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«Art/Afrique», retour en arrière ou bond en avant?

L’art contemporain d’Afrique ? C’est un espace-temps symbolique, réel ou fantasmé. C’est précisément là aussi où se négocient le présent, le passé et le futur de notre monde à tous. La nouvelle exposition de la Fondation Louis Vuitton est un feu d’artifice de chefs-d’œuvre venus d’Afrique et s’est donné un titre prometteur : « Art/Afrique, le nouvel atelier ». Mais le concept derrière la mise en scène éblouissante, ressemble plus à un retour en arrière.


Rédigé par leral.net le Jeudi 11 Mai 2017 à 09:44 | | 0 commentaire(s)|

«Art/Afrique», retour en arrière ou bond en avant?
Chéri Samba, Rigobert Nimi, Romuald Hazoumé, Barthélemy Toguo, Santu Mofokeng, Seydou Keïta, William Kentridge… Leurs noms sont bien connus, leurs œuvres souvent exposées, mais être célébré à la Fondation Louis Vuitton procure encore une magie supplémentaire.

À la beauté et la pugnacité des créations artistiques se rajoutent la monumentalité des salles et du lieu, la qualité et la quantité des œuvres présentes et surtout une mise en scène époustouflante.

Dès la première salle, on est épaté : trois murs peints en bleu clair sont habités par 28 des fameux masques en bidons plastiques du Béninois Romuald Hazoumé ; sur trois autres cimaises en rose flashy trônent neuf peintures de grand format du Congolais Chéri Samba; Okhai Ojeikere, le chantre des coiffures africaines, est honoré avec 40 photographies magistrales… Chacun des quarante artistes présentés est mis en valeur au maximum.

« Art/Afrique » et Louis Vuitton/Jean Pigozzi

Bref, sous l’extraordinaire architecture conçue par Franck Gehry, l’offre artistique venant d’Afrique est plus qu’abondante. Néanmoins, une chose intrigue, malgré la générosité de consacrer tous les 3 800 mètres carrés d’espaces muséographiques sur quatre étages aux artistes africains.

Cette exposition Art/Afrique, le nouvel atelier s’affiche comme la propriété de deux collections, de deux hommes : d’un côté le milliardaire Bernard Arnault, propriétaire de LVMH et président de la Fondation qui porte son nom ; de l’autre côté, Jean Pigozzi, le riche et excentrique héritier de l’empire automobile Simca ayant construit la plus grande collection d’art africain sans avoir jamais mis un pied en Afrique.

Réunissant une toute petite partie de leurs collections africaines côte à côte, ils ont réussi à mettre sur pied l'une des plus grandes expositions jamais organisées sur l’art contemporain africain. Reste la question suivante : en montrant les œuvres sous le drapeau de leurs collections privées, se sont-ils trompés de siècle ?

Le titre de l'exposition signifie-t-il que l’Afrique et les créateurs venus d’Afrique sont aujourd’hui devenus ou reconnus comme le nouvel atelier de l’art contemporain ? Interrogé sur ce point, Chéri Samba répond : « Comme l’intitulé vient de Louis Vuitton, moi, je dis que cette exposition est la confirmation. » Confrontée à la même question, Suzanne Pagé, la directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton, se montre beaucoup plus évasive : « Ce titre renvoie en effet d’emblée à l’idée que l’Afrique est un réservoir d’énergie pour le monde et la créativité. »

« L’art africain » n’existe pas

D'un côté, la présentation des œuvres est éblouissante, et de l'autre, la vision du monde ici développée risque d'être rétrograde. Le concept d’isoler un « vrai » art africain pour mieux extraire la richesse artistique du continent, est depuis longtemps révolu. Il suffit de visiter Afriques Capitales, actuellement à La Villette, pour s’apercevoir que l’existence d’un « art africain » bien délimité est radicalement remise en question.

En effet, avec Afriques Capitales, Simon Njami, curateur de la Biennale de Dakar et de l’expo légendaire Africa Remix, a réussi à renverser le rapport de force. Il a réinterprété et renouvelé le regard sur cet art venu d’Afrique. Il nous invite à découvrir et à participer à un atelier-monde où chacun a droit de cité, et qui parle de la Terre entière : « Qualifier les gens par rapport à une géographie est encore une fois les "essentialiser", leur enlever une part d’eux-mêmes. »

Pour ne citer qu’un exemple : contrairement à Afriques Capitales, on ne retrouve pas d’artistes français, américain ou britannique dans les deux collections d’Art/Afrique. On n’y découvre pas non plus d’artistes maliens ou égyptiens qui parlent de la guerre en Syrie. Le nouvel atelier de la Fondation ne sort pas du cadre de la pensée « africanisée » des deux collections privées exposées.

Rfi - Afrique