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Entretien-Mody Guiro, secrétaire général de la CNTS : «le Pds, à l’époque, avait bien instrumentalisé Cheikh Diop et Cie qui ont créé la Cnts/Fc»


Rédigé par leral.net le Mardi 17 Janvier 2017 à 14:49 | | 0 commentaire(s)|

Mody Guiro, le secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts).
Mody Guiro, le secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts).

Les syndicats du Sénégal préparent les prochaines élections de représentativité, prévues au mois de mai. Vainqueur de la précédente édition, la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (Cnts) est convaincue de rééditer l’exploit. Selon Mody Guiro, la pléthore d’organisations syndicales affaiblit le mouvement social. Le Secrétaire général de la Cnts évoque également dans cet entretien la mensualisation des pensions de retraite, la pression fiscale, entre autres.

 
Comment se porte le mouvement syndical au Sénégal ?
 
Le mouvement syndical sénégalais vit, s’accroche et se bat, mais il reste divisé et fragmenté, ce qui constitue une faiblesse. Ce n’est pas une particularité sénégalaise, c’est la marque des organisations des pays africains francophones. Les syndicats étant des écoles de démocratie, on se rend compte, de plus en plus, que cette démocratie donne lieu à des abus voire à de l’ultra-démocratisme. Et on tire les justifications dans la Convention 87 de l’Oit, qui dit que les travailleurs ont la liberté de s’organiser librement, d’élire librement leurs dirigeants, sans intervention ni interférence des patrons et des gouvernements. Mais, nous pensons qu’il y a une déformation de l’interprétation de cette disposition, parce que même si nous sommes d’accord pour accepter le pluralisme syndical, nous devons aussi comprendre que la force du mouvement syndical réside dans son unité. Au Sénégal, comme ailleurs, les organisations se créent parfois sur des bases politiques ou parce qu’il n’y a pas une culture démocratique au sein des organisations ou encore parce que le jeu démocratique n’est pas accepté par les leaders syndicaux. Le mouvement syndical sénégalais est donc faible, parce que fragmenté. Aussi avons-nous pensé qu’il faudrait arriver à réglementer cela par l’organisation d’un dialogue social bien compris, en s’appuyant sur des organisations réellement représentatives.
 
A votre avis que faire pour remédier à cette pluralité de syndicats ?
 
Je pense d’abord que tous les leaders syndicaux doivent accepter le jeu démocratique.  Il faut que nous acceptions de nous remettre en cause, de remettre le mandat à nos bases, lorsqu’il arrive à terme. Il faut aussi que nous acceptions de convoquer nos instances et donner les bonnes informations à nos militants. Et quand on va à une compétition démocratique et qu’on est battu, il faut accepter le verdict et ne pas aller créer une autre structure parallèle. C’est ce qui fait qu’il y a beaucoup d’organisations non représentatives qui vicient et altèrent le jeu démocratique et le dialogue social. Nous devons donc construire un mouvement syndical fort et, pour ce faire, les travailleurs ont besoin d’institutions syndicales fortes, parce qu’unies et crédibles. Dans le cas contraire, il est évident que dans la prise en charge des revendications des travailleurs, on perdra beaucoup de temps et d’énergie.
 
Mais qu’est-ce qui explique réellement cette création effrénée d’organisations syndicales, les privilèges et autres avantages ?
 
De notre point de vue, le syndicalisme est avant tout un engagement volontaire et personnel, on le fait sans attendre de contre-partie ou de récompense. Mais de nos jours, certains estiment que lorsqu’on devient responsable syndical, c’est une occasion pour accéder à des postes ou des fonctions de représentants des travailleurs dans certaines institutions. Mais pour d’autres, on est syndicaliste, parce qu’on a été militant, on a voulu combattre les injustices jusqu’à arriver à une certaine station, après plusieurs années de combat. Mais, je pense que cette culture va disparaître, avec l’organisation des élections de représentativité et il faut avoir le courage de le reconnaître. Les gouvernements ou partis politiques au pouvoir de certains pays ont toujours favorisé l’existence de syndicats contrôlés par eux, pour pouvoir, en face d’organisations syndicales fortes, les déstabiliser ou les ralentir par des divisions.
 
Est-ce le cas au Sénégal ?
 
Je ne saurais le dire, mais il faut comprendre que c’est possible, à la lumière de ce qu’on voit un peu partout. D’ailleurs, la Cnts a été affiliée à un parti politique auparavant, mais c’est le Congrès qui m’a élu qui a réformé nos textes. Nous avions eu une confrontation où il y a eu mort d’homme, j’étais moi-même candidat porté par la majorité des travailleurs. Nous avons fait un congrès démocratique, mais puisque les autres n’étaient pas libres, ils ont refusé l’unité qu’on leur avait proposée. Nous étions donc obligés de prendre acte et poursuivre notre chemin, mais tout le monde sait que le Pds, à l’époque, avait bien instrumentalisé Cheikh Diop et Cie qui ont créé la Cnts/Fc.
 
Résultat de recherche d'images pour "cheikh diop cnts"Mais, on a l’impression de ne plus sentir les syndicats dans certaines batailles, comme l’augmentation des prix des denrées de première nécessité, n’y a-t-il pas un certain essoufflement du mouvement social ?
 
Moi je ne suis pas politicien, je suis un syndicaliste et j’ai le courage de mes idées. Pour certains, le syndicalisme se limite à faire des sorties dans les médias et crier partout, ce n’est pas mon cas. J’estime que nous devons lutter, mais aussi toujours faire preuve de responsabilité, afin que le Pouvoir et le Patronat, en face, nous écoutent, quand nous parlons. Le plus important est que nos messages passent. Nous avons toujours mené des combats axés sur des plateformes. C’est moi-même qui ai proposé à l’Intersyndicale de l’époque, de refuser de négocier sur des plateformes pléthoriques, mais sur une plateforme minimale en trois points. C’était la baisse de la fiscalité sur les salaires, la retraire à 60 ans et la baisse des loyers. Nous avons été les premiers à en parler et à le proposer au Président Wade, sous forme d’un document que nous avions appelé «Pacte de solidarité et de croissance». Mais les autres camarades nous avaient demandé d’y adjoindre la baisse des prix et l’amélioration de la mobilité urbaine. Nous nous sommes battus pendant des années avec cette plateforme en cinq points, mais entre-temps, il y a eu cet émiettement, chacun a pensé détenir l’organisation la plus forte. Ce qui nous a retardés et ensuite, il y a eu les élections de représentativité et la Présidentielle. Nous avons repris les négociations avec le Président Macky Sall qui a accepté d’appliquer la décision prise par Wade de baisser la fiscalité sur les salaires. Par la suite, il y a eu la baisse des prix des denrées et du loyer.
 
Mais jusqu’à présent l’application de cette baisse du loyer pose problème et l’inflation continue, sans qu’on ne vous entende en parler…
 
Notre plus grand problème, c’est l’emploi. Le pouvoir d’achat, le riz, l’huile (…) intéressent tous les Sénégalais. Mais, nous avons des militants affiliés chez nous. Quand ils n’ont pas de salaire ou qu’ils sont licenciés, nous devons être là pour eux. Donc, il n’y a pas que cette question, mais nous en parlons et en discutons là où il faut. Seulement quotidiennement, nous avons d’autres priorités, à savoir sauver l’entreprise. Quand on voit une entreprise fermer, des milliers de travailleurs menacés, quand on voit des Sénégalais quitter l’étranger pour venir investir dans leur pays et rencontrer des difficultés, on est obligés de les accompagner pour sauver l’entreprise et les emplois. Lorsqu’on voit des délégués licenciés, pour avoir revendiqué pour les travailleurs, des employés qui n’ont aucune protection sociale, nous devons être là pour eux. Voilà un peu le sens que nous donnons à notre action et ce n’est pas facile.
 
A propos du 1er mai, y a-t-il des avancées par rapport à la gestion du cahier de doléances ?
 
Le cahier de doléances se discute à une certaine période. C’est le ministère du Travail qui convoque et les concernés se retrouvent et discutent par secteur. Mais la période de discussion n’est pas encore arrivée.
 
Les élections de représentativité se profilent et il est décidé que ceux qui auront 10% des suffrages seront les plus représentatifs et des partenaires de l’Etat. Qu’en pensez-vous ?
 
En réalité, c’est notre revendication, parce que tout le monde dit vouloir représenter les travailleurs et il y a une pléthore de syndicats au Sénégal. Nous avons moins de 400 000 travailleurs dans le secteur structuré, fonction publique et privée…
 
Pour combien de syndicats ?
 
Près de 20 syndicats, 18 centrales syndicales, alors que dans des pays où il y a des millions de travailleurs, vous avez une organisation syndicale ou deux. C’est pourquoi nous avons exigé les élections de représentativité qui doivent se tenir en mai normalement. Nous estimons qu’il ne faut pas favoriser l’émiettement ou l’éclatement des syndicats, pour uniquement ces genres de postes ou de représentations. Lorsque les premières élections ont été convoquées, il y a 4 ans, on avait souligné le fait que ça ne servait à rien d’organiser ces élections, de perdre du temps et de l’énergie, sans fixer de seuil de représentativité. Nous avions dit qu’il fallait fixer une barre, au moins 15%, ailleurs en Afrique, c’est 25%. Mais les gens ont refusé et proposé 5%. Malgré cela, lorsque nous avons reçu le document, cette mention du taux de représentativité n’y était pas. Pour cette fois, nous avons été clairs avec les autorités : avant d’aller à ces élections, il faut nécessairement que l’on dise à partir de quel taux, on peut se dire représentatif. Certains ont dit 5%, nous avons refusé et proposé 15%. Finalement, nous avons trouvé un consensus sur 10%. Les organisations syndicales qui auront 10% seront considérées comme représentatives. Celles qui n’auront pas de représentants dans les institutions, ne bénéficieront pas de la subvention de l’Etat.
 
Vous avez parlé tantôt des entreprises, dont certaines dénoncent la lourde pression fiscale qui les tue à petits feux, quel est votre avis ?
 
Je pense que trop d’impôt tue l’impôt. L’Etat vit d’impôts, c’est vrai et il doit les recouvrer, tout le monde doit contribuer. Mais, il faut que l’impôt soit juste et équitable. Il faut que tout le monde s’acquitte de ses obligations fiscales, mais aussi que cette obligation puisse être conçue de sorte que chacun s’en sorte. Mais, si vous mettez une pression fiscale trop forte sur des gens, il est évident que même s’ils payent l’impôt, ils trouveront d’autres voies de contournement ou bien vont disparaître. Aussi, il y a des entreprises qui ont des capacités de payer qui ne le font pas. Il faudrait que le Patronat et le Gouvernement puissent réfléchir sur des mesures d’accompagnement de l’entreprise sénégalaise.
 
La mensualisation des pensions de retraite fait aussi débat, comment l’analysez-vous ?
 
La mensualisation est une revendication des retraités et ne date pas de maintenant. Elle date de plusieurs années. Le Conseil d’administration, à l’époque, avait estimé qu’il serait hasardeux de faire le bond de la trimestrialisation à la mensualisation et qu’il fallait peut-être partir sur une base bimensuelle. Après cette bimensualisation, faire l’évaluation et peut-être faire le pas. Et cela a été fait à la demande des retraités. Il est évident, quand vous engagez une réforme, que tout le monde ne peut être d’accord. Il faut faire la part des choses. Le Conseil d’administration (Ca) a eu des concertations avec la majorité des associations de retraités, il y a eu des rencontres sectorielles, des assemblées et tout le monde a compris ce qu’il fallait faire. Il y a eu également d’autres rencontres où le processus a été expliqué. Il y a eu un consensus large et ça été mis en œuvre. Quand certains disent qu’ils ne sont pas d’accord et qu’ils ne veulent pas être payés par mois, mais ils peuvent aller prendre leurs pensions tous les deux mois, c’est simple. Ce qu’il faut dire, c’est que les pensions sont faibles, malgré les efforts qui ont été consentis par l’institution. Ce sont des efforts colossaux qui ont été acceptés et engagés par le Conseil d’administration de 2008 à maintenant. Nous allons vers des réformes qui doivent faire l’objet de larges discussions avec les autorités, les retraités et les travailleurs. Mais il faut savoir qu’au niveau des retraités, tout comme pour les syndicats, certains ne parlent que pour être associés. Il y a des organisations de retraités qui assistent à toutes les délibérations du Ca, mais il y en a qui veulent être reconnues. Or, le Conseil ne peut intégrer toutes les associations.
 
Une hausse de 10% des pensions a été proposée, est-elle effective ?
 
L’augmentation et l’amélioration des pensions sont une volonté du chef de l’Etat, mais c’est le Ca de l’Ipres qui prend la décision. Et la décision d’augmenter a été prise à la suite des réformes qui ont été engagées avec la mensualisation, ce sont des mesures d’accompagnement pour que la mensualisation soit mieux acceptée par les retraités. La politique de l’institution, c’est d’augmenter les pensions chaque fois que c’est possible. La décision du Ca a donc été validée et devrait être effective dès ce mois.
 
La Cnts est arrivée première aux dernières élections de représentativité, êtes-vous confiants pour les prochaines ?
 
Absolument, il n’y a pas de doute. Nous sommes la première organisation syndicale et pensons rester l’organisation syndicale la plus représentative du Sénégal. Nous travaillons dans ce sens et souhaitons que ces élections soient bien organisées.
 
Adama Dieng (L’OBS)