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"En rejetant le « don » comme motif de licéité, le juge ouvre la porte d’une mise en cause et des risques de déstabilisation de Macky" (Mouhamadou Ngouda Mboup)

Le soupçon règne. Or, il n’y a rien de plus terrible pour la justice que pèse un soupçon de partialité. L’affaire Karim Wade qui occupe actuellement le devant de la scène politique de notre pays, pose la question de la crédibilité de la justice sénégalaise. L’ancien ministre a été, provisoirement, fixé sur son sort par le verdict, sans surprise, rendu le 23 mars 2015. Mais cela n’épuise pas toutes les questions que les Sénégalais se posaient et continuent à se poser.


Rédigé par leral.net le Samedi 28 Mars 2015 à 21:50 | | 0 commentaire(s)|

"En rejetant le « don » comme motif de licéité, le juge ouvre la porte d’une mise en cause et des risques de déstabilisation de Macky" (Mouhamadou Ngouda Mboup)
On sait qu’aussitôt le verdict rendu, des personnes proches du pouvoir, apeurées par les motivations de cette décision, se sont ruées vers les médias pour demander la suppression ou des modifications de la loi sur la Crei. Pourtant, personne n’ignore que Karim Wade conteste, outre les faits qui lui sont reprochés, la compétence et la constitutionnalité de cette juridiction, et prétend que la connaissance des faits qu’on lui reproche relève de la Haute Cour de justice dans la mesure où ces faits sont en relation directe avec ses anciennes fonctions de ministre et sont donc régis par l’article 101 de la Constitution du 22 janvier 2001 issue du référendum organisé, le 7 janvier 2001, au lendemain de la première alternance démocratique dans notre pays.

La question de la compétence de la Crei pour juger Karim Wade avait été posée devant le Cour de justice de la Cedeao. Dans son arrêt du 22 février 2013, cette juridiction avait déclaré que la Crei était incompétente pour juger Karim Wade, que ce dernier était justiciable devant la Haute Cour de justice. Le gouvernement du Sénégal, pour ne pas perdre la face, en toute illégalité, avait maintenu et mis hors de cause la compétence de la Crei. Karim Wade avait alors saisi, par la voie de ses avocats, la Cour suprême. Il est apparu, à la suite, une divergence entre la Cour suprême et le Conseil constitutionnel sur l’interprétation de la constitutionnalité et la conventionnalité de la loi sur la Crei. Cette divergence provient de l’arrêt rendu par la Cour suprême suite à sa saisine, par voie d’exception, par les avocats de Karim Wade au moyen de la procédure d’exception d’inconstitutionnalité.

Jugeant le caractère sérieux de la question et ayant un doute sur la conventionnalité de la loi sur la Crei, la Cour suprême s’était prononcée, de façon imparable, en ces termes : « Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 13 de la loi n° 81-54 du 10 juillet 1981 créant une Cour de répression de l’enrichissement illicite, « les décisions de la Commission d’instruction ne sont susceptibles d’aucun recours » ; Attendu cependant que l’exercice du droit de se pourvoir en cassation y compris, les motifs pour lesquels il peut être exercé, sont régis par la loi, entendue au sens des lois constitutionnelles, des traités, conventions internationaux et principes généraux de droit ; Attendu que la loi doit être la même pour tous ; que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes, c’est à la condition que cela ne porte pas atteinte aux principes précités et que soient assurées aux justiciables des garanties égales notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable ; Et attendu que l’article 13 alinéa 1 de la loi n° 81-54 du 10 juillet 1981 créant la Cour de répression de l’enrichissement illicite, en excluant tout recours contre les décisions de la commission d’instruction, ne saurait s’opposer à la recevabilité du pourvoi manifesté de manière non équivoque ; Qu’il s’ensuit que le recours formé contre une décision de rejet d’un déclinatoire de compétence est recevable. »

Le Conseil constitutionnel sénégalais, une juridiction qui manque de réflexe constitutionnel, ne parvenant pas à faire la différence entre contrôle de constitutionnalité en général, contrôle de constitutionnalité des lois et contrôle de conventionnalité, a rendu, le 3 mars 2014, une décision déclarant les lois sur l’enrichissement illicite et la Cour de répression de l’enrichissement illicite conformes à la Constitution du Sénégal. On connaît la suite…

Ces rebondissements judiciaires n’ont pas pu alerter les autorités actuelles sur la gravité d’une juridiction d’exception, comme la Crei, dans un Etat de droit. Ils ont certainement oublié que l’intérêt d’un gouvernement, dans des poursuites judiciaires, n’est pas de gagner, mais de faire en sorte que justice soit faite. L’histoire révèle que beaucoup de juridictions d’exception, dont les plus célèbres, ont été des instruments à vocation politique, voire partisane. La justice d’exception donne le frisson à l’honnête homme, elle est synonyme d’excès, les procédures sont souvent sommaires, caricaturales, les droits de la défense ouvertement bafoués, les sentences pratiquement connues d’avance et insusceptibles de recours en appel.

Karim Wade, sans surprise, a été, provisoirement, condamné. Pourtant, selon la position des tenants du pouvoir, avant le jugement de Karim Wade, il ne régnait aucun flou dans l’ordre juridique sénégalais. A toutes les étapes de la procédure, le gouvernement a défendu la constitutionnalité de la Crei ainsi que la loi qui l’a instituée. Aujourd’hui, la peur au ventre s’est installée dans le camp au pouvoir, mais il serait inacceptable qu’une seule virgule de cette loi soit changée ; il s’agit d’une question d’équité et de principe.

Suite à l’arrêt que vient de rendre cette juridiction d’un autre âge, le caractère monstrueux de la Crei vient de percer les yeux et de secouer la République en foudroyant les tenants actuels du pouvoir. Oui car cette décision consacre un précédent grave et dangereux. En rejetant l’argument de « dons » comme motif susceptible de justifier la licéité du patrimoine d’un prévenu, le juge ouvre la porte d’une éventuelle mise en cause et des risques de déstabilisation de l’actuel président de la République. Chose sans précédent dans l’histoire de notre pays. Rappelons que les premières phrases de la déclaration de patrimoine de Macky Sall commencent en ces termes : « Je déclare sur l’honneur que la présente déclaration de patrimoine est sincère et véritable et que les fonds ayant servi à l’acquisition desdits biens proviennent pour partie de mes gains et salaires, de prêts auprès d’organismes financiers et de dons d’amis, de militants et sympathisants. » Aux Sénégalais d’apprécier.

La justice pour qu’elle soit crédible, respectée et respectable, doit s’efforcer de faire des procès justes et équitables, pour montrer à la société sénégalaise que l’argent public, c’est du poison, on ne doit pas y toucher et que ceux qui jouent avec, tôt ou tard, seront punis… Le respect de la justice n’est possible que lorsque le citoyen est certain qu’il vit dans un Etat où la justice n’est pas parasitée par la politique, dans un Etat où la justice est rendue dans la vérité. Cette vérité est basée sur les éléments de preuve produits par le parquet. Si ces éléments sont incomplets ou lacunaires, les juges sont contraints d’acquitter ou de rejeter certaines charges. Les exemples ne manquent pas où le parquet était certain de la culpabilité des personnes poursuivies, et pourtant ces dernières ont été acquittées.

On a fabriqué une espèce de salmigondis dont on ne trouve d’équivalent nulle part ailleurs, et sans doute pas par hasard. Certes, Karim Wade doit rendre compte, mais son procès n’a pas été équitable et ce verdict ne saurait être crédible.

Mouhamadou Ngouda MBOUP

Enseignant en droit public

Faculté de droit de l’Université de La Rochelle