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Barack Obama, l’Amérique et la question raciale

Rédigé par leral.net le Mardi 9 Décembre 2014 à 07:00 | | 0 commentaire(s)|

« Il n’a jamais agi, ni comme un blanc, ni comme un noir. C’est ça voyez-vous, c’est ça qui a rendu les gens si furieux ! » William Faulkner.


Barack Obama, l’Amérique et la question raciale
Tels sont les mots énigmatiques que l’écrivain William Faulkner a mis dans la bouche d’un de ses personnages qui s’exprimait ainsi à propos d’un nommé Joe Christmas, accusé peut-être à tort d’avoir tué une femme blanche tout simplement parce qu’il a la peau un peu basané. Il aurait eu, dit-on, une goutte de sang noir. Il n’est ni chien ni loup, donc il inquiète et fait peur à l’autre. Aux Etats-Unis cela suffit pour faire de vous un noir, même si vous êtes clair, très clair même. La notion de « métis » n’existe pas au Pays de l’Oncle Sam. Le général Colin Powell raconte dans ses mémoires comment il lui était impossible il y a quelques années, d’entrer dans un restaurant pour blancs alors qu’il était colonel de l’Armée américaine. Il était obligé d’envoyer son chauffeur de race blanche, lui faire faire une simple collation. Malgré tout l’Armée américaine a toujours été en avance sur la société quand il s’agit de la question raciale.

Powell était au moins officier supérieur avec un chauffeur de race blanche dans un pays ségrégationniste. C’est cela le paradoxe américain. Une sorte de schizophrénie sociale qui a toujours cours sous d’autres formes. Il raconte aussi cet épisode gênant où sa grande sœur qui est plus « claire » que lui, presque une blanche, a invité son petit ami blanc à la maison. Il fallait voir comment ses parents fulminaient, raconte-t-il. Aux États-Unis soit on est blanc soit on est noir. Quant à la chanteuse Maria Carey elle raconte que lorsqu’elle était petite, ses copines de l’école primaire la prenaient pour une blanche jusqu’au jour où elles ont vu ses deux parents.

Si vous lisez « Lumière d’Août » de William Faulkner d’où est extraite la citation mise en exergue vous serez « définitivement » convaincus que le problème racial aux États-Unis est une question presque « métaphysique ». Elle dépasse de loin la sociologie et l’histoire. L’immense poète africain- américain William Dubois, l’a vite compris, qui a écrit ces mots étincelants : « Le savoir sociologique est si lamentablement inorganisé que la signification du progrès, le sens des mots « vif » et « lent » dans les activités humaines et les limites de la perfectibilité de l’homme, sont comme des sphinx énigmatiques et muets postés sur les rivages de la science. Pourquoi Eschyle a chanté deux mille ans avant que Shakespeare ne fut né ? Pourquoi la civilisation a fleuri en Europe et périclité en Afrique ? Tant que le monde restera stupidement muet face à ces questions, cette nation devra-t-elle proclamer son ignorance et ses préjugés impies en refusant la liberté et l’égalité des chances à ceux qui font entendre leurs Sorrow Songs jusqu’au trône du Tout-Puissant ! »

Ah que oui Monsieur William Dubois ! Le racisme peut prendre des allures d’une violence folle et inouïe comme on le constate ces dernières années, des situations cocasses, quelques fois inexplicables et tout le temps regrettables. Mais ce qui fait peur surtout c’est l’arrière plan « idéologique » qui préside et offre un décor de fond à des actes criminels innommables comme ceux de Fergusson, New York et bien ailleurs aux USA. La plupart des policiers blancs qui ont tiré sur des jeunes noirs ont reconnu qu’ils ne l’auraient pas fait si « leurs cibles » étaient de race blanche. Ils ont peur des noirs ! La grand-mère maternelle de Barack Obama a reconnu qu’elle a peur des adolescents noirs lorsqu’elle marche dans la rue oubliant qu’elle a laissé chez elle un jeune noir (qui sera président des États-Unis de l’Amérique multiraciale et pluraliste). Cette confession met le doigt sur la lancinante question de l’altérité, la peur de l’autre, fondée essentiellement sur une faiblesse psychologique, un déficit d’éducation, une grave inculture et une forme non pas d’idiotie mais d’imbécilité au sens propre.

L’Imbécilité contemporaine fait mal au monde ! Après les attentats du 11 Septembre un jeune américain croyant se venger, a tiré sur un citoyen américain qui portait le turban des Sikh. Il croyait tuer un musulman puisque tous les musulmans sont des enturbannés dans son imaginaire fabriqué par la presse irresponsable et le Cinéma réducteur. A ce propos vous ne pouvez pas imaginer comment une certaine littérature de caniveau et le cinéma surtout hollywoodien de mauvais goût, a « édulcoré », déformé et même modifié l’image des Noirs et des Indiens dans le monde. L’on néglige et même sous-estime à tord la force destructrice d’une iconographie falsifiée des races. Le génial et rebelle Marlon Brando a eu raison en son temps de refuser l’Oscar du meilleur acteur et d’aller se faire représenter par femme déguisée en indienne puisque disait-il « le cinéma a causé beaucoup de torts aux indiens ».

L’imagologie tronquée des nègres et des indiens a sans nul doute informé de façon désastreuse les comportements des sujets blancs vis-à-vis des noirs en l’occurrence. Il faut à la vérité dire que « les noirs » ont parfois joué le jeu pensant naïvement que c’est un simple jeu. Même la Black-exploitation, cette grande industrie et surtout courant cinématographique pan-nègre qui aujourd’hui, est l’une des principales sources d’inspiration d’un cinéaste blanc comme Quentin Tarentino, n’a pas réussi à infléchir la tendance racialiste. Les noirs sont en général grands, costauds, forts, comiques, des dealers qui meurent très vite au cinéma. Dans un film Hollywoodien le premier à mourir est un noir, en général. Sauf le plus talentueux des acteurs noirs, Forest Whitaker, le plus bancable Denzel Washington et le plus sage, Morgan Freeman. Exceptions entre quelques autres, qui confirment la règle. Spike Lee, le cinéaste africain-américain le plus populaire est resté muet, artistiquement parlant, depuis quelques années.

L’acteur Johnny Depp exagère peut-être lorsqu’il écrit : « Le sang qui coule dans mes veines a des origines très diverses : irlandaise, allemande mais aussi indienne. Mon grand-père dont j’étais très proche et qui est mort quand j’avais sept ans, était Cherokee…Aux Etats-Unis, presque tout le monde peut dire : « Oh, moi aussi j’ai du sang indien. »Parfois c’est vrai, parfois non ; peu importe. Ce que je trouve intéressant dans le fait d’avoir du sang indien dans les veines, c’est qu’il y a de fortes chances pour que, quelque part, dans votre généalogie, vous soyez le résultat d’un viol. Que l’un de vos grands-parents ait participé à cette invasion horrible, à ces actes barbares qui ont été commis et qui font qu’une femme indienne, qui se trouve être votre aïeule, a été violentée au cours de ces 150 ou 200 ans. Il y a eu agression et cette violence-là se transmet forcément de génération en génération. Ce qui explique peut-être la rage qui habite ce pays aujourd’hui et qu’on ne peut pas maitriser. Je n’ai pris conscience de ça que récemment. Bien après m’être fait ce tatouage sur le bras. Mais à voir les tueries, fusillades et attentats fréquents aux USA on dira qu’il ya une part de vérité dans ce qu’il dit même si l’on n’est pas adepte de l’atavisme.

Mais à dire vrai, il y a à se demander par quelles voies des philosophes comme William Faulkner ou Dubois passent-ils pour saisir l’essence et la raison d’un phénomène aussi étrange que le racisme. Lorsque la folie s’empare des hommes et que le petit malin prend le visage de l’homme traqué, alors c’est le début de la fin. Le problème des sociétés modernes comme celle des États-Unis c’est la difficulté à distinguer ce qui relève du consensus moral et les exigences d’un vivre-ensemble fondé sur des impératifs catégoriques universels. En effet une société peut accepter de façon consensuelle le port libre des armes à feu et leur usage abusif sans que cela relève du Bien. On oublie souvent que les USA sont une société profondément individualiste et que la plupart des philosophes américains (à part John Rawls et ses disciples) sont des adeptes de l’utilitarisme qui veut que ce qui est juste ne soit pas forcément ce qui est bien. Les américains ont tendance à séparer le Bien du Juste. C’est cela le pragmatisme ! La déontologie au sens philosophique du mot n’a pas cours chez eux. C’est plutôt le règne de la spéléologie. Remarquez cette obsession bien américaine pour la procédure judiciaire !

Lorsqu’un policier américain tire à deux reprises en l’air, vous avez intérêt à lever les deux bras, sinon la troisième balle sera pour vous ! Le monde entier a vu la vidéo du malheureux citoyen Africain-Américain Eric Garner mort étranglé publiquement après avoir été arrêté par une nuée de policiers blancs. Le plus sidérant c’est que le policier incriminé a été innocenté par un grand jury. Tout cela relève de la procédure. Ils se disent certainement que Garner a été arrêté régulièrement. Il n’ya pas longtemps un brillant universitaire africain-américain ancien collègue de Barack Obama s’est vu menotté et violenté par de jeunes policiers blancs qui ont été alertés par une voisine qui a cru avoir affaire à un cambrioleur parce qu’elle a aperçu un noir. L’affaire a provoqué l’émoi à travers tout le pays et il a même été reproché à Obama d’avoir pris la défense de son ami. L’extrême militarisation de la police américaine et la formation défectueuse de certains policiers expliquent les forfaits commis. Les États-Unis sont l’un des rares pays développés où vous pouvez trouver « un policier qui sait à peine lire ».

Aux États-Unis la plupart des noirs sont des visages sans nom, on ne les reconnait pas, on ne les voit pas, ils sont invisibles. Tous les noirs se ressemblent. On ne voit même pas la couleur de leurs habits. L’essentiel est qu’ils sont habillés comme un noir, parlent comme un noir, dansent comme un noir. La religion est faite ! Je vous renvoie à ce fameux documentaire « Un coupable Idéal ». L’accusateur dans cette histoire sidérante a confondu un jeune noir filiforme, type soudano-sahélien à un noir plus grand et trapu. L’essentiel pour lui est qu’il a vu un noir. Mais le problème aujourd’hui n’est pas le fait d’être noir mais c’est l’hésitation, la peur et même le refus d’en faire un facteur heuristique, un élément explicatif. Le meurtre impuni de Michael Brown et les émeutes y consécutives à Fergusson, expliquent beaucoup de choses. Allez dire à Barack Obama que le fait d’être noir ou blanc aux États-Unis n’a plus de sens ! Il a tort de répondre du nom de Barack Obama, malgré son élection triomphale.

On ne le dit pas, mais l’élection de Barack Obama a réveillé de vieilles rancœurs raciales. Il aurait dû se nommer John Brown ou Fred Wilson. Même un nom « douloureux » comme Byron Mc Intire ferait l’affaire. Du moins c’est le point de vue d’un de ses proches conseillers qui n’hésitent pas à le dire à qui veut l’entendre. Aujourd’hui personne ne veut l’entendre à part quelques téméraires qui n’hésitent pas à avancer des raisons « chromatiques » au mystère de « l’impopularité brutale » de Barack Obama. Aux Usa il existe un plafond racial, un seuil indépassable pour toutes les minorités qu’elles soient raciales ou non. Obama a atteint l’horizon social de sa propre réussite dans ce pays qui il n’ya pas longtemps l’a plébiscité en partie pour enjamber la question raciale mais surtout pour en finir avec le cauchemar Bush. Oui la baisse croissante de la popularité de Barack Obama relève du mystère racial. Comment peut-on élire un président et lui faire ensuite de crocs-en-jambe dangereux. Tu es jeune, brillant orateur, séduisant, moralement au dessus de tout soupçon et charismatique. C’en est trop pour un président noir. Il suffit ! Nous ne permettrons pas que tu ailles au-delà. Voilà l’histoire secrète du règne d’Obama. Elle sera écrite un jour.

« Le premier président noir des États-Unis c’est Bill Clinton » a dit l’écrivain Africaine-Américaine Toni Morisson. C’est donc dire que la question raciale aux Usa est extrêmement complexe, elle ne réfère pas seulement à la dimension chromatique de la question mais à l’origine sociale de l’homme et même à autre chose. Bill Clinton, à cause de son parcours social, cette mère qui l’a élevé seule et d’autres vicissitudes qu’il a connues est psychologiquement un « noir », veut dire Morisson.

Savez-vous que des congressistes de droite ont reconnu que de mémoire de « parlementaire » ils n’ont jamais vu une administration qui a subi autant de complots, de sabotages et même d’injures que celle d’Obama. Il ne fait pas de doute que si un président blanc avait réalisé le millième d’un Obama-Care il entrerait au « Panthéon » américain aux cotés des Wilson, Roosevelt et autres. Il a réussi là où tous ses prédécesseurs ont échoué (La Santé). Il est arrivé au moment où l’économie américaine allait s’effondrer et que des cassandre avaient même prédit la mort de l’Amérique. « Les États-Unis vont s’écrouler, c’est pourquoi ils ont élu un noir. Les WASP ne veulent pas se salir. Si l’Amérique doit s’écrouler, elle n’a qu’à le faire entre les mains crasseuses d’un nègre » disait un curieux et ridicule analyste tropical. Obama a redressé la pente économique.

Les États-Unis sont, sous le magistère d’Obama, le pays développé qui créent le plus d’emplois par an, devant le Japon, la Chine, l’Inde, l’Allemagne, la France et l’Angleterre. Même dans le secteur qui constitue le baromètre du leadership présidentiel aux Usa, l’Etalon en quelque sorte, qui est la politique étrangère, il est curieux que l’élimination de l’épouvantail Ben Laden et de l’Imam Américain Anouar Al Aoulaki n’a eu aucun effet même au sein de la droite interventionniste. Ah si c’était Ronald Reagan, qui ayant vécu à notre époque, avait réussi ces deux coups d’éclats, il y aurait eu une tonne de livres et de films hollywoodiens magnifiant ce « haut fait ». Le cinéaste Hollywoodien Oliver Stone, vétéran de la guerre du Viêt-Nam a déclaré dès le début du magistère d’Obama qu’il ne fera pas de films sur lui puisqu’il ne sera évidemment jamais un grand président.

Oliver Stone n’est pas bête, il sait que dans ce monde « cinématographique » où règnent le faux, les impostures et les réputations surfaites, les grands hommes « ça se fabrique ». Qui connait par exemple, Woodrow Wilson, le 28ème président des États-Unis ? L’un des plus grands, « qui incarnait la tradition de l’exceptionnalisme américain, il fut à l’origine de ce qui allait devenir l’école dominante de la politique étrangère américaine » selon Henry Kissinger. Le président Richard Nixon est certainement plus doué que John Kennedy qui était plus sympathique. Mais l’histoire n’a retenu que le second. C’est ainsi que fonctionne la machine de la notoriété. Elle ne vogue pas toujours dans le sillage de la vérité. Obama vient de l’apprendre à ses dépens. La violence raciale et l’idéologie de la suprématie de la race blanche sont incrustées dans l’imaginaire « américain ». Dans une interview de William Faulkner publiée par le journal Le Monde, l’auteur affirme à propos du « problème noir dans le sud de l'Amérique » : « Dans trois cents ans, ils seront à notre niveau, et la guerre des races sera terminée, pas avant. » C’est hallucinant !

Mais malgré tout il un énorme progrès en matière de respect de droits civiques des noirs. L’Amérique est un « Janus à double face ». C’est un pays où des figures noires ont intégré la quasi-totalité de tous les secteurs de la vie. Les classes moyennes et bourgeoises de la communauté noire sont bien intégrées dans le système. C’est aussi un pays qui possède cette formidable capacité à capter et recycler les plus grands universitaires et savants du monde noir et d’ailleurs. Mais certaines disparités et discriminations sociales persistent, malgré cette idée prophétique de dépassement de la race perçue de façon génial par le toujours poète William Dubois dans son texte formidable, Les âmes du peuple noir : « J’ai vu un pays radieux, illuminé de soleil, où retentit le chant des enfants et où les collines roulent comme des femmes passionnées, croulant sous les récoltes. Là sur la grand-route, est mise depuis longtemps une silhouette voilée et courbée, que le voyageur croise en pressant le pas. L’air vicié est chargé de peur. La pensée de trois siècles a remis debout et dévoilé ce cœur humain opprimé. Voilà maintenant un siècle nouveau de devoir et d’action. Le problème du 20ème siècle c’est la frontière de la couleur. »


Khalifa Touré
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