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Au Sénégal, une émergence sous assistance

"Cet article est issu du dossier" «Sénégal 2019, c'est déjà demain...». Par Mehdi Ba, Jeune Afrique.


Rédigé par leral.net le Samedi 21 Octobre 2017 à 18:29 | | 0 commentaire(s)|

Au Sénégal, une émergence sous assistance
Le 22 août décédait Aliou Sow, à l’âge de 83 ans. Ce self-made-man avait fait de la Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE), qu’il avait fondée en 1970, l’un des fleurons du BTP au Sénégal et dans toute la sous-région. Son fils Yérim Sow a su lui aussi propulser le groupe Teyliom, créé en 2001, au firmament de l’hôtellerie, de l’immobilier et des télécoms. Comme la famille Sow, d’autres Sénégalais ont constitué des entreprises performantes, reconnues au-delà des frontières nationales.
 

Mais alors que le président Macky Sall a fait du Plan Sénégal émergent (PSE) l’alpha et l’oméga de sa gouvernance économique et sociale, des critiques – qui ne feront probablement que s’amplifier jusqu’à la présidentielle de 2019 – s’élèvent : le taux de croissance (en hausse constante) et l’émergence annoncée bénéficieront-ils au secteur privé sénégalais ou avant tout, à des multinationales venues d’ailleurs , qui rapatrieront chez elles leurs bénéfices ?

La quasi-totalité de ces marchés a été raflée par des entreprises non sénégalaises

À lui seul, l’examen des concessions attribuées dans le cadre de l’emblématique chantier de l’aéroport international Blaise-Diagne  (AIBD) et de ses extensions, est édifiant. La construction du nouvel aéroport (engagée en 2007), la société chargée de son exploitation, celle qui détiendra le monopole de l’assistance en escale, la concession du parking, celle de la galerie marchande, le chantier  de l’autoroute reliant Diamniadio à l’AIBD , celui du train express régional censé le desservir depuis Dakar  en 2019, la quasi-totalité de ces marchés a été raflée par des entreprises non sénégalaises : le Saudi Binladin Group  (SBG), puis les turcs Summa, Limak et Yapi Merkezi , l’allemand Fraport, les français Eiffage, Engie, Thales, SNCF, RATP , etc.

Retour à un monopole colonial

Le problème est ancien, mais l’ampleur des grands chantiers lancés par Macky Sall dans le cadre du PSE ne fait qu’exacerber sa perception par le grand public. Mi-septembre, le Conseil national du patronat sénégalais adressait ainsi à la ministre des Transports aériens, un mémorandum exposant l’amertume des professionnels et opérateurs des aéroports du Sénégal, en constatant que l’AIBD, tant attendu, avait laissé sur le bas-côté les entreprises nationales. Et depuis l’arrivée, en septembre, du Français Philippe Bohn, ancien de Total et d’Airbus, à la tête de la nouvelle compagnie Air Sénégal SA , la presse sénégalaise se déchaîne quotidiennement, sous divers motifs, comme pour exorciser un sentiment d’ingérence vécu comme humiliant.

« On assiste à un retour en force de l’ex-puissance coloniale. Les intérêts sénégalais sont sacrifiés au profit de l’étranger », nous confiait récemment un cadre de l’opposition, oubliant peut-être un peu vite que, sous Abdoulaye Wade, la concession du terminal à conteneurs du port de Dakar avait été confiée à Dubai Ports World , la maîtrise d’œuvre du Monument de la renaissance africaine à des Nord-Coréens et celle de l’AIBD aux Saoudiens de SBG. Mais, à l’approche de la prochaine présidentielle, nul doute que ce procès en défaut de patriotisme fera rage pendant la campagne.

Si les régimes alternent, le constat reste identique : le secteur privé sénégalais, pris dans son ensemble, n’est pas encore à la hauteur de « l’émergence » à laquelle Macky Sall aspire, malgré diverses réformes  saluées par les partenaires du pays.

Prédominance du secteur informel, taux de mortalité précoce des entreprises, 
difficultés d’accès des PME à la commande publique  et au financement bancaire, sans parler de pratiques souvent népotiques et d’une expertise parfois défaillante – ardu, par exemple, dans un pays quasiment dépourvu de chemin de fer, de trouver les compétences pour construire un train express régional.

Pour qu’émergence cesse de rimer avec assistance, il faudra donc davantage que le volontarisme d’un chef d’État : une révolution des mentalités et des mœurs.


Jeune Afrique


Alain Lolade