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Archives nationales : Délocalisation critique

L'idée de déplacer le service des Archives nationales pour une meilleure conservation a été émise en 1995 sous le régime du président Diouf. Vingt ans plus tard, c'est le début de la concrétisation. Mais le projet charrie des inconvénients fatals pour la mémoire de l'histoire sénégalaise et de la sous-région.


Rédigé par leral.net le Mardi 10 Mars 2015 à 15:42 | | 0 commentaire(s)|

Archives nationales : Délocalisation critique
Les individus désireux d'effectuer des recherches pour des travaux académiques n'ont qu'à prendre leur mal en patience. Consulter la mémoire du Sénégal pré et post-indépendance est momentanément impossible, à cause des travaux de réfection du building administratif où était logé ce service, au rez-de-jardin. Les ‘Archives nationales' du Sénégal sont fermées depuis le 24 octobre 2014. "Désolé, nous ne pouvons laisser personne entrer, à cause des travaux", répond fermement le préposé à la sécurité devant les sollicitations pressantes pour visiter les lieux.

Des amas de gravats, de la poussière, des excavations..., la démolition du bâtiment est en cours. De hautes barrières métalliques servent de délimitation à la zone des travaux. De loin, le martèlement contre les murs se mêle au bruit de la circulation sur le Boulevard de la République. Les maçons, chasubles fluorescents et casques de protection, déambulent avec leurs brouettes remplies de gravats. L'imposant immeuble aux murs jaunis est en travaux. La démolition des locaux laisse entrevoir des plafonds nus sur plusieurs étages.

Sur les ailes est et ouest, des échafaudages métalliques forment une excroissance du bâtiment imposant qui surplombe les services annexes de la Présidence. "Les travaux ont commencé, il y a plus d'un mois", fait savoir le chargé de sécurité du site. Sur sa page internet, le service présente ses excuses pour la fermeture du site et annonce le transfert des services vers le Central Park, anciennement centre commercial "Les quatre C". Le déménagement de ce service pose plus de questionnements qu'il n'en résout.

"On ne sait ni conserver, ni valoriser les archives dans ce pays"

Atoumane Ndiaye, archiviste depuis plus de trois décennies, nourrit des appréhensions quant aux modalités de ce déplacement. "Dans quelles conditions ce transfert va-t-il être effectué ? On risque de tout perdre avec ce déménagement. On ne sait ni conserver, ni valoriser les archives dans ce pays", se désole-t-il. Des documents rares et uniques qui risquent d'être perdus, au grand dam de la mémoire historique collective. Selon lui, ces problèmes avaient connu un début de solution, il y a 18 ans, quand le président Diouf avait commencé le projet derrière l'emplacement de l'actuel camp Lat-Dior.

Mais la remise en cause du projet par son successeur a retardé l'échéance, aggravant les problèmes. Ce service a été créé par l'arrêté n° 959 du 1er juillet 1913, sous l'égide du gouverneur général William Ponty. Des historiens et chercheurs de renom ont eu à diriger les Archives comme Médoune Mbaye, Jacques Charpy, André Villard, Théodore Monod. Il regroupe les archives du Sénégal colonial de (1444 à 1960) ; celles des huit territoires de l'Afrique occidentale française (AOF) ; de la Fédération du Mali ; ainsi que celles du Sénégal.

"Le service public ne verse plus d'archives"

La documentation s'aligne sur 40 km linéaire, renseigne Atoumane Ndiaye, dont 27 seulement sont consultés. L'archive la plus ancienne est un journal de voyage d'un explorateur écrit en français, datant de 1672. Il y a assez d'espace pour conserver les documents, selon Ibrahima Diaw, un ancien archiviste. Les actes conservés durent aussi, car le papier est de bonne qualité, fait-il savoir. Le problème demeure dans l'actualisation de ces fichiers. A part l'Armée et la Police, les différents démembrements du service public sont tenus de verser des archives, après dix ans. "Depuis des années, je ne saurais dire quand, le service public ne verse plus d'archives", dénonce-t-il. Atoumane Ndiaye est beaucoup plus virulent quant aux manquements des services de la Fonction publique. "Aucun ministère de ce pays ne dispose d'archives organisées, à part les Finances et les Affaires étrangères. Encore que, pour ces deux départements, ce sont les conventions et les traités seulement qui nous parviennent", critique-t-il.

"Les termites ont tout mangé"

Une situation qu'il impute à des locaux non adéquats, car "la stature du building ne permet pas de versements de copies". La situation des archives judiciaires n'est pas plus reluisante car "les termites ont tout mangé", poursuit-il, déplorant que les acteurs de la justice ne passent jamais les consulter. La numérisation des fichiers apparaît comme la solution à ce problème, surtout avec la perte de documents due à des causes anthropiques. Atoumane Ndiaye cite le cas de centres d'états-civils incendiés comme ceux de Mbao, de Tivaouane, de Kédougou et de Vélingara. Mais l'archiviste est sceptique quant à la concrétisation d'un tel projet. "Ce sont des souhaits qui ne se réalisent jamais", déplore-t-il.

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