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Après la traque des biens mal acquis, la traque des nationalités mal acquises ? - Par Adama Sadio


Rédigé par leral.net le Vendredi 12 Février 2016 à 11:41 | | 0 commentaire(s)|

Après la traque des biens mal acquis, la traque des nationalités mal acquises ? - Par Adama Sadio
La saisine du tribunal des grandes instances de Paris par les avocats de Karim Wade a suscité un débat sur l’éligibilité de ce dernier. Un débat pourtant sans intérêt si on se fie à la Constitution sénégalaise de 2001. Evoquant les critères d’éligibilité à la présidentielle, l’article 28, dispose « Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise,…». Ce critère d’éligibilité est introduit en 1992 dans la Constitution en son article 23 à travers la loi 92-14 du 15 janvier 1992 portant révision de la Constitution. Une comparaison de cette condition d’éligibilité à celle de l’article 35 de la Constitution ivoirienne du 23 juillet 2000 nous révèle ô combien ce débat est inutile et susceptible de déchirer le tissu social. L’alinéa 3 de l’article 35 de la charte fondamentale ivoirienne, parlant du candidat, dispose « ne jamais s’être prévalu d’une autre nationalité ».

Cela dit, si en Côte d’Ivoire aucune possibilité de candidature n’est offerte à un citoyen ivoirien qui jouit ou a eu à jouir d’une autre nationalité (par naissance ou par acquisition), au Sénégal il est simplement exigé au candidat de déclarer sur l’honneur d’être exclusivement de nationalité sénégalaise au dépôt de sa candidature. Il suffit tout simplement au concerné de respecter cette exigence pour déverrouiller cet obstacle constitutionnel comme l’a d’ailleurs bien souligné le Conseiller juridique du Président, Ismaïla Madior Fall. «Quelqu’un qui a plusieurs nationalités, s’il renonce aux autres nationalités, il peut bien sûr être candidat à l’élection présidentielle». Une renonciation à sa nationalité française que fera Karim Wade à en croire son avocat Me Amadou Sall. Dès lors, le débat quitte le terrain juridique pour prendre une dimension communicationnelle et politique. Puisque les principaux acteurs de ce feuilleton sont des femmes et hommes politiques, il n’est pas exclu que cette hypermédiatisation de ce débat s’inscrive dans une logique d’invention de scandales autour d’adversaires et d’en tirer des dividendes politiques. Ainsi, après la tentative avortée de créer un scandale de milliards autour d’Idrissa Seck, la stratégie de soulever la nationalité française de Karim Wade en vue de susciter la fierté sénégalaise et de faire passer le concerné comme un étranger qui veut occuper la plus haute institution de la République peut répondre à ce souci. C’est de la basse politique.
Ce débat sur la double nationalité s’apparente, à certains égards, à celui sur la nationalité ivoirienne « douteuse » d’Alassane Ouattara que beaucoup de ses compatriotes considèrent comme un Burkinabé, bref un étranger. Tous les événements tragiques connus par la Côte d’Ivoire post Houphouët Boigny sont la conséquence d’une manipulation de l’identité nationale par des acteurs politiques pour s’éterniser et/ou pour conquérir le pouvoir.
Et pourtant, la Côte d’Ivoire sous Houphouët Bogny fut marquée par une très grande ouverture du pays aux étrangers, notamment aux ressortissants de la sous région ouest africaine attirés certes par le « miracle ivoirien », mais aussi par la qualité de leur intégration dans la société ivoirienne. Cette ouverture a permis à des ressortissants de la sous région dont des Sénégalais d’origine d’y occuper de hautes responsabilités. Sidya Touré, candidat malheureux à la présidentielle guinéenne contre Alpha Condé, fut le directeur de cabinet du Premier ministre Alassane Ouattara. Doudou Guéye, tout puissant secrétaire général de la Fondation Houphouët Boigny, est Sénégalais d’origine et à sa mort Houphouët Boigny a affrété un avion spécial et il repose au cimetière de Yoff et sa fille était également Ministre dans le gouvernement du Premier Ministre Ouattara. Enfin, Amadou Thiam, ancien directeur de la radio ivoirienne, Ministre de l’Information et ancien Ministre d’Etat est un journaliste sénégalais émigré en Côte d’Ivoire en 1947. Il a occupé ces hautes responsabilités au moment où son grand frère Habib Thiam en occupait aussi au Sénégal dont la présidence de l’Assemblée nationale et la primature. Tidjane Thiam (double nationalité française et ivoirienne), fils d’Amadou Thiam, fait aujourd’hui la fierté de la Côte d’Ivoire en sa qualité de directeur du crédit suisse.

C’est dommage et malheureux que la basse politique ait porté un sacré coup à cette grande vision du père de la Nation ivoirienne. Le monde est devenu un village planétaire, cette vérité l’est surtout dans l’usage des compétences pour faire reculer les limites du sous développement et relever les grands défis du présent et du futur. C’est certainement ce que l’Amérique bâtie par des immigrés a compris pour porter à la maison blanche non pas un Afro-américain, mais un Africain noir de père immigré kenyan. La France semble aussi comprendre que le talent n’a pas de nationalité d’origine. Devenu Français à l’âge de 19 ans, Manuel Valls (fan du FC Barça) est aujourd’hui le Premier ministre de la France et ses ambitions présidentielles sautent à l’œil nu. L’actuelle Maire de Paris, Anne Hidalgo, est aussi comme Manuel Valls d’origine espagnole. Les parents de Nicolas Sarkozy viennent de la Hongrie. Le Président de l’Assemblée nationale française, Claude Bartolone, est d’origine italienne. Rama Yade, la native de Ouakam fut membre du gouvernement de Sarkozy et candidate malheureuse au secrétariat général du parti UDI.

Et pourtant, ces politiques de naturalisation que mènent ces Etats sont aussi prévues par le Code de la nationalité sénégalaise. Evoquant la déchéance de la nationalité sénégalaise, l’article 18 dispose « Perd la nationalité sénégalaise, le sénégalais majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ». Cela dit que si la loi sénégalaise était STRICTEMENT appliquée beaucoup de nos compatriotes dont le porte parole du gouvernement et la première dame seraient déchus de leur nationalité sénégalaise. Car, dans l’esprit du législateur sénégalais tout citoyen majeur qui choisit volontairement d’acquérir une autre nationalité est un RENEGAT. L’urgence nous appelle ailleurs et les grands esprits se bousculent sur le boulevard de la postérité.

Adama SADIO ADO
adosadio@yahoo.fr