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Célébration des deux "rakkas" de Saint-Louis : Retour sur les circonstances de la déportation de Serigne Touba au Gabon

Ce samedi 5 septembre 2015, cela fera 120 ans que Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké avait effectué sa prière des deux rakkas dans le bureau du gouverneur de Saint-Louis. Un événement que la communauté mouride commémore et qui nous sert de prétexte pour revenir sur les circonstances de la déportation de Serigne Touba au Gabon.


Rédigé par leral.net le Vendredi 4 Septembre 2015 à 15:30 commentaire(s)|

Comme tous les ans, le Magal des deux rakkas, en souvenir des deux rakkas faits par le fondateur du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, le 5 septembre 1895, dans le bureau du gouverneur à Saint-Louis, sera célébré aujourd’hui dans la vielle ville par la communauté mouride. Cette année, c’est Serigne Abdou Sakor Mbacké, fils de Mame Mor Diarra Mbacké, communément appelé « Magui mag » - car étant le grand frère de Serigne Touba - qui est le parrain.

Cet événement a pour objectif de se souvenir des deux rakkas faits par Serigne Touba dans le bureau du gouverneur, avant de répondre aux questions du conseil privé de la colonie du Sénégal. Décidé à faire ses prières, quelle que soit la situation qui se présente devant lui, Cheikh Ahmadou Bamba, considéré par le colon comme étant « le destructeur de l’homme blanc », avait tenu, le 5 septembre 1895, à faire ses deux rakkas dans le bureau où siégeait le conseil privé chargé de le « juger » avant de prendre la décision de le déporter. Ce, alors qu’il était venu déférer à une convocation suivie d’une comparution devant le Conseil privé des colonies du Sénégal.

Depuis lors, la communauté mouride se souvient de cet acte de dévotion posé par Serigne Touba, il y a 120 ans. C’est d’ailleurs à l’issue de cette confrontation que la décision de sa déportation au Gabon fut scellée par le colonisateur. Et pour cause, Serigne Touba était considéré comme étant un ennemi par le colonisateur. En effet, le nom de Serigne Touba est apparu pour la première fois en mars 1889 dans une correspondance officielle. Le département des affaires politiques avait écrit à l’administrateur de Kajoor pour lui faire part de son inquiétude par rapport au « marabout Amadou Bamba », installé entre le Baol et le Kajoor et qui ralliait de nombreux adeptes.

Ainsi, il a été demandé à l’administrateur Angot de procéder à une enquête très discrète. Dans ses conclusions, en avril 1889, l’administrateur a indiqué: « Au cours de ma mission, j’ai réalisé des enquêtes dans différents endroits sur les activités du marabout. Partout, j’ai entendu grand bien à son sujet. Il s’agit d’un homme pieux et tranquille dont la seule faute est qu’il s’occupe d’un grand nombre de moins que rien dont il fait des élèves marabouts et si ces gens ne sont pas étroitement surveillés, ils causeront progressivement des difficultés ».

En juillet 1895, Leclerc, administrateur du cercle de Saint-Louis, qui a soutenu que Serigne Touba, a tenu un discours devant 700 personnes : « Je ne connais pas les mots exacts de son discours, mais il est certain, pour quiconque connaît la prudence d’Amadou Bamba, qu’il n’avait pas dit des choses répréhensibles. Mais il n’en est pas moins certain que ,dans la soirée, alors que le marabout parlait dans sa hutte, ses talibés circulaient de groupe en groupe, donnant des instructions pour un soulèvement plus tard dans l’année ».

Le mois suivant de la même année, le même Leclerc avertit encore : « Tous les anciens partisans du Damel, tous les tiédos, qui vivent uniquement par la guerre et le pillage et que l’actuelle administration a réduit à la misère, se sont regroupés autour du mahdi marabout, le destructeur de l’homme blanc… ».

Serigne Touba au colon : « Ceux qui, en me déportant à travers l'océan, cherchaient à me nuire n'ont fait que contribuer à me rapprocher du Seigneur »

Serigne Touba fût ainsi convoqué par le colon, mais il ne déférera pas à la convocation. A la place, il envoie son frère Mame Thierno Birahim Mbacké. Ce dernier dira, en s’adressant au Gouverneur Général de l’Afrique occidentale française : « Vous n’êtes point le propriétaire de Saint-Louis, vous avez trouvé Saint-Louis et après longtemps votre mort, Saint-Louis continuera à exister, alors que les gens qui vous flattent sont en train de vous tromper. Votre Créateur, c’est Lui le propriétaire de Saint-Louis ».

Convoqué une seconde fois, Cheikh Ahmadou Bamba, accusé de concocter un projet de lutte armée et une collusion avec les « Tiédos », fût arrêté le 10 août 1895 et son procès ouvert le 5 septembre 1895. Au final, le Conseil Privé décida de déporter Serigne Touba au Gabon pour une durée de 7 ans. « D’ailleurs, depuis qu’Amadou Bamba nous est connu, il n’a pas eu d’autre façon de procéder que les Maba, les Amadou Cheikhou, les Mahamadou Lamine Dramé et les Samba Diama, et l’on est frappé par la similitude qui existe entre les protestations d’amitié qu’il nous fait en 1889…», avait, en effet, dit le colon avant de décider de la déportation au Gabon en se basant sur une lettre écrite par un certain Mame Abdou Lô avec le sceau de Samba Laobé Penda.

Pour le colon, il n’y a aucun doute sur l’élément clé, la lettre de « Samba Laobé Penda ». Cette lettre, selon le colon, est la preuve matérielle des « visées » de lutte armée de Serigne Touba. En réponse à cette sanction, Serigne Touba leur a fait savoir : « Ceux qui, en me déportant à travers l'océan, cherchaient à me nuire n'ont fait que contribuer à me rapprocher du Seigneur ».

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