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Au Professeur Alassane Ndaw et Khady Sylla : La patrie reconnaissante

Rédigé par leral.net le Lundi 21 Octobre 2013 à 14:25 | | 0 commentaire(s)|

La mort descend de plus en plus sur le monde, sur ceux que nous avons aimés. Bruno Metsu est aussi de ceux là. Et nous nous sentons vains. Et le temps passe.


Et l’oubli s’installe. Mais nous refuserons d’oublier des êtres chers que nous avons respectés, parce qu'ils ont respecté et grandi la discipline qu'ils ont choisi de servir. Le Sénégal doit une tombe à nombre de ses fils qui ont porté loin son nom ! Une stèle devrait être érigée sur la place de l’indépendance portant le nom de ces femmes et hommes qui, dans la lumière, ont servi leur nation. Ces soldats ont le front face au soleil ! L’Université a perdu d’illustres enseignants. Leur nom mériterait de figurer sur une pierre à côté des facultés qu’ils ont servies avec tant de bonheur. La pierre dure plus longtemps que l’homme. Ce qui finalement nous sauve face à la mort, c’est que « croire en Dieu rend plus heureux »  et nous permet de nous élever au dessus des deuils et des douleurs qu’un simple cœur de mortel ne saurait contenir. Nous nous couchons chaque soir recroquevillés dans nos os, soumis à l’horloge de la chimie de notre corps, et chaque réveil relève d’un miracle du divin.

Alassane Ndaw fut un professeur décisif et fort brillant, en plus d'avoir été un ouvreur de pensée, un passeur de concepts, un semeur de l'esprit. Khady Sylla, écrivain et cinéaste, était une créatrice habitée et puissamment inspirée. Tous les deux sont montés au ciel, après avoir servi la terre, en laissant à leur pays un patrimoine au service de la connaissance et de la beauté.

J'ai appris que la philosophie était le don de l'étonnement. Qui ne s'étonne pas ne philosophera pas comme il se doit. Premier professeur noir enseignant la philosophie, Alassane Ndaw a placé la pensée africaine au cœur d’une validation philosophique universelle, au-delà de ceux qui croient à UNE ou DES philosophies. La portée de sa réflexion a enrichi un champ de connaissances qui, désormais, s’est installé dans une tranquille légitimité. La vérité est que dés la création du monde, l’homme a philosophé bien avant la philosophie. Exister, c’est déjà entrer en philosophie. Le professeur Alassane Ndao a rallumé toutes les lumières sur la puissance de la pensée africaine. Pour avoir mené une réflexion hardie et féconde, il fut non seulement un précurseur, mais un maître. Il nous a laissés des héritiers dont les noms chantent et que les mondes académiques les plus pointus, aux confins les plus reculés, saluent et honorent avec respect. Parmi les bergers, le frère bien-aimé Souleymane Bachir Diagne, Mamoussé Diagne, le prince du dire.

Le grand mérite du professeur Alassane Ndaw, c’est de nous avoir permis, en inaugurant le levée des soleils, d’avoir chez nous, en condensé, le meilleur de Kocc Barma, Platon, Aristote, Leibnitz, Spinoza, Kant, Nietzsche. Je salue ici à haute voix sa mémoire. Je salue le professeur et l’ami, le persuasif collaborateur de la Fondation L.S.Senghor où nous nous retrouvions avec Basile, Moustapha Niasse, le défunt et admirable professeur Assane Seck, Maitre Boucounta Diallo, Maitre Senghor, notaire.

Alassane Ndaw dont Sédar aimait à saluer la solidité et la pertinence de la pensée, avait choisi de servir sa culture pour la valoriser, la donner en exemple au monde, la poser sur les rayons de la bibliothèque universelle pour qu’elle féconde d'autres cultures, d'autres esprits. Quelle meilleure fortune un homme pouvait- il laisser en héritage à ses semblables et loin dans les siècles ?

L'histoire de la pensée a déjà retenu le nom d’Alassane Ndaw. L'Université, là où le savoir trouve son plus sûr refuge, n'oubliera pas ce jardinier de l’esprit. Quant à l'homme, et je puis en témoigner, il était le résumé d'un homme de bien. Humble et effacé comme seuls savent l'être les hommes de grandeur, le professeur Alassane Ndaw était la courtoisie même, dans une élégance de port, un goût du raffinement et un propos gracieux. Je garde de lui et de l'affection qu'iĺ me vouait comme à tant d'autres, l'image d'un nid. Il aimait et protégeait ceux qui honoraient la pensée. Cette figure est de celle qui ne disparaîtra jamais de notre horizon et de notre cœur.  

Quant à Khady Sylla, elle était une sœur bien-aimée. Elle fut une femme qui s’est beaucoup, beaucoup préoccupée d’œuvres de créations fortes et inédites. Son talent était sans faute. Khady aimait l’art, c'est-à-dire tout ce qui rendait la vie encore meilleure que la vie. Elle s’est toujours battue avec très peu d’or. Elle et moi parlions souvent de cette vie d’artiste si ingrate, comme si chez nous servir la beauté, nourrir l’esprit, quêter l’esthétique, attiraient le maléfice. Khady et moi avons toujours eu des échanges souffrants avec des mots joyeux. Je m’efforçais toujours de la convaincre que son talent serait récompensé un jour. La mort n’a pas voulu attendre. Tant pis pour elle ! Khady nous restera.

J'ai été parmi les premiers à avoir lu son manuscrit: "le jeu de la mer". Je venais de découvrir une étonnante jeune femme qui allait marquer la littérature sénégalaise. Ce roman publié doit être redécouvert et lu. Khady était un bijou. Sa plume était neuve, sûre. Son écriture réinventait le roman sénégalais. Sa technique narrative était éblouissante. Le jury qui lui avait attribué une mention spéciale au début des grands prix du président de la République, n’avait pas sans doute mesuré à sa juste valeur l’œuvre de cette jeune fille qui avait bouleversé les normes. Peut être que Khady était venue trop tôt. Les jurys ne sont pas infaillibles, surtout quand ils ne sont composés rien que par de respectueux, tranquilles et tutélaires professeurs. L’académisme est ombrageux. C’est de son épuisement que nait toujours dans l’infidélité, une nouvelle littérature.

Je connais peu les films de Khady Sylla. Le temps de l’image n’est pas le temps du livre. Elle venait me parler de ses tournages, de ses recherches difficiles de fonds. La vie lui aura refusé bien des bonheurs, comme  cela arrive à des créatures à qui Dieu a donné une part rare de Sa machinerie qui lui est si unique. 

Le professeur Alassane Ndaw comme Khady Sylla ont rendu visible ce qui était invisible en nous. Tel est le mérite de penser l’être et l’universel aux confins des modes de connaissances à la fois les plus fins et les plus épais, dont la philosophie. Tel est le pouvoir de la littérature, indispensable et irremplaçable. Tel est le temps de l’image et ses usines du rêve. Nos deux chers disparus ont rempli leur mission. Ce qu’ils ont fait requiert plus de travail que celui d’une autoroute. Partout où un État a dégradé la pensée, il s’est dégradé lui-même. Ce qui tire un pays vers le haut est dans l’investissement de la pensée, des arts, des sciences. C’est là le plus sûr des investissements économiques, le meilleur des raccourcis. Cette trajectoire a besoin de réformes douloureuses, d’hommes d’État visionnaires, inébranlables, pragmatiques. Une maison a besoin de lumière, d’air, de l’herbe qui pousse, d’arbres, d’enfants qui rient, d’une maman que l’on chante, d’un père que l’on loue, de vieillards qui prient. C’est de cette manière que s’épanouit également la pensée. Puisse le Sénégal, notre beau et grand petit pays, donner plus de pouvoir et de respect à l’esprit, c'est-à-dire au développement intégral !

Reposez en paix professeur Ndaw: vos bergers gardent le troupeau.

Khady, toi qui aimais tant rire, nous t’avons construit un coin de soleil dans notre cœur.


Amadou Lamine Sall

poète

Lauréat des Grands Prix de l’Académie française