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Entretien - Arrestation du Colonel Ndaw, procès Karim Wade, réduction du mandat présidentiel... Me Ousmane Sèye dit tout !

Dans une interview accordée à Leral.net, Me Ousmane Sèye a fait savoir que l'ouverture d'une enquête judiciaire était nécessaire pour faire éclater la vérité suite aux renversantes révélations du Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw. S'agissant de la réduction du mandat présidentiel, l'avocat estime que la voie référendaire est la plus légitime pour modifier la loi. Me Sèye s'est aussi prononcé sur le procès de Karim Wade et ses co-inculpés et de la compétence ou non de la Cour de répression de l'enrichissement illicite à juger le fils de Wade. Entretien.


Rédigé par leral.net le Jeudi 14 Août 2014 à 13:59 | | 5 commentaire(s)|

Entretien - Arrestation du Colonel Ndaw, procès Karim Wade, réduction du mandat présidentiel... Me Ousmane Sèye dit tout !
Que pensez-vous de la décision du Haut commandant de la gendarmerie de mettre aux arrêts le Colonel Ndaw ?

Il est vrai que le Colonel Abdoulaye Aziz Ndaw a révélé, dans son livre intitulé « Pour l'honneur de la gendarmerie sénégalaise », des secrets de défense, notamment des décisions issues des conseils de sécurité présidés par le président de la République; il ne faut pas divulguer ces faits. Il a aussi souvent parlé de l'Etat, de la logistique de notre gendarmerie. Pour cela, il mérite une comparution devant une commission d'enquête.

Les révélations du Colonel Ndaw sont d'une extrême gravité. Pensez-vous qu'il faut ouvrir une enquête judiciaire pour faire éclater la vérité et situer les responsabilités ?

Le tome 2 de son livre est consacré à des faits graves commis par des officiers gendarmes encore en fonction ou d'anciens ministres et d'autres hauts fonctionnaires qui sont expressément désignés dans le temps et dans l'espace avec des faits précis et des témoins encore vivants comme auteurs de corruption, de concussion, de détournement de deniers publics, d'assassinat et de tentative d'assassinat. Ces faits méritent une enquête judiciaire et notamment sur les fonds investis dans la crise casamançaise et qui selon le Colonel ont servi à importer des vaches brésiliennes, à construire des fermes personnelles...

Il faut aussi une enquête judiciaire pour déterminer l'utilisation des fonds du Frontex, des fonds du carburant de la gendarmerie, des marchés de véhicules de la gendarmerie, du transfert des crédits des Forces Armées à la gendarmerie qu'un ministre aurait reconnu avoir utilisé à des fins politiques. Il est aussi important d'enquêter sur la mort de Abba Diédhiou, seul suspect sur la mort de l'ancien président du Conseil régional de Ziguinchor, Omar Lamine Badji.

Il y a lieu aussi de revenir sur les conditions de révocation du Colonel Ndaw de ses fonctions de commandant en second de la gendarmerie nationale pour savoir s'il a détruit des pièces compromettantes contre l'actuel président de la République ou s'il y a mensonge d'Etat. Je rappelle que dans l'affaire Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget de la France, accusé d'avoir possédé des fonds non déclarés sur un compte en Suisse, une commission d'enquête parlementaire a été créée. Cette commission l'avait blanchi. Il a fallu l'ouverture d'une information judiciaire pour qu'il avoue les faits qui lui étaient reprochés. Par conséquent, une information judiciaire est obligatoire pour faire la lumière sur les faits révélés par le Colonel Ndaw qui sont précis et commis par des personnes dénommées en fonction.

Le procès de Karim Wade et ses co-inculpés est ouvert depuis le 31 juillet dernier. Quelle appréciation faites-vous des quatre premiers jours d'audience ?

Les premiers jours de l'audience du procès de Karim Wade et de ses co-inculpés sont consacrés comme on pouvait s'y attendre à des exceptions soulevées par la défense et notamment sur l'incompétence de la Cour de répression de l'enrichissement illicite à juger l'ancien ministre.

En droit, c'est le respect de la procédure et des formes qui garantissent et protègent les droits des personnes. Donc, les questions liées aux formes procédurales, à la compétence, aux règles de droit applicable sont souvent plus importantes que le fond parce que conditionnant l'application de la règle de droit et donnent du crédit à la décision rendue. Donc, il est normal que la défense insiste sur les exceptions et surtout sur l'incompétence de la CREI en l'espèce.

Le procès ne risque-t-il pas d'être plombé par la guerre des procédures ?

Un procès n'est jamais plombé par la procédure parce que celle-ci peut mettre fin à un procès. La procédure est une partie intégrante du procès. Si elle n'est pas régulière, il ne peut pas y avoir de procès au fond.

Selon vous, la CREI est-elle compétente pour juger Karim Wade ?

J'ai toujours soutenu que la CREI n'est pas compétente pour juger des faits commis par un ministre dans l'exercice de ses fonctions. C'est l'article 7 de la loi sur la CREI qui en dispose. Par ailleurs, il faut nécessairement une qualité à monsieur Karim Wade pour être jugé devant la CREI. Le Parquet spécial soutient que, au moment de la mise en demeure adressée à Karim Wade, ce dernier n'était plus ministre et que c'est à ce moment précis que s'est constitué le délit d'enrichissement illicite... La question qui se pose et à laquelle le Parquet spécial n'a jamais répondu, c'est: en quelle qualité Karim s'est enrichi illicitement? Si c'est en sa qualité de ministre, il est justiciable de la Haute cour de justice ; si ce n'est pas en sa qualité de ministre, il ne peut être poursuivi pour le délit d'enrichissement illicite parce que, selon cette loi, il faut bien une qualité prévue par elle-même pour être poursuivi du délit d'enrichissement illicite. En l'espèce, il ne peut être que la qualité de ministre d'ou la compétence de la Haute cour de justice.

Je voudrais terminer sur l'appréciation par le juge de l'avis d'un expert. Il est vrai que cet avis ne lie pas le juge juridiquement, mais le juge est contraint d'y tenir compte pour rendre une décision éclairée. Le juge est maître de son domaine comme l'expert est maître du sien. C'est parce que le juge n'a aucune compétence dans le domaine qu'on lui demande de rendre la justice qu'il fait appel à un homme de l'art dans ce domaine précis. Il n'est donc pas normal que le juge ne tienne pas compte de l'avis de l'expert en rendant sa décision dans un domaine qu'il ne maîtrise pas. Il est également faux de dire que le juge n'encourt aucune responsabilité quand il ignore volontairement l'avis de l'expert qu'il a lui-même sollicité pour éclairer sa décision dans l'intérêt de la manifestation de la vérité. Dans le cas où le juge ignorerait volontairement l'avis de l'expert pour rendre une décision qui aurait des conséquences néfastes pour ne pas avoir tenu compte de l'avis avisé de l'expert, la responsabilité du juge et de l'État serait engagée.

Pour la réduction du mandat présidentiel, Macky Sall a opté pour la voie référendaire. Selon vous, est-ce la meilleure solution ?

J'avais préconisé la démission du Président Macky Sall au terme d'un mandat de cinq années devant le mutisme qui entourait la procédure pour respecter son engagement de réduire son mandat de sept a cinq ans, mais maintenant qu'il a publiquement opté pour la voie référendaire – et il me l'a confirmé personnellement -, je suis parfaitement d'accord avec cette voie qui est légale et légitime. En effet, je disais récemment, lors d'une émission à une télévision de la place, que la seule source du pouvoir, la seule constante dans une République démocratique, c'est le peuple souverain. Donc, se référer à ce peuple souverain pour une question d'intérêt national qui touche le régime et intéresse la République ne peut être que salutaire, légitime et légal. Par conséquent, la voie référendaire est la meilleure solution parce qu'étant la solution la plus légale et la plus légitime pour réduire le mandat présidentiel qui n'est pas le mandat du Président, mais le mandat du peuple souverain. La démission ne réglerait que le mandat du Président qui est personnel et non pas le mandat présidentiel qui est le mandat du peuple souverain inscrit dans la Constitution et qui n'appartient pas à Macky Sall.

Pourtant, en 2007, la loi portant durée du mandat présidentiel avait été modifiée par la voie parlementaire...

J'ai toujours soutenu que la modification de la durée du mandat intervenue en 2007 par la voie parlementaire et qui portait sur la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans violait l'article 27 de la Constitution. Celui-ci disposait clairement que la durée du mandat ne pouvait être modifiée que par la voie référendaire. À mon avis, il n'y a pas lieu de distinguer dans cet article séparé par un aliéna la durée du mandat et la limitation du mandat, quand on sait que l'aliéna (qui veut dire aller à la ligne) est une jonction entre deux idées d'un même esprit et d'un même article. Par conséquent, la voie référendaire est juridiquement obligatoire pour modifier et la durée et la limitation du mandat présidentiel.

En proposant de recourir au référendum pour modifier la durée du mandat présidentiel, Macky Sall rétablit l'orthodoxie juridique dans l'interprétation et l'application de l'article 27 de la Constitution. Il fait respecter la volonté du constituant de verrouiller la modification de la durée et de la limitation du mandat présidentiel. Ce sont ces deux notions contenues dans le même article qui ont préoccupé le constituant quant à leur stabilité, d'où la voie référendaire pour leur modification prévue par l'article 27 de la Constitution.

Est-ce que dans ce contexte de morosité économique, la tenue d'un référendum est opportune ?

Il ne faut pas que la morosité économique entraîne la morosité démocratique. Un pays a besoin de vivre économiquement et démocratiquement et c'est la démocratie qui impulse et libère l'économie. La consultation du peuple est un temps fort de la démocratie et il faut souvent y recourir pour permettre son expression. Il faut d'ailleurs relativiser le coût du référendum qui est beaucoup moins onéreux que le coût des élections locales ou législatives. En effet, c'est le nombre de bulletins confectionnés qui augmentent le coût des élections locales et législatives. Pour le référendum, il n'y a que deux bulletins à confectionner et le matériel électoral qui a servi aux élections locales (urnes, encre indélébile...) est toujours en place. Donc, ce coût peut être évalué à environ un milliard de francs CFA et il ne faut pas oublier que la démocratie a un coût.

Certains suggèrent que le référendum prenne en compte les réformes proposées par la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri). Qu'en pensez-vous ?

Dans un référendum, le peuple doit répondre à une question bien précise et non à une multitude de questions pour éviter la confusion et l'amalgame. En général, le peuple doit répondre par Oui ou par Non à une question précise. Par exemple : le mandat présidentiel doit-il être réduit de sept à cinq ans ? Et le peuple répond oui ou non.

Entretien réalisé par la rédaction de Leral.net