On m’a souvent dit que les Occidentaux ont une fausse image de ce que l’Afrique est réellement. Je ne peux pas confirmer ce propos, car j’ai jamais mis les pieds sur le continent Africain. La culture, au contraire, surtout aujourd’hui grâce aux nouvelles technologies, a le pouvoir de voyager au de-là des océans plus facilement que les êtres humains. Dans ce dernier sens, je peux dire d’avoir fait quelques voyages en Afrique sans me déplacer réellement, et je dois, hélas, confirmer que la majeure partie des Occidentaux ont une fausse image de ce que est la culture africaine.
Durant mes études universitaires en philosophie, malgré la fréquentation de cours d’anthropologie et ethnologie, j’ai toujours maintenu une idée reçue de la culture traditionnelle africaine, qu’aujourd’hui, je désavoue complètement. Je vais prendre, par simplicité d’exposition, le cas du Sénégal.
L’idée reçue est que la richesse culturelle en Afrique (et, a fortiori, au Sénégal) soit née assez récemment durant l’époque coloniale. Par exemple, les écrivains les plus célèbres sont des écrivains de littérature francophone comme L. S. Senghor, Birago Diop, Ousmane Sémbene, Cheikh Amidou Kane, Mariama Ba, Ken Bugul, etc. Pas d’équivalent de Villon ou Molière en langue Wolof, Pulaar, Serère, etc.
Ce discours s’étend au de-là de la littérature: pas Jules César ou Napoléon avant l’arrivée des colons, pas de Bach ou Mozart, et pas de Platon où Kant, car comme l’a dit Senghor : “la raison est Hellène et l’émotion est Nègre”. Seul Cheikh Anta Diop reste le philosophe Sénégalais célèbre, qui tout de même est connu par le grand public, pour être égyptologue (subissant, à mon avis, encore beaucoup de critiques injustes dans le milieu de l’égyptologie) et reste tout de même un écrivain francophone.
Disons-le clairement: l’idée reçue est que si en Afrique il y a une complexité culturelle, une littérature et une philosophie, c’est grâce à la colonisation occidentale. Pourtant cette idée reçue, que la majeure partie des Occidentaux ont, et que hélas beaucoup d’africains ont aussi, est totalement erronée. Il est facile de le démontrer. Réduisons, encore par simplicité, le cercle de recherche à la culture wolof.
La civilisation wolof peut vanter des philosophes exceptionnels comme Kocc Barma Faal, Ibra Maasina, Kaali Majaxate Kala, etc… tous maîtres d’une pensée raffinée et profonde, qui n’a rien à envier aux penseurs européens comme Descartes ou Kant; au long des siècles, il y a eu des fins politologues comme le Dammeel-Teeñ Lat Sukaabe, qui a créé une nouvelle forme d’état particulière, très complexe du point de vue sociologique et économique; il y a eu des fins stratèges maîtres de l’art militaire comme Lat Joor; il y a eu des centres universitaires de formation théologique, littéraire et philosophique de grande envergure comme l’Université de Pir Sañoxor au Kajoor; il y a des airs musicaux d’une beauté exceptionnelle comme le “Saarabaa” ou le “Jengaké”; finalement, toute la culture wolof est d’une complexité et d’une richesse qui nous fait renier obligatoirement cette idée reçue de culture primitive, voire arriérée.
Une richesse qui date bien avant de l’entrée massive d’une culture coloniale sur le territoire sénégalais (1). Retournant sur un plan plus général, la vision de l’Afrique comme d’un grand continent sans histoire, où la tradition est un bloc linéaire, insensible aux mutations, est une grande erreur à éviter, si nous voulons avoir une compréhension véridique et réaliste de l’Histoire (2).
Quand j’ai commencé à écouter la musique traditionnelle wolof, au-delà des notes agréables du xalam, et des belles voix des chanteurs, je ne comprenais rien aux textes chantés. Après plusieurs écoutes j'ai compris que les textes des chansons étaient des séries de noms propres, surtout de personnes, et parfois de lieux, qui appartiennent à l’histoire de telle où de telle famille noble.
Écoutant encore et encore, puis étudiant un peu d’histoire, je me suis rendu compte que chaque nom propre occupe une place définie à l’intérieure du texte, qui obéit à une logique où chaque nom est lié à un autre selon des règles formelles bien précises. Finalement j’ai compris pourquoi El Hadji Bocounta Ndiaye disait dans une interview: “le griot est comme un aiguille qui sert à rassembler”.
Les chants Wolofs sont des exemples de poétique subtile et sophistiquée, capable de transmettre des émotions très fortes, mais qui possède en même temps une structure absolument logique et rationnelle. Ce sont un contre-exemples de ces dichotomies Raison/Emotions ou Négritude/Francophonie aux quelles nous sommes habitués. Je vais ici, avec d’inévitables lacunes et imprécisions, tenter de commenter un célèbre chant traditionnel Wolof, le “Ñaani bañ na”, dans la version de feu El Hadj Ahmadou Ndiaye Samb (3).
Quelques considérations avant de commencer:
Pour comprendre ce poème il faut tout d’abord faire un effort mental et se plonger dans le passé, à une époque où ces chants n’avait pas une fonction festive comme la musique contemporaine. Ce gendre de chants étaient des étendards portés en bataille, et le griot était le porte-étendard, l’écuyer de son Geer, son intime conseiller. Le griots ne prenaient jamais les armes pour tuer, mais trouvaient souvent la mort sur le champs de bataille (4). Ñaani bañ na est un panégyrique dédié au Dammeel-Teeñ Lat Joor Ngóone Làttir Jóob, mais plus spécifiquement, cet hymne est l’étendard d’une alliance familiale, celle de deux lignées nobiliaires auxquelles Lat Joor appartenait: la lignée matrilinéaire (Xeet) des Géej et la lignée patrilinéaire (Geño) des Bër Geet (5).
Lat Joor était le fils de la princesse Géej Ngóone Làttir (de Absa Mbunun de Aysata Jóob de Isë Jéey de Faatim Penda de Isë Tend de Tend Wéjj de Wéjj Silla de Jayla Ñaas de Dawass Jéléen, etc.) et du Bër Geet Saaxewar Soxna Mbay (descendant de la suivante lignée des Bër Geet : Mëdun Soxna Ñaane - Saaxewar Fatma Cubb - Kuli Koddu Ngoy Ndaw - Ma Ngóone Xel - Mbañ Gana- Gana Nunu - Kunum Jalogar- Jalogar Njaane - Njaane Mbergan - Mbergan Geddo jusqu’au fondateur Geddo Geet). Voyons, donc, le texte de la chanson.
Refrain.
ÑAANI BAÑ NA JAALO MBABBA JÓOB ÑAANI BAÑ NA SAALA FAATMA XURÉEJA ! ! !
“Ñaani bañ na” littéralement “Ñaani a refusé” est une référence à la bataille de Ñaani, qui se déroula à l’époque ou Lat Joor et Maba Jaxu Ba combattaient pour convertir à l’Islam les royaumes païens d’une région qui se trouve aujourd'hui entre le centre et le sud du Sénégal. Face à la demande d’alliance de Lat Joor, le roi de Ñaani refusa d’ouvrir les portes de sa ville et de se convertir.
L’épopée orale nous raconte avec beaucoup de symbolisme, ce refus historique. Lat Joor, disciple de Maba Jaxu Ba, rebaptisé Silmaxa (qui en wolof veut dire “l’aveugle” et “l'aveugle en général est un mendiant" comme le dit Birago Diop dans Contes et Lavanes), envoyait ses émissaires dans les villages pour quémander l’aumône au chef, ce qui était un signe d’allégeance. Le messager envoyé à la cité de Ñaani reçu par son roi de la poudre et des balles comme aumône, ce qui indiquait le refus de s’allier à Lat Joor, et que son armée était prête à utiliser cette poudre pour se défendre en cas d’attaque de Lat Joor.
On raconte donc qu’au retour du messager, le xalamkat Sàmba Kumba Kelado Juum improvisa ce motif faisant allusion au refus de Ñaani. Par juxtaposition, le refus de Ñaani de se plier à Lat Joor rappelle le refus de Lat Joor de se plier aux colons français. Donc le “Ñaani bañ na” est aussi un grand hymne à cette valeur morale, le refus, qui était fondamentale dans l’éthique guerrière Wolof, et qui est aussi la valeur fondatrice de la lignée patrilinéaire de Lat Joor, les Jóob du Geet.
L’histoire de leur ancêtre légendaire Geddo Geet est liée à un refus, qui l’amena a prendre son indépendance vis-à-vis du Kajoor. Son nom “Geddo” viens de “gedd” qui en wolof, signifie rébellion. Au “Ñaani bañ na” est associé l’éloge (tagg) de Lat Joor, à travers les noms de ses ancêtres. Le rapport avec les ancêtres est très important dans la poésie orale Wolof. En réalité Lat Joor n’est aucun moment nommé directement dans cette chanson. C’est comme si le “tagg” des ancêtres était un défi et lui même était responsable de tenir haut, la valeur de ceux qui l’ont précédé. C'est comme si le passé glorieux des ancêtres revivait à travers les gestes de leur descendant.
Un aspect qui nous rappelle, par exemple, la poétique des “Souffles” de Birago Diop. “Jaalo Mbabba Jóob” (où “Jaalo” est le titre donné par les griots pour introduire le membre d’un grande lignée, dans ce cas les Jóob du Geet) se réfère au Braak Kuli Mbabba Jóob fils du Bër Geet Lat Joor et de la princesse Tejeek Mbabba Mbóoj. Ce Braak fut le seul à gouverner sans porter le nom de “Mbóoj” tout comme Lat Joor qui fut le seul Dammel a ne pas être un “Faal”. Kuli Mbabba est une figure centrale de l’Histoire Sénégalaise, car il est l’ancêtre de nombreuses personnes qui ont participé activement à l’histoire de ce pays, jusque à l’époque contemporaine. “Saala (fils de) Faatma (fille de) Xuréeja (Mbóoj)” il est le fils de Sa Goño Jimbi Sèkk Jeŋ qui est aussi le père de Joor Ngóone Làttir qui est la mère de de Lat Joor “l’ancien”, homonyme de Lat Joor, dont nous parlerons plus bas. Saala Faatma était aussi le frère utérin du Bër Geet Saaxewar Faatma Cubb, donc fils de Faatma Cubb fille de Xuréeja Mbóoj qui était la fille du Braak Logaar Njaag Kumba Njaay Mbañig et de la princesse Soño Aram Tanor Mbañ Sanu Jeŋ.
Saaxewar Faatma est plusieurs fois arrière-grand-père de Lat Joor, par lignée maternelle comme paternelle. Comme Lat Joor, son nom de conversion à l’Islam était “Silmaxa”, l’aveugle. À noter que ces deux personnages Saala Faatma et Kuli Mbabba ne sont pas des ancêtres directes de Lat Joor, mais on peut dire qu’il font partie de sa lignée dans une sens plus large.
Premier couplet
Ñiwaala gaynaako daan jël !!! Lat Joor Caar Kuli Joor Ndóob Faal Faatim Ñay Calaw Ma Sàmba Yaasin Ngis Jàmm Koddu Sàmba ndey Bër Geet ak Jogomay Saaxewar ??? Jaalo Sàmba Faatma Cubbée !!!
“Ñiwaala gaynaako” est la formule classique des chants guerriers qui en Pulaar (car les Gawlo des royaumes Wolofs, qui au pluriel serait correcte appeler Awlubé, sont d’origine Futanké) qui signifie “l’éléphant n’a pas de berger”, suivit de “daan” (litt. “terasser”, référé à la victoire) et “jël” (litt. “prendre” référé au butin de guerre). Suivent les noms des valeureux nobles de lignée Géej et des lieux des célèbres batailles où ils sont tombés. Tous ces personnages sont liés au clan des Géej par leur ancêtre Isë Tend qui mariée au Dammeel-Teeñ Lat Sukaabe Ngóone Jéey a eut un fils (le Dammel Maysa Tend Wéji) et trois filles: Ngóone Làttir, Faatim Penda et Yaasin Isë.
Le Bër Geet Lat Joor (l’ancien), homonyme du Dammeel-Teeñ, est tombé à la bataille de Caar, et son frère Kuli Joor est tombé à la bataille de Ndóob, qui a vu le Kajoor dirigé par le Dammel Maysa Biige contre les Waalo du Braak Tejeeg Njaag Aram Bàkkar Mbóoj. Ces deux frères sont les petits fils de Ngóone Làttir (celle ci célèbre pour avoir combattu, prenant la place du père malade, à Ngangaram face aux Maures). Leur mère est la Géej Jóor, fille de Ngóone Làttir et du Jawriñ Jigéen Sa Goño Djimbi Sékk Jeŋ. Leur père est le Bër Geet Kuli Koddu Ngoy Ndaw frère du “Mbañ Koddu” dont le nom, comme nous le verrons, fait partie du “tagg” de Lat Joor.
Ce n’est pas un hasard si Lat Joor (l’ancien) se trouve a être le premier nommé parmi les ancêtres guerriers de Lat Joor: l’homonymie est une figure rhétorique très fréquente dans la poésie orale en langue wolof. Faal Faatim tombé à Ñay était lui le fils Bar Jak Mbar Njanté Ñaŋ et Faatim Penda. Le Càlaw Ma Sàmba Yaasin tombé à Ngis jàmm est lui le fils de Yaasin Isë et de Ma Sàmba Ndeela Kahone. Enfin la Lingeer “Koddu Sàmba” est la mère (ndey) du “Bër Geet” Majoojo Mbenda Jóob et du “Jogomay” Làttir Jóob. Ces fils sont issus du mariage avec le Braak Kuli Mbabba, et son père est Saaxewar Faatma Cubb nommé ici comme “Jaalo Sàmba Faatma Cubb”. Entre ceux deux ensembles nominals, il y a une autre série de noms (quelque chose comme “Saaxewar ak gaño- sen -ci -ca -mbaraago ???) que je m’excuse, mais je n’arrive pas à déchiffrer. J’espère que quelqu'un en lisant, pourra m’aider.
Deuxième couplet
Ñiwaala gaynaako daan jël !!! Sàmba Binta Maam Jéey Jóob Geet lañu ko aayé mu dem Taararsa ëndi ay Naar Sàmba Binta Maam Jéey Jóob ñu déllu ko aayé Geet mu del Taararsa ëndi ay Naar Sàmba Binta Maam Jéey Jóob ñu bañ ko delloo Geet mu delloo Tubaab yi (?nguu-da?) Baabakar Jóobée !!!
Ici sont racontés les faits d’armes du Bër Geet Saaxewar Binta Ma Sàmba, qui avait été exilé du Geet (Geet lañu ko aayé) par le Dammel Maysa Tend Joor. Ayant trouvé alliance au Trarzas, chez Muhammed El Habib et Hamet Shey, il était revenu au Geet avec une armée de Maures (mu dem Taararsa ëndi ay Naar) pour revendiquer son titre face au Dammeel. Ces événements ce déroulèrent en 1841 circa, l’année de naissance de Lat Joor. Ici aussi est fait de manière implicite le parallèle entre Lat Joor et cet autre noble, car les deux sont des Jóob de “sant” et des Géej de “xeet”. Et les faits d’armes de l’un rappellent les gestes de l’autre.
Avec un artifice poétique typique des griots du Kajoor (que Ahmadou Duguay-Clédor décris ainsi: “les griots sont passés maîtres dans I'art de jouer avec les noms propres, les kheet et les sant, de façon à nommer, sans nommer, tout en nommant, l'objet de leurs railleries ou de leurs louanges. Seul le connaisseurs'y retrouvent les comprennent”)(5) Saaxewar est nommé comme “Sàmba Binta Maam Jéey Jóob” qui dois se lire comme “Sàmba” fils de “Binta” fille de “Maam Jéey”, et “Jóob” par sa lignée paternelle. Saaxewar Binta Ma Sàmba était le fils de Binta Ma Sàmba et de Ahmadu Farimata Ngóone Gura Mbissan. Binta Ma Sàmba était la fille de Maam Jéey Jaxate et de Sëriñ Ndogal Ma Sàmba Maram Kala. Maam Jéey Jaxate était la fille de Sëriñ Kiri Muuse Faa Penda Anta Ndaan Jeŋ Jaxate Dorobe ba et de Aysata Jóob. Cette dernière était une des filles de Saaxewar Fatma Cubb et Isë Jéey et soeur de Koddu Sàmba dont nous avons déjà parlé. Elle aussi était donc Géej de Xeet. J’ai pas d’idée pour ce qui regarde la dernière phrase, et sur qui peut être ce Baabakar Jóob.
Troisième couplet
Sàmba xërum Ndambaaw Yaasin Kodé ndéy Massamba Jóob, Làbba boroom Daarndé ak Ñàmbaas Sàmba xërum Ndambaaw , Jaaloo , Jaaloo Mbañ Koddu Gelongal ku gis njuuma yendoo daw !
“Sàmba”, le prénom masculin qui dans les chants wolofs précède toujours une relation avec une femme (Sàmba à l’origine voulait “x dire fils de la femme y” ex. Sàmba Binta, comme Yirim voulait dire “x fils de l’homme y” ex. Yirim Bañig), est ici référé à Lat Joor présenté comme l’amoureux (xërum) de “Ndambaaw”, qui est Ndambaaw Njaay la Géej, troisième épouse de Lat Jóor. Puis Lat Joor est présenté avec le nom Làbba (6), suivi des épithètes Daarndé (justaucorps, ne peut brûler sans brûler celui qui le porte) et Ñàmbaas (rapiécier un pagne ne le détruit point) qui symbolisent le fait q’un roi (comme Lat Joor) est protégé par sa garde mais en même temps, il a le devoir de protéger son pays (7).
En conclusion, est nommé “Mbañ Koddu”, ancêtre de Lat Joor (en sens large, car il est le frère de son ancêtre direct Kuli Koddu), tombé à "Ngelongal", à cheval du coursier “Njuuma” (une espèce de djinn), qui fait courir (par terreur) toute la journée qui le voit (ku giss njuuma yendoo daw).
Il faut savoir que dans l’épopée orale Wolof, les coursiers ont une très grande importance: chaque cheval a un nom auquel est associé un proverbe qui caractérise le caractère moral de son maitre. Qui chevauche “Njuuma” est un brave guerrier qui terrorise les ennemis. L’épopée Wolof est riche de tous ces noms de chevaux appartenant aux héros et dont les noms rappellent leurs actions. Par exemple, le dernier cheval sur lequel est monté Lat Joor s’appelait “Maalaw” chef des boisseliers, qui à une large croupe, préfère un sens élevé de l’honneur, car Lat Joor était petit de taille mais pas pour moins non valeureux; ou encore lors de la célèbre bataille de Makka, le cheval de Maawa Mbacco Sàmb, prince Dorobé qui combattait contre les Géej, s’appelait ironiquement “Jéggi Géej”, Franchiseur d’océans (en Wolof Géej, signifie océan)(7).
J’encourage ce genre d’analyses textuelles, montrant que la poésie orale wolof mérite d’être étudiée dans les collèges, lycées et universités et qu'elle n’a rien à envier aux grands poèmes de la littérature français. De ce que j’ai pu écouter sur You Tube, j’ai constaté que Ñaani Bañ Na a été chanté de manière incorrecte par tous les artistes qui l’on interprété après Ahmadou Ndiaye Samb.
En plus, de ce que j’ai pu enquêter via Facebook, beaucoup parmi les Sénégalais que j’ai interrogés, ne connaissent pas la signification des paroles de cette chanson. Ça ne veut pas être une critique mais un constat sur le risque concret que ce SAVOIR, qui a une longue et riche tradition, se perde. Un éloge spécial va a tous ceux, que j’ai eu la chance de connaître sur les réseaux sociaux et qui REFUSENT que ces connaissances soient méprisées et oubliées. Des connaissances qui appartiennent à un monde passé, mais qui ont leur raison d’être aussi dans le monde d’aujourd’hui, car comme l’a dit Birago Diop, l'arbre ne s'élève qu'en enfonçant ses racines dans la Terre nourricière.
Lorenzo
NOTES :
(1) Je ne veux absolument pas faire un pamphlet contre le métissage culturel: au contraire, la culture wolof elle même est fruit d’un métissage qui a ses sources dans l’Égypte pharaonique, la civilisation carthaginoise, l’empire du Ghana, l’émirat almoravide, la civilisation serere etc… je veut simplement souligner que ce n’est pas la colonisation qui a porté pour la première fois une culture raffinée et moderne en Sénégambie.
(2) Sur ce sujet voir, par exemple, Fauvelle, F. X. 2013. Le rhinocéros d'or. Histoires du Moyen Âge africain, Alma éditeur: Paris.
(3) https://www.youtube.com/watch?v=9oxO6jvfo9A
(4) Cette petite parenthèse est nécessaire parce que la vision du griot comme d’un saltimbanque sans morale qui s’oppose à l’éthique guerrière du Ceddo, est une fausse idée reçue, que beaucoup de Sénégalais ont. Comment le gardien des valeurs morales, celui qui à la fonction sociale d’exhorter à suivre ces valeurs, peut-il être lui-même, un être sans morale ?
Durant mes études universitaires en philosophie, malgré la fréquentation de cours d’anthropologie et ethnologie, j’ai toujours maintenu une idée reçue de la culture traditionnelle africaine, qu’aujourd’hui, je désavoue complètement. Je vais prendre, par simplicité d’exposition, le cas du Sénégal.
L’idée reçue est que la richesse culturelle en Afrique (et, a fortiori, au Sénégal) soit née assez récemment durant l’époque coloniale. Par exemple, les écrivains les plus célèbres sont des écrivains de littérature francophone comme L. S. Senghor, Birago Diop, Ousmane Sémbene, Cheikh Amidou Kane, Mariama Ba, Ken Bugul, etc. Pas d’équivalent de Villon ou Molière en langue Wolof, Pulaar, Serère, etc.
Ce discours s’étend au de-là de la littérature: pas Jules César ou Napoléon avant l’arrivée des colons, pas de Bach ou Mozart, et pas de Platon où Kant, car comme l’a dit Senghor : “la raison est Hellène et l’émotion est Nègre”. Seul Cheikh Anta Diop reste le philosophe Sénégalais célèbre, qui tout de même est connu par le grand public, pour être égyptologue (subissant, à mon avis, encore beaucoup de critiques injustes dans le milieu de l’égyptologie) et reste tout de même un écrivain francophone.
Disons-le clairement: l’idée reçue est que si en Afrique il y a une complexité culturelle, une littérature et une philosophie, c’est grâce à la colonisation occidentale. Pourtant cette idée reçue, que la majeure partie des Occidentaux ont, et que hélas beaucoup d’africains ont aussi, est totalement erronée. Il est facile de le démontrer. Réduisons, encore par simplicité, le cercle de recherche à la culture wolof.
La civilisation wolof peut vanter des philosophes exceptionnels comme Kocc Barma Faal, Ibra Maasina, Kaali Majaxate Kala, etc… tous maîtres d’une pensée raffinée et profonde, qui n’a rien à envier aux penseurs européens comme Descartes ou Kant; au long des siècles, il y a eu des fins politologues comme le Dammeel-Teeñ Lat Sukaabe, qui a créé une nouvelle forme d’état particulière, très complexe du point de vue sociologique et économique; il y a eu des fins stratèges maîtres de l’art militaire comme Lat Joor; il y a eu des centres universitaires de formation théologique, littéraire et philosophique de grande envergure comme l’Université de Pir Sañoxor au Kajoor; il y a des airs musicaux d’une beauté exceptionnelle comme le “Saarabaa” ou le “Jengaké”; finalement, toute la culture wolof est d’une complexité et d’une richesse qui nous fait renier obligatoirement cette idée reçue de culture primitive, voire arriérée.
Une richesse qui date bien avant de l’entrée massive d’une culture coloniale sur le territoire sénégalais (1). Retournant sur un plan plus général, la vision de l’Afrique comme d’un grand continent sans histoire, où la tradition est un bloc linéaire, insensible aux mutations, est une grande erreur à éviter, si nous voulons avoir une compréhension véridique et réaliste de l’Histoire (2).
Quand j’ai commencé à écouter la musique traditionnelle wolof, au-delà des notes agréables du xalam, et des belles voix des chanteurs, je ne comprenais rien aux textes chantés. Après plusieurs écoutes j'ai compris que les textes des chansons étaient des séries de noms propres, surtout de personnes, et parfois de lieux, qui appartiennent à l’histoire de telle où de telle famille noble.
Écoutant encore et encore, puis étudiant un peu d’histoire, je me suis rendu compte que chaque nom propre occupe une place définie à l’intérieure du texte, qui obéit à une logique où chaque nom est lié à un autre selon des règles formelles bien précises. Finalement j’ai compris pourquoi El Hadji Bocounta Ndiaye disait dans une interview: “le griot est comme un aiguille qui sert à rassembler”.
Les chants Wolofs sont des exemples de poétique subtile et sophistiquée, capable de transmettre des émotions très fortes, mais qui possède en même temps une structure absolument logique et rationnelle. Ce sont un contre-exemples de ces dichotomies Raison/Emotions ou Négritude/Francophonie aux quelles nous sommes habitués. Je vais ici, avec d’inévitables lacunes et imprécisions, tenter de commenter un célèbre chant traditionnel Wolof, le “Ñaani bañ na”, dans la version de feu El Hadj Ahmadou Ndiaye Samb (3).
Quelques considérations avant de commencer:
Pour comprendre ce poème il faut tout d’abord faire un effort mental et se plonger dans le passé, à une époque où ces chants n’avait pas une fonction festive comme la musique contemporaine. Ce gendre de chants étaient des étendards portés en bataille, et le griot était le porte-étendard, l’écuyer de son Geer, son intime conseiller. Le griots ne prenaient jamais les armes pour tuer, mais trouvaient souvent la mort sur le champs de bataille (4). Ñaani bañ na est un panégyrique dédié au Dammeel-Teeñ Lat Joor Ngóone Làttir Jóob, mais plus spécifiquement, cet hymne est l’étendard d’une alliance familiale, celle de deux lignées nobiliaires auxquelles Lat Joor appartenait: la lignée matrilinéaire (Xeet) des Géej et la lignée patrilinéaire (Geño) des Bër Geet (5).
Lat Joor était le fils de la princesse Géej Ngóone Làttir (de Absa Mbunun de Aysata Jóob de Isë Jéey de Faatim Penda de Isë Tend de Tend Wéjj de Wéjj Silla de Jayla Ñaas de Dawass Jéléen, etc.) et du Bër Geet Saaxewar Soxna Mbay (descendant de la suivante lignée des Bër Geet : Mëdun Soxna Ñaane - Saaxewar Fatma Cubb - Kuli Koddu Ngoy Ndaw - Ma Ngóone Xel - Mbañ Gana- Gana Nunu - Kunum Jalogar- Jalogar Njaane - Njaane Mbergan - Mbergan Geddo jusqu’au fondateur Geddo Geet). Voyons, donc, le texte de la chanson.
Refrain.
ÑAANI BAÑ NA JAALO MBABBA JÓOB ÑAANI BAÑ NA SAALA FAATMA XURÉEJA ! ! !
“Ñaani bañ na” littéralement “Ñaani a refusé” est une référence à la bataille de Ñaani, qui se déroula à l’époque ou Lat Joor et Maba Jaxu Ba combattaient pour convertir à l’Islam les royaumes païens d’une région qui se trouve aujourd'hui entre le centre et le sud du Sénégal. Face à la demande d’alliance de Lat Joor, le roi de Ñaani refusa d’ouvrir les portes de sa ville et de se convertir.
L’épopée orale nous raconte avec beaucoup de symbolisme, ce refus historique. Lat Joor, disciple de Maba Jaxu Ba, rebaptisé Silmaxa (qui en wolof veut dire “l’aveugle” et “l'aveugle en général est un mendiant" comme le dit Birago Diop dans Contes et Lavanes), envoyait ses émissaires dans les villages pour quémander l’aumône au chef, ce qui était un signe d’allégeance. Le messager envoyé à la cité de Ñaani reçu par son roi de la poudre et des balles comme aumône, ce qui indiquait le refus de s’allier à Lat Joor, et que son armée était prête à utiliser cette poudre pour se défendre en cas d’attaque de Lat Joor.
On raconte donc qu’au retour du messager, le xalamkat Sàmba Kumba Kelado Juum improvisa ce motif faisant allusion au refus de Ñaani. Par juxtaposition, le refus de Ñaani de se plier à Lat Joor rappelle le refus de Lat Joor de se plier aux colons français. Donc le “Ñaani bañ na” est aussi un grand hymne à cette valeur morale, le refus, qui était fondamentale dans l’éthique guerrière Wolof, et qui est aussi la valeur fondatrice de la lignée patrilinéaire de Lat Joor, les Jóob du Geet.
L’histoire de leur ancêtre légendaire Geddo Geet est liée à un refus, qui l’amena a prendre son indépendance vis-à-vis du Kajoor. Son nom “Geddo” viens de “gedd” qui en wolof, signifie rébellion. Au “Ñaani bañ na” est associé l’éloge (tagg) de Lat Joor, à travers les noms de ses ancêtres. Le rapport avec les ancêtres est très important dans la poésie orale Wolof. En réalité Lat Joor n’est aucun moment nommé directement dans cette chanson. C’est comme si le “tagg” des ancêtres était un défi et lui même était responsable de tenir haut, la valeur de ceux qui l’ont précédé. C'est comme si le passé glorieux des ancêtres revivait à travers les gestes de leur descendant.
Un aspect qui nous rappelle, par exemple, la poétique des “Souffles” de Birago Diop. “Jaalo Mbabba Jóob” (où “Jaalo” est le titre donné par les griots pour introduire le membre d’un grande lignée, dans ce cas les Jóob du Geet) se réfère au Braak Kuli Mbabba Jóob fils du Bër Geet Lat Joor et de la princesse Tejeek Mbabba Mbóoj. Ce Braak fut le seul à gouverner sans porter le nom de “Mbóoj” tout comme Lat Joor qui fut le seul Dammel a ne pas être un “Faal”. Kuli Mbabba est une figure centrale de l’Histoire Sénégalaise, car il est l’ancêtre de nombreuses personnes qui ont participé activement à l’histoire de ce pays, jusque à l’époque contemporaine. “Saala (fils de) Faatma (fille de) Xuréeja (Mbóoj)” il est le fils de Sa Goño Jimbi Sèkk Jeŋ qui est aussi le père de Joor Ngóone Làttir qui est la mère de de Lat Joor “l’ancien”, homonyme de Lat Joor, dont nous parlerons plus bas. Saala Faatma était aussi le frère utérin du Bër Geet Saaxewar Faatma Cubb, donc fils de Faatma Cubb fille de Xuréeja Mbóoj qui était la fille du Braak Logaar Njaag Kumba Njaay Mbañig et de la princesse Soño Aram Tanor Mbañ Sanu Jeŋ.
Saaxewar Faatma est plusieurs fois arrière-grand-père de Lat Joor, par lignée maternelle comme paternelle. Comme Lat Joor, son nom de conversion à l’Islam était “Silmaxa”, l’aveugle. À noter que ces deux personnages Saala Faatma et Kuli Mbabba ne sont pas des ancêtres directes de Lat Joor, mais on peut dire qu’il font partie de sa lignée dans une sens plus large.
Premier couplet
Ñiwaala gaynaako daan jël !!! Lat Joor Caar Kuli Joor Ndóob Faal Faatim Ñay Calaw Ma Sàmba Yaasin Ngis Jàmm Koddu Sàmba ndey Bër Geet ak Jogomay Saaxewar ??? Jaalo Sàmba Faatma Cubbée !!!
“Ñiwaala gaynaako” est la formule classique des chants guerriers qui en Pulaar (car les Gawlo des royaumes Wolofs, qui au pluriel serait correcte appeler Awlubé, sont d’origine Futanké) qui signifie “l’éléphant n’a pas de berger”, suivit de “daan” (litt. “terasser”, référé à la victoire) et “jël” (litt. “prendre” référé au butin de guerre). Suivent les noms des valeureux nobles de lignée Géej et des lieux des célèbres batailles où ils sont tombés. Tous ces personnages sont liés au clan des Géej par leur ancêtre Isë Tend qui mariée au Dammeel-Teeñ Lat Sukaabe Ngóone Jéey a eut un fils (le Dammel Maysa Tend Wéji) et trois filles: Ngóone Làttir, Faatim Penda et Yaasin Isë.
Le Bër Geet Lat Joor (l’ancien), homonyme du Dammeel-Teeñ, est tombé à la bataille de Caar, et son frère Kuli Joor est tombé à la bataille de Ndóob, qui a vu le Kajoor dirigé par le Dammel Maysa Biige contre les Waalo du Braak Tejeeg Njaag Aram Bàkkar Mbóoj. Ces deux frères sont les petits fils de Ngóone Làttir (celle ci célèbre pour avoir combattu, prenant la place du père malade, à Ngangaram face aux Maures). Leur mère est la Géej Jóor, fille de Ngóone Làttir et du Jawriñ Jigéen Sa Goño Djimbi Sékk Jeŋ. Leur père est le Bër Geet Kuli Koddu Ngoy Ndaw frère du “Mbañ Koddu” dont le nom, comme nous le verrons, fait partie du “tagg” de Lat Joor.
Ce n’est pas un hasard si Lat Joor (l’ancien) se trouve a être le premier nommé parmi les ancêtres guerriers de Lat Joor: l’homonymie est une figure rhétorique très fréquente dans la poésie orale en langue wolof. Faal Faatim tombé à Ñay était lui le fils Bar Jak Mbar Njanté Ñaŋ et Faatim Penda. Le Càlaw Ma Sàmba Yaasin tombé à Ngis jàmm est lui le fils de Yaasin Isë et de Ma Sàmba Ndeela Kahone. Enfin la Lingeer “Koddu Sàmba” est la mère (ndey) du “Bër Geet” Majoojo Mbenda Jóob et du “Jogomay” Làttir Jóob. Ces fils sont issus du mariage avec le Braak Kuli Mbabba, et son père est Saaxewar Faatma Cubb nommé ici comme “Jaalo Sàmba Faatma Cubb”. Entre ceux deux ensembles nominals, il y a une autre série de noms (quelque chose comme “Saaxewar ak gaño- sen -ci -ca -mbaraago ???) que je m’excuse, mais je n’arrive pas à déchiffrer. J’espère que quelqu'un en lisant, pourra m’aider.
Deuxième couplet
Ñiwaala gaynaako daan jël !!! Sàmba Binta Maam Jéey Jóob Geet lañu ko aayé mu dem Taararsa ëndi ay Naar Sàmba Binta Maam Jéey Jóob ñu déllu ko aayé Geet mu del Taararsa ëndi ay Naar Sàmba Binta Maam Jéey Jóob ñu bañ ko delloo Geet mu delloo Tubaab yi (?nguu-da?) Baabakar Jóobée !!!
Ici sont racontés les faits d’armes du Bër Geet Saaxewar Binta Ma Sàmba, qui avait été exilé du Geet (Geet lañu ko aayé) par le Dammel Maysa Tend Joor. Ayant trouvé alliance au Trarzas, chez Muhammed El Habib et Hamet Shey, il était revenu au Geet avec une armée de Maures (mu dem Taararsa ëndi ay Naar) pour revendiquer son titre face au Dammeel. Ces événements ce déroulèrent en 1841 circa, l’année de naissance de Lat Joor. Ici aussi est fait de manière implicite le parallèle entre Lat Joor et cet autre noble, car les deux sont des Jóob de “sant” et des Géej de “xeet”. Et les faits d’armes de l’un rappellent les gestes de l’autre.
Avec un artifice poétique typique des griots du Kajoor (que Ahmadou Duguay-Clédor décris ainsi: “les griots sont passés maîtres dans I'art de jouer avec les noms propres, les kheet et les sant, de façon à nommer, sans nommer, tout en nommant, l'objet de leurs railleries ou de leurs louanges. Seul le connaisseurs'y retrouvent les comprennent”)(5) Saaxewar est nommé comme “Sàmba Binta Maam Jéey Jóob” qui dois se lire comme “Sàmba” fils de “Binta” fille de “Maam Jéey”, et “Jóob” par sa lignée paternelle. Saaxewar Binta Ma Sàmba était le fils de Binta Ma Sàmba et de Ahmadu Farimata Ngóone Gura Mbissan. Binta Ma Sàmba était la fille de Maam Jéey Jaxate et de Sëriñ Ndogal Ma Sàmba Maram Kala. Maam Jéey Jaxate était la fille de Sëriñ Kiri Muuse Faa Penda Anta Ndaan Jeŋ Jaxate Dorobe ba et de Aysata Jóob. Cette dernière était une des filles de Saaxewar Fatma Cubb et Isë Jéey et soeur de Koddu Sàmba dont nous avons déjà parlé. Elle aussi était donc Géej de Xeet. J’ai pas d’idée pour ce qui regarde la dernière phrase, et sur qui peut être ce Baabakar Jóob.
Troisième couplet
Sàmba xërum Ndambaaw Yaasin Kodé ndéy Massamba Jóob, Làbba boroom Daarndé ak Ñàmbaas Sàmba xërum Ndambaaw , Jaaloo , Jaaloo Mbañ Koddu Gelongal ku gis njuuma yendoo daw !
“Sàmba”, le prénom masculin qui dans les chants wolofs précède toujours une relation avec une femme (Sàmba à l’origine voulait “x dire fils de la femme y” ex. Sàmba Binta, comme Yirim voulait dire “x fils de l’homme y” ex. Yirim Bañig), est ici référé à Lat Joor présenté comme l’amoureux (xërum) de “Ndambaaw”, qui est Ndambaaw Njaay la Géej, troisième épouse de Lat Jóor. Puis Lat Joor est présenté avec le nom Làbba (6), suivi des épithètes Daarndé (justaucorps, ne peut brûler sans brûler celui qui le porte) et Ñàmbaas (rapiécier un pagne ne le détruit point) qui symbolisent le fait q’un roi (comme Lat Joor) est protégé par sa garde mais en même temps, il a le devoir de protéger son pays (7).
En conclusion, est nommé “Mbañ Koddu”, ancêtre de Lat Joor (en sens large, car il est le frère de son ancêtre direct Kuli Koddu), tombé à "Ngelongal", à cheval du coursier “Njuuma” (une espèce de djinn), qui fait courir (par terreur) toute la journée qui le voit (ku giss njuuma yendoo daw).
Il faut savoir que dans l’épopée orale Wolof, les coursiers ont une très grande importance: chaque cheval a un nom auquel est associé un proverbe qui caractérise le caractère moral de son maitre. Qui chevauche “Njuuma” est un brave guerrier qui terrorise les ennemis. L’épopée Wolof est riche de tous ces noms de chevaux appartenant aux héros et dont les noms rappellent leurs actions. Par exemple, le dernier cheval sur lequel est monté Lat Joor s’appelait “Maalaw” chef des boisseliers, qui à une large croupe, préfère un sens élevé de l’honneur, car Lat Joor était petit de taille mais pas pour moins non valeureux; ou encore lors de la célèbre bataille de Makka, le cheval de Maawa Mbacco Sàmb, prince Dorobé qui combattait contre les Géej, s’appelait ironiquement “Jéggi Géej”, Franchiseur d’océans (en Wolof Géej, signifie océan)(7).
J’encourage ce genre d’analyses textuelles, montrant que la poésie orale wolof mérite d’être étudiée dans les collèges, lycées et universités et qu'elle n’a rien à envier aux grands poèmes de la littérature français. De ce que j’ai pu écouter sur You Tube, j’ai constaté que Ñaani Bañ Na a été chanté de manière incorrecte par tous les artistes qui l’on interprété après Ahmadou Ndiaye Samb.
En plus, de ce que j’ai pu enquêter via Facebook, beaucoup parmi les Sénégalais que j’ai interrogés, ne connaissent pas la signification des paroles de cette chanson. Ça ne veut pas être une critique mais un constat sur le risque concret que ce SAVOIR, qui a une longue et riche tradition, se perde. Un éloge spécial va a tous ceux, que j’ai eu la chance de connaître sur les réseaux sociaux et qui REFUSENT que ces connaissances soient méprisées et oubliées. Des connaissances qui appartiennent à un monde passé, mais qui ont leur raison d’être aussi dans le monde d’aujourd’hui, car comme l’a dit Birago Diop, l'arbre ne s'élève qu'en enfonçant ses racines dans la Terre nourricière.
Lorenzo
NOTES :
(1) Je ne veux absolument pas faire un pamphlet contre le métissage culturel: au contraire, la culture wolof elle même est fruit d’un métissage qui a ses sources dans l’Égypte pharaonique, la civilisation carthaginoise, l’empire du Ghana, l’émirat almoravide, la civilisation serere etc… je veut simplement souligner que ce n’est pas la colonisation qui a porté pour la première fois une culture raffinée et moderne en Sénégambie.
(2) Sur ce sujet voir, par exemple, Fauvelle, F. X. 2013. Le rhinocéros d'or. Histoires du Moyen Âge africain, Alma éditeur: Paris.
(3) https://www.youtube.com/watch?v=9oxO6jvfo9A
(4) Cette petite parenthèse est nécessaire parce que la vision du griot comme d’un saltimbanque sans morale qui s’oppose à l’éthique guerrière du Ceddo, est une fausse idée reçue, que beaucoup de Sénégalais ont. Comment le gardien des valeurs morales, celui qui à la fonction sociale d’exhorter à suivre ces valeurs, peut-il être lui-même, un être sans morale ?