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Dimension socioreligieuse du Gamou de Tivaouane

Rédigé par leral.net le Lundi 20 Janvier 2014 à 17:21 | | 0 commentaire(s)|

Dimension socioreligieuse du Gamou de Tivaouane
Étymologiquement, le Gamou signifie la célébration de la naissance d’un enfant ou de l’arrivée au monde d’un nouvel membre d’une société. Étant donné que « L’homme est naturellement un animal politique » comme l’a déclaré Aristote, c'est-à-dire un être contraint à vivre en communauté, la raison humaine ne peut guère concevoir sa vie en dehors d’une société. C’est pour cette raison, à chaque fois que nait un enfant, on célèbre la naissance par ce qui est convenu d’appeler Gamou ou Mawloud. Ce qui en fait une fête pour les autres membres de la société qui ont la lourde mission de socialiser l’enfant, en le civilisant, en l’islamisant ou christianisant, en l’hébraïsant ou sécularisant, etc. Cette fête est tantôt célébrée le jour de la naissance de l’enfant, tantôt le septième jour de sa naissance, tantôt on la diffère. Mais, il est inconcevable que la naissance d’un enfant ne soit pas fêtée.
Concernant le Prophète Mouhamed, El Hadji Malick Sy nous rapporte dans le Xilaas az-Zahab que sa naissance a été une fête non seulement pour tous les hommes de bien, mais aussi pour les bêtes sauvages et les poissons de la mer. Ainsi dit-il « (Le jour de sa naissance), les bêtes sauvages de l’Est et de l’Ouest se sont rencontrés, ainsi que les poissons de la mer dans l’enchantement total ». Les Anges ont également célébré la venue au monde du Prophète Mouhamed et le septième jour de sa naissance, c’est son grand père Abdoul Moutallib qui a immolé son mouton de sacrifice.
Des siècles plus tard, des sages ont pensé que la naissance de cet illustre homme devrait être commémorée annuellement. Les sources écrites ont révélé que les Obeïdites, qui sont des descendants du Prophète Mouhamed, sont les premiers à célébrer l’anniversaire de sa naissance. Mais cette cérémonie se limitait dans la cour royale. Et d’après Abderrahmane as-Souyouti, c’est le roi de Irbil, un sage, pieux et brave homme nommé al-Mouzaffar Aboû Sahîd al-Koukbarî Ibn Abî Hassan (né en 549- mort en 630) qui est le premier à le commémorer en public à la fin du VIème siècle de l’Hégire, en invitant les Musulmans pour qu’ils procèdent à la récitation du Coran, chantent des hagiographies dédiées au Prophète Mouhamed et distribuent gratuitement de la nourriture aux indigents. Des érudits, des Soufis, des prédicateurs, des lecteurs du Coran, des poètes, etc., venaient des différents coins de l’Irak pour assister à la cérémonie. C’est la thèse défendue par Abderrahmane as-Souyouti dans une longue lettre intitulée Husnu al-Maxsid Fii ‘Amali al-Mawlid (La noble intention dans la célébration du Mawloud) intégrée dans son ouvrage al-Haawii Lil-Fataawaa.
Au Sénégal, plus précisément en milieu Wolof, la célébration du Gamou ne date pas comme on pense du début du XXème siècle, mais de fort longtemps ; toutefois elle n’avait pas une dimension religieuse. Elle ne relevait pas du sacré, mais du profane. Elle était une fête au cours de laquelle tout était permis : on y battait le tam-tam, chantait, dansait et buvait de l’alcool ; les hommes y fréquentaient à volonté les femmes. C’est par extrapolation que le mot Gamou est utilisé dans le cousinage à plaisanterie, au point que le Sérère est devenu le Gamou du Diola et du Peul. D’après les règles sociales, l’homme sénégalais a l’obligation de tout supporter venant de son Gamou.
Cette cérémonie, pourtant profane à l’origine, est devenue au début du XXème siècle un maillon essentiel dans la stratégie de vulgarisation de l’Islam d’El Hadji Malick Sy. C’est l’unique commémoration qu’il a choisie pour ses disciples. Il a certes conservé l’aspect ludique de l’anniversaire de la naissance du Prophète Mouhamed dans la mesure où selon lui « La joie obtenue le jour de la naissance du guide de l’humanité s’est généralisée dans ce mois et au cours de cette année, faisant ainsi du jour, du mois et l’année de sa naissance des moments de fête ». Seulement pour El Hadji Malick Sy, l’anniversaire de la naissance du Prophète Mouhamed ne doit être honoré que selon des règles définies par l’Islam. C’est cette lecture que nous avons de ce vers suivant : « Commémorez la nuit de la naissance du Prophète Mouhamed à condition qu’elle ne mène pas vers l’interdit ». Par conséquent, il a entrepris à donner au Gamou de Tivaouane des dimensions sociale, mystique, culturelle, scientifique, géostratégique et économique. Il lui a donné une dimension qu’il n’a jamais eue, nulle part ailleurs. Il en fait une institution gravée dans la mémoire collective des Sénégalais, un évènement « entré dans les mœurs de la communauté musulmane sénégalaise au point de devenir l’un des évènements majeurs du calendrier musulman.[[1]]url:#_ftn1  » Avant lui, des hommes tels qu’El Hadji Mouhamadou Zeyni Ba de Hayré Lao, El Hadji Omar al-Foûti Tall, Cheikh Mouhamed Bounama Kounta de Ndiassàne, El Hadji Madior Goumba Cissé de Saint-Louis ont eu à le commémorer, mais loin de la dimension que lui a donné El Hadji Malick Sy.
Par ailleurs, nous concevons le Gamou comme étant l’ultime étape d’une stratégie adoptée par El Hadji Malick Sy dans sa vulgarisation de l’Islam, une stratégie que nous appelons « politique de déconcentration». Cette politique est axée sur trois points : l’ouverture de centres d’enseignement islamique ; la construction de Zawiya et l’organisation du Gamou. Vu les circonstances sociopolitiques de la fin du XIXème qui étaient défavorables à la classe maraboutique, El Hadji Malick Sy devait commencer son apostolat par l’ouverture de centres d’enseignement islamique. En effet, à cette époque les autorités coloniales avaient déjà combattu, muselé et neutralisé les chefs guerriers Ceddo (Lat Dior Diop, Alboury Ndiaye, Samba Laobé Fall, etc.) et les marabouts conquérants (El Hadji Omar al-Foûti Tall, Maba Diakhou Ba, Ahmadou Cheikhou Tall, Mamadou Lamine Dramé, etc.). Maodo étant conscient de son investiture d’une mission et de la nécessité de la réussir devait être réaliste, méticuleux et s’accommoder à la politique des autorités coloniales. Il avait la lourde mission de parachever la mission d’El Hadji Omar Tall, mais en adoptant une stratégie autre que celle adoptée par ce dernier. El Hadji Omar Tall devait labourer le champ de réislamisation du Sénégal par le glaive, Maodo devait quant à lui semer la graine par le biais de la conquête des consciences, à travers l’ouverture des daara, la construction de Zawiya et l’organisation du Gamou. Cette trilogie devait lui permettre d’enrayer la politique d’assimilation et d’asservissement mental et spirituel des Sénégalais élaborée par les autorités coloniales.
L’apostolat d’El Hadji Malick Sy devait ainsi débutée en 1883 à Ndombo Allàrba par l’ouverture des daara qui était la phase la moins onéreuse puisqu’elle n’était soumise qu’à une autorisation délivrée par le gouverneur ; or jusqu’en 1903, cette disposition ne concernait que les maîtres coraniques résidant dans les quatre communes à savoir Saint-Louis, Dakar, Rufisque et Gorée. Ce qui implique que les maîtres coraniques résidant hors des quatre communes pouvaient, avant 1903, ouvrir une daara sans aucune autorisation. Ce n’est qu’à travers l’arrêté du 15 juillet 1903 que les mesures de réglementation des daara sont étendues sur l’ensemble du territoire sénégalais. Or, El Hadji Malick Sy a vécu peu d’années en tant que maître coranique de renommée à Saint-Louis. Cette phase est d’une importance capitale dans la stratégie de vulgarisation de l’Islam d’El Hadji Malick Sy car devant lui permettre de formater l’esprit de ses adeptes et de leur inculquer les valeurs et enseignements de l’Islam. Á travers cette stratégie, il voulait former non pas des Musulmans qui pratiquent les rites aveuglement sans aucune base scientifique, mais des adaptes imbus des valeurs et enseignements de l’Islam puisque, « Science sans pratique, c’est de la folie ; mais, pratique sans science est impossible[[2]]url:#_ftn2  », comme l’a déclaré Aboû Hamid al-Ghazali.
Suite à l’ouverture et la vulgarisation des centres d’enseignement islamique, El Hadji Malick Sy a procédé à la construction des Zawiya pour permettre aux fidèles d’honorer leurs pratiques cultuelles en public et faciliter leurs rencontres. Mais avant de dérouler cette phase, il devait former scientifiquement et spirituellement des disciples qui vont présider aux offices dans ces Zawiyas, se doter de ressources économiques consistantes et maîtriser la carte géopolitique du Sénégal afin de les construire dans les endroits propices. Les nombreux déplacements qu’il a effectués durant son long cycle d’apprentissage des sciences religieuses lui ont donné cette opportunité. Il connaissait plus que tout autre sociologue ou psychologue la mentalité, les mœurs, les coutumes, les habitudes et les interactions des Sénégalais.
D’ailleurs, El Hadji Malick Sy n’est-il pas celui qui a écrit dans Xantaratu al-Muriid : « Toi qui désires suivre les conseils d’un prédicateur, je t’en donne cinq à tenir en compte au moment de transmission d’un message. (…). Il faut tenir compte du motif du message, de son époque, de la manière, de la durée et du lieu de sa transmission[[3]]url:#_ftn3  ». Suivant lui-même ces conseils, il a installé ses Zawiyas au plein cœur du dispositif colonial. Sa première Zawiya a été construite en 1893 à Saint-Louis qui était la capitale du Sénégal à l’époque et le lieu de rencontres des grands érudits sénégalo-mauritaniens. La deuxième Zawiya a été bâtie en 1904 à Tivaouane au plein cœur du Cayor où devait passer le chemin de fer reliant Dakar et Saint-Louis et qui constituait la province où devait provenir la plupart des cadres de l’administration coloniale. La troisième Zawiya a été établie à Dakar qui était la province des Lébou, une ethnie très influente à cette époque, la capitale de l’Afrique Occidentale Française à partir de 1902 et le lieu d’implantation des grands commerçants sénégalais de l’époque.
L’ultime étape du prosélytisme d’El Hadji Malick Sy a été l’organisation du Gamou dont la première édition a été célébrée à Tivaouane en 1902. Cette manifestation devait mobiliser les masses, les occuper, les préserver de la politique civilisatrice des autorités coloniales et créer les conditions d’un grand rassemblement dans la solidarité et la fraternité. El Hadji Malick Sy savait que s’il ne choisit pas lui-même une date et une cérémonie pour ses disciples, ces derniers en choisiraient d’autres. Ils vont célébrer l’anniversaire de sa naissance, de sa mort, de son retour de la Mecque, de son installation à Tivaouane, etc. Or pour lui, il n’y a que l’anniversaire de la naissance du Prophète Mouhamed qui mérite d’être exalté. Et Tivaouane devait pour paraphraser Rawane Mbaye « devenir le centre intellectuel et spirituel par excellence qui accueillait la mise en application et la vulgarisation des enseignements de El Hadji Malick Sy au profit des masses surtout.[[4]]url:#_ftn4  » Il devait être la Médine d’El Hadji Malick Sy, la ville où elle parachève sa mission à l’image de Médine où le Prophète Mouhamed a accompli la sienne. Maodo a sublimé son Gamou au point que les Sénégalais ont oublié le caractère profane qu’avait cette manifestation. Il l’a passé du statut de fait culturel à un fait religieux. Il en fait un évènement conforme à la fois à la Chari‘a et à la Haxiixa au point qu’à chaque fois que le mot Gamou est prononcé, on pense de prime abord à El Hadji Malick Sy, à Tivaouane, à ses Muxaddam, à ses disciples.
Maodo avait auparavant organisé en compagnie d’El Hadji Rawane Ngom un Gamou à Santhie Aly Ngom, à 4 kilomètres de Mpal, vers 1895, mais ce n’était pas sous la forme qu’elle a de nos jours. Devant commémorer et exalter la gloire et les mérites du Prophète Mouhamed, ils avaient procédé à la récitation du Coran dans la mesure où ils étaient conscients, comme l’a rapporté Aϊcha, que « Le Coran constitue les qualités morales du Prophète Mouhamed ». Lors de cette célébration, El Hadji Malick Sy récitaient les deux premières parties du Livre du Coran de la Sourate al-Faatiha à la sourate al-Kahfi ; El Hadji Rawane Ngom récitait les deux dernières parties du Livre du Coran de la sourate Maryaam à la sourate an-Naasi.
El Hadji Malick Sy voulant donner au Gamou un cachet particulier, une dimension exceptionnelle, une étape décisive dans son apostolat, il a attendu le moment propice, c’est à dire en 1902, pour l’initier. Il ne pouvait pas l’organiser à Ndombo Àllarba ou à Ngàmbu Thillé puisqu’à l’époque où il y vivait il ne disposait pas encore suffisamment de Muxaddam qui devaient venir écouter le message qu’il leur transmettait lors de cette cérémonie. Il ne pouvait pas non plus l’organiser à Ndiarndé, au risque de susciter la réaction des autorités coloniales qui se méfiaient de la moindre rencontre de la classe maraboutique au XIXème siècle. Ce n’est qu’à Tivaouane, après avoir formé suffisamment de Muxaddam et de disciples, noué de solides relations avec les grands dignitaires et notables de Saint-Louis, de Dakar, de Rufisque et de Tivaouane, gagné la confiance des autorités coloniales et convoqué « une réunion de concertation avec quelques notables de sa génération sans tenir compte de leur appartenance confrérique[[5]]url:#_ftn5  » pour leur informer de sa volonté d’organiser un Gamou qu’il a initié la commémoration de cette manifestation. Il invitait tous les Muxaddam et leurs disciples à venir répondre à son appel. D’après nos informations, il n’y a qu’El Hadji Rawane Ngom qui était autorisé à le célébrer à Mpal, le jour de la naissance du Prophète Mouhamed. Tafsîr Abdou Cissé le célébrait le septième jour de la naissance du Prophète Mouhamed.
El Hadji Malick Sy magnifiait à travers le Gamou la grandeur de l’élection et la sublimité des qualités morales du Prophète Mouhamed. Il se souvenait de ses enseignements et de ses qualités morales. Il incitait les Musulmans à méditer sur le Prophète Mouhamed et leur poussait à se familiariser aux poèmes qui lui sont dédiés. Or, jusqu’à la fin du XXème siècle, les poèmes les plus célèbres qui lui étaient dédiés sont le Burdatu al-Madiih et le Hamziya de Mouhamed al-Bousayrî, le recueil d’Ibn Mouhayyib et le al-Badi‘h d’El Hadji Madior Goumba Cissé. Mais El Hadji Malick Sy a lui-même composé des poèmes dédiés au prophète Mouhamed dont les plus célèbres sont : Xilaas az-Zahab, le Riyu az-Zamaan fii Mawlidi Banii ‘Adnaan, le Abadaa Buruux, Laxad Haaja Xalbii, etc. Ces poèmes sont destinés à faire connaître aux Musulmans la vraie nature du Prophète Mouhamed afin qu’ils puissent l’imiter et suivre ses traces. Car El Hadji Malick Sy, en sa qualité de sociologue, savait qu’un homme ne peut suivre que celui dont il connait les comportements et qualités morales et intellectuelles. Et en rappelant les comportements, les habitudes, les relations interpersonnelles du Prophète Mouhamed, on incite les Musulmans à l’aimer et suivre ses traces. Alors que c’est lui qui disait « Certes, je suis envoyé pour parachever les nobles qualités morales ».
De nos jours, les sociologues, les historiens, les spécialistes des sciences humaines et sociales sont conscients que le monde est dans une profonde période de désenchantement, de crises morale, politique, familiale, financière, économique, sociale, écologique, etc. La faillite des banques est fréquente ; les familles se disloquent ; les guerres se prolifèrent. Et toutes ses crises ont un seul dénominateur commun qui est la crise des valeurs morales. Alors qu’on ne peut guère enrayer cette crise qu’en retournant aux nobles valeurs prêchées par le Prophète Mouhamed et à cette tâche que nous nous conviait El Hadji Malick Sy à travers le Gamou.  
En outre le Gamou avait une dimension purement scientifique et géopolitique. El Hadji Malick Sy profitait du 11ème jour du mois de Rabii‘h al-Awwal, communément appelé le jour de Noppalu pour recevoir les Muxaddam et tenir un séminaire avec eux afin qu’ils lui rendent compte de la situation sociopolitique et socioreligieuse de leurs localités et recueillir des orientations venant de lui. Ainsi par souci d’efficacité et de réussite de sa mission, il avait décentralisé l’administration de la confrérie Tijaaniyya ; il a retenu ses fils et certains de ses Muxaddam avec lui à Tivaouane et orienté d’autres vers leurs localités d’origine où ils ont plus de chances d’être acceptés par les autochtones. Il avait développé ce que le Gouverneur Amédée William Merlaud-Ponty (1866- 1915) appelait « la politique des races » qui « consiste à mettre les chefs indigènes dans leurs groupes ethniques ou alors dans leurs régions d’origine[[6]]url:#_ftn6  ». Le Gamou constitue l’occasion pour El Hadji Malick Sy de donner de nouvelles orientations à ses Muxaddam et disciples.
Le Gamou comporte également une dimension économique. Il a largement du développement du tourisme en faisant connaitre le Sénégal en général, Tivaouane en particulier à travers le monde. D’ailleurs combien sont les billets d’avion qui sont vendus le jour de la célébration du Gamou ? Combien de litres d’essence et de gasoil sont-ils vendus ce jour ? Combien sont les chauffeurs et les chauffeurs de cars de transport public qui se frottent les mains ce jour ? Combien sont les maçons, les menuisiers, les tailleurs, les ouvriers à qui on confie des travaux juteux durant le Gamou ? Ce jour constitue une foire, une traite pour de nombreux commerçants qui y profitent pour écouler leurs produits.
Enfin, le Gamou comporte une dimension affective et sociale. Il a contribué à l’entre-connaissance des disciples ; alors que Dieu dit : « Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez.[[7]]url:#_ftn7  » Cette entre-connaissance a des avantages multiples. Quelqu’un peut quitter Tivaouane pour se rendre en Gambie ; au lieu de réserver une chambre à l’hôtel, il peut être hébergé gratuitement par un condisciple qu’il a rencontré au Gamou de cette ville. De nombreux mariages, liens de parenté, amitiés sont nés de la célébration du Gamou. Aussi, les genres de manifestations telles que le Gamou ont largement contribué au renforcement de l’identité religieuse, islamique, confrérique des Sénégalais. Et cette identité constitue un bouclier à l’entrée et à la percée des mouvements intégristes et du terrorisme au Sénégal.
Des personnes ont tenté de contester la légitimité de la commémoration du Gamou, déclarant qu’il relève de l’innovation. Mais, Bayhakhi a rapporté dans son Isnaad des propos d’Imam as-Châfi’h qui a distingué deux sortes de Bid‘ha. Pour lui, il y a d’une part le Bid’ha al-Mustahsana (l’innovation bienfaisante) ; d’autre part le Bid’ha ad-Dalaala (l’innovation nuisible). Le Bid’ha al-Mustahsana est toute innovation conforme aux enseignements du Coran, de la Sunna, des Compagnons du Prophète Mouhamed et à l’Ijmaa’h. Le Bid’ha ad-Dalaala est quant à lui toute innovation qui n’est pas conforme au Coran, à la Sunna, aux enseignements des Compagnons du Prophète Mouhamed et à l’Ijmaa’h.
Le Gamou fait partie des Bid’ha al-Mustahsana. C’est également ce qu’a soutenu as-Souyouti dans sa lettre précitée où il a révélé qu’il n’y a aucun mal à ce que des Musulmans se regroupent pour réciter le Coran, faire les louanges du Prophète Mouhamed et distribuer des repas durant cette cérémonie. Cette pratique est selon lui à promouvoir comme l’a également déclaré Serigne Mansour Sy Dabakh qui, citant Docteur Mouhamed Ibn Alawî, disait, dans sa communication lors de célébration de la centenaire du Gamou que, « Il n’est pas une pratique religieuse, mais traditionnelle. Mais il s’agit d’une tradition bienfaisante et sainte qui renferme des trésors inestimables[[8]]url:#_ftn8 . »
D’ailleurs, il est prouvé que le Prophète Mouhamed avait l’habitude de jeuner le jour de lundi et lorsqu’on lui a demandé la cause il a répondu que parce que « c’est le jour de ma naissance et le jour où la révélation m’est parvenue ». Il est aussi prouvé qu’il a commémoré son anniversaire en égorgeant 63 chameaux durant le dernier pèlerinage à la Mecque qu’il a effectué correspondant à la célébration de ces 63 ans. Ce fait n’est-il pas une invite à la communauté musulmane à commémorer le Mawloud ? Et Dieu n’a-t-il pas dit dans le Coran « Et tout ce que Nous te racontons des récits des messagers, c’est pour te raffermir ton cœur. Et ceux-ci t’es venu la vérité ainsi qu’une exhortation et un rappel aux croyants[[9]]url:#_ftn9  » ? Si Dieu nous rappelle les récits d’Adam, de Noé, d’Ibrahim, de Moussa, d’Issa, etc., c’est pour que nous puissions suivre les traces de ceux qui ont cru en leurs messages et ont suivi leurs traces et pour que nous nous détournions de ceux qui ont mécru en leurs messages. Le Gamou est un de ces récits.
 
Bibliographie
1-      Le Coran,
2-      Diallo, El Hadji Samba Amadou. La Tijaniyya sénégalaise : les métamorphoses des modèles de succession. Paris : Publisud, 2010, 521 pages ;
3-      Mbaye, Saliou (sous la direction de). Actes du colloque international sur la vie et l’œuvre de El Hadji Malick SY 1902- 2002. Dakar : La Sénégalaise de l’Imprimerie, 18 au 22 mai 2002, 465 pages.
4-      Nger, Dame. Le Gamou au Sénégal : des origines au milieu du XXème siècle. Mémoire de DEA. Dakar : Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département d’Arabe, 2006- 2007, 80 pages ;
5-      Abderrahmane as-Souyouti, « Husnu al-Maxsid Fii ‘Amali al-Mawlid (La noble intention dans la célébration du Mawloud) » In al-Haawii Lil-Fataawaa.
6-      Sy, El Hadji Malick. Kifaayatu ar-Raa’hibiin. (Version manuscrite rédigée par Samba Diagne). Tivaouane : Edition Le Pointilleux, 603 pages.
7-      Sy, El Hadji Malick. Xantaratu al-Muriid.  (version manuscrite), 726 vers.
 


Mouhamadou Mansour Dia
Docteur en Sociologie, chercheur-enseignant à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, spécialisé en sociologie des religions
Email : almansourdia@hotmail.com