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Chapeau M. le Président ! (Par Momar Seyni NDIAYE)

"Le message présidentiel est rassurant et rétablit le besoin de moralisation de la politique."


Rédigé par leral.net le Jeudi 20 Avril 2017 à 16:57 | | 0 commentaire(s)|

La décision du président Sall de stopper cette spirale sonne comme un coup d’arrêt à toutes les appétences boulimiques qui s’emparent de ses proches, trop enclins à accumuler démesurément, biens, pouvoirs et postes. 


Dans notre continent où la tentation népotique est légion, il n’est pas banal qu’un Président de la République, alors que rien ne l’y contraint, décide d’écarter son frère et son oncle, maires régulièrement élus de deux grandes agglomérations de postuler à la députation. Le président Macky Sall s’est plié à cette délicate obligation morale, en acceptant, certainement, pour l’avoir suscité, le retrait des candidatures potentielles aux élections législatives d’Aliou Sall et Abdoulaye Thimbo. Cet acte courageux prend une valeur symbolique forte et donne plus de couleurs à l’image d’un Président souvent taxé de pratiques claniques.
 
Dès en 2012, le Président Wade avait malencontreusement agité cette accusation. Mais, il n’avait  réussi ni à empêcher l’élection confortable du Président Sall, encore moins à opposer les Sénégalais autour de ce thème sordide. Pis, un des conseillers du Président Sall, écarté pour des écarts de langage, s’est amusé à dresser sur une base patronymique la liste des PCA, ministres DG, ambassadeurs nommés depuis 2012. Tirant les conclusions de cette comptabilité morbide, il présidait l’imminence d’un état dominé disait-il, par 70 familles toutes issues de la même ethnie. Aujourd’hui, ce conseiller reconverti à la Primature après maintes génuflexions, a dû ravaler son tableau.


Récemment au cours d’un entretien radiophonique, Ousmane Sonko avait fait une pareille évocation, avec plus de retenue. Mais, l’allusion était suffisamment claire pour passer inaperçue. D’autres voix moins autorisées n’ont pas résisté à cette évocation. Mais à la faveur de l’opportune parenté à plaisanterie, notre ciment national a résisté à toutes les tentatives de dessouder la cohésion nationale.
 

Il est vrai qu’à chaque changement de régime, le jeu d’alliances et de mésalliances remorque les vieux réflexes du repli identitaires et de l’instinct grégaire. Dans l’histoire du Sénégal, ces approches réactionnaires, n’ont jamais pris une ampleur démesurée. Certes, la famille, les proches ont été toujours considérés, comme le premier cercle d’exercice d’une autorité et disons-le, le socle de la société. La parentalité se présente alors, quelle que soit la lignée, comme une valeur cardinale et un instrument essentiel, pour préserver les bijoux de famille, en valeurs et en biens.
 
Mais la notion de famille élargie, de parenté par alliance, de cohabitation et de bon voisinage, valorisée par les religions, a dressé un solide rempart contre la tentation  à l’exclusion et à la stigmatisation. Il n’empêche depuis l’indépendance, les parents ont été omniprésents dans l’entourage présidentiel, certes à des degrés divers
 
On oublie souvent que le Président Senghor qu’on disait si républicain, avait de manière subreptice promu un bataillon important de frères, demi-frères, cousins, neveux et alliés dans l’administration, les chancelleries et les organisations internationales. Magued Diouf chargé de la modernisation de l’Etat siégeait aux conseils  des ministres à côté de son frère, chef de l’Etat. Et nombre de ses cousins s’étaient reconvertis dans les affaires et profitaient des aubades des marchés publics. Les amis et proches du clan Diouf étaient casés dans des stations avec des revenus confortables, alors même qu’une catégorie de Sénégalais naturalisés, proche de son épouse, restait quasiment intouchable dans le monde des affaires.
 
Arrivé au pouvoir en 2000, Abdoulaye Wade a voulu tout simplement instaurer une dévolution monarchique du pouvoir au profit de son  fils, Karim, avec le résultat qu’on sait. Non sans avoir mis le pied à l’étrier à des neveux dans les institutions et les affaires. Aujourd’hui, les indexations de tentation dynastique n’épargnent pas le président Sall. Avec un oncle édile municipal à Pikine, un frère maire, actionnaire et président de nombreuses structures politiques et associatives, englué dans l’épineux dossier du pétrole avec Pétrotim, un beau-frère ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement, une kyrielle de parents et alliés à la tête de directions stratégiques, il n’en fallait pas plus pour crier à la «dynastie Faye Sall.»
 
Même si cette sensation n’a jamais été perçue comme une frustration endémique, il n’en reste pas moins vrai qu’il y a du ressenti partagé dans les catégories populaires. La pudeur légendaire de celles-ci les prévenant contre  toute manifestation d’hystérie et même toute évocation publique, de ce qui a pu être considéré comme une entorse aux ruptures promises par le président Sall en 2012. L’exemple ou plutôt le contre-exemple de Wade était suffisamment parlant pour servir de leçon aux futurs acteurs de la seconde alternance. La République avait failli basculer dans le désordre à cause de cette fâcheuse inclinaison à gérer le pouvoir en régie familiale.
 
Et pourtant, dans l’entourage du Président Sall, on réfute cette accusation, en arguant que tout dans son parcours social, scolaire, universitaire et politique va à l’encontre de cette propension sectaire. Soit. D’où vient alors cette sensation qu’une tentation grégaire de gestion du pouvoir est rampante au Sénégal depuis 2012 ? Facile d’accuser les médias d’avoir amplifié des rumeurs quand la fulgurance promotionnelle de certains parents et  proches fait débat. La décision du président Sall de stopper cette spirale sonne comme un coup d’arrêt à toutes les appétences boulimiques qui s’emparent de ses proches, trop enclins à accumuler démesurément, biens, pouvoirs et postes.
 
Une attitude patrimoniale contre laquelle, tout s’insurge. Le message présidentiel est rassurant et rétablit le besoin de moralisation de la politique. L’immixtion tentaculaire de la famille dans les décisions administratives politiques, comporte des dangers d’enrichissement illicite et toutes ses conséquences judiciaires postérieures. Elle alimente les argumentaires des opposants, qui l’agite comme un épouvantail, en souvenir du douloureux épisode wadien de 2011.

Cette capillarité accumulatrice de biens et de pouvoir détourne les attentions des citoyens sur les enjeux économiques et sociaux et les focalise sur ces pires aspérités sociétales. Il ne fait aucun doute que les résultats économiques du Plan Sénégal Emergent sont en train d’opérer des transformations sociales importantes dans notre pays, et ce, dans de nombreux domaines. La cristallisation sur ces facteurs subjectifs gêne la visibilité gouvernementale sur l’impact progressif de ses résultats. Il s’y ajoute, que l’image, les représentations qu’elle induit et la perception qu’elle porte de manière presqu’indélébile, est plus forte que la réalité.

Certes, rien n’interdit aux parents proches du Président de briguer des mandats électifs et de bénéficier de sa confiance pour la gestion de responsabilités administratives ou politiques. S’ils étaient dans l’opposition, la question ne se poserait pas. Mais comment les Sénégalais verraient, un Etat, dirigé par un chef bien élu, une Assemblée nationale comportant des députés, proches parents, membres du bureau, un ministre maire, et autres alliés dans d’autres postures de pouvoir ou d’enrichissement ? Cette image est forcément dévalorisante, et désastreusement négative. Même si, au demeurant, ni la compétence, ni l’engagement de ces Sénégalais à part entière ne sont en cause.


Il ne s’agit nullement d’un délit de faciès ou de parentalité. Mais de moralité, cette règle non écrite qui vaut son pesant d’or dans le tissu relationnel national et la perception globale des citoyens.

Il reste ce que la loi permet parfois, l’honneur et la dignité peuvent l’interdire. Il en est ainsi du reste pour la religion. Le recadrage présidentiel s’inspire de cet élan moral, qui donne à un homme la possibilité de comprendre ce proverbe wolof : «Ku sexluwul, barilé», ou en d’autres termes, celui à qui rien ne répugne, ni insupporte, forcément accumule tout. Mais à quel prix !


Oui, Monsieur le Président, vous avez bien raison de freiner cette frénétique propension à la subjectivation du débat politique. Il n’y a que les zélateurs d’un autre âge pour s’en offusquer, invoquant la loi et sa norme impersonnelle et universelle, pour justifier l’encombrement familial, dont ils se plaignent en privé. Le délit de consanguinité n’existe pas certes. Il serait même abject car le partage d’un même ADN ne saurait brider la carrière de personnes de même sang. Mais l’image d’une République genre «Gondouana» est plus corrosive qu’une bénigne entorse à un principe.

Chapeau M. le Président !
Vous avez compris le message populaire.