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Comprendre la crise d’une destination touristique


Rédigé par leral.net le Jeudi 26 Février 2015 à 07:02 | | 0 commentaire(s)|

Comprendre la crise d’une destination touristique
Les prescriptions du Président Macky SALL, pour soulager les entreprises touristiques sur le plan fiscal, les mesures consistant à réduire les taxes aéroportuaires sont salutaires et les concernés l’ont dit clairement. Toutefois, il me semble nécessaire de comprendre en profondeur la crise de la destination Sénégal avant la mise en œuvre des solutions. Aujourd’hui, les crises se multiplient. La crise pourrait bien devenir la norme, et la gestion des crises un savoir-faire stratégique pour une destination touristique. La question se pose alors de savoir s’il y a un « apprentissage » de la crise ou si chaque crise est unique et qu’il n’y a pas de « modèle » pour la gérer.

Les destinations touristiques sont souvent démunies car peu de recherches ont été faites sur ce thème. Les mesures s’inspirent de celles que prennent les entreprises dans des crises, en général, à cause interne (défaut sur un produit ou un fournisseur), qui ne sont pas extrapolables aux organisations complexes. Mais il y a crise et crise, la gestion des crises ne se limite pas à la gestion « pendant » mais aussi « avant » et « après » et les conséquences d’une crise peuvent être positives pour une destination.

Il y a crise et crise… On peut classer les crises suivant trois paramètres : leur prévisibilité, leur intensité et la vulnérabilité à la crise.

1. La question de la « prévisibilité » de la crise

On parle, en général, des crises dues à des événements extérieurs « imprévisibles » : épidémie Ebola récemment dans la sous région, fièvre aphteuse au Royaume-Uni en 2001), terrorisme et violence politique (11 septembre aux USA, attentats contre les touristes en Egypte de 1990 à 1998, guerre civile au Sri Lanka de 1945 à 2001, la guerre en Yougoslavie de 1991 à 1995), catastrophes naturelles (tremblement de terre à Izmir en 1999), ou vague de criminalité (Afrique du Sud de 1999 à 2000).

Mais l’origine de la crise peut être aussi interne à la destination. Elle est, dans ce cas, théoriquement « prévisible ». Un lent processus de dégradation de l’environnement et de sur-urbanisation (cf. Baléares), une chute de qualité des prestations (cf. Saly Portudal), des erreurs stratégiques (situation de mono-clientèle ou de mono-produit comme la Tunisie avec, encore, le balnéaire très dominant) des dérives de positionnement marketing non maîtrisées (avec 3 200 chambres supplémentaires en construction, l’île Maurice, va-t-elle demeurer « haut de gamme » ?).

L’Afrique de l’Ouest est en crise permanente parce que ne sont résolus ni les problèmes de transport à prix prohibitif (en dehors de la Gambie et du Cap-Vert), ni ceux de la sécurité ou de l’hygiène. Du moins est-ce l’image donnée par les événements de Sierra Leone, du Libéria, de la Casamance ou, plus récemment, de la Côte d’Ivoire.

La candidature de la Turquie à l’Union européenne parasite en ce moment largement sa communication touristique. L’afflux de circulation des camions venant de Pologne dans les Monts métallifères en Tchéquie a tué le tourisme de cette région. Une partie du succès de la Cité de l’Europe est liée au différentiel fiscal entre la France et la Grande-Bretagne sur les alcools et les cigarettes.

Des destinations voient leur image se détériorer parce que le climat social est délétère (succession de grèves dans les transports, les services publics…) : l’Italie, il y a quelques décennies, la Corse avec les grèves de la SNCM ou les Antilles encore récemment ont été dans ce cas. Il s’agit là de la chronique d’une crise annoncée.

La Commission européenne a pris conscience de l’importance de ces crises et a mené une réflexion sur les systèmes d’alerte précoce permettant d’identifier les destinations touristiques en déclin.

Cette réflexion fait clairement apparaître que les gestionnaires de destination se tournent donc essentiellement vers les clientèles pour juger et traiter des situations de « crise de déclin », en se posant beaucoup moins la question de l’offre touristique, de sa qualité, de son attractivité… ce qui est pourtant ce qu’ils maîtrisent en théorie le mieux. Ainsi, le plus souvent, le premier indicateur de crise est la diminution de la fréquentation touristique ce qui en dit long sur la « précocité » de l’alerte.

Tout se passe donc comme si l’on s’intéressait plus aux symptômes, qu’à la maladie elle-même et des crises pourtant prévisibles éclatent, ainsi à la grande surprise de destinations qui auraient pu (dû ?) les voir venir.

Globalement, on peut dire qu’il y a des crises brutales, à déclenchement aléatoire, et d’autres qui durent longtemps et créent un halo négatif autour des marques de la destination. La situation étant instable, un incident même mineur peut précipiter les choses et transformer cette crise larvée en crise brutale. C’est le cas d’Israël, des Philippines et du Sri Lanka. Mais, à un titre moindre, des régions françaises comme la Corse ou bien la Martinique-Guadeloupe sont dans ce cas.

1.2. La question de l’intensité de la crise

Le niveau d’alerte des forces armées est classé aux Etats-Unis suivant le niveau DEFCON (DEFence readiness COnditions), depuis le niveau 5 (disponibilité normale en temps de paix) jusqu’au niveau 1 (disponibilité maximum). Certains experts proposent que la même gradation soit utilisée pour les crises de destinations touristiques (DESTCON) ou Destination Touristiques COnditions .

Le poids des médias, notamment ceux de l’audiovisuel, mais aussi la méfiance envers les institutions ; les associations de consommateurs, la compression des temps de décision et d’action et surtout l’Internet sont des facteurs d’accélération des crises.

1.3. La question de la vulnérabilité des destinations

Chaque activité porte en elle un risque de crise : un pétrolier « peut » faire naufrage, un avion « peut » s’écraser, une usine chimique « peut » exploser, un tremblement de terre « peut » se produire… L’ensemble de ces risques est pris en compte par des politiques sectorielles, au Sénégal (ORSEC) comme dans la plupart des autres pays.

A la différence de ces secteurs économiques, le tourisme subit en général une crise par ricochet.
En effet, le tourisme n’est pas en soi une activité à risques. Peu de crises ont pour origine l’activité touristique en elle-même, mais celle-ci est très réactive à toute crise qui pourrait venir perturber son cadre de fonctionnement. Les touristes réagissent aux risques (réels ou supposés) qu’ils anticipent sur tel ou tel territoire.

Quand on parle de crise et de prévention de crise, on fait appel à la notion de « risque pays ». Celui-ci est évalué à l’instant « t » et/ou sur un plus long terme à travers des scénarii géopolitiques et stratégiques. Les indicateurs quantifiés de « scores risque » sont élaborés par des entreprises privées telles le BERI (Business Environnement Risk). Il existe des approches plus qualitatives comme « la matrice risque » de la COFACE.

Bien entendu, si le risque économique (évolution des taux de change…) est évaluable, le risque politique lié aux composantes culturelles, sociales, religieuses… est plus difficile à cerner. Quant aux risques naturels et aux défaillances technologiques, ils sont évidemment aléatoires.

Ajoutons que « les risques d’opinion » sont déterminants pour les destinations touristiques sur les sujets de sécurité des biens et des personnes et de l’environnement. La crise est ainsi amplifiée par le jugement que porte l’opinion sur la manière dont la crise est gérée. L’opinion décide si c’est une crise ou non et de son intensité.

Une crise a d’autant plus d’impact sur l’image d’une destination et sur sa fréquentation touristique que cette destination est un produit « banal » et donc « délocalisable ». Ainsi, après les attentats en Egypte, la fréquentation touristique a fortement chuté puis est repartie. Les efforts de sécurisation des sites engagés par le gouvernement égyptien ont joué un grand rôle, mais le fait que l’offre culturelle égyptienne, soit unique au monde rendait cette destination incontournable.

A l’inverse, des destinations balnéaires plus traditionnelles ont sans doute beaucoup plus de difficultés à faire revenir leur clientèle touristique après une crise majeure. La clientèle balnéaire peut en effet se reporter très facilement sur d’autres destinations jugées plus « sûres ».

Avoir une image forte favorise l’appropriation des informations par les auditeurs, lecteurs et téléspectateurs. Les destinations qui sont dans ce cas sont donc surexposées. Mais si l’image ne protège pas des crises, elle est un atout pour en sortir moins déstabilisé.

Cette réflexion sur la crise d’une destination touristique rend compte de la complexité de la question et appelle nos décideurs à plus de rigueur dans les choix des réponses à apporter. Dans une prochaine intervention nous reviendrons sur la diversité des mesures de gestion de la crise d’une destination touristique.

Dr Bassirou NIANG