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Dr. Massamba Guèye, fondateur de « Kër Leyti » : «Le conte est l’école de la vie, l’art absolu de la parole»

Rédigé par leral.net le Lundi 20 Mars 2023 à 11:12 | | 0 commentaire(s)|

C’est dans le conte qu’étaient logés les imaginaires et les perspectives de nos peuples. Hélas, le « progrès » a contribué à obstruer cet art de la parole et sa symbolique, qui participaient à forger les Hommes. Dr. Massamba Guèye, « La Bouche de l’Afrique», enseignant et fondateur de la Maison de l’oralité Kër Leyti, […]

C’est dans le conte qu’étaient logés les imaginaires et les perspectives de nos peuples. Hélas, le « progrès » a contribué à obstruer cet art de la parole et sa symbolique qui participaient à forger les Hommes. Dr Massamba Guèye « La Bouche de l’Afrique», enseignant et fondateur de la Maison de l’oralité Kër Leyti, revient sur ses fonctions et son symbole.

Propos recueillis par Mamadou Oumar KAMARA

Le conte n’est pas que des mots. Ça a aussi son spectacle. Que peut signifier cette fonction ?
Une séance de conte avec la famille, c’est déjà un lieu de socialisation. Ce ne sont effectivement pas que de simples mots pour égayer. C’est une école de la vie, un lieu de transmission qui permet d’observer la présence des enfants à la tombée de la nuit. C’est le moment aussi de vérifier si les enfants savent bien écouter, s’ils sont bien portants. Tout ceci se fait autour d’un spectacle complet. Le conteur devrait pouvoir raconter, chanter, réciter, faire de la poésie, mais aussi construire des imaginaires et les adapter. Ce qui était aussi important, c’est que cet espace écrase les différences d’âge. En journée, chaque catégorie est à sa place. Mais au moment du conte, hommes, femmes, enfants, adultes, tous étaient mis ensemble. Les disparités étaient tues. Le roi pouvait dire un conte pour le pauvre, vice versa. Les statuts sociaux et politiques devenaient nuls. C’est un art de rencontre, un art démocratique.

Justement, toujours sur son caractère de spectacle, quelle symbolique pouvait avoir l’obscurité de la nuit, la voix des grands-parents, l’hémicycle humain, etc. ? 

Pour sa première lecture, il faut comprendre l’environnement nocturne par le fait que les personnes travaillaient la journée et causaient la nuit. Dans la journée, on n’avait pas le temps de raconter des histoires. Ça dément tous ceux qui pensent que nous avons la culture de la paresse. Ensuite, avec l’ambiance nocturne qui est d’obscurité, on profitait soit du clair de lune soit on allumait des braises. Autour de ces lumières, il n’y avait que la voix du conteur qui crée images et sons. C’est une magie de la communion. L’espace est réduit, et l’auditoire n’a pour spectacle que la voix du conteur et les éléments d’environnement. C’est ce qui en faisait un moment de sagesse où à l’intérieur des contes, on place des énigmes, des devinettes, des proverbes et des dictions qui sont fondateurs d’une démarche de vie. C’est aussi un moment où on évalue la journée. Par exemple, une femme ou un homme qui a adopté une attitude inadéquate se retrouvera dans les personnages et s’auto-éduquera. C’est un diagnostic de la situation de la société qui permettait d’interroger et de s’adresser à chacun sans vexer personne.

Cet instant est donc une école ? 

Le conte est l’école de la vie. C’est un lieu de transmission où il y a les rites initiatiques. Même au moment des rites initiatiques, c’est à travers le conte qu’on transformait la conscience de l’individu. C’est grâce au conte que l’on connaissait les noms et l’utilité de la flore, de la faune, des astres, etc. La mnémotechnique s’apprenait aussi avec le conte.
On peut ainsi considérer le conte comme l’art de la parole …
Mais le conte est l’art absolu et suprême de la parole ! Il combine tous les autres arts. Dans le conte, ce qui compte n’est pas l’histoire en fin de compte, mais le récit et la manière dont ce récit est rendu. C’est un art. Il ne s’agit pas de dire, mais de la manière de dire. On peut raconter un conte que tout le monde connaît d’une manière qui diffère d’une nuit à l’autre. C’est cet art oratoire qui permet au conteur d’analyser une situation et de produire le discours qu’il faut. C’est un spectacle total et absolu.

Le conte sert à fixer les imaginaires. Aujourd’hui, est-ce qu’on ne peut pas considérer que sa dégénérescence a pu contribuer à l’égarement de nos peuples ? 

Le conte permet de fixer les mémoires et les consciences. Dans les grandes campagnes de publicité, on fait du storytelling. Le conte est présent partout. Où que vous alliez maintenant, même chez le psy, on vous demande de raconter votre passé. On vous pousse à l’art du récit. Il y a toujours cette présence du récit, même quand on a l’impression que le conte n’est plus présent dans les familles. Il faut maintenant l’organiser pour mieux se connaître. Je pense qu’il est devenu impératif d’utiliser les espaces-outils (radiodiffusion, télévision, Internet) pour suppléer ce manque d’espace familial et réaffirmer le conte comme espace de transmission afin d’éduquer les peuples.

«Kër Leyti» fête la Journée mondiale du conte, ce dimanche

Ce dimanche, 19 mars, c’est la 19ème édition de la Journée mondiale du conte. Le Sénégal ne sera pas en reste. Ici, la célébration est portée, depuis 2012, par la Maison de l’oralité et du patrimoine Kër Leyti, fondée et managée par l’enseignant Dr Massamba Guèye. Pour sa onzième année, l’entité élargit son espace de célébration en associant à la fête la Direction du Patrimoine culturel et le Centre culturel régional Blaise Senghor de Dakar. Le thème annuel est «Face au miroir», avec en toile de fond l’union et la cohésion à travers le sous-thème «Ensemble, tout est possible». L’initiateur, Dr Massamba Guèye, entend sublimer le conte comme un moyen «de nous mettre en face de nous-mêmes et d’ajuster notre comportement social».

Le programme va débuter le matin, au Centre culturel Blaise Senghor, avec une conférence où on interrogera cet art comme «Miroir de la société et outil au service de la promotion de la cohésion sociale». Ensuite, la matinée se poursuivra par des spectacles déambulatoires de conte. La célébration va ensuite rejoindre son nid traditionnel, à Kër Leyti, dans l’après-midi. Le programme sera rythmé de performances oratoires et de contes, évidemment. Les organisateurs convieront les invités à raconter. Ce sera à travers un tapis d’exaltation du conte africain.

Dr Massamba Guèye annonce par ailleurs des surprises, une foire aux contes, ainsi qu’un village conçu et érigé par des enfants dont le plus âgé a 15 ans. La Maison de l’oralité et du patrimoine Kër Leyti, créée en 2009, est un espace de résidence où les productions artistiques et sociales liées à la valorisation des processus de conservation par l’oralité trouvent refuge.

 



Source : https://lesoleil.sn/dr-massamba-gueye-fondateur-de...