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Entretien avec le ministre des Affaires Etrangeres et des Senegalais de l’exterieur, Mankeur Ndiaye :«Le Senegal n’a pas d’ennemis»

C’est à une semaine de la fin de la présidence sénégalaise du Conseil de sécurité, qui se poursuit jusqu’au 30 de ce mois de novembre que le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, Mankeur Ndiaye, s’est entretenu avec la presse sénégalaise. Dans cet entretien, où il a évidemment été question du pré-bilan de cette présidence de novembre, que le ministre juge tout à fait « réussie », Mankeur Ndiaye remonte à quelques-unes de ces étapes « diplomatiques » qui ont plus ou moins permis d’installer le Sénégal, parmi les membres non permanents du Conseil de sécurité, pour un mandat qui court jusqu’au 31 décembre 2017….

Mais disons que le Sénégal a aussi d’autres projets : le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (Ua), la tête de la Commission de l’Ua pour le Pr Abdoulaye Bathily, etc. Mankeur Ndiaye parle aussi de cette ambassade au Niger, qui devrait être fonctionnelle dans les prochaines semaines, ou de cet ambassadeur, que Dakar pourrait envoyer en République démocratique du Congo (Rdc).

Toujours dans cet entretien, Mankeur Ndiaye, qui refuse plus ou moins le titre de « chef de la Diplomatie », laisse entendre que « le Sénégal n’a pas d’ennemis », sans doute parce que sa diplomatie a toujours su trouver le bon équilibre : entre Israël et la Palestine, comme entre les deux Corées. Le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, qui aborde aussi la question du budget de son département, qui est passé de 57 à 62 milliards, insiste aussi sur la «rationalisation des effectifs».


Rédigé par leral.net le Lundi 28 Novembre 2016 à 11:00 | | 0 commentaire(s)|

Mankeur Ndiaye
Mankeur Ndiaye
Nous sommes au 22ème jour de la présidence sénégalaise du Conseil de sécurité. Peut-on tirer un pré-bilan de ce que le Sénégal a fait jusqu’ici ?

Je peux dire d’ores et déjà qu’il s’agit d’une présidence réussie, comme en témoigne ce déjeuner de travail organisé à la Mission permanente du Sénégal, dans cette Maison du Sénégal, un déjeuner de travail qui a réuni les membres du Conseil de sécurité et le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-mooon. C’est l’expression du succès de cette présidence qui va se terminer dans une semaine, mais je voudrais remonter beaucoup plus loin, pour vous dire que le candidat Macky Sall, en 2011 déjà, quand il élaborait son programme de campagne, avait été invité par l’Institut français des Relations internationales (Ifri), pour venir exposer sa politique étrangère, sa vision des relations extérieures du Sénégal s’il était élu président de la République. C’était le 29 novembre 2011, donc c’était bien avant les élections, et dans ce discours qu’il a prononcé à l’Ifri, il avait bien dit, c’est écrit noir sur blanc et c’est un document que l’on peut retrouver : «Si je suis élu président de la République du Sénégal, je travaillerai pour que le Sénégal retourne rapidement au Conseil de sécurité». C’est une promesse qu’il avait faite, et c’est une promesse tenue. Travailler pour que le Sénégal retourne au Conseil de sécurité, c’est d’abord faire en sorte que, dans l’espace Cedeao (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’ouest, Ndlr), la candidature du Sénégal soit endossée par les 15 états membres de la Cedeao, parce que la Cedeao, je le rappelle assez souvent, dispose d’un siège au Conseil de sécurité ; on peut même dire qu’elle a un siège permanent au Conseil, c’est-à-dire que parmi les trois pays africains qui représentent l’Afrique au Conseil de sécurité, il y a toujours un membre de la Cedeao. Nous aurions dû retourner au Conseil, c’est vrai, en 2008-2009, parce qu’à l’époque, le Sénégal s’était présenté et s’était finalement désisté au profit du Burkina Faso.


Cette fois-ci, nous avons été endossés par la Cedeao, comme unique candidat de l’Afrique de l’ouest, et l’Union africaine a ensuite endossé le Sénégal comme candidat de l’Afrique, avec l’Egypte, et nous avons été élus, parmi les cinq pays élus l’année dernière, pour siéger au Conseil ; et le Sénégal a été le mieux élu, avec 187 voix sur 191, classé premier. Et nous avions réfléchi déjà, depuis notre élection, sur notre programme, sur ce que nous allions faire au Conseil, parce qu’on peut être au Conseil, y passer deux années, puis partir sans laisser aucune marque. Mais nous avons dit «non», cette présence au Conseil, il faut qu’elle soit bien marquée, il faut des initiatives novatrices, et nous nous nous sommes demandé sur quoi nous allions travailler et quelles thématiques nouvelles nous pourrions proposer au Conseil. Nous avons beaucoup réfléchi, et avec le président de la République, qui a donné son accord pour la thématique « Eau, Paix, Sécurité », en tenant compte de notre expérience de pays de Bassin, avec le Fleuve Sénégal, une expérience de gestion concertée, apaisée, d’un cours d’eau international qui s’appelle le Fleuve Sénégal, mais que nous partageons avec la Mauritanie, la Guinée, le Mali, dans le cadre de ce qu’on appelle une Charte des eaux de l’Omvs (Organisation pour la mise en valeur du Fleuve Sénégal, Ndlr) ; l’Omvs que l’on a cité aujourd’hui (mardi 22 novembre, Ndlr), dans ce grand débat, comme l’organisme de bassin le mieux géré à travers le monde, avec 100% de rotations. Nous nous sommes donc tous dit qu’il fallait porter la problématique «Eau, Paix, Sécurité » : l’eau, comme élément de vie, mais également l’eau comme facteur de conflit parfois, facteur de tension, facteur de guerre, entre les états. Si vous avez suivi aujourd’hui les discussions, les passes d’armes entre les pays membres du Conseil, ou l’intervention de cet Etat riverain du Nil, vous voyez tout de suite que la question de l’eau, ce n’est pas une question neutre, c’est une question fondamentale, et tout le monde a salué l’initiative du Sénégal qui a posé pour la première fois, depuis que le Conseil de sécurité existe, autrement dit depuis 71 ans, un débat sur l’eau. Le secrétaire général des Nations Unies l’a lui-même reconnu, c’est donc une présidence réussie.

Nous avions également voulu travailler sur les questions africaines, par exemple sur les relations entre les Nations Unies et l’Union africaine, et nous avons pu faire adopter une résolution historique, (la résolution 2320, Ndlr) il y a quelques jours, sur la coopération entre les Nations Unies et l’Union africaine, une résolution historique, qui a été âprement négociée. Vous avez suivi le débat, les différentes interventions qu’il y a eues sur la problématique du financement des Opérations de maintien de la paix. D’autres initiatives ont été prises parce que le Sénégal préside un certain nombre de sous-comités au sein du Conseil de sécurité : le comité des Opérations de maintien de la paix, le comité sur les sanctions au sud Soudan, parmi tant d’autres…Donc nous sommes en train de réaliser les objectifs que nous nous étions fixés, en présentant d’abord notre candidature au Conseil de sécurité, en y étant depuis le 1er janvier, et en assumant la présidence du Conseil, une présidence extrêmement chargée, avec des thématiques importantes qui mobilisent la communauté internationale ; quand on a près de 70 inscrits pour un débat comme celui de ce jour, sur la problématique de l’Eau, cela montre que c’est une question qui préoccupe fondamentalement la communauté internationale, fondamentalement les Nations Unies.

Mais au-delà de cela, je voulais également vous dire que nous avons une vision claire de ce que nous voulons faire, parce que la diplomatie c’est la mise en œuvre de la politique étrangère, c’est la définition la plus simple, mais la politique étrangère est quant à elle définie par le président de la République : les axes, les orientations, les choix sont définis par le Président, c’est une prérogative constitutionnelle du Président, parce que la diplomatie est un domaine réservé comme on dit, pas un domaine partagé. Et le président de la République avait déjà, dans son discours de l’Ifri, défini les orientations de sa politique étrangère, une diplomatie de paix, de bon voisinage, de défense et de promotion de la diaspora, une diplomatie économique également, une diplomatie de souveraineté nationale. Cela veut dire que les choix, les orientations, les positions du Sénégal sont définis par le chef de l’Etat lui-même, et pas imposés par quelque pays, ami ou partenaire, que ce soit, à travers le monde. Une diplomatie d’indépendance, mais aussi une diplomatie de coopération et d’intégration, ce qui explique le fait que nous soyons dans des organismes de bassin comme l’Omvs ou comme l’Omvg, mais aussi dans la Cedeao et l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine, Ndlr), et une diplomatie ouverte sur le monde, qui explique notre appartenance à différentes aires de coopération comme l’Organisation de la coopération islamique (Oci), comme la Francophonie, qui va avoir son Sommet, dans quelques jours, à Madagascar…


Une diplomatie d’ouverture, mais fondée sur des piliers, parce que nous avons des amitiés, des amitiés anciennes, nouvelles. (…) Nous avons de vieilles amitiés, classiques, consolidées, mais il faut également chercher de nouveaux partenariats, ce qui explique par exemple que le Président se soit déplacé pour aller en Pologne, pour la première visite officielle d’un chef d’Etat sénégalais en Pologne, ce qui explique aussi que le Président, il y a quelques mois, ait effectué une visite officielle au Kazakhstan. Nous sommes en train de mettre en œuvre ces choix et ces orientations définis par le président de la République, et nous nous engageons également dans des batailles importantes, la bataille pour l’élection du Pr Abdoulaye Bathily par exemple, à la tête de la Commission de l’Union africaine, et c’est aussi un choix du Président, parce que nous avons pensé que nous avons des cadres valeureux, compétents, qui ont l’expérience acquise, le profil requis pour conduire les destinées d’une organisation aussi importante que l’Union africaine.


La promotion pour la candidature du Pr Bathily a déjà commencé ; hier (lundi 21 novembre, Ndlr), le ministre de l’Education nationale, Serigne Mbaye Thiam, a été reçu par le Président Omar el-Béchir du Soudan. Il y a quelques jours, c’est le Président Essebsi de la Tunisie qui recevait le ministre Omar Guèye (ministre de la Pêche et de l’Economie maritime, Ndlr), et il y a quelques jours également, le Président Sassou Nguesso du Congo recevait le ministre de la Justice Sidiki Kaba. Il y a d’autres missions qui ont commencé à circuler, à travers le Continent, pour assurer la promotion de la candidature du Pr Bathily. C’est l’un des objectifs que nous visons : diriger la commission de l’Ua, et nous avons aussi l’ambition, après la fin de notre mandat au Conseil de sécurité, donc après le 31 décembre 2017, d’intégrer le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, qui est plus ou moins le pendant du Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous sommes déjà candidats, en 2017, pour retourner au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève, nous avons là aussi entamé la campagne, parce que nous voulons renforcer notre présence et notre influence dans le monde. Nous sommes un petit pays qui s’appelle le Sénégal, avec même pas15 millions d’habitants, moins de 200 au mètre carré, mais comme on dit et le rappelle, c’est le premier contributeur en matière de forces de police à travers le monde, le 7ème contributeur sur les 128 qui contribuent aux Opérations de maintien de la paix à travers le monde, 3ème sur le continent africain et 1er en Afrique de l’ouest. Le Sénégal est un pays respecté, sa voix est écoutée, même si c’est un petit pays, et lorsqu’on nous dit partout que nous sommes une grande puissance diplomatique, nous disons que nous sommes une petite grande puissance diplomatique. C’est l’ambition d’un pays qui s’appelle le Sénégal, qui veut contribuer au développement des idées du monde, qui veut peser sur les décisions dans le monde, un pays qui compte. Le Sénégal est aussi respecté en tant que pays démocratique, un pays d’idées, parce qu’il fallait penser à toutes ces thématiques-là, la problématique « Eau, Paix, Sécurité », le lien que nous avons fait n’était pas évident. (…) Notre présidence n’est pas terminée, elle prend fin ce 30 novembre, et nous ferons ensuite le point sur toutes les réalisations durant notre présidence.

Il y a une nouvelle touche que vous avez apportée, avec les anciens diplomates qui ont été conviés ici à New-York ? Quel est le sens de cette démarche ?


Nous avons des ressources humaines de qualité, malheureusement à la retraite, et qui peuvent encore contribuer à la réflexion. Ce sont les Doyens, qui ont créé une amicale des anciens ambassadeurs de la carrière diplomatique ; ce qui signifie que seuls les diplomates de carrière, qui ont été ambassadeurs, peuvent être membres de cette organisation, même s’il y a la possibilité de permettre à d’autres, qui ne sont pas de la carrière diplomatique, de pouvoir être associés à cette amicale, et j’ai pensé qu’il était possible d’utiliser leur expérience, leur expertise, et c’est ce qu’ils font. Depuis qu’ils se sont constitués en organisation, le ministère les consulte et travaille avec eux. Dans le comité du Conseil de sécurité que nous avons d’ailleurs mis en place à Dakar, avant notre élection, pour suivre tout ce qui se fait au jour le jour, préparer les instructions, les décisions de vote, parce qu’au Conseil vous êtes obligés de voter, de vous prononcer, vous ne pouvez pas vous débiner ou sortir de la salle pour éviter un vote, abstention, pour ou contre…Et donc nous avons mis en place un comité du Conseil à Dakar, qui travaille en étroite collaboration avec la Mission permanente ici, qui reçoit tous les messages qui viennent de New-York, qui les examine, et qui prépare parfois même des projets d’allocution pour l’ambassadeur, et qui prépare également les propositions de directives, que nous soumettons au président de la République qui décide, qui nous dit s’il faut voter dans tel sens, pour, contre ou s’abstenir…C’est lui qui décide, le ministre des Affaires étrangères, lui, met en œuvre, même s’il participe naturellement à la formation de l’opinion du Président sur certaines questions. La presse aime parler de «chef de la Diplomatie», c’est un langage journalistique, mais pour nous, le chef de la diplomatie, c’est le Président.


Ce comité a donc, en son sein, d’anciens ambassadeurs de la carrière diplomatique, qui ont fait New-York ; nous avons pensé que ceux qui ont servi à New-York, surtout au moment où nous avons été au Conseil pour la deuxième fois, en 1988-1989, pouvaient parfaitement être intégrés dans ce comité. C’est le cas de l’ambassadeur Seydou Nourou Ba, qui a siégé au Conseil de sécurité en 1988-1989, qui était ministre-conseiller à l’époque, c’est aussi le cas de Kéba Birane Cissé qui a été Représentant permanent du Sénégal aux Nations Unies, en plus d’un autre diplomate, Alioune Diagne, qui a servi avec moi à New-York, où il était ministre-conseiller et moi Premier conseiller. On l’oublie parfois, mais j’ai servi à New-York, de 1997 à 2003, diplomate en poste à la Mission, d’abord Deuxième Conseiller, ensuite Premier Conseiller, jusqu’à mon départ en 2003, pour être le directeur de Cabinet du ministre des Affaires étrangères Cheikh Tidiane Gadio.


Vous avez dressé un premier bilan de la présidence sénégalaise du Conseil de sécurité, et vous avez fait le tour de la diplomatie sénégalaise, avec vos propres mots. Mais les cinq membres permanents du Conseil de sécurité parlent tous de leadership du Sénégal. On a aussi entendu dire que c’était un jour historique pour le Sénégal, qui a permis au Conseil de sécurité d’aborder, pour la première fois les questions de paix et de sécurité liées à l’accès à l’eau ; sans parler de cet hommage à la diplomatie préventive du Sénégal incarnée, depuis les années 60, par le président Senghor. Qu’en pensez-vous ?


Vous savez, ce n’était pas très évident, au départ, quand le président de la République a donné son accord pour proposer ce thème au Conseil : « Eau, Paix, Sécurité ». Ce n’était pas très évident, pour beaucoup de membres des Nations Unies et même pour certains membres du Conseil, parce que l’agenda mensuel du Conseil est un agenda consensuel, c’est-à-dire qu’il faut que tous les 15 membres du Conseil tombent d’accord sur le programme du mois, et s’il y a un seul membre qui n’est pas d’accord là-dessus, ce thème est écarté. C’est la procédure. Pour la problématique « Eau, Paix, Sécurité », il y avait quelques membres réticents, parce que le thème était un peu délicat, qu’il y avait des pays qui ne s’entendaient pas et qui avaient parfois des conflits liés à l’eau, et parce qu’il ne faudrait pas que le Conseil de sécurité puisse se mêler de ces choses-là. Ils ont même proposé que l’on discute de ces choses-là, mais dans d’autres instances des Nations Unies, à l’Assemblée générale par exemple ou dans d’autres commissions, plutôt que d’en parler au Conseil de sécurité.


Mais nous avons tenu tête, en expliquant l’importance de ce thème, et l’approche que l’on voulait promouvoir ; que ce n’était pas, pour nous, l’occasion de soulever des tensions, des conflits, ou de les ressusciter, mais que c’était pour attirer l’attention de la communauté internationale et du Conseil de sécurité sur une question très importante, stratégique, en tenant compte des changements climatiques aujourd’hui, en tenant compte de la raréfaction des sources d’eau, et des tensions qui peuvent être liées à l’eau ; en tenant compte aujourd’hui de la globalité de la menace terroriste, parce que l’eau peut être un instrument de guerre, comme elle peut être un instrument aux mains de groupes terroristes, et que c’était important d’y réfléchir. C’est comme les armes nucléaires aujourd’hui. Beaucoup de mesures préventives sont prises, pour éviter que l’arme nucléaire ne tombe entre les mains de groupes terroristes : ce serait la catastrophe. Idem pour l’eau, qui pourrait être contaminée ; c’est important de réfléchir en termes de diplomatie préventive, et c’est l’approche que nous avons expliquée à nos partenaires, qui avaient donc la possibilité, le jour du débat, de dire tout ce qu’ils en pensaient. Et si vous avez vu autant d’inscrits, (69, Ndlr), c’est parce qu’aucun d’entre eux ne souhaitait que son voisin vienne parler des problèmes d’eau qu’il rencontre, alors que lui n’est même pas inscrit : ce serait une catastrophe. Les gens sont restés dans la salle, chacun écoutant ce que dirait son voisin au sujet de ce bassin qu’ils partagent. Vous avez suivi un peu l’intervention d’un grand pays du Nil, sur les problèmes d’eau qu’il rencontre, parce qu’il y a un problème de partage de ce grand fleuve qui se pose, entre neuf pays riverains.


C’est difficile, sans oublier que les gens n’ont parfois pas de Charte des eaux qui définit les principes, les objectifs et les mécanismes de coopération comme nous en avons par exemple dans le cadre de l’Omvs. Le fleuve s’appelle « Sénégal », mais nous avons accepté de le gérer ensemble, de développer des ouvrages communs, comme le barrage anti-sel de Diama, un ouvrage qui est au Sénégal, mais qui appartient aux quatre pays, ou comme le barrage hydro-électrique de Manantali, qui est au Mali, mais qui appartient aussi aux quatre pays, et qui produit l’électricité distribuée à ces quatre pays selon des modalités de partage, comme la Société de gestion et d’exploitation de la navigation du Fleuve Sénégal (Sogenav), qui appartient aux quatre pays, mais qui est basée en Mauritanie. C’est donc une expérience que l’on ne retrouve pas partout, et pour nous, il fallait la partager. Nous avons, avec les briefeurs, beaucoup travaillé sur la problématique, et eux sont satisfaits, parce que c’est une bataille qu’ils mènent depuis des années, mais c’est la première fois que leur lutte est consacrée, par un débat public au Conseil de sécurité. Nous avons aussi voulu associer le Comité international de la Croix-Rouge à ce débat, parce que le Cicr joue un rôle important dans la mise en œuvre du Droit humanitaire en cas de conflit.

Est-ce qu’il s’agirait d’un renouveau de la diplomatie sénégalaise qui était un peu passée aux oubliettes, il y a quelques années ?


Je ne dirais pas «passée aux oubliettes». Je suis quand même acteur de la diplomatie sénégalaise depuis 25 ans. Tout dépend un peu des périodes de l’Histoire. Cette période que nous vivons est différente de celles que nous avons vécues il y a 10-20 ans. Les opportunités ne sont pas les mêmes, l’intérêt ou les intérêts de la communauté internationale sur telle ou telle question peuvent aussi varier, d’un moment à un autre. Nous avons quitté le Conseil de sécurité en 1989, et nous y retournons en 2016. L’activité diplomatique ne peut pas être la même (…) Mais je pense que naturellement, il y a un repositionnement stratégique sous le leadership du Président Macky Sall du Sénégal, qui est incontestable aujourd’hui, une présence beaucoup plus forte sur la scène internationale, et avec une adaptation de la carte diplomatique du Sénégal, parce qu’il faut se donner les instruments de l’action diplomatique, d’abord avec la carte diplomatique. Nous avons regardé cette carte et nous avons dit : « Nous sommes faiblement représentés dans telle région du monde, en Amérique latine par exemple ». Nous avons, pour tout l’espace de l’Amérique latine et des Caraïbes, une seule représentation diplomatique, qui est au Brésil, et nous pensons que c’est très insuffisant, et que notre présence devrait être renforcée dans cette région du monde. Nous avons d’ailleurs une sorte de planification pour l’ouverture ou la réouverture de certains postes diplomatiques dans cette région. Sur cette carte, le Président s’est dit que nous étions sous-représentés dans l’espace Europe centrale et orientale. Nous avions une seule ambassade, la Russie, c’est pourquoi le Président a décidé d’en ouvrir une en Pologne. Nous avons aussi renforcé notre présence en Afrique, qui est la base, avec plus de 20 missions diplomatiques : nous avons ouvert, et cela va être fonctionnel dans quelques semaines, une ambassade au Niger, où il n’y avait jusque-là qu’un consul honoraire. Le Niger est un pays membre de l’Uemoa, de la Cedeao, et qui se trouve dans une zone géographique et géostratégique extrêmement importante : c’est la route vers la Libye, beaucoup de nos compatriotes sont parfois en détresse au Niger, parce que venant de la Libye, ou tentant d’aller en Libye pour rejoindre l’Europe.

Il y a aussi la République démocratique du Congo (Rdc), le plus grand pays d’Afrique, avec beaucoup de Sénégalais, et le Zaïre, le nom de la Rdc à l’époque, a été l’une des principales zones d’émigration pour les Sénégalais. (…), et certainement dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines, un ambassadeur du Sénégal va être nommé en Rdc. C’est de cette façon que nous arriverons à renforcer notre présence et notre influence dans le monde.


La diplomatie a donc toujours été une des ressources, une des matières premières du Sénégal. (…) Une mission diplomatique coûte très cher, il faut le dire : payer des salaires, des indemnités de salaire, des indemnités de logement, des frais médicaux, des frais de scolarité, pour 600 personnes quasiment, parce qu’aujourd’hui, globalement, l’effectif du ministère des Affaires étrangères fait 1000 personnes, 1000 agents, et les 2/3 sont à l’extérieur. Vous voyez un peu en termes de coût. Un conseiller d’ambassade à Tokyo ou à Séoul coûte 95 millions par an. Mais si la diplomatie a un coût, elle rapporte, même si ce n’est pas toujours quantifiable. (…) C’est pourquoi nous parlons aussi de diplomatie économique. Il y a deux ans, nous avons tenu une conférence des ambassadeurs autour de ce thème : comment mobiliser les ambassadeurs, les consuls généraux, dans la promotion de la destination-Sénégal, dans l’information économique sur le Sénégal, comment chercher des investisseurs. Ce sont des missions essentielles, nous avons voulu réorienter l’action de nos chefs de poste diplomatique dans la diplomatie économique, de plus en plus, et nous avons essayé d’ouvrir des Bureaux économiques dans quelques ambassades. Vous voyez venir certains investisseurs, qui ont été « démarchés » par des ambassadeurs, par des consuls généraux. Les gens ne voient parfois que les coûts, les dépenses, pas ce que la diplomatie rapporte. Le budget du ministère est passé de 57 à 62 milliards, on voit l’augmentation du budget, que le ministère coûte trop cher, mais on ne voit pas en retour ce que les Affaires étrangères rapportent. C’est un travail de fond, il faudrait que l’on aille vers cela.
J’ai parlé de la carte diplomatique, mais il faudrait insister sur la rationalisation des effectifs : notre budget passe de 57 à 62 milliards, mais avec une diminution des dépenses de personnel, parce que nous avons pris, depuis l’année dernière, des mesures de rationalisation des effectifs, en ne remplaçant pas toujours, poste par poste, les agents qui sont en fin de séjour. Parce que ça coûte cher, il faut rationaliser et davantage professionnaliser ; même si on ouvre des ambassades, les dépenses de personnel n’augmentent pas parce que nous procédons plutôt à des redéploiements d’agents, et non à l’affectation d’agents à partir de Dakar. Nous procédons parfois à des mutations : on peut ouvrir une ambassade au Niger, sans que les dépenses de personnel n’augmentent, parce qu’on prendra un diplomate qui est par exemple à Washington, un autre en Afrique du Sud, pour les redéployer au Niger.

Vous parlez de la République démocratique du Congo, où le Conseil de sécurité s’est rendu récemment. Quel suivi faites-vous de la situation dans ce pays ?


C’est sous la présidence sénégalaise du Conseil de sécurité que cette mission d’information en République démocratique du Congo (Rdc) a eu lieu ; une mission à laquelle a participé le Représentant permanent adjoint du Sénégal aux Nations Unies, l’ambassadeur Gorgui Ciss, qui a été conduite par le Représentant permanent de la France aux Nations Unies, parce que la France est ce que l’on appelle le porte-plume sur toute question concernant la Rdc, comme le Sénégal est le porte-plume pour toute question concernant la Guinée Bissau. La mission en Rdc a rencontré largement tous les acteurs, et nous espérons qu’elle aura une suite favorable, parce qu’immédiatement après, vous avez vu la nomination d’un Premier ministre issu de l’opposition, et nous espérons qu’avec le dialogue national, un consensus sera trouvé, notamment sur la date des élections. C’est une question que le Conseil va continuer à suivre.

On a dit beaucoup de bien de l’Omvs et de l’Omvg. Diriez-vous que ce sont des exemples parfaits de coopération autour de l’eau ?


On ne peut pas dire que c’est un exemple parfait de coopération, il n’y a pas de perfection de ce point de vue-là, mais l’Omvs est cité comme exemple, comme modèle, par son expérience, et surtout par le fait qu’il y a des acquis concrets, des ouvrages qui ont été réalisés : une société de navigation, deux barrages, et c’est important que l’on ait mis l’accent, au cours de ce débat, sur l’Omvs, et sur l’Omvg qui a été créé après, et qui a quand même traversé une certaine « crise » pendant presque 10 ans, durant toute la période où la Guinée Bissau a été dans une situation un peu difficile, et où l’organisation ne s’est pas tellement réunie, il y a eu beaucoup d’arrêts de contributions. Les chefs d’Etat se sont réunis en Sommet, il y a quelques mois, pour relancer l’organisation, mettre en place les structures, et il y a un important projet de l’Omvg, le barrage de Sambagalou, pour lequel les Etats-membres sont en train de chercher des financements.
On ne peut pas parler de la diplomatie sénégalaise sans parler du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien que le Sénégal dirige depuis sa création en 1975,
Vous l’avez dit : le Sénégal préside ce comité depuis sa création en 1975, et le mandat de ce comité, qui est un organe de l’Assemblée générale des Nations Unies, est renouvelé chaque année. Il n’y a pas de candidat contre, et tout le monde dit que le Sénégal doit continuer…Le rôle que nous jouons sur la question palestinienne ne nous empêche pas d’avoir des relations diplomatiques avec Israël, d’abriter une ambassade d’Israël à Dakar, et de nommer, peut-être très prochainement, dans les prochains jours, un ambassadeur du Sénégal auprès du gouvernement israélien, avec résidence au Caire. Nous sommes un pays assez équilibré, une diplomatie équilibrée, qui prend en compte les préoccupations de tout le monde. Le Sénégal n’a pas d’ennemis à travers le monde, parce qu’un pays qui a des ennemis ne peut pas obtenir 187 votes secrets sur 191, avec un bulletin nul, une abstention, etc. Il faut que cette diplomatie d’équilibre se poursuive : parler à tout le monde. Nous parlons à l’Iran, nous sommes amis à l’Arabie saoudite, nous parlons à tous les acteurs, nous avons d’excellentes relations avec la République démocratique populaire de Corée, comme nous en avons aussi avec la République de Corée. A Dakar, vous avez d’ailleurs une ambassade de la République de Corée, dont la capitale est Séoul, et vous avez une ambassade de la République démocratique populaire de Corée, dont la capitale est Pyongyang ; deux pays qui ont des relations que vous connaissez. L’équilibre donc, mais aussi un engagement fort, dans le dossier palestinien : nous soutenons la lutte du peuple palestinien dans la lutte pour recouvrer ses terres, sa souveraineté, et nous sommes pour la solution des deux Etats, la Palestine et Israël, vivant côte à côte, dans des frontières sûres et internationalement reconnues et garanties. C’est cela ma position sur cette question : oui pour la Palestine, mais être avec la Palestine ne veut pas dire être contre Israël.

Un mot sur l’immersion de la presse sénégalaise au Conseil de sécurité ?


Presse et diplomatie ne font pas toujours pas bon ménage, et certains sont allés jusqu’à dire que Cnn est le 6ème membre permanent du Conseil de sécurité, et le 16ème membre du Conseil de sécurité. Je donne l’exemple de Cnn, parce que nous sommes aux Etats-Unis. La presse peut aller parfois plus vite que la diplomatie, elle peut la déclencher, en attirant l’attention de la communauté internationale sur telle crise, tel conflit, tel massacre. Si la presse met par exemple l’accent sut tel massacre dans tel pays, le Conseil de sécurité peut immédiatement se réunir, en tenant compte de l’information fournie par la presse, qui peut donc accélérer l’action diplomatique. Elle peut aussi la gêner, il faut donc trouver le bon équilibre entre presse et diplomatie. Et j’avais pensé, avec le Président, qu’il était important que nous profitions de notre présence au Conseil de sécurité, pour davantage familiariser notre presse avec les grands dossiers que traitent les Nations Unies, qui sont les dossiers du monde. La presse sénégalaise s’intéresse aussi à l’activité internationale, dans tous les journaux vous avez une page « International », mais qu’est-ce que le Conseil de sécurité, comment fonctionnent les Nations Unies, et comment nous travaillons au niveau de la Mission permanente ? C’est pourquoi, au-delà de la couverture des débats, nous avions établi un plan de contact avec d’autres acteurs, d’autres personnalités du système, pour que vous puissiez rencontrer les compatriotes qui travaillent au Pnud, à l’Unicef, ceux qui sont au Secrétariat général, pour savoir exactement ce qu’ils y font. Nous n’avons malheureusement pas eu les moyens d’inviter toute la presse sénégalaise, c’est vrai, mais nous avons dû choisir, par rapport aux moyens dont nous disposons. Mais comme nous sommes encore au Conseil pour un an, vos collègues journalistes qui n’ont pas pu y participer, auront la possibilité de le faire durant l’année 2017, qui est notre deuxième année de mandat. (…) Nous envisageons également de développer nos relations avec la presse, de donner suffisamment d’informations à la presse sur ce que nous faisons. On ne peut pas tout dire en diplomatie, la diplomatie ne se fait pas sur la place publique, mais il faut que la bonne information soit donnée à la presse, c’est pourquoi nous sommes en train de réfléchir à la création d’un poste de porte-parole du ministère des Affaires étrangères, avec des journalistes accrédités au ministère, pour des points peut-être pas quotidiens mais hebdomadaires, ou lorsqu’il y a des événements importants.
Les Opérations de maintien de la paix rapportent chaque année 34 milliards au Trésor sénégalais, mais en retour les opérateurs sénégalais ne s’investissent pas beaucoup dans l’approvisionnement des missions.
Le marché des Nations Unies, c’est des milliards, et nous avions voulu, durant notre présidence au Conseil de sécurité, familiariser les hommes et femmes d’affaires sénégalais avec le marché des Nations Unies, l’approvisionnement. Par exemple, pour la Minusma au Mali, c’est des millions de dollars qui sont dépensés, que ce soit pour la fourniture en eau, le riz, le sucre, je donne des exemples, ou pour les quelque 12.000 troupes qui sont basées au Mali. C’est un marché extrêmement important et nous pensons que nos hommes et femmes d’affaires doivent se familiariser avec les mécanismes de fonctionnement et les appels d’offres des Nations Unies. C’est un travail que nous avons commencé et que nous allons poursuivre jusqu’à la fin de notre mandat.

sudonline, envoyée spéciale New York (Usa)