gambien, la CEDEAO au nom d’Helen Jonhson Sirleaf avait sollicité le Président sénégalais pour la protection d’Adama Barrow. Ce dernier restera à Dakar jusqu’au départ de Jammeh.

L’idylle entre les deux pays s’est ensuite poursuivie trois semaines plus tard par une visite d’Etat de trois jours du Président Adama Barrow au Sénégal. Cette visite a été une occasion pour les deux gouvernements de réaffirmer leur souhait ardent pour pérenniser les relations sénégalo-gambiennes.

L’occasion a été également saisie par les deux gouvernements pour signer plusieurs accords de partenariat dans les domaines suivants: sécurité, justice, commerce, tourisme, etc.

Le rétablissement de l’axe Dakar-Banjul: prières exaucées pour le Sénégal

Avec la normalisation des relations sénégalo-gambiennes, c’est tout le gouvernement et le peuple sénégalais qui voient leurs voeux et prières de longue date  exaucés. Jammeh et son régime ont longtemps constitué des facteurs bloquants car ayant constitué un obstacle sérieux à la coopération politique, économique et sociale entre les deux pays. Ainsi, à cause de Jammeh, les deux pays ont manqué de tirer parti des énormes avantages que leur offraient pourtant leur proximité géographique et leur identité culturelle. 

Son départ de la tête de l’Etat gambien peut être donc perçu comme une très grosse épine ôtée du pied du Sénégal.
Ainsi donc, que gagne le Sénégal dans cette nouvelle aventure ?

Avec ces nouveaux accords, les autorités sénégalaises espèrent mettre un terme au trafic de bois de la Casamance vers la Gambie. Ce trafic qui s’est opéré pendant des années avec la bénédiction de l’ancien régime gambien, a fait perdre au Sénégal plus de 10. 000 hectares de ses forêts.

Le Sénégal espère également avec ce nouveau rapprochement, tourner définitivement la page de la rébellion casamançaise, vieille de 35 ans.

En effet, amputée de Jammeh, leur principal soutien moral et financier dans leur guerre de sécession, les rebelles pourraient vite déchanter et opter pour une reddition.

L’annonce faite par le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) au mois de février et de mars suite à la chute de Jammeh, de vouloir renouer le dialogue avec l’Etat du Sénégal, annonce déjà les couleurs d’un retour d’une paix définitive tant souhaitée dans cette partie du territoire  jadis appelée « grenier du Sénégal ».

Si tous les points soulevés et accords signés sont stratégiques, la construction du pont de Farafenni demeure sans doute le plus important, car étant la plus attendue par les populations sénégalaises résidant au Sénégal et en Gambie. La Gambie compte une importante communauté  sénégalaise qui est estimée à près de 800 000 personnes.

La construction du pont de Farafenni contribuera considérablement au désenclavement de la Casamance, région située au Sud du Sénégal, dont l’accès à partir de Dakar où les autres grandes villes du Sénégal, nécessite un passage par la Gambie. Younous Sall, un professeur de français originaire de Sédhiou pratiquant cette route depuis une vingtaine d’années et qui à chacun de ses déplacements vers sa Casamance natale, était obligé de patienter plus de 5  tours de cadran pour passer de l’autre côté de la rive avec l’aide du ferry de Farafenni, nous confie que “ si jamais cet objectif venait à être réalisé, la Casamance ne pourrait jamais assez remercier les deux Présidents”.

La construction du pont a d’ailleurs aussitôt démarré après la signature des accords. Cet empressement illustre parfaitement la volonté des deux gouvernements d’abréger la souffrance le plus rapidement possible, des milliers d’usagers de cet axe stratégique.

Le rétablissement de l’axe Banjul-Dakar apparaît comme une importante victoire diplomatique  accomplie par Dakar dans un contexte marqué à la fois par un un important regain diplomatique du Senegal, mais également par le petit nombre d’amis qu’il compte parmi ses voisins immédiats.

Même si la Gambie est une « petite nation », diplomatiquement peu influente, ce réchauffement pourrait permettre au Sénégal d’échapper à un éventuel endiguement.

La Gambie post- Jammeh : entre craintes et espoir !

Les retrouvailles avec le Sénégal en plus d’être symboliques, sont également très importantes pour cette petite Nation ouest-africaine. Les superstittions et caprices de celui qui se faisait fièrement appeler Babali Mansah ( Le roi qui défie les rivières) ont fini de mettre son pays dans une situation d’un contre tous. Tel un Kim Jun Un ou de son géniteur Kim Jong Il, Yaya avait fini de faire de la Gambie le pays le plus défiant et le plus hermétique de la sous-région.

La Gambie gagnera donc autant que le Sénégal dans cette nouvelle alliance. En effet, l’érection du pont de Farafenni, en plus de faciliter la libre circulation des personnes et des biens, permettra au secteur touristique qui était à l'agonie, de reprendre des couleurs et par la même, favoriser le redressement de l’économie.

Yaya Jammeh a développé sous son règne une armée ethnique composée majoritairement de Joola, son ethnie d’appartenance. En mettant donc en oeuvre les accords sécuritaires conclus avec le Sénégal, la Gambie pourra bénéficier de l’expertise de l’armée sénégalaise réputée très républicaine et professionnelle afin d’avoir une armée bien dosée ethniquement, équilibrée et capable de veiller sur les personnes et leurs biens et de garantir la stabilité du pays.

Une accalmie également dans la partie Sud du Sénégal, frontalière avec la Gambie, garantira  une stabilité institutionnelle et politique au régime de Barrow, si l’on sait que le spectre d’un coup d’Etat et des tentatives de déstabilisation plane  toujours sur la Gambie, tant l’ancien Président compte toujours des sympathisants dans la rebéllion casamançaise, au sein de l’armée gambienne, mais également dans son fief, Kanilai. Les récents accrochages entre les soldats de la MICEGA et des militaires restés fidèles à Jammeh, campent le décor de la tortueuse aventure dans laquelle sont embarqués Barrow et son administration.

En vue de conjurer ces intentions malveillantes, le Président Barrow avait formulé une demande à la CEDEAO pour que soit prolongé le mandat des soldats sénégalais en territoire Gambien enrôlés depuis janvier 2017 dans le cadre de la Mission de la CEDEAO en Gambie (MICEGA).

Après une confédération qui a duré le temps d’une rose, le Sénégal retrouve sa Gambie mais cette fois-ci « sans les artifices d’une confédération ».

Toutefois, le rétablissement de l’axe Banjul-Dakar ouvre une nouvelle ère d’optimisme entre les des deux peuples.
Cependant, ni le Sénégal encore moins la Gambie, ne jouiront des fruits de cette nouvelle alliance si les socles qui définissent cette romance, restent fragiles.

Dr Mouhamadou Kane , Le courrier  Diplomatique
Email: pispaneka@gmail.com