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Débat sur le projet de réforme des Institutions : Le conseil constitutionnel a rendu une décision et non un avis - Par Me Boucounta Mendy

Rédigé par leral.net le Jeudi 25 Février 2016 à 08:45 | | 0 commentaire(s)|

DÉBAT SUR LE PROJET DE REFORME DES INSTITUTIONS : Le conseil constitutionnel a rendu une DÉCISION et non un avis
Le message à la Nation du Président de la République du 16 février 2016 lui a permis de livrer aux Sénégalais le contenu de la réponse du Conseil constitutionnel,suite à sa saisine sur le fondement de l’article 51 de la Constitution. Ce message asuscité par la suite beaucoup de débats et de polémiques dans notre pays,notamment concernant le choix de la procédure de révision. D’aucuns pensent qu’ildevait choisir la procédure prévue à l’article 103. En principe, il ne doit pas y avoirdiscussion puisque le Président dispose en la matière un pouvoir discrétionnaire. A supposer qu’il choisisse cette voie et que sa majorité parlementaire (BBY)qui a toujours montré une certaine hostilité à la réduction de son mandat s’y oppose,ou que l’on ne puisse pas avoir la majorité qualifiée parce que les membres de sonparti ne sont pas d’accord, le projet de loi ne sera pas adopté. La majorité peutégalement amender le projet sur l’applicabilité du mandat en cours mais l’on diraque cela a été fait de concert. Le Président de la République a alors choisi d’utiliser laprocédure de l’article 51 afin de demander avant toute saisine du peuple, l’avis de lajustice constitutionnelle, c’est-à-dire du Conseil Constitutionnel, juridictionspécialisée et exclusivement compétente entre autres pour apprécier la conformitédes lois à la Constitution.Avant d’en arriver à l’objet de notre réflexion, il serait intéressant de nousattarder un peu sur la compétence du Conseil constitutionnel. En effet, celui-ci a surce point décidé qu’il était compétent pour connaitre des lois portant révision de laConstitution. En le faisant, le Conseil étend sa compétence lorsqu’il affirme qu’il netire cette compétence ni de la Constitution, ni de la loi organique 92-23 du 30 mai1992 qui fixe ses attributions, mais qu’il a plutôt la latitude d’exercer un contrôleminimum sur le projet de révision qui lui est soumis dans le cadre de la procédureprévue à l’article 51. Dans le cadre de ce contrôle minimum, le Conseil précise qu’ilexamine la régularité de la procédure suivie, la forme du texte, et au fond, le respectdes limites fixées par la Constitution. Ceci, dans le cadre d’un contrôle préventif pourvérifier la conformité du projet de révision à l’esprit de la Constitution et auxprincipes généraux du droit. En prenant une telle décision pour se déclarer compétent, le Conseil a faitun revirement jurisprudentiel spectaculaire que la doctrine ne manquera pas desouligner, puisqu’il s’est toujours déclaré incompétent lorsque la matière dont ilest saisi ne relevait pas de ses compétences. C’est une jurisprudence qu’il fautsaluer, puisqu’à l’avenir il ne se déclarera plus incompétent, puisqu’il qu’il acceptemaintenant d’aller au delà de ses compétences légales pour statuer. Il pourra ainsi, àl’image de son homologue français, étendre le bloc de constitutionnalité de par sajurisprudence. Sur le fond, le Conseil a entre autres, décidé que le Président de la Républiquene pouvait appliquer la réforme à son mandat en cours. Une décision non surprenante parce que conforme à la pratique constitutionnelle qu’il n’a pas manqué de soulever. En effet, en 2001, la révision constitutionnelle prévoyait de faire passer lemandat de 7 à 5 ans, mais cette disposition n’a pas été appliquée au mandat en coursdu Président Wade, qui a finalement fait 7 ans. De même, la loi de révisionconstitutionnelle 2008-66 du 21 octobre 2008 faisait passer le mandat présidentiel de 5à 7 ans, mais le Président Wade réélu en 2007 n’a encore une fois pu bénéficier decette réforme puisqu’il a fait un mandat de 5 ans. Ces précédents qui ont marqué l’histoire constitutionnelle de notre pays nesauraient être ignorés. S’y ajoute l’instabilité juridique et institutionnelle que celapourrait provoquer. C’est donc à bon droit que le Conseil a décidé que le Présidentactuel ne pourrait pas appliquer le quinquennat à son mandat en cours. Cependant, le Conseil a accepté la limitation du mandat à 2 et le retour auquinquennat. D’où l’importance du référendum.En effet, le référendum s’impose dans cette procédure de révision et non pasla voie parlementaire, puisque pour verrouiller la durée et le nombre de mandats, ilfaut impérativement passer par le référendum. Le référendum a toujours son sens.D’aucuns peuvent toujours débattre de la date choisie, mais là aussi le Présidentdispose d’un pouvoir discrétionnaire.On attendait la classe politique et les Sénégalais sur un débat de fond et nondans une polémique stérile « avis ou décisions » que je tenterais d’éclairer. On a l’impression que dans cette affaire, une partie de la classe politique nes’intéresse qu’au départ du Président du pouvoir et non à l’intérêt du Sénégal.Sinon comment comprendre tout ce débat après que le Président ait accepté ladécision du Conseil Constitutionnel. Comment peut-on demander au Président de laRépublique de violer la Constitution pour respecter une promesse électorale parmitant d’autres ? Une partie de la classe politique et certains individus qui se disent constitutionnalistes devraient scruter le FOND de la décision du Conseil et non opter pour la facilité et la politique politicienne en disant que c’est juste un avis, sans fondement juridique. En vérité, le Conseil constitutionnel ne rend QUE des décisions.Lorsque l’on parcourt la loi organique 92-23 du 30 mai 1992 relative au Conseilconstitutionnel, modifiée par la loi 99-71 du 17 février 1999 et par la loi 2007-03 du12 février 2007 et particulièrement les article 1,2,3 du Titre 1 relatif aux compétencesdu Conseil constitutionnel, il n’est nullement fait mention de compétenceconsultative. Le Professeur Serigne Diop, même s’il déclare que le Conseil a donné un avis qui ne lie pas le Président, reconnait a contrario l’absence de compétence consultative du Conseil constitutionnel dans sa déclaration parue dans le journal L’Observateur du lundi 22 février 2016, lorsqu’il affirme que « d’une manière générale,les organes assimilables au Conseil constitutionnel ont des compétences contentieuses et des compétences consultatives. C'est-à-dire qu’on peut leur demander de trancher une questionde droit, on parle dans ce cas, de contentieux, de litige. Ou bien, on leur demande de donner un avis sur une question ». Le Professeur reconnait indirectement que le Conseil constitutionnel sénégalais n’a pas de compétence consultative puisqu’il parle de manière générale d’organes assimilables, sans viser un article précis de la loi organique 92-23 qui fixe les attributions du Conseil Constitutionnel.On ne peut pas donc sur cette base dire que le Conseil a donné un avis,simplement parce qu’il a dans son dispositif dit : « Par ces motifs est d’avis que ».Suivant la même logique, on pourrait aussi lui rétorquer que le Conseil n’a pasdit Avis N°xxx, mais Décision N°01/C/2016. On pourrait également lui rétorquerqu’à la fin de l’acte, le Conseil fait état d’une mention qui figure dans tous lesjugements, arrêts et décisions des juridictions sénégalaises, à savoir : « En foi de quoi,la présente décision a été signée par le Président, le Vice-président, les autresmembres du Conseil et le Greffier en chef ».La signature de ce dernier donne à l’acte un caractère juridictionnel puisqu’iln’est pas membre du Conseil, mais la loi lui fait obligation de contresigner toutes lesdécisions de justice sous peine de nullité. On ne peut ainsi donc ne pas parler dedécision.Il est vrai que l’article 51 parle d’avis. Toutefois, même s’il s’agit d’un avis, leConseil n’ayant pas de compétence consultative et sa procédure n’ayant rien prévuen la matière, il rend une Décision. C’est là où se trouve l’amalgame ! Dans le titre 3intitulé de la procédure devant le Conseil constitutionnel en son article 13, il estsimplement mentionné : « le Conseil constitutionnel entend le rapport de sonrapporteur et statue sur une décision motivée. La décision est signée du Président,des autres membres du conseil et du Greffier en chef ».

IL NE DIT RIEN SUR LA PROCÉDURE CONSULTATIVE.
Le Conseil constitutionnel a donc rendu une décision et non un avis. Et les décisionsdu Conseil constitutionnel, d’après l’article 92 de la Constitution s’imposent auxpouvoirs publics, et au premier chef, au Président de la République.A supposer qu’il soit un avis, la courtoisie républicaine voudrait que de tels avissoient respectés par les pouvoirs publics.Maintenant, pour éviter cet amalgame et pour créer une harmonie entre l’article 51 etles compétences du Conseil constitutionnel, une réforme de ce dernier s’impose. Ilfaudra déterminer de manière claire les compétences consultatives du Conseil, touten précisant si les avis qu’il rend sont des avis conformes ou pas. Cela donnerait plusde clarté à ses compétences.La réforme gagnerait aussi à revoir la nomination des juges pour donner plus de légitimité au Conseil constitutionnel en permettant au Président de la République d’en nommer 3, le Parlement 2 et le pouvoir Judiciaire 2 pour marquer l’équilibre des pouvoirs. Concernant les compétences du Conseil, il me semble inutile de l’étendrepuisque la juridiction constitutionnelle n’est limitée par aucune juridiction. Elle peut construire une jurisprudence qu’elle impose aux pouvoirs publics à l’image du juge constitutionnel français qui s’est adapté aux contingences politiques, à l’évolution des régimes politiques et de la Constitution européenne par sa jurisprudence dans l’intérêt de la consolidation de nos institutions et de notre démocratie.
Me Boucounta Mendy Docteur d’Etat en Droit public