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Discours de fin d’année du président Macky Sall: Oublis et omissions d’un (bon) discours

Pour son premier discours de présentation des vœux à la Nation, le président de la République, M. Macky Sall, aura au moins réussi à opérer une vraie rupture. En quinze minutes, il a livré une adresse simple, cohérente et accessible aux Sénégalais. Un texte concis, bien articulé, correctement dit, sans grandiloquence, sans sophisme et…à l’heure indiquée. Et en prime, sans rien manquer à la solennité du moment. Quelques chiffres-clés distillés sans encombre, style direct et sans fioriture mais, surtout, des propositions faciles à retenir. De surcroît, le Président a adopté un ton rassembleur, en évitant de cliver les Sénégalais sur des sujets polémiques et diviseurs. Sur la forme, seuls bémols, une certaine raideur dans la posture physique, une voix encore quelque peu nasillarde, une gestuelle empruntée, encore mal maîtrisée. Bref, encore un grand effort à faire, surtout dans les aspects non-verbaux de la communication pour que la technique d’expression, complément essentiel du contenu et de l’image, apporte le petit plus à l’argumentaire présidentiel et le traduise en force de persuasion. C’est le travail de longue haleine que les communicateurs et autre conseillers devront faire sans délai, pour améliorer les communicables présidentiels.


Rédigé par leral.net le Lundi 7 Janvier 2013 à 15:00 | | 0 commentaire(s)|

Discours de fin d’année du président Macky Sall: Oublis et omissions d’un (bon) discours
Sur le fond, en revanche, il est sans doute notable que les spins doctors du Président n’ont pas accordé une très grande attention au contenu de sondiscours du nouvel an. Une petite analyse de contenu fait apparaître une certitude : l’effort de maîtrise de la forme a fini par affecter le fond du discours et même aliéner son essence. Jugeons-en à travers les catégories, les occurrences et les récurrences du discours, grilles de lecture, entre autres, de la communication politique. La valeur sentimentale est bien représentée à travers la classique évocation des malades, handicapés et autres blessés de guerre. La valeur nationale et patriotique est pauvrement établie en dehors de la « Casamance » concept par ailleurs utilisé par les rebelles, alors que cette région administrative n’existe plus. Aucune pensée franche aux soldats qui, aux frontières, défendent l’intégrité du territoire et la sauvegarde de la Patrie, pendant que le monde entier fête la nouvelle année entre repas copieux, paillettes et pétards.

Sur-moi présidentiel
Rien sur la nécessaire mobilisation nationale dans la situation de crise dans laquelle se débattent toutes les composantes de la Nation (une occurrence citée seulement trois fois dans le texte). Il faut cependant atténuer ce constat par l’utilisation conséquente de la première personne du pluriel (nous, nos), avec une forte récurrence, plus de 30 fois. Ce qui donne un sens à l’idée de rassemblement, de gouvernance unitaire dont la coalition Benno Bok Yakar est la vitrine politique ostensible. Toutefois, la prévalence de cette catégorie est relativisée par celle d’un « sur-moi » manifestée par l’utilisation récurrente de la première personne du singulier « je, me, moi », qui est revenue près de 20 fois dans le texte. Un sur-dimensionnement de l’égo présidentiel, une réelle volonté de mettre le curseur sur le caractère présidentialiste du régime, une quasi « atomisation » du chef de Gouvernement ravalé à un rôle d’exécutant presque sans âme et sans état d’âme. Pour n’avoir prononcé que trois fois le vocable « Gouvernement » dans son texte, Macky Sall a donné le ton de sa conception de l’exercice du pouvoir. Il inaugure en 2013 son règne, et surtout sa volonté de personnaliser le pouvoir, comme du reste ce fut le cas pour Abdou Diouf qui a supprimé le poste de Premier ministre pendant près d’une dizaine d’années. Des esprits chagrins y verraient simplement un trait de caractère qu’on dit très marqué chez le président Macky Sall : son penchant autoritaire, ses dérives autoritaristes, qu’il a mis pour l’instant sous le boisseau, le temps de se débarrasser de ses encombrants alliés de Benno Bokk Yaakar et, qui sait ?, du Premier ministre Abdoul Mbaye dont l’image est mise en délicatesse par l’affaire Habré. Verra-t-on, en 2013, le vrai Macky Sall en pleine possession de ses moyens ? Wait and see ! En cas tout cas, acte manqué ou pas, le peu d’évocation fait sur « l’Etat », occurrence citée trois fois seulement, peut faire accréditer l’idée que le président Sall, contrairement à ce que préconisait Président américain Barack Obama, préfèreêtre plus fort que les institutions de l’Etat.
Oublis et omissions
A preuve, le mot « institution » n’apparaît nullement dans son discours. Autre absence inquiétante, le vocable « République », complètement occulté dans le discours présidentiel. Comble d’inconséquence, le parti présidentiel s’appelle Alliance Pour la République (APR). Qu’il s’agisse d’une volonté délibérée d’omission ou d’un oubli coupable, le fait est suffisamment grave pour ne pas être souligné. Il traduit dans un cas, comme dans l’autre, une réelle incontinence. Comme on le sait, le pays délimite le territoire, reflète un certain découpage administratif et politique. La Nation est une entité constituée ou reconstituée dans laquelle doivent vivre en harmonie les composantes sociales, sociologiques et culturelles, creuset des cultures et civilisations. La République c’est la superstructure de la Nation et du pays, qui concentre sur elle les institutions et la commune volonté de vivre. Comme qui dirait, la Res Publica, en tant que chose publique ! Comment peut-on comprendre que le Président les ait passés sous silence ?
Où est la « démocratie » ?
Autre oubli gravissime dans le texte lu du président, un mot simple qui est dans nos bouches de tous les instants, « la démocratie». C’est pourtant elle qui détermine « notre volonté de vivre ensemble tout en se respectant, » comme le définit simplement l’ancien Premier ministre français Michel Rocard. Mais si la démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, si la République, elle, offre le cadre idéal de son exercice même imparfait, les omissions du Président sont,en conséquence,inquiétantes. En effet, dans la communication d’un Président Républicain, élu démocratiquement, après tant d’années d’errements et de violations constitutionnelles graves, ces catégories autant que leurs récurrentes occurrences sont, à plus d’un titre, importantes. Si tant est que le Président veut se conformer à ce pourquoi il a été choisi... démocratiquement. Cette omission ne traduit-elle pas un état d’esprit : une personnification de l’Etat ou, au contraire, une personnalisation du pouvoir donc d’une dictature rampante ? Sans doute ni l’une ni l’autre ! Mais le Président devrait accorder ses violons conceptuels, au risque de naviguer dans le flou du radar, faute de boussole.
On pourrait ajouter au chapitre de ses oublis, les concepts de« futur », « d’avenir, » de « projet, » « perspectives », qui pourraient au moins constituer les parts de rêves de son discours. Les jeunes auraient même pu se sentir oubliés s’il n’y avait eu cette évocation des 30 000 emplois à créer, on ne sait d’ailleurs comment. Par ces omissions, il donne raison à ceux qui lui reprochent son manque de vision jusque dans le discours. Même le mot « libéral » ou encore« liberté »y fait défaut, au point qu’on se demande à raison qu’elle orientation politique stratégique le Président entend imprimer à son action. Personne ne perd de vue que le discours à la Nation n’est pas un programme politique. Mais ce moment fort devrait tout de même constituer un schéma directeur d’orientation sur lequel on peut exhaustivement lire tous les axes essentiels de sa politique. Il doit donc refléter, même sous forme d’évocation, les fondamentaux politiques, sociaux, économiques de son projet de société.
Nouvelle ère
Cependant, son adresse du 31 décembre a le mérite d’être pratique, concrète à travers les mesures qu’il entend mettre en œuvre en 2013. Mais ce premier face à face avec la Nation à l’occasion d’un nouvel an, était bien le début d’une nouvelle ère. Celle du Président Macky Sall, qui commence réellement en janvier avec une équipe gouvernementale réaménagée, un nouveau budget, de nouvelles ruptures (voilà un autre vocable qui a manqué d’être évoqué avec insistance). Ce discours était donc forcément fondateur. Il a été ravalé à une kyrielle de mesures certes utiles, mais peu motivantes, sans mise en perspectives. Cela s’appelle gouverner le nez sur le guidon, un mode de gouvernancequi permet d’avancer à petit pas, sans réellement mener très loin.
Dans son speech, le Président Macky n’a pas surpris les Sénégalais par des mesures nouvelles, autres que celles déjà annoncées lors de ses récentes sorties et dans la déclaration de politique générale du Premier ministre en septembre dernier. Malgré tout, certains manquements sont notables, par exemple ces données révisées à la baisse comme le nombre d’emplois à créer. Dans le programme Yoonu Yokuté, il est estimé à 500 000 à raison de 100 000 par an. Subrepticement, il est passé à 30 000 à compter de 2013. D’autres statistiques changent souvent de valeur d’un discours à l’autre. C’est le cas notamment de la dette intérieure qui, chiffrée à 135 milliards il y a quelques mois, a subitement été multipliée par cinq et serait aujourd’hui de plus de 700 milliards. On peut en dire autant de la subvention de l’électricité, annoncée pour réduite de 25 milliards dans le budget 2013 et entièrement reconduite dans le discours du 31 décembre. Le global des investissements du programme présidentiel passe de 8000 milliards à plus de 5100 milliards, après le dernier Conseil présidentiel sur l’investissement. Une mise en cohérence est plus nécessaire pour donner à la parole présidentielle plus de clarté et de crédit.
Quel projet de société ?
Sur le terrain social, les préconisations présidentielles sont claires, notamment la Bourse familiale et la couverture médicale universelle. Cette approche de traitement social de la pauvreté qui a fait florès dans certains pays asiatiques et anglophones, est une démarche de politique publique à forte incidence sociale. Seulement, si elle n’est pas encadrée économiquement, elle se réduira en un simple saupoudrage sans effet impactant. A quoi reviendrait de distribuer 100 000 francs (soit moins de 10 000 francs mensuels) à 50 000 ménages, même à 250 000 personnes, comme annoncé lundi soir, si cet argent ne servirait qu’à la consommation domestique ? Ces 10 milliards ne pourraient-ils pas servir de fonds de garantie pour financer à taux zéro des activités pratiques et productives et éviter l’arnaque financière de la micro-finance ? Cette approche économique du financement de la croissance à partir des ménages est expérimentée en Côte d’Ivoire par Marcel Zadi Kessy, président du Conseil Economique et Social. Elle se différencie du « cash feeding » de certains pays anglophones comme le Ghana et qui n’est rien d’autre qu’une forme de redistribution des richesses par subvention sociale.
De la même manière que le financement des logements sur une échelle plus grande ramène à l’expérience brésilienne qui a fait fortune sous le Président Lula. Elle a permis de lutter contre la précarité dans les favelas (quartiers pauvres). La part accordée à l’agriculture avec un financement de 717 milliards et les 1000 tracteurs destinés à la motorisation ancrent le Président Macky Sall dans une démarche socialisante, qui fait de ce secteur le cœur du développement avec ses 70% de cibles rurales. Une révolution agricole digne du grand timonier Mao Tsé Toung dont on vient de fêter le centième anniversaire de la naissance ? Peut-être mais le peu de considération accordé à l’élevage, autre grand absent du discours du 31 décembre, est incompréhensible. Il en est ainsi des grands choix industriels, du tourisme, de l’économie numérique et de la création de véritables pôles de compétitivité qu’on appelle business agro-industriel pourvoyeur de croissance. Quid des infrastructures routières, portuaires, ferroviaires et des autres politiques publiques sur l’eau, l’énergie, les travaux publics ?
A minima ou à courte vue ?
Cette gestion a minima qui se dégage du discours du 31 décembre traduit l’anxiété programmatique du Président qui a du mal à se dégager de l’emprise de son compagnonnage, cette coalition composite et hirsute, l’empêchant de réaliser son choix d’une politique libérale, audacieuse et payable à long temps. Trop enfermée dans la logique de survie et de partage de ses partenaires, il réside dans le court-termisme et joue davantage au sapeur pompier qu’il ne se présente en visionnaire. Le Président serait-il victime du syndrome de Stockholm ou du caméléon qui l’amène à prendre la couleur de son entourage en renonçant, au gré des circonstances, à sa vraie pelure ? Lundi, les Sénégalais à l’écoute de son adresse ont encore l’impression d’attendre de voir le vrai Macky : celui qui n’a pas encore dévoilé ses vraies cartes, avant de conclure à une erreur de casting dans quatre ans.
ALY SAMBA NDIAYE
« Le Témoin » N° 1109 –Hebdomadaire Sénégalais ( JANVIER 2013)







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