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Encombrement de la voie publique: Quand les tas de gravats déforment le cadre de vie dakarois

Rédigé par leral.net le Lundi 4 Mars 2024 à 23:20 | | 0 commentaire(s)|

Un des symboles de l’insalubrité et de l’encombrement sur la voie publique, les tas de gravats font désormais partie du décor de Dakar. À Grand Médine, Grand Yoff et Castors, le cadre de vie est chahuté et défiguré. Reportage de Babacar Guèye DIOP  Grand Médine a une forme de bidonville. L’amoncellement de gravats fait désormais […]

Un des symboles de l’insalubrité et de l’encombrement sur la voie publique, les tas de gravats font désormais partie du décor de Dakar. À Grand Médine, Grand Yoff et Castors, le cadre de vie est chahuté et défiguré.

Reportage de Babacar Guèye DIOP 

Grand Médine a une forme de bidonville. L’amoncellement de gravats fait désormais partie du décor glauque de ces logements sans confort ni hygiène et dépourvus de peinture pour la plupart. Des taudis qui favorisent la promiscuité et l’émergence de brigands. Dans ces rues jonchées de pierres cahoteuses par endroit, il ne passe pas un jour sans que l’on y déverse un magma de déchets durs. Un endroit jouxtant le stade Léopold Sédar Senghor, réceptacle de pauvres déflatés victimes de l’exode rural où l’insalubrité est à son paroxysme. Des excréments de montons nés des foirails de Tabaski sont toujours omniprésents. Ils sont mélangés à des liquides de fosses septiques, rejets d’égouts, des restes de viande en putréfaction, un sol vermoulu. À Grand Médina, la nappe phréatique est agressée.

Nabou Diouf, seau d’eau sur la tête, dans une insouciance totale, jette ses eaux usées au quotidien sur une montagne de pierres contiguë à sa maison. « Nous n’avons pas de réseau de canalisation. Donc, nos eaux de vaisselle ou issues du linge sont directement envoyées dans les gravats », se justifie Nabou dont le visage affiche des traits de sommeil. Pour la matinée du mardi 27 février 2024, le soleil diffuse ses rayons corrosifs dans ce quartier de la commune de Patte d’Oie qui se morfond dans une pauvreté nourrie par un taux de natalité exceptionnelle. Une situation qui pousse des familles entières à s’entasser dans une seule chambre, comme « des sardines ».

Dès les premières lueurs du jour, Grand Médine a les atours d’un univers interlope toujours aux aguets et boulimique. Un lieu en proie à une insécurité. Dreadlocks bien fournis, yeux rougis, tel un drogué dans un état second, Pathé Guèye squatte cet environnement depuis des années. Couché à même le sol, loin d’être gêné par les odeurs méphitiques des lieux, il indexe les nantis installés à côté du stade. « Nous n’avons pas de moyens pour faire des chantiers. Ce ne sont pas les occupants de ces taudis qui vont construire des immeubles. Nos rues ne sont pas pavées, elles sont bourrées de sable. Chacun fait ce qu’il veut », note Pathé, regard dans le vide. Dans cette zone ceinturée, d’une part, par Grand Yoff, et d’autre part, par Parcelles Assainies, la misère suinte de partout et les remugles des détritus agressent les narines. Bref, les populations sont dans un état de déréliction effroyable. « Nous sommes les laissés pour compte de ce pays. Nous vivons dans un environnement trop sale et désordonné », explique Pathé dont le timbre vocal rejette plus une colère qu’une amertume.

L’État interpellé 

À Grand Yoff, on n’est guère mieux loti. Dans cette commune à la population pléthorique, la rue sert de dépotoirs d’ordures et de gravats. Ici, les monticules poussent comme des champignons dans les ruelles et les charretiers se frottent les mains. Moulée dans un bazin « wax » bleu, le visage mince accusant les contrecoups d’une dépigmentation, Mame Seynabou Mbaye appelle l’État à prendre des mesures concernant les déchets issus des travaux de construction de maison. « On pose les ordures partout et n’importe comment. On obstrue les rues avec des gravats parce que les gens disent : « mbedd bour leu » (la voie publique n’appartient à personne), la surveillance doit être accentuée. Ce sont les charretiers qui amènent toutes ces pierres. Les riches leur paient entre 3000 ou 5000 FCfa. Ces pierres viennent souvent d’autres communes. L’État doit être plus regardant », plaide Mme Mbaye, 39 ans et mère de 5 enfants.

À Castors, les débris laissés par les chantiers du Bus rapide transit sont toujours visibles sur la voie publique. Ce quartier du territoire communal de Dieuppeul-Derklé tient aussi son lot de conséquences lié à la forte urbanisation à Dakar. Eaux stagnantes, réseaux de canalisation à peine visibles… « On n’a pas d’espace pour y mettre des gravats », pose d’emblée Moussa Dione. Enseignant d’Histoire et de Géographie à la retraite, il passe ses journées à se vautrer sur une chaise devant sa maison sous un soleil qui offre quelques bienfaits à cause du froid intermittent qui souffle dans la capitale. « Nos rues sont devenues étroites à cause des gravats. Chacun fait ce qu’il veut. On dirait qu’il n’y a pas d’autorité dans ce pays. Autrefois, on enseignait dans les écoles le respect du cadre de vie. Aujourd’hui, est-ce que c’est le cas ? », s’interroge M. Dione, journal à la main.

 

Les communes optent pour la sensibilisation

Joint par téléphone, Cheikh Guèye, maire de Dieuppeul-Derklé, dit miser sur la sensibilisation. « D’abord, il y a peu de contrôle. Les gens font ce qu’ils veulent dans les rues. Ensuite, nous ne cessons pas de mener des actions de sensibilisation », décline M. Guèye à la tête de la commune depuis 2014. À la Patte d’Oie, la mairie a formé, dans chacun des 8 quartiers, des comités d’hygiène pour amener les populations à respecter le cadre de vie. « Nous sommes dans la sensibilisation parce que si le Service d’hygiène vient, il va sanctionner ceux qui creusent des fosses ou déposent des gravats. Donc, comme les populations n’ont pas beaucoup de ressources, nous allons les dissuader de déposer ces gravats dans la rue », explique Abdoulaye Ka, adjoint au maire de Patte d’Oie et président de la Commission environnement. « Nous allons organiser une grande réunion sur la place publique de Grand Médine dans les prochains jours sous la présidence de Mme le Maire Maïmouna Dièye avec un seul ordre du jour : le cadre de vie. Grand Médine est un vrai cas pour Patte d’Oie qui compte 17 délégués de quartier dont les 8 se trouvent à Grand Médine », explique M. Ka.

 

ADJUDANT ABDOURAHMANE GUEYE, COMMANDANT DE BRIGADE D’HYGIÈNE DE DAKAR

« Le rapport de janvier révèle 1264 gravats déposés sur la place publique » 

Que prévoit la loi concernant le dépôt de gravats sur la place publique ? 

La loi 83-71 du juillet 1983 portant Code de l’hygiène, en ses articles L24, dispose qu’il est interdit de déposer des gravats, ferrailles et épaves sur la voie publique. Il y a l’article 77 qui le réprime d’une amende de 200 000 à 2 millions de FCfa et d’un emprisonnement de 2 mois à 2 ans de prison. Le Code de l’hygiène considère ces pratiques comme un délit d’hygiène. Elles sont passibles d’une arrestation et d’une amende. Les gravats peuvent causer des nuisances en déviant le sens de l’écoulement de l’eau, en créant des inondations dans les rues mais aussi dans les maisons. L’autre aspect, les gravats peuvent être un endroit d’émergence des rats qui y séjournent pour chercher de quoi manger. De plus, les populations y déversent tout ce qui est eau usée. Par conséquent, il y aura une prolifération des moustiques. Les gravats contiennent aussi du clinquer qui peut aussi nuire à la population en causant des problèmes respiratoires comme la tuberculose, etc.

Des populations et des maires déplorent une absence de contrôle. Que faites-vous pour réprimer ces pratiques illicites ?

Le rapport du mois de janvier 2024 est disponible. Nous avons constaté durant cette période 1264 gravats déposés sur la place publique dans le département de Dakar. Sur ce nombre, il n’y a que 56 personnes qui ont été relaxées et sensibilisées. Mais le reste a payé une amende minimum de 210 000 FCfa. Cela veut dire que beaucoup d’argent a été versé au Trésor public. Dakar est en phase d’extension et il y a une nette prolifération des sociétés de construction. Si des maires disent qu’il n’y a pas de contrôle, cela m’étonne parce qu’ils contribuent beaucoup à cette situation puisque c’est eux qui délivrent les autorisations d’occupation sur la voie publique moyennant des taxes. Nous travaillons avec les mairies dans les 19 communes de Dakar. Nous sommes leurs conseillers techniques. Quand on nous signale ou on constate des gravats sur la place publique, on fait le nécessaire en informant le procureur et on fait des sommations de 24 ou 48h pour qu’ils puissent enlever ces déchets. Maintenant, si les immobiliers veulent acheminer leurs gravats, ils peuvent le faire. Mais la majeure partie a un problème de véhicule pour évacuer cela en temps réel. Les gens doivent savoir qu’il n’y a qu’un seul lieu de dépôt autorisé : Mbeubeuss.

Pour freiner l’avancée de la mer, des tas de gravats sont aussi déposés sur le littoral. Est-ce que cet argument est solide ?

Pas du tout. On intervient assez souvent sur le littoral pour arrêter des charretiers qui cherchent de l’argent en déposant ces gravats dans cet espace. Ils savent que s’ils les mettent dans les rues, ils risquent d’être dénoncés, donc ils choisissent le littoral. C’est une pratique à dénoncer et nous appelons les populations à la collaboration pour dissuader les charretiers.

Propos recueillis par B.G. DIOP     



Source : https://lesoleil.sn/encombrement-de-la-voie-publiq...