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[Grand entretien] Journaliste reporter sportif: Abdoulaye Diaw se raconte

Rédigé par leral.net le Vendredi 9 Juillet 2021 à 18:30 | | 0 commentaire(s)|

Ce vendredi, le reporter sportif Abdoulaye Diaw, ancien de la Rts, qui officie actuellement à Gfm, sera honoré à travers un «Sargal» en différents actes. Ce matin, sera baptisée en son nom la route qui passe devant la porte principale du stade Demba Diop. Et l’après-midi, le stade Alassane Djigo de Pikine abritera des matches […]

Ce vendredi, le reporter sportif Abdoulaye Diaw, ancien de la Rts, qui officie actuellement à Gfm, sera honoré à travers un «Sargal» en différents actes. Ce matin, sera baptisée en son nom la route qui passe devant la porte principale du stade Demba Diop. Et l’après-midi, le stade Alassane Djigo de Pikine abritera des matches de gala entre 2 sélections d’anciens internationaux de football et des sélections des régions de Saint-Louis, Thiès, Ziguinchor et Kaolack. Demain samedi, l’illustre journaliste recevra au Cices des cadeaux et dons à la dimension des services qu’il a rendus au sport sénégalais. Nous avons rencontré Laye Diaw pour évoquer ce jour particulier et une partie de sa riche carrière.

Propos recueillis par Absa NDONG (Photos Ndeye Seyni SAMB)

  «Que représente pour vous ce «Sargal» ?

C’est une reconnaissance. Reconnaissance de ceux avec qui j’ai travaillé pendant de très longues années. Le sport a réellement débuté pour moi en 1968 à Kaolack. J’ai noué des amitiés de dimension souvent fraternelle. J’ai été distingué, c’est vrai, hors du Sénégal, mais cette distinction-ci est particulière parce qu’elle vient de ceux avec qui j’ai partagé la corvée du quotidien dans ce milieu où faire l’unanimité est difficile. Baigner dans un jour comme celui-ci signifie être reconnu de tous et peut-être dans le bon sens. C’est comme cela que je comprends le «Sargal» des amis qui ont décidé de vous dire bravo pour services rendus et pour le brio affiché tout au long de la carrière. Et surtout bravo d’avoir porté pendant de longues années le sport sénégalais.

Quelles sont les étapes marquantes de votre carrière de reporter sportif ?

Elles sont nombreuses. Je me souviendrai toujours du dimanche où, pour la première fois, je devais tenir un micro dans un stade. Le matin, je ne m’étais pas préparé, parce que je ne savais pas que j’allais le faire. Mais parce que celui qui devait le faire était indisponible, mon Directeur, Ousmane Cissé Madamel, m’avait demandé de le suppléer. Je ne rendrai jamais assez hommage à ce monsieur. C’est pratiquement celui qui m’a jeté à l’eau. Je me souviens lui avoir dit, ce jour-là, que je manquais de confiance pour ne l’avoir jamais fait. Il m’avait répondu : « Je sais que tu peux le faire parce que j’écoute tes émissions tous les samedis et dimanches en studio, la seule différence c’est que cette fois tu es en public». Ça je m’en souviendrai tous les jours.

  Il y a aussi le jour encore où le Sénégal allait recoller à l’élite africaine du football. Parce qu’avant la génération Cheikh Seck, Bocandé, Amadou Diop, on était resté pendant huit éditions de Coupe d’Afrique sans nous y rendre. De 1968 à 1984 ! C’est en 1986 que nous sommes revenus dans l’élite. C’était une renaissance. Renaissance d’une génération, d’un football qui, pendant longtemps, s’est écarté des grandes compétitions. Alors, c’est ce fameux septembre 1985, quand Bocandé marquait les trois buts contre le Zimbabwe. C’est un grand souvenir. Il y a aussi le basket avec les coupes d’Afrique gagnées chez les garçons et les filles.

Il y a également ma distinction à la Caf, en 2007. Vous savez que la Caf est née au Soudan en 1957 et en 2007 elle y est retournée pour son cinquantenaire. Des journalistes ont été invités et distingués. Nous étions 13 dont un Français.

La coupe du monde en 1998 m’a beaucoup marqué aussi, parce que couvrir des matches à ce niveau, quand le choix vient d’observateurs qui ne sont pas de votre pays, là aussi, ça marque.

On vous prête un passé de footballeur. Pouvez-vous confirmer ?

 

C’est vrai, j’ai joué au football et au plus haut niveau sénégalais. J’ai même eu une présélection en équipe nationale. Quand nous allions à notre première Can, je n’avais juste que 20 ans. À l’époque, l’équipe nationale se préparait à domicile et les sélections régionales étaient constituées pour servir de base à l’équipe nationale. J’étais dans la sélection de Saint-Louis qui avait reçu et battu l’équipe nationale. J’ai été approché par les entraîneurs nationaux de l’époque, mais finalement je n’ai pas été retenu dans la sélection définitive. Mon club de toujours, c’est la Saint-Louisienne. Quand je suis allé en 1968 à Kaolack, j’ai aussi joué au Sporting de Kaolack et c’est quelque part ce qui a facilité ma couverture et ma lecture des évènements sportifs. Parce que quand vous avez joué, vous avez une perception de la chose. J’ai par ailleurs écourté ma carrière. J’ai arrêté à l’âge de 24 ans parce que j’avais aussi joué très tôt. Et c’est le moment d’ailleurs de magnifier ma première équipe à Saint-Louis, le Tropical, une équipe de D2. Je n’ai jamais vu une équipe aussi disciplinée. Nous n’avions pas de président, pas d’entraîneur et la discipline était librement consentie. Et tout se passait très bien. Nous étions une bande de copains et le club nous appartenait, nos grands frères nous encadraient sur et en dehors du terrain. On m’avait vieilli de quatre ans pour que je puisse jouer avec les grands, cela m’a blessé d’ailleurs. À l’âge de 16 ans, je jouais en catégorie supérieure avec des grands qui étaient souvent mes aînés de 7 à 8 ans. Mais je retiens un merveilleux souvenir de ma première équipe.

N’avez-vous pas compensé par le reportage sportif ce que vous n’avez pas pu réaliser comme footballeur ?

 

Si ! Pour moi, le reporter sportif est allé plus loin que le footballeur. J’ai dit tout à l’heure que j’ai arrêté à l’âge de 24 ans parce que le reportage sportif, c’est d’abord pour moi le football qui est une passion. Parce que chez moi à Saint-Louis, la maison était le lieu de réunion de l’équipe de mon père, qui était un dirigeant sportif. Il a dirigé la Saint-Louisienne qui est l’ancêtre de la Linguère. Les réunions se tenaient à la maison. C’est donc en famille que j’ai commencé à être passionné de football via mon père avec qui j’allais au stade le dimanche. J’étais très jeune. Le reportage sportif, je peux dire que j’y étais déjà presque préparé. Je connaissais aussi très bien les équipes françaises et les reporters français de l’époque. Alors, c’est donc vrai que le reporter a fait plus et mieux que le footballeur que j’étais.

Quel reportage et quel match vous ont le plus marqué ?

 

(Rire) Le reportage qui m’a marqué est presqu’une anecdote parce que ce jour-là, je faisais de la radio-service. Quand un reportage évite la bagarre à des gens, il devient positif. Comment est arrivé ce reportage ? Nous étions à Demba Diop, c’était en nocturne, il y a eu une coupure de courant et c’est vers minuit que le courant est revenu. C’était le second match et, à l’époque, Radio Sénégal ne diffusait pas 24 h /24. À 1 heure du matin, c’était la fin des émissions, jusqu’à 6 heures du matin. Alors, qu’est-ce que j’ai dit pour boucler le reportage ? J’ai demandé aux épouses d’êtres compréhensives pour ce soir, parce que les chefs de famille vont rentrer plus tard que prévu et peut-être aux environs de 2 heures, c’est à cette heure que le match devrait prendre fin. Le lendemain, un ami m’a appelé tôt le matin, pour me remercier et me dire «bilay ya meune reporter». Cela veut dire que j’ai fait un reportage utile. Alors ça, je l’ai retenu, parce que cela m’a fait plaisir d’éviter des ennuis, rien que par le biais d’un reportage. Je suis marié, je comprends le problème des époux et épouses, alors j’ai anticipé sur le sujet pour éviter aux couples des altercations.

Le match Sénégal-Zimbabwe m’a par ailleurs beaucoup marqué. C’était comme une équipe de D2 confrontée à un adversaire à partir duquel il doit gravir un autre palier. Et c’était parti pour le retour du Sénégal dans l’élite. Car, en 1985, on avait le profil d’un football en D2. À l’époque, on était 54 pays d’Afrique et 8 seulement disputaient la phase finale. Et, ce bonheur, nous ne l’avions pas connu pendant 8 éditions, de 1968 à 1984. C’est en 1986 que nous sommes revenus. Aujourd’hui, si le Sénégal ne se qualifie pas, c’est la catastrophe, voilà où se trouve la réussite. Avant, on ne se posait pas de questions quand on ne se qualifiait pas, mais maintenant la qualification est devenue une obligation.

Qu’est-ce qui, selon vous, fait un bon reporter sportif ?

 

Un bon reporter, on ne le forme pas, on le devient. Allez au Cesti, on ne prépare pas le journaliste aux traitements de l’information sportive, le tronc est commun. Vous faites tous la même chose. Et c’est après que chacun va là où il sent qu’il peut s’épanouir. L’exemple il est là : vous suivez Habib Bèye sur Canal+ et Patrick Mboma, tous les deux vous les avez regardés à la Can 2002 à Bamako. Maintenant ils sont devenus des consultants incontournables et c’est depuis la maîtrise du sujet.

Comment jugez-vous l’actuelle génération de jeunes reporters sportifs ?

 

  Je me souviens avoir fait une communication avec des étudiants qui aimaient ce que je faisais parce que j’ai souvent rencontré des journalistes qui m’ont dit : «Laye, vous avez fait de nous des journalistes». Et l’un d’eux est devenu mon Directeur. Mais, comme je l’ai déjà dit, on devient reporter sportif, on ne peut pas le former. Et comme il y a des disciplines jalouses, quand tu n’en fais pas partie, tu ne peux pas les traiter. Ce sont les sports de combat (la lutte, le judo, le karaté et la boxe…). Le basket aussi est très technique et lire le football est plus facile. Le sport est, par ailleurs, différent du journalisme. Vous pouvez prendre le journaliste le plus rompu, il peut ne pas pouvoir traiter l’information sportive. C’est une culture à part ; donc reporter sportif, on le devient. Il est bon d’ailleurs d’être un bon lecteur avant d’arriver dans la salle de rédaction parce que ma conviction est qu’on ne peut pas former un reporter sportif. Habib et Patrick, ils ne savaient pas qu’un jour, ils se retrouveraient derrière un micro. Moi j’ai joué avant de devoir me retrouver avec un micro dans un stade. Le jour où j’ai fait mon premier reportage, ce dimanche-là, je devais jouer. Et c’est ce jour que j’ai arrêté le football à l’âge de 24 ans. Maintenant, les jeunes, ils ont envie et la presse est devenue une profession qui attire. Je ne sais pas pourquoi ils font des journalistes presque des stars. Ce ne sont pas des stars, mais des faiseurs de stars. Vous savez, les Français sont intelligents. Voilà comment dans chaque discipline, il y a un ou des consultants qui sont des produits de la discipline.

Le Sénégal n’a plus remporté l’Afrobasket masculin depuis 1997 et court toujours derrière un premier sacre à la Can de football. Que lui manque-t-il, selon vous, dans ces deux disciplines ?

 

Pour le basket, ils l’ont tué dans l’œuf ! Je me souviens de l’époque où tous les samedis matin et dimanches, il y avait des jeunes qui organisaient des matches sur des terrains vagues. Il y avait à la fois de la détection et de la prospection. Voilà comment, à l’époque, on a eu des «Lionnes» à l’âge de 16 ans. Rokhaya Pouye, Mame Penda Diouf, Aminata Diagne, entre autres, sont arrivées en équipe nationale avant 18 ans, puisque sorties de la formation. On ne forme plus. On prend des raccourcis. Et pourtant, former un basketteur va plus vite que former un football. J’ai connu des fédérations où le sacerdoce c’était la formation permanente avec Larry Diouf. On a beaucoup perdu.

Si le Sénégal est encore, au nombre de performance, le pays le plus titré, nous le devons aux performances du passé. Ce que les anciens ont fait dans les années 1970-1990. Déjà, l’Angola nous a rattrapés. Chez les filles, on ne gagnera pas de sitôt, parce que le basket de plus en plus se rapproche des sports athlétiques ; avant il était technique. Dans un match de basket, vous trouverez presque toutes les épreuves d’athlétisme comme le saut en longueur, le triple saut, la hauteur. Or, la Sénégalaise n’est pas une bonne athlète. Le Nigeria, qui est devenu aujourd’hui une grande puissance, ne participait pas dans les années 1970, autant en garçons qu’en filles. Ils sont venus par effraction au basket, mais ce sont des athlètes très solides. Et en basket, quand un adversaire court plus vite, saute plus haut, il te bat.

Même le football est devenu un sport athlétique. De nos jours, c’est un autre football qui se joue. Si l’équipe nationale du Sénégal a perdu la qualification au second tour du dernier Mondial, à mon avis, contre le Japon, c’est parce que les Japonais étaient simplement plus athlétiques que nous. Il paraît que c’est difficile de jouer contre les Asiatiques parce qu’ils courent dans tous les sens. Ils sont petits et sont obligés de courir. Et il faut savoir courir avec eux pour les battre. Nous sommes le premier pays à être éliminé à la Coupe du Monde au nombre de cartons jaune.

Mais, avec le football, il y a une chose qui échappe. Moi j’ai vu toutes les équipes nationales du Sénégal, de 1960 à nos jours. Les meilleurs moments, ce sont ces 20 dernières années. Voilà pourquoi il y a espoir. Entre temps, le Sénégal a fait deux finales de Coupe d’Afrique, deux demi-finales de Coupe d’Afrique, deux quarts de finale. Aujourd’hui, on n’est pas loin de gagner la Coupe d’Afrique.

Pensez-vous donc que la prochaine Can de football en janvier–février 2022 au Cameroun sera la bonne ?

 

Vous savez, l’élite est de plus en large. Au Cameroun, ce ne sera jamais facile. J’ai toujours dit que c’est en Afrique du Nord que nous pouvons plus facilement gagner la Coupe d’Afrique. Parce qu’en Afrique centrale, avec des joueurs qui vivent en Europe, cela peut être compliqué du fait de la chaleur. Je préfère le climat qu’il fait entre l’Algérie et le Maroc. Mais on verra. C’est du football et partout l’élite s’est élargie et presque toutes les équipes ont des chances (Algérie, Tunisie, Maroc, Côte d’Ivoire, Cameroun, entre autres). Maintenant, les équipes sont du style du Danemark et de la Suisse. Ce sont des pays de footballeurs pas de football. Le Sénégal aussi est un pays de footballeurs, car tu trouves toujours de bons footballeurs. Par exemple, l’Euro 2021 se passe dans 11 pays d’Europe. Si l’on devait faire la même chose en Afrique, le Sénégal ne serait pas parmi les pays hôtes. On veut gagner la Can, mais on ne peut même pas l’organiser. Quand Motsepe devient Président de la Caf, cela entre dans l’ordre des choses. Quel est le pays africain qui a organisé la coupe du monde à lui seul ? C’est l’Afrique du Sud. Quel est le pays d’Afrique champion du monde d’une discipline collective ? C’est l’Afrique du Sud en rugby. Et quand Motsepe est venu, il a regardé et a compris que nous n’étions pas prêts. Si tu fais attention, c’est depuis l’arrivée de Motsepe qu’on commence à lister les stades non fonctionnels. Parce que les stades chez lui, c’est comme en Europe. Alors s’il peut booster l’Afrique pour que tous nous soyons dotés d’installations de nature à accueillir les grandes compétitions, c’est tant mieux. Aujourd’hui, le Sénégal veut gagner la Coupe d’Afrique, or il n’a pas de stade. Si j’étais un décideur, moi Abdoulaye Diaw, j’allais prendre l’investissement du stade de Diamniadio pour retaper les stades Demba Diop et Léopold Sédar Senghor. Même au niveau de la lutte, les acteurs préfèrent le stade Iba Mar Diop à l’Arène nationale. Diamnadio pour le futur, c’est bien, mais on peut retaper Demba Diop et Senghor. Le stadium Marius Ndiaye aussi pouvait être relooké. On est un pays de footballeurs pas de football. Il y a nuance et c’est profond. Au Sénégal, il y a beaucoup de choses à faire. Mais il y a espoir parce qu’heureusement, il y a le talent. Si l’on travaille d’autres Sadio Mané sortiront».



Source : http://lesoleil.sn/grand-entretien-journaliste-rep...