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Canal+ – Quelques gouttes de vérité dans un océan de mensonges

Rédigé par leral.net le Lundi 3 Novembre 2014 à 03:17 | | 0 commentaire(s)|

Canal+ a ouvert son antenne en novembre 1984. En trente ans, les contes et légendes qui entourent cette épopée n’ont pas manqué. On a tout dit : que la chaîne allait mourir, puis qu’elle était en situation de monopole ; qu’elle avait sauvé le cinéma français, puis qu’elle était la tête de pont d’Hollywood en France ; que son modèle n’était pas exportable, puis qu’en achetant Universal et USA Networks elle avait eu les yeux plus gros que le ventre ; que Nulle part ailleurs et Le Grand Journal avaient révolutionné la télévision, puis que ces émissions étaient incapables de se renouveler ; que Pierre Lescure et Alain de Greef étaient des génies, puis que l’argent et les excès les avaient coupés des téléspectateurs ; que la chaîne était ancrée à gauche, puis qu’elle avait largement contribué à faire élire Jacques Chirac en 1995 ; que Bertrand Meheut et Rodolphe Belmer en seraient les syndics de la faillite lorsqu’ils ont été nommés en 2002, puis qu’ils avaient sauvé l’entreprise ; que Canal+ était le Graal des CSP+, puis qu’elle n’était qu’une chaîne de beaufs…


Canal+ – Quelques gouttes de vérité dans un océan de mensonges
Pour son anniversaire, une ribambelle de livres viennent ajouter des poncifs aux poncifs. Il s’agit pour telle star de dire que, sans elle la chaîne cryptée n’aurait jamais marqué les esprits ; pour tel soutier d’affirmer que, dans l’ombre, il fut l’alpha et l’oméga de la légende ; pour tel nouveau d’expliquer à quel point l’icône était craquelée quand il en prit la charge. Dans ce flot d’inutilités bavardes, deux livres surnagent : Quand les tontons flingueurs rencontrent les bronzés de Léo Scheer, et Les invités de la fête de Philippe Dana et Léon Mercadet. Léo Scheer, le vrai inventeur

Léo Scheer est un jeune trentenaire qui gravite en périphérie du jeune pouvoir socialiste élu en 1981. Grâce à un ami, il rejoint l’agence Havas, épicentre du pouvoir médiatique de l’époque. De retour d’un voyage aux États-Unis, il a l’idée de plancher sur la conception d’une chaîne payante. Il en parle, on lui rit au nez, mais personne ne lui dit non. Alors il fonce et se constitue une task force et utilise toutes les compétences d’Havas. Avec ses jeunes sabras, il trouve la technologie ad hoc, discute avec les milieux du cinéma (dont Jean-Pierre Rassam et Jean-Luc Godard), établit un business plan qui envisage déjà l’immense succès de ce concept, jette les bases des programmes qui pourraient y être présentés, etc.

En 1983, quand André Rousselet prend les rênes d’Havas, il trouve un projet ficelé. Alain de Sedouy, Pierre Lescure, Marc Tessier et quelques autres arrivent : ils diront que ce projet est le leur et personne ne les détrompera… L’année dernière, dans une interview à l’Express, André Rousselet a rendu à César ce qui appartenait aux usurpateurs. Don Corleone avait lâché son secret, ses neveux ne se risquèrent pas de le contredire… Quand les tontons flingueurs rencontrent les bronzés (1) revient en détail sur cette épatante épopée et remet les pendules à l’heure. Le fric est partout

Philippe Dana est l’un des piliers du canal historique. Il fut l’un des invités de la fête de lancement. D’où le titre de son livre (2). Il a quitté la chaîne et se penche sur ses années Canal avec un regard lucide. La créativité y était indéniable, mais l’hypocrisie, l’ambition, le narcissisme et le mépris régnaient en maître. Guy Bedos imbuvable avec les équipes d’une émission qui ne verra finalement jamais le jour, Carole Bouquet maîtresse de cérémonie du Festival de Cannes qui laisse une note d’extras stratosphérique à l’Eden Roc, les auteurs des Guignols véritables tauliers de la maison, Alain de Greef deus ex machina solitaire et cassant, Philippe Gildas qui use 144 chroniqueurs en 10 ans de Nulle part ailleurs, l’argent qui suinte partout, et la folie des grandeurs qui rode à chaque détour de couloirs. Léon Mercadet venu plus tardivement en provenance d’Actuel raconte également dans des chapitres souvent formidablement écrits son atterrissage dans ce milieu finalement moins aimable, moins intéressant et moins amical que ce que les historiographes officiels et facilement enrichis veulent nous présenter. Comme souvent, l’envers du décor révèle ses petites médiocrités, les impostures et des cuisines plus sales que ce à quoi l’on s’attend…

Reste l’extraordinaire vitalité d’une entreprise qui finalement a multiplié les erreurs stratégiques, raté pas mal d’opportunités, connu bien des crises de régimes pour finalement toujours se relever de ses cendres. Nantie de 10 millions d’abonnés qui versent mensuellement des dizaines d’euros, Canal+ est une poule aux oeufs d’or qui continuera longtemps de pondre et de caqueter. Léo Scheer et ses camarades avaient raison.