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Ce vieil homme, notre enfant...

Wade a desservi Karim, renforcé la cote de popularité de Macky tout en donnant de lui-même une image négative. En somme, trois coups de pierre contre sa réputation et contre la libération de son fils.


Rédigé par leral.net le Mercredi 25 Mars 2015 à 11:16 | | 0 commentaire(s)|

Ce vieil homme, notre enfant...
Des analystes pourtant peu suspects de passion partisane continuent à regretter que la Crei n’ait été apparemment réactivée que pour juger Karim Wade. Même si on peut leur reprocher de tenir pour quantité négligeable ses co-inculpés ou d’oublier trop vite les nombreux dossiers déjà instruits, leur trouble mérite la plus grande attention. Il nous rappelle qu’au Senegal l’autorité publique n’a jamais vraiment su quelle attitude adopter à l’égard des auteurs de crimes économiques. C’est peu de dire que ces derniers, du fait de leur forte capacité de redistribution, sont plus souvent admirés que stigmatisés.

Il se raconte du reste, sous forme de blague populaire, qu’à des détenus ordinaires se plaignant des faveurs accordées à ces prisonniers de luxe, un régisseur aurait répliqué, excédé : «Ecoutez, ce n’est pas pareil, vous, vous êtes des voleurs alors qu’eux ont détourné !» Cette complaisance à l’égard de ceux qui dilapident nos maigres ressources s’explique-t-elle par le fait que le même personnel politique se partage le pouvoir depuis l’Indépendance ? L’hypothèse peut être avancée sans risque.

Le plus fascinant, c’est que Me Abdoulaye Wade, alias le «pape du Sopi», a été élu, après une exceptionnelle mobilisation populaire, pour briser ce cercle vicieux de la gabegie et de l’impunité. Quel Sénégalais peut s’en souvenir aujourd’hui sans un formidable éclat de rire ? Sous son règne, le système est devenu complètement fou ! Dès ses premières heures au Palais, il déclare à Idrissa Seck, qui l’enregistre en secret– drôle de gens, n’est-ce pas ?- : «Nos problèmes d’argent sont désormais derrière nous», avant d’ajouter cette phrase hallucinante : «Même les gangsters savent s’en tenir a un strict code d’honneur quand vient l’heure de se partager le butin.»

Il n’est dès lors pas étonnant qu’au cours de ses deux mandats à la tête du pays, on ait eu l’impression d’un gigantesque foutoir financier. Bien des cadres ayant travaillé avec Me Wade, en particulier ceux qui venaient de la Gauche, n’étaient pas des corrompus, loin s’en faut. Mais ceux qui l’étaient ne se sont pas du tout gênés. Les affaires en tous genres– terrains, trafic de devises voire de drogue– ont sans cesse défrayé la chronique et des milliers de gens qui tiraient le diable par la queue, ont amassé en peu de temps une colossale fortune.

Dans un petit pays à l’élite aussi «compacte», tout finit par se savoir, même, et peut-être surtout, ce que les medias choisissent, pour diverses raisons, de taire. Et– ne soyons donc pas si oublieux– Karim Meissa Wade, à la tête de moult ministères stratégiques, était au centre de tout. La justice lui demande depuis juillet 2014 de justifier l’accroissement phénoménal de sa fortune à l’époque où son père était chef de l’Etat. Il n’en a pas été capable et cela lui a valu une peine ferme de six ans et une amende de 138 milliards de francs Cfa.

On peut certes entendre les critiques des ONG des Droits de l’homme qui voient dans la Crei une juridiction d’exception violant les normes du droit international mais on a aussi eu le sentiment que pour ses avocats leur client, lâché par certains de ses prête-noms et complices, confondu sur des points importants, était devenu indéfendable. On les a donc davantage entendus en conférence de presse qu’à la barre du tribunal qu’ils ont du reste finalement boycotté. Il est d’ailleurs difficile de savoir à quoi ont bien pu servir les avocats étrangers supposés plaider en faveur de Karim Wade.

Malgré le gros cafouillage sur le compte de Singapour– un point, il faut le souligner, non pris en compte par le juge Henri-Grégoire Diop–, personne n’a été surpris par le verdict du 23 mars. Il n’y a pas lieu de se réjouir qu’une personne encore dans la force de l’âge soit obligée de rester quatre années en prison mais des dizaines de milliers d’autres Sénégalais purgent la même peine sans que cela n’émeuve personne.

L’avertissement vaut pour tous nos futurs chefs d’Etat. Ce qui arrive à Karim Wade doit leur faire comprendre qu’il est inadmissible et dangereux de détourner les suffrages populaires au profit de sa famille.

L’ex-président Wade, naguère tout-puissant, n’a rien pu faire pour sauver son fils. Il n’a même pas pu trouver un hôtel pour y organiser ce que le politologue Mbaye Thiam a appelé sur Sud FM «la dévolution paternelle du parti». Cela en dit long sur la brutalité de la chute de Wade. Il s’était pourtant montré si agressif à maintes reprises que le pays a eu de sérieuses craintes pour la sécurité des biens et des personnes le jour du verdict. A l’arrivée il y a eu plus de peur que de mal.

Me Wade, conscient de son faible pouvoir de nuisance ces temps-ci, s’y était sûrement attendu et c’est sans doute pour cela qu’il a fait de son fils le candidat du PDS à la présidentielle de 2017. Le projet, c’est de lui faire porter les habits de lumière du prisonnier politique, si populaire que le régime n’aura d’autre choix que de ne pas le maintenir en détention. Est-ce bien sérieux ? En vérité, cela s’appelle raisonner la tête à l’envers.

Tout d’abord, Karim Wade, qui n’a jamais remporté le moindre scrutin, est un binational. On le voit mal renoncer à son passeport français pour briguer les suffrages des électeurs sénégalais. Et au fait, dans quelle langue leur demanderait-il de voter pour lui ? C’est un point central que tout le monde semble avoir oublié. Sauf, probablement, l’intéressé lui-même et son père. Me Wade, qui a affronté tous les présidents, de Senghor à Macky Sall, sait bien ce qu’élection veut dire dans notre pays. Il serait étonnant qu’il entretienne au fond de lui-même la moindre illusion quant aux chances de son fils pour l’élection de 2017.

Il sait bien, pour le dire familièrement, que les carottes sont cuites.

Wade aura en effet tout essayé mais les appels du pied à l’armée n’ont pas eu plus d’écho que sa menace insolite de prendre le maquis. Et pour faire monter la tension, il ne s’est interdit aucune grossièreté à propos de la famille Sall. Ce faisant, il a desservi Karim Wade, renforcé la cote de popularité de Macky Sall tout en donnant de lui-même une image encore plus négative qu’à l’ordinaire. En somme, trois coups de pierre contre sa réputation et contre une cause, la dernière d’un vieux combattant, qui lui tient tant à cœur : la libération de son fils.

Une fin de parcours aussi douloureuse– il est des moments où le vieil homme suscite en effet une vague compassion– rappelle, toutes proportions gardées, celle d’Alboury Ndiaye. La tradition rapporte qu’au soir de sa vie, affamé et au bord de l’épuisement, le Bourba Djoloff fut obligé de voler une écuelle de lait dans l’arrière-cour d’une maison de Dosso, dans l’actuel Niger. Surpris par la propriétaire, il n’eut d’autre choix que de nier avec véhémence. En vain : un enfant l’avait vu en secret, qui témoigna contre lui. Il aurait alors déclaré à son griot : « J’ai été tout-puissant au Djoloff et voilà à quoi je suis réduit. Tout est perdu et je sais que ma fin est proche.»

Alboury Ndiaye, immortalisé entre autres par le dramaturge Cheik Aliou Ndao, a été peut-être le moins ambigu, le moins controversé de nos héros nationaux mais un cruel destin avait pris avantage sur le guerrier errant, panafricaniste avant la lettre. Du célèbre politicien libéral aussi, on peut dire, mais hélas pour de moins glorieuses raisons, que tout est perdu aujourd’hui, même l’honneur.

Il ne lui reste plus qu’à solliciter la clémence de celui dont il a dit tout récemment que jamais il ne serait au-dessus de Karim Wade. Peut-être s’exprimait-il ainsi en surestimant ses capacités à infléchir le cours de la justice. En homme qui a toujours cru au seul rapport de force, il est bien conscient d’être à la merci du régime de Sall. La surenchère verbale va rester de mise pendant quelque temps pour sauver les apparences mais il est très probable qu’il va bientôt jouer, en coulisses, la seule carte qui lui reste raisonnablement : solliciter la grâce présidentielle. Et si Macky Sall venait à céder aux pressions, l’on n’entendra probablement plus parler ni de l’homme Karim Wade ni encore moins du candidat sans peur et sans reproche. On peut supposer qu’il sera aussi oublié des Sénégalais que l’est à l’heure actuelle sa sœur. Le président pourrait être tenté de se montrer magnanime après avoir su se montrer ferme.

Qu’adviendrait-il des Bibo Bourgi et autres Mamadou Pouye, condamnées en même temps que Karim ? La question n’est pas simple car une libération générale ferait désordre dans l’opinion.

Quoi qu’il arrive, gardons-nous de jeter trop vite la pierre à Me Abdoulaye Wade. Ce quasi centenaire au regard perdu, si tragiquement solitaire, c’est nous-mêmes qui l’avons librement enfanté dans l’allégresse générale il y a une quinzaine d’années. Au-delà du sort personnel de son fils, c’est de cela que nous devrons nous souvenir demain et après-demain.

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