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Cheikh Anta Diop, l’homme qui a renouvelé le discours sur l’Afrique

Rédigé par leral.net le Mardi 7 Février 2017 à 18:15 commentaire(s)|

Il y a trente et un an, disparaissait, à l’âge de 63 ans, l’homme qui, sans complexe et dans un contexte singulièrement hostile et obscurantiste, a battu en brèche, par une investigation scientifique méthodique, les thèses d’une Afrique dont les habitants n’ont jamais été responsables d’un seul fait de civilisation.


Lorsque Cheikh Anta Diop vit le jour le 29 décembre 1923 à Caytu, un petit village situé dans la région de Diourbel, l’Afrique toute entière était sous le joug de la colonisation européenne. La domination coloniale ayant pris le relais de la traite négrière atlantique au 16e siècle. Celle-ci avait été précédée par la traite arabo-musulmane. Ainsi, la violence dont l’Afrique fut l’objet n’a pas été et n’est pas exclusivement militaire, politique et économique. Cette violence fut également raciste. En effet, des théoriciens comme Voltaire, Hegel, Gobineau, Lévy-Bruhl etc., avaient cherché à légitimer, au plan moral et philosophique, une supposée infériorité intellectuelle du Nègre. La vision d’une Afrique anhistorique et atemporelle, dont les habitants, les Nègres, n’ont jamais été, par définition, responsables d’un seul fait de civilisation, avait fini de s’imposer dans les écrits et avait été ancrée dans les consciences.


 


 

Ainsi, au moment où Cheikh Anta Diop, entreprenait, dans les années 1940 ses premières recherche historiques, l’Afrique noire ne constituait pas « un champ historique intelligible », pour reprendre une expression de l’historien britannique Arnold Toynbee. De même, l’Egypte ancienne était arbitrairement rattachée à l’Orient et au monde méditerranéen géographiquement, anthropologiquement et culturellement.

 

C’est donc dans un contexte particulièrement hostile et obscurantiste que l’enfant de Caytu a été amené à remettre en cause, par une investigation scientifique méthodique, les fondements mêmes de l’image du monde que l’Occident d’alors véhiculait sur la genèse de l’humanité et de la civilisation. La renaissance de l’Afrique, qui implique la restauration de la conscience historique, apparaissait pour Cheikh Anta Diop comme une tâche incontournable. Il se résolut alors à lui consacrer sa vie.


Combat pour le droit à la parole

 

En 1946, Cheikh Anta Diop débarque en France avec deux baccalauréats en poche. L’un en mathématique décroché en juillet 1945 et le second en philosophie obtenu en octobre de la même année. Ce double baccalauréat est la marque de la grande curiosité intellectuelle et de la volonté de Cheikh Anta Diop de se doter d’une double formation en sciences exactes et en sciences humaines. Cette option s’avérera décisive plus tard dans son combat. Quand il dira, des années plus tard, s’adressant à des étudiants : « armez-vous de sciences jusqu’aux dents », c’est parce que lui-même en avait donné l’exemple.


 

 

Il voulait devenir ingénieur en construction aéronautique

 En France, le premier combat que l’auteur de Nations nègres et cultures a mené, c’est celui du droit à la parole. Dans une France au milieu des années 1940 où l’on dénie toute civilisation aux noirs, Cheikh Anta Diop devait se battre contre tous pour avoir droit de cité afin de faire tomber ces théories à la limite racistes. Selon le Pr Aboubacry Moussa Lam, le choix de Cheikh Anta Diop de faire Histoire est loin d’être délibéré. « Il voulait devenir ingénieur en construction aéronautique mais il a constaté qu’il y avait une idéologie coloniale qui fonctionnait de manière à écraser le colonisé. Il en était choqué et a donc décidé de se consacrer à l’histoire qu’il estimait être le combat le plus important pour la réhabilitation de la conscience noire », expliquait-il en 2013 lors d’une table-ronde consacrée à l’œuvre du parrain de l’Ucad.


Deux thèses qui seront d’abord rejetées par la Sorbonne...

C’est ainsi que Cheikh Anta Diop s’est lancé dans l’écriture de deux thèses qui seront d’abord rejetées par la Sorbonne avant d’être acceptées en 1960. Mais entre-temps, son livre Nations nègres et cultures publié en 1954 avait fait l’effet d’une bombe. Ce livre est en fait le texte des thèses principales et secondaires destinées à être soutenues à la Sorbonne en vue de l’obtention du Doctorat d’Etat ès Lettres; mais aucun jury ne put être constitué. Aimé Césaire dira à propos de ce livre qu’il est « le plus audacieux qu’un nègre ait jusqu’ici écrit et qui comptera à n’en point douter dans le réveil de l’Afrique ».




Un homme d’une grande probité intellectuelle

 Au prix de deux thèses donc et contre vents et marées, Cheikh Anta Diop, fort de son titre de Docteur, a droit au chapitre. Le reste, on le sait, Cheikh Anta Diop, à travers colloques, conférences, articles et ouvrages, démontrera à chaque fois l’antériorité des civilisations noires sur toutes les autres. De l’Afrique en dehors de l’histoire, il remet ce continent au centre de l’histoire. Il a réussi à inverser les rôles. De l’Afrique qui n’avait pas d’histoire, on parle maintenant de l’Afrique berceau de l’humanité. « Cheikh Anta Diop a montré qu’il y avait une unité culturelle en Afrique malgré les apparences et que c’est sur ce socle de l’unité culturelle africaine qu’il nous faut bâtir l’avenir de l’Afrique », ajouté le Pr Lam.

 Le Recteur d’alors de l’Ucad, Saliou Ndiaye, renchérissait en ces termes : « Cheikh Anta Diop est un homme d’une grande probité intellectuelle qui avait de l’ardeur dans le travail et a été de tous les combats, culturels comme politiques de l’Afrique sous tutelle coloniale comme de l’Afrique indépendante. Un homme qui a montré de la ténacité dans l’adversité ».

 Quant à Théophile Obenga, dans son ouvrage « Cheikh Anta Diop, Volney et le Sphinx », a eu ces propos : « En refusant le schéma hégélien de la lecture de l’histoire humaine, Cheikh Anta Diop s’est par conséquent attelé à élaborer, pour la première fois en Afrique noire, une intelligibilité capable de rendre compte de l’évolution des peuples noirs africains, dans le temps et dans l’espace (…) ».

 Certes l’homme n’est plus de ce monde depuis 30 ans, mais sa pensée, elle, est restée et continue même de coller à l’actualité. Aussi bien sur le plan politique, culturel que linguistique, Cheikh Anta Diop a légué à la postérité un œuvre monumental qui permet de lire le présent.

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