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Au nom du Mektoub: le fatalisme est-il musulman ?

Rédigé par leral.net le Mercredi 26 Avril 2017 à 22:48 | | 0 commentaire(s)|

Des drames terribles au rang desquels figurent le naufrage du bateau le Joola avec au moins 1500 morts, une dizaine d’enfants talibés brûlés vifs dans une baraque à Dakar, les accidents de la route qui se multiplient et tout récemment, la trentaine de morts lors de la retraite spirituelle de Médina Gounas, et plus dune vingtaine de morts dont une majorité de femmes qui meurent noyées lors du chavirement de leur pirogue (avec 72 passagers pour un nombre prévu de 30 personnes) ont fini de soulever à nouveau l’épineuse question des musulmans face au fatalisme, le « mektoub » (c’est déjà écrit).

Ce sont là quelques exemples de drames, où la faute humaine est manifeste à travers une série de négligences facilement identifiables et un état d’esprit qui inhibe tout ce qui a trait à la prévention, qui nous serviront de prétexte pour aborder l’épineuse question du mektoub (c’est déjà écrit). En effet, pour ce pays à large majorité musulmane, tout le monde entend dire les fatalistes et paresseux, dès qu’on parle de précaution et d’anticipation, « Yalla bakhna » (Dieu est bon), « Dana bakh » (ça marchera). Et en général quand ça ne marche pas l’expression qui clôt l’affaire c’est « Ndogollou Yalla la ou lii la Yalla dogol » (C’est la décision de Dieu). On trouve dans d’autres pays musulmans le même état d’esprit formulé sous des expressions endogènes. Une question fondamentale est de savoir dans quelle mesure les enseignements de l’islam nous permettent-ils de concilier responsabilité humaine et « mektoub » ou destin pour utiliser un terme plus connu.

Faisons d’abord une rapide restitution des courants de pensée qui ont traversé l’histoire des idées et des croyances dans le monde musulman à ce sujet. Grosso modo, on recense le courant de pensée qui oppose la volonté de Dieu au libre arbitre de l’homme et un autre qui les fait dialoguer. Ceux qui défendent l’opposition adoptent soit la posture qui considère que l’homme ne dispose pas de libre arbitre étant absolument déterminé par la volonté de Dieu, soit celle qui dit que l’homme est totalement libre dans ses actions, la volonté de Dieu n’interfère pas avec ce qu’il fait. Enfin, il y a la position que ses défenseurs considèrent être celle du juste milieu, à savoir que Volonté de Dieu et libre arbitre humain sont des réalités non contradictoires.

Pour la position qui rejette le libre arbitre, on peut tout de suite considérer qu’elle conduit à une impasse et au désespoir voire l’absurde : si l’homme ne décide de rien et n’est responsable de rien, on ne voit pas quel sens l’on peut donner au jugement dernier où des actions seront imputées à leurs auteurs. Or, la réalité du jugement dernier n’est pas remise en cause par ce courant de pensée. Pour la position qui défend le libre arbitre total de l’être humain, on se rend compte qu’elle mène à une croyance selon laquelle Dieu est tellement transcendant qu’Il laisse les hommes agir dans ce monde comme bon leur semble. Cette posture conduit d’ailleurs au rejet des miracles et autres interventions extraordinaires de Dieu dans le monde que le Coran et la Bible rapportent. Tenant compte des difficultés de taille que rencontrent ces deux postures qui opposent Volonté ou Permission de Dieu et libre arbitre humain avec son corollaire de responsabilité, celle de la conciliation est la plus soutenable.

Voici quelques versets incontournables au sujet de ce fameux « mektoub » :

« Dis : ‘Rien ne nous atteindra, en dehors de ce qu’Allah a prescrit pour nous. Il est notre Protecteur. C’est en Allah que les croyants doivent mettre leur confiance’». (Coran, 9 : 51)
« Ne sais-tu pas qu’Allah sait ce qu’il y a dans le ciel et sur la terre? Tout cela est dans un Livre, et cela est pour Allah bien facile. » (Coran, 22 : 70)
« Nul malheur n’atteint [l’homme] que par la permission d’Allah. Et quiconque croit en Allah, [Allah] guide son cœur. Allah est Omniscient. » (Coran, 64 : 11)

« C’est Lui qui détient les clés du mystère que Lui seul connaît parfaitement. Il connaît ce qui est sur la terre et dans la mer. Nulle feuille ne tombe sans qu’Il le sache. Il n’y a pas un grain dans les ténèbres de la terre, ni rien de vert ou de desséché qui ne soit mentionné dans le Livre explicite » (Coran, 6, 59)
« Et Nous avons dénombré toute chose dans un Livre explicite » (Coran, 36 : 12)

Si on est d’accord qu’un Dieu ignorant de quelque chose pose problème quant à sa qualité de vrai Dieu vu qu’Il aurait alors des limites, on se dit donc que Sa Science est totale. Chez les théologiens, on parle d’Omniscience. D’autre part, on ne peut imaginer un vrai Dieu qui dépend ou soit moins puissant que quelqu’un ou quelque chose d’autre. Les théologiens parlent d’Omnipotence pour exprimer cet attribut nécessaire à un vrai Dieu, en tout cas dans le cadre de la foi abrahamique. Ce qui semble souvent poser problème, c’est quand des versets et hadiths disent explicitement que Dieu a tout écrit d’avance. Les rationalistes purs se demandent ce qui reste alors comme liberté à l’homme et pourquoi sera-t-il tenu responsable de quoi que ce soit ?

Une réponse sérieuse est de dire qu’il ne devrait pas y avoir de difficulté à tenir pour vrai qu’un Dieu Omnipotent et Omniscient soit aussi Omniécrivain. En effet, un Dieu tout-puissant et tout connaissant doit pouvoir écrire tout s’Il le veut. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’Il impose à l’homme ce qu’il fait puisqu’à côté des références scripturaires qui mentionnent cette divine écriture de tout, il y a d’autres qui imputent à l’humain des actes et établissent donc sa responsabilité comme les suivants :
"Tout bien qui t'atteint vient d'Allah, et tout mal qui t'atteint vient de toi-même."(Coran, 4 : 79).
"Tout malheur qui vous atteint est dû à ce que vos mains ont acquis. Et Il pardonne beaucoup." (Coran 42 : 30).
"La corruption est apparue sur la terre et dans la mer à cause de ce que les gens ont accompli de leurs propres mains […]" (Coran 30 : 41)

La rigueur dans l’analyse exige que soit tenues en compte les deux réalités mentionnées par les textes : d’une part, la Volonté absolue de Dieu, Son Omniscience, Son Omnipotence, l’Ecriture de tout et d’autre part, le libre arbitre et la responsabilité humaine. Rien ne justifie de ne pas agir sous prétexte que tout est déjà écrit. En effet, puisque nous ne savons pas ce qui est écrit, pourquoi ne pas considérer que nous obtiendrons le résultat escompté de notre action ? En d’autres termes, est-il rationnel de se baser sur ce qu’on ne sait pas pour ne pas agir ? L’ignorance peut donc conduire non pas à la résignation et au renoncement, mais à la prudence dans les actes que devons poser et l’humilité dans les résultats que nous en attendons. On peut se demander si la civilisation humaine serait possible si l’homme s’interdisait d’agir sous prétexte qu’il ne savait pas ce qui est déjà écrit. La crainte d’échouer et l’espoir de réussir sont les moteurs de la civilisation humaine et il existe au fond de chaque humain, quelque chose d’irrépressible qui le pousse à reconnaître qu’il a une part de responsabilité dans ce qu’il se passe en lui et autour de lui.

Personne de sensé ne peut se prévaloir de ce qui est déjà écrit pour ne pas agir, ne serait-ce que le fait de fuir ou de tenter de se protéger d’un danger. Personne ne se dit « je ne vais pas éviter de mettre le doigt dans le feu parce qu’il est peut-être écrit que si je le fais, rien ne m’arrivera. » Chaque personne éprouve au fond d’elle-même l’existence d’une intention propre et une envie d’éviter un préjudice et d’atteindre un objectif qu’elle se donne, tout en sachant que ce qui va arriver ne dépend pas que d’elle. En effet, personne ne pourra savoir l’ensemble des effets de son action sur lui-même, sur son prochain, aujourd’hui et demain, ici et là-bas. Les débats éthiques et philosophiques sur la crise environnementale et climatique nous ont beaucoup appris en la matière.

Nombreux sont les versets qui incitent à l’action et non au fatalisme mais voilà que certains préfèrent se perdre dans des interprétations qui n’en sont pas d’ailleurs, ce sont plutôt des prises de positions qui expriment le refus de ses auteurs de vouloir véritablement approfondir la compréhension du sujet. De telles personnes préfèrent toujours épiloguer sur les versets qui parlent du mystère de Dieu ou de Sa révélation et qui sont énoncés selon un contenu équivoque ou non explicite de prime abord, comparés à d’autres. Elles-mêmes ne comprennent rien à ces versets si tant est-il qu’elles le veuillent, et les brandissent juste pour alimenter de vaines polémiques. Pourtant un verset comme celui-ci « Rien ne Lui ressemble, et Il est Celui qui entend et qui voit tout » (Coran, 42 : 13) nous donne une base de discussion intéressante et stimulante puisqu’il nous fait échapper aux impasses et autres apories de l’anthropomorphisme et du panthéisme quand il est question du mystère de la personne de Dieu.  

Voici un autre verset qui va dans le même sens de nous faire échapper à la suffisance : « C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque, qui sont la base du Livre, et d’autres versets au sens ambigu. Les gens dont le cœur incline vers l’égarement mettent l’accent sur les versets au sens ambigu en vue de semer la discorde et de leur trouver une interprétation, alors que nul ne la connait si ce n’est Allah. Ceux qui sont bien enracinés dans la science, pour leur part, disent : «Nous y croyons : Tout vient de notre Seigneur ! » Mais, seuls les doués d’intelligence s’en rappellent. » (Coran, 3 : 7)

Dans la perspective de la foi abrahamique, on échappe à cette impasse en tenant pour vrai que nous ne pouvons savoir le mystère de Dieu mais y croire. Comme disait l’autre "si nous pouvons savoir Dieu, pourquoi croire ?". De notre côté, nous ajoutons: "si nous ne pouvons rien savoir de Dieu, comment y croire ? C’est pour éviter cette autre impasse que Dieu nous fait Le connaitre à travers les signes de Sa création, des Livres envoyés aux prophètes et des miracles que ceux-ci accomplissent de par Sa permission. Dans le cadre de la foi abrahamique, on croit en Dieu, on le craint tout en l’aimant, mais on ne le connaît pas, on connait de Lui".

En tout cas pour ce qui concerne l’islam, et pour ne pas se perdre dans tout ce qui est dit sur ce sujet délicat de l’absolue volonté de Dieu et du libre arbitre humain, il est nécessaire de tenir compte de l’ensemble des références scripturaires, Coran et hadiths, qui évoquent le sujet et les faire dialoguer les uns avec les autres. Ainsi, on pourra exploiter convenablement le principe incontournable « Le Coran explique le Coran » et on peut en dire autant pour ce qui des hadiths. Par exemple, quand le Coran dit que Dieu est juste avec nous les humains et que notre esprit semble analyser une situation concrète comme étant injuste, il s’agira de faire montre d’une patiente réflexion et au bout du compte, on se rendra compte que la chose est beaucoup plus délicate que de prime abord.
Voici quelques exemples de versets qui établissent encore si besoin est, la réalité du libre arbitre :

"C’est par quelque miséricorde de la part d’Allah que tu (Muḥammad) as été si doux envers eux ! Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage. Pardonne-leur donc, et implore pour eux le pardon (d’Allah). Et consulte-les dans l'affaire et lorsque tu t'es décidé, alors place ta confiance en Allah" (Coran, 3 : 159) ;
 "Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction" (Coran, 3 : 195)
"Prenez vos précautions" (Coran, 4 : 5) 
"Voyage de nuit avec mes serviteurs" (Coran, 44 : 23)

On voit bien que la concertation et la résolution dans la prise de décision précèdent l’impératif « alors place ta confiance en Dieu » La consultation ici mentionnée ne peut concerner la révélation pour laquelle le prophète lui-même (SAWS) n’est pas consulté mais ce que chaque partie prenante pense de ce qu’il faut faire ou ne pas faire selon sa connaissance et son expérience du sujet discuté. Dans le même verset figurent et le libre arbitre et la Volonté de Dieu, comme pour dire au croyant, de faire ce qu’il peut et de faire confiance à Dieu au sens où Il lui accordera une issue heureuse laquelle ne correspondra pas forcément à ses préférences. On voit mal comment ordre de ne pas se jeter de son propre chef à la ruine ou de prendre des précautions peuvent-ils être donnés à un destinataire du message qui ne peut, par on ne sait quelle contrainte, le mettre en œuvre. Aussi, dans le récit du Coran sur la sortie de l’Egypte des fils d’Israël sous la direction de Moïse, ordre est donné à ce dernier de sortir la nuit, étant compris que c’est pour éviter d’exposer le peuple à un carnage en plein jour de la part de la puissante armée du Pharaon de l’époque.  De façon plus spécifique, la part de l’homme est bien mentionnée dans des cas des situations non heureuses :
 « Tout bien qui t'atteint vient d'Allah, et tout mal qui t'atteint vient de toi-même. Et nous t'avons envoyé aux gens comme Messager. Et Allah suffit comme témoin." (Coran, 4 : 79).

"Tout malheur qui vous atteint est dû à ce que vos mains ont acquis. Et Il pardonne beaucoup." (Coran, 42 : 30).
La fin de ce verset implique, comme nous l’avons dit ailleurs, une sorte de dé corrélation, signe de la miséricorde de Dieu, entre les méfaits de l’homme et les sanctions correspondantes dans la Loi de Dieu. En d’autres termes, pour beaucoup de nos mauvaises actions, la sanction écrite par la Science de Dieu est suspendue et c’est ce Divin pardon qui nous maintient en vie et évite l’effondrement de tout ce que nous construisons dans le péché, l’injustice, le mal, le faux et la laideur. 

De tels versets sont à faire dialoguer avec les autres qui mentionnent la responsabilité de l’homme en bien et en mal comme c’est le cas de ce verset : « Et les associâtres dirent : «Si Allah l’avait voulu, nous n’aurions rien adoré en dehors de Lui, ni nous ni nos ancêtres ; et nous n’aurions rien interdit qu’Il n’ait Lui-même interdit. C’est ainsi qu’agissaient ceux qui les avaient précédés. De quelle mission sont investis les messagers sinon d’une prédication claire ? (Coran, 16 : 35)

Il en découle ceci que Dieu sache tout et écrive tout n’est pas à mettre en opposition avec le libre arbitre chez l’homme ni à isoler des autres attributs divins que le Coran mentionne. En effet, si le Coran dit que Dieu sait Tout et a Tout écrit, il dit aussi qu’Il est juste et sage. Ce qui revient à l’homme dans le malheur ce sont ses négligences et ses péchés. Est-ce qu’on connait une culture où il est tenu pour vrai que l’homme n’est responsable de rien dans ce qui arrive à sa personne et à son prochain voir son lointain ? Un autre principe important dans la compréhension du Coran est que ce qui est explicite sert de base et prime sur le non explicite ou l’équivoque. Au total, faites abstraction des versets du Coran qui associent la foi à la bonne action, qui met la responsabilité humaine au centre de l’organisation judiciaire, du jugement dernier, du culte, etc., et il n’en restera pas grand-chose. C’est dans ce cadre que le droit islamique exempte celui qui dort, qui a perdu la raison, qui est sous contrainte, qui a oublié, qui est mineur, etc., de toute obligation de rendre compte.

A son arrivée à Yathrib qui sera plus tard dénommé Médine, le prophète initie avec ses compagnons maintes actions comme l’édification d’une mosquée, d’une école, la fraternisation entre médinois et mecquois, le marché, la rédaction d’une charte du bon vivre ensemble entre musulmans et non musulmans. Mais on oublie souvent d’autres actions parmi lesquelles l’assainissement. Voici certaines actions que le prophète a supervisé telles que les rapporte le Docteur Muzammil Siddîqî : i) Nettoyer la cité : Yathrib (ancien nom de Médine) était une ville sale. Lorsque les Compagnons du Prophète arrivèrent à Médine, beaucoup d’entre eux tombèrent malades et n’apprécièrent pas la cité. Le Prophète — paix et bénédiction sur lui — leur demanda de nettoyer la ville et d’en ôter toutes les saletés. `Â’ishah — que Dieu l’agrée — dit : « Nous arrivâmes à Médine alors que c’était la terre de Dieu la plus polluée. L’eau qui s’y trouvait était nauséabonde. » (Al-Bukhârî, 1756) ;
ii) Le système hydraulique de la cité : Le Prophète (paix et bénédiction de Dieu sur lui) demanda aux Compagnons de creuser des puits à divers endroits de Médine. Il est mentionné que plus de cinquante puits furent creusés et qu’il y eut assez d’eau potable pour tout le monde ;

iii) L’agriculture et le jardinage : Le Prophète — paix et bénédiction sur lui encouragea les Compagnons à cultiver la terre et à entretenir des jardins. Il leur dit que quiconque soignerait une terre inculte, la posséderait. De nombreuses personnes commencèrent à travailler et à cultiver. Bientôt, la nourriture devait suffire toute la ville ;
iv) L’éradication de la pauvreté : En peu de temps, il n’y eut plus de gens indigents à Médine. Chacun possédait assez pour vivre, et le Prophète — paix et bénédiction sur lui — prit l’habitude d’offrir des présents aux délégations qui lui rendaient visite ; v) Sûreté, sécurité, loi et ordre : Médine devint la cité la plus sûre du monde. Vols, viols, ébriété ou meurtres étaient rarissimes et on les prenait immédiatement en main.[[1]]url:#_ftn1

Pour ce qui est des hadiths, voici quelques exemples d’actions de précaution, de vigilance, d’anticipation et de prévention que le prophète a enseignés et pratiqués : enlever de la rue quelque chose qui peut porter préjudice aux gens ; interdiction d’uriner dans de l’eau stagnante, de dormir avec un reste d’aliment dans la main, dans une maison non couverte, avec un feu allumé dans la maison, sans secouer sa couverture, d’entrer ou de sortir d’une localité touchée par une épidémie, envoi d’éclaireurs lors des expéditions au-devant de la troupe, etc. La difficulté pour le musulman fataliste et quiconque voudrait faire de l’islam une religion de la résignation et de la négation du libre arbitre, est d’expliquer comment le prophète (SAWS) qui a reçu et récité les versets « fatalistes » et qui en est le premier interprète, peut-il enseigner des attitudes et comportements qui incitent plutôt à l’action.

Quand le hadith inscrit l’enlèvement de ce qui peut porter préjudice aux gens dans les branches de la foi, il est logique de considérer qu’il n’est pas question pour le destinataire de ce message de faire lui-même, quoi que ce soit de dangereux pour soi-même comme pour autrui. Tout le monde peut deviner le danger associé aux diverses recommandations prophétiques précitées. Le problème est que certains musulmans ont tendance à croire que ces recommandations ne sont pas à respecter comme celles relatives au culte au sens strict ( ‘ibâdât) telles que la prière, le jeûne, la lecture du Coran, etc. Les oulémas de la biographie du prophète (Sîra) nous rapportent que lors de ses expéditions, ce dernier avait l’habitude d’envoyer loin devant un ou des sortes d’éclaireurs, si ce n’est pas là une mesure de vigilance, d’anticipation et de précaution ! Dans la même veine, il désignait des gens pour surveiller les arrières après la levée des camps.

Lors de la bataille de Badr, le prophète (SAWS) disposa ses hommes d’une certaine façon. Quand un compagnon l’interrogea à ce sujet, il répondit que cela ne provenait pas de la révélation mais juste de sa propre évaluation. Alors, le compagnon lui demanda de le laisser proposer une autre disposition en raison de son expérience en matière de guerre.

Le prophète (SAWS) accepta et adopta le plan dudit compagnon, puis il pria profondément Dieu et la bataille se termina sur une victoire éclatante et extraordinaire des musulmans petits en nombre et faibles en moyens en ce moment. Dans la même optique, lorsque les musulmans furent encerclés par les ennemis mecquois et leurs alliés, c’est sur proposition d’un compagnon que le prophète (SAWS) donna le premier un coup de pioche pour creuser un fossé (handaq), d’où le nom de bataille de handaq, pour protéger Médine. Dans ces deux cas, il est crucial de noter que tout en étant le dépositaire de la révélation, le prophète (SAWS) écoute et adopte les préconisations de personnes expertes dans leurs domaines. En effet, le prophète (SAWS) a mis au service de l’objectif majeur de ce temps, à savoir, la victoire lors de la bataille contre les ennemis mecquois, le savoir-faire de personnes ayant plus d’expérience que lui en matière de guerre.   

Par contre, lors de la bataille d’Uhud, les musulmans furent sévèrement battus quand certains ont quitté les positions à eux données par le prophète (SAWS) et ont succombé à l’appât du butin. Quand les musulmans survivants se posèrent des questions sur leur défaite, la réponse du Coran fut implacable : « Quoi ! Quand un malheur vous atteint alors que vous en avez auparavant infligé le double (à vos ennemis), vous dites : ‘D’où cela vient-il?» Réponds-leur : «Cela vient de vous-mêmes’». Certes Allah est Omnipotent. » (Coran, 3 : 165) La fin du verset indique que Dieu aurait pu leur accorder la victoire malgré tout puisqu’Il est Tout-Puissant. Certains commentateurs tirent de ce verset que Dieu a voulu faire savoir aux musulmans qu’ils ne devraient pas croire que la victoire leur sera accordée quels que soient leur attitude et comportement. En rapport avec l’état des savoirs et pratiques sanitaires de l’époque, l’enseignement du prophète (SAWS) pour ne pas sortir ou entrer, selon, dans les lieux touchés, est une mesure de prévention et de précaution tout sauf fataliste.

Faire confiance à Dieu comme cela est prescrit dans moult versets du Coran ne veut pas dire, loin de là, dévaloriser l’effort de réflexion, d’anticipation et de planification d’une ou d’actions envisagées. La confiance en Dieu et le « inshâ Allah » se justifient en ce que, quel que soit ce qui est pensé et fait en amont, le résultat escompté n’est pas absolument garanti.

Cette confiance en Dieu ne peut jamais impliquer le renoncement et la résignation mais plutôt la nécessaire humilité qui nous fait reconnaître notre fragilité et notre statut définitif de créature humaine, avec tout ce que cela comporte de dignité mais aussi de limites et d’impuissance. Dans ce cadre, le musulman se doit de prendre les dispositions requises connues d’expérience humaine selon la nature et le but de chaque action initié tout en demandant à Dieu de lui accorder une issue heureuse, laquelle n’est connue que de Lui dans l’absolu. Et l’issue heureuse pour le musulman dépasse ce qu’il peut être amené à croire comme étant un succès relativement à ses propres préférences : « "... il se peut que vous ayez de l'aversion pour une chose alors qu'elle est un bien pour vous, comme il se peut que vous aimiez une chose alors qu'elle est un mal pour vous. C'est Allah qui sait, alors que vous ne savez pas.» (Coran, 2: 216).

Il peut donc arriver dans la Science infinie de Dieu, que seule une catastrophe puisse réveiller les insouciants et les pousser à en éviter de pires. "Le croyant ne se laisse pas piquer deux fois par un même trou" (hadith rapporté par al-Bukhârî et Muslim).

Dieu reste toutefois le seul être absolument libre et la marge de libre-arbitre dont nous sommes dépositaires en tant que créatures humaines, vient de Lui et nous ne serons tenus responsables qu’en fonction de ce que nous en avons fait en bien ou en mal. D’ailleurs, le soi-disant fataliste ou déterministe est soumis à sa propre inconséquence vu que c’est de son libre- arbitre qu’il use pour nier le libre-arbitre ! Rappelons encore que Dieu est Tout-Puissant n’empêche qu’il a fait une loi qui associe Son aide à l’effort de changement de soi : « En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, avant que qu’ils [individus qui le composent] ne changent ce qui est en eux-mêmes. » (Coran, 13 : 11)   

Dakar, le 26/04/2017 – 1438
Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
amakante@gmail.com