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Casa di mansa ou l’acte d’activisme par excellence - Par Jean François Marie Biagui

Rédigé par leral.net le Jeudi 20 Novembre 2014 à 14:08 | | 0 commentaire(s)|

Casa di mansa ou l’acte d’activisme par excellence - Par Jean François Marie Biagui
Un film par procuration. N’est-ce pas celui signé Christian Thiam, avec comme objectif supposé de lever quelque tabou qui ne cesserait à ses yeux d’assombrir la Casamance et son avenir ou son destin ?

CASA DI MANSA – puisque c’est de ce documentaire qu’il s’agit, et comme la sémantique de son titre ne le dissimule guère – est en fait un film nostalgique, qui traduit, en l’occurrence, sans aucunement le trahir, le profil de son commanditaire.

C’est que le “bon-vieux-temps” apparaît désormais comme révolu, celui précisément où il suffisait de retourner contre lui-même le tabou selon lequel « L’indépendance de la Casamance est un droit réel, absolu, multiséculaire, imprescriptible, inaliénable et non-négociable », pour lever, et envoyer du même coup dans le maquis, les plus braves ou les plus zélés d’entre les Casamançais.

Or, comme en témoigne ledit documentaire de manière on ne peut plus illustrative, la nostalgie du “bon-vieux-temps” et l’espérance inavouée dans l’avènement prétendument prochain de l’indépendance de la Casamance ne sont jamais en commun que l’apanage d’une seule et même personne, le commanditaire de CASA DI MANSA : l’une et l’autre s’entremêlent et se conditionnent mutuellement dans l’esprit, les paroles, les actes et les actions de ce dernier. Et peut-être, aussi, accessoirement, dans ceux de l’auteur du documentaire.

Qui plus est, et par anticipation de l’avenir (car le temps presse, alors que la vie, toute vie, est courte), quand il s’avère de surcroît que les ponts, réputés jadis pour leur solidité, sont de nos jours rompus avec Salif Sadio, chef de la faction la plus radicale du MFDC, il faut à tout prix produire CASA DI MANSA pour la postérité. Et tant pis ! pour le caractère nécessairement tendancieux du documentaire. Ou plus précisément : puisque Salif Sadio est désormais inaccessible pour le commanditaire dudit film, il faut, coûte que coûte, fabriquer un outil qui, telle une lampe à pétrole continument incandescente, alimentée par une source de pétrole intarissable, rappellera en permanence, et à satiété, que « L’indépendance de la Casamance est un droit réel, absolu, multiséculaire, imprescriptible, inaliénable et non-négociable ». Et d’aucuns de devoir certainement en entendre, notamment le principal intéressé : ‘‘Salif, tu peux nous rejeter ; tu peux même rompre le pacte qui nous lie, mais n’oublie jamais ton engagement envers la Casamance… Après tout, au bout de 32 ans de maquis, tu n’as plus rien à perdre…’’

Pour notre part, notre conviction est faite, définitivement, en vertu de laquelle le vrai Combattant est celui qui s’engage au Combat, alors même qu’il a encore tout à perdre. Car seul celui-là, de par le don de sa personne, saura se méfier assez de lui-même et, ainsi, se faire constamment du mouron pour la vie, la survie ou la pérennité de l’Objet de sa lutte.

En cela, donc, CASA DI MANSA est un acte résolument activiste, même si son auteur se défend, la main sur le cœur, d’être un « activiste casamançais ». En cela, aussi, l’auteur du documentaire se distingue fort bien de son commanditaire. D’ailleurs, qu’auraient-ils à craindre, l’un et l’autre, pour devoir ainsi se justifier, si l’on sait que l’Etat, représenté à cet effet par le ministre de la Culture et de la Communication, Mbagnick Ndiaye, avait fait le déplacement, le 12 novembre 2014, lors de la projection en avant-première du documentaire au Théâtre National Daniel Sorano ?

N’en déplaise à toutes celles et à tous ceux qui disent avoir aimé le film, ni le prétexte fumeux du caractère pédagogique et culturel qu’on lui prête, ni la bénédiction arrachée si malicieusement aux Autorités pour sa diffusion, ni même le culte qui semble s’y opérer en mémoire du professeur Assane Seck, bref ! tout cela réuni n’y fera strictement rien : CASA DI MANSA n’est rien moins qu’un acte d’activisme. C’est par conséquent un acte non-innocent.

Plus exactement, CASA DI MANSA est le genre même de film à ne jamais produire avant la conclusion, en l’occurrence, d’un accord définitif de paix. Du moins, si notre démarche participe véritablement du souci d’œuvrer, justement, pour le retour de la paix durable en Casamance. Car un tel documentaire n’aurait pour raison d’être – après donc signature d’un accord définitif de paix – que la seule motivation d’informer, afin que nul n’en ignore et, surtout, de peur que l’objet du film, le drame casamançais, ne se reproduise à tout jamais.

Quoi qu’il en soit, la question de l’opportunité, ou de l’inopportunité, c’est selon, de la production du documentaire ou, à plus forte raison, de sa diffusion, sous-tend d’une certaine manière la faiblesse notable des deux parties en conflit en Casamance, l’Etat et le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC), quant à leurs capacités respectives à appréhender, de manière responsable et volontaire, dans le cadre du processus de paix en cours, l’« ici et maintenant » du ‘‘problème casamançais’’. En particulier, le problème majeur, ici et maintenant, c’est que les Autorités, en ne faisant preuve d’aucune volonté politique réelle pour régler définitivement le ‘‘problème casamançais’’, se refusent ainsi, obstinément, à se doter de l’authentique ‘‘Pourquoi ’’ (Pourquoi cette crise). De sorte qu’elles ne peuvent disposer en l’occurrence d’un ‘‘Comment’’ (Comment la résoudre), aussi réaliste et juste que le ‘‘Pourquoi’’ est historiquement vrai. Aussi, l’Etat ne saurait-il déroger durablement à ce nécessaire exercice, sous aucun prétexte. Il y va de sa survie ou de sa pérennité.

A l’inverse, le MFDC et avec lui tous les Casamançais doivent impérativement se poser la question suivante, pour devoir y répondre tout aussi impérativement, ici et maintenant : Qu’est-ce que la Casamance, seule parmi tout le reste, veut et peut, eu égard notamment à son individualité et à son identité propres ?

Si, donc, à la faveur du processus de paix en cours, les deux parties, l’Etat et le MFDC, veulent parvenir à leurs fins, c'est-à-dire, finalement, au bien-être social, culturel, politique et économique des Casamançais, elles doivent alors – et elles le peuvent – renoncer (à), et donc laisser tomber, beaucoup d’autres choses. Sauf que, ici, comme partout ailleurs, et de tout temps, ainsi que nous l’enseigne Sénèque, la difficulté majeure, c’est qu’on n’apprend pas à vouloir. Nul ne peut donc apprendre ni à l’Etat ni au MFDC à vouloir, s’il on se souvient, toutefois, que, en l’espèce, renoncer au droit exclusif du Peuple casamançais sur la Casamance doit en appeler, tout autant, au renoncement du droit exclusif de l’Etat sur la Casamance. Encore faut-il que le premier (représenté par le MFDC) et le second (incarné par le président de la République et son Gouvernement) le veuillent, réellement ; et qu’ils en aient la volonté politique, résolument.

Les négociations de paix, que nous ne saurions cesser d’appeler de nos vœux, pour porter leurs fruits, sont à ce prix. Et seulement à ce prix.

Dakar, le 17 novembre 2014.

Jean-Marie François BIAGUI
Président du Mouvement pour le Fédéralisme
et la Démocratie Constitutionnels (MFDC-fédéraliste)