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Heurts en régime de démocratie entre l'action publique et l’action collective populaire; La légalité institutionnelle et la légitimité populaire (Par Pr Abdoulaye Niang, UGB de St-Louis)

Rédigé par leral.net le Mardi 4 Juillet 2017 à 13:47 | | 0 commentaire(s)|


Introduction

La démocratie comporte deux grandes dimensions fondamentales dans son expression L’une revêt un caractère institutionnel et légal et consiste d’un côté, dans l’existence d’un cadre constitutionnel et formel qui la représente et la définit : la séparation des pouvoirs, les libertés multiples consacrées par la constitution, les lois et règles appropriées qui doivent régir leur fonctionnement ou application, etc. 

Quant à l’autre qui est citoyenne, elle a une nature pratique, populaire et des fois subversives, voire un pouvoir constituant.

Ces deux dimensions qui caractérisent, dans leur évolution et leurs articulations multiples, la dynamique vivante de la démocratie, font que celle-ci se balance constamment entre, d’une part, l’exigence d’ordre et de conformité et, de l’autre, la tendance, de fait, de s’en écarter ou de la remettre en cause, afin que puisse survenir un autre ordre nouveau.


La dimension institutionnelle et légale est la référence à partir de laquelle  doit être contrôlée et managée par les dirigeants, la pratique de la démocratie par le peuple, tandis que la dimension citoyenne, pratique,  populaire et constituante, est à la fois la manifestation réelle du vécu par le peuple de la démocratie et l’expression de ses nouvelles aspirations au changement pour celle-ci : elle est souvent faite d’actions collectives, populaires de conquêtes ou de défenses de libertés, d’oppositions à l’injustice, l’oppression, etc., et suivant, des fois, des voies qui peuvent s’écarter, évidemment, de celles qui sont légales, ce qui est surtout le cas si ces dernières sont  jugées inopportunes, voire illégitimes par une fraction importante du peuple en action, pour leur application, en un moment donné.

Les identités démocratiques et les modes d’alternance politique

Les deux dimensions, ci-dessus décrites, constituent, dans leurs façons de s’articuler réciproquement, ou dans les convergences et les contradictions multiples de leurs éléments, l’essence même du moteur de la démocratie.

L’identité réelle de celle-ci réside, semble-t-il, d’une part, dans la manière particulière et récurrente avec laquelle ces articulations, convergences et contradictions se manifestent en des domaines donnés et sont gérées habituellement par les  gouvernants : la récurrence des motifs de l’émergence des mouvements sociaux dans les divers espaces sociétaux et la manière habituelle dont les revendications qu’ils portent, sont accueillies et traitées par les gouvernants sont des révélateurs structurels ; et d’autre part, dans la perception plus ou moins durable que les citoyens ont collectivement de la relation des gouvernants avec les mouvements sociaux et leurs différents points de revendication : cette perception génère un jugement collectif de caractérisation de la gouvernance de la démocratie, et  révèle en même temps, la  vision dominante que les citoyens ont sur le type de démocratie servi au peuple.

Ce sont ces révélateurs structurels et la perception collective des citoyens de la gouvernance démocratique qui confèrent au pays concerné, une identité démocratique particulière; identité qui se situe dans une échelle graduée de convergence ou de contradiction du rapport entre, d’une part, l’action citoyenne, populaire et l’action publique et, de l’autre, la légalité institutionnelle et la légitimité populaire.

Quand l’action publique et la légalité institutionnelle s’imposent sur l’action citoyenne, populaire et la légitimité populaire, mais n’arrivent pas malgré tout à contenir tout à fait l’action et les aspirations du peuple, alors le régime de democratie en place a non seulement  perdu la confiance de ce dernier, mais aussi n’inspire plus, nonobstant son appareil de répression, aucune crainte à celui-ci : les contestations populaires deviennent de plus en plus nombreuses et débordantes d’où le risque d’accroissement de l’instabilité politiquer.

Mais, quand l’action populaire et la légitimité populaire sont dans un rapport de convergence avec l’action publique et la légalité institutionnelle, alors le régime de démocratie en vigueur bénéficie d’un crédit de confiance élevé du côté du peuple et peut jouir d’une grande présomption de bonne gouvernance, d’où la stabilité politique qui peut le caractériser du fait de la rareté de contestations populaires.

Entre ces deux modèles extrêmes, des variantes existent qu’il faut chaque fois bien caractériser, pour bien cerner l’« identité démocratique» du régime ou du pays concerné.

Si c’est la nature du rapport du peuple à l’action publique et à la légalité institutionnelle, ainsi que le niveau du vécu subjectif de ce rapport, qui, en définitive, détermine l’aspiration et la volonté de changement de régime du peuple, alors plusieurs cas de figure peuvent se présenter pour les prémices annonciatrices de ce changement, mais quatre d’entre eux nous semblent importants à présenter :
 
  • la démocratie institutionnelle et légale fonctionne, mais ne répond plus, avec ses pratiques concrètes de gouvernance dans divers domaines sociétaux, etc., à la volonté populaire de changement du peuple, lequel le manifeste par des mouvement sociaux de contestation permanents. Dans ce cas, alors, ce sont les actions collectives populaires, avec leurs manifestations subversives et de défiance par rapport aux institutions, leurs pouvoirs constituants populaires, les rumeurs à visée déstabilisatric , les  propos populaires ou caricatures des fois désobligeants portant sur le régime en place ou ses dirigeants, etc., qui vont pousser ces derniers à  prendre des mesures  intempestives de plus en plus  impopulaires et contestées, ce qui va susciter, au travers du désordre social et politique qui va ainsi s’installer momentanément, l’envie collective et populaire d’un autre ordre démocratique : cela peut intervenir avec l’avènement d’une alternance démocratique plus ou moins apaisée, par la suite, ou d’un bouleversement politique d’un autre ordre, tout ne dépendant que du rapport de force entre le peuple dans sa volonté de changement et le régime en place dans sa capacité de résistance et de négociation;
  • la démocratie institutionnelle et légale ainsi que les actes de gouvernance posés répond favorablement à la volonté et aux aspirations populaires .Dans ce cas, les mouvements sociaux de contestation contre des mesures prises par le régime politique en place, sont rares, et il en est de même des actes individuels ou collectifs de défiance par rapport aux institutions. Par contre, les marques spontanées, et non encadrées de satisfaction au régime politique, qu’elles soient individuelles ou de groupe, verbales ou physiques, sont nombreuses et s’intègrent dans une ambiance générale de sympathies nourries en direction du régime et de ses dirigeants. Une telle situation qui manifeste une adhésion d’une partie importante des citoyens aux politiques menées et au type de gouvernance affiché, donne une garantie au régime politique en place pour sa reconduction démocratique apaisée, ainsi que pour une continuité durable de ses actions de changement : une telle situation se prolonge bien au-delà de la période de grâce d’un régime. Ici, le respect populaire voué au régime et à ses dirigeants, se manifeste souvent à travers leur défense spontanée par des groupes de citoyens anonymes en cas d’attaques de la part de leurs détracteurs : cette défense populaire et, des fois, fanatique, peut prendre l’allure d’une dictature idéologique ou de vision si celui qui incarne ce régime, a beaucoup de charisme ;
 
  •  la démocratie institutionnelle et légale fonctionne, mais les pratiques réelles de gouvernance n’agréent pas le peuple, lequel opte, cependant, pour un silence de déni politique. Ici, contrairement au premier cas de figure où le peuple manifeste publiquement par diverses formes son mécontentement contre le régime politique en place et ses dirigeants, il opte, surtout quand l’expression citoyenne, populaire de la démocratie est contrainte, par des répressions ou interdictions systématiques, pour une  attitude tout à fait différente : il ne va pas chercher à occuper tout le temps, avec fracas, les rues, les places publiques et les médias pour montre sa colère, mais sa réaction contestataire et oppositionnelle la plus courante, se manifestera quotidiennement dans les conversations au niveau des  lieux de palabre, des marchés, des bus, des cars rapides, des 7 places, etc., lesquels fonctionneront, alors, désormais, comme des espaces privilégiés de l’expression de la démocratie populaire « interdite »; ce désaveu par le peuple du régime politique, manifesté en ces formes-là, va trouver ses manifestations les plus radicales, les plus politiques et les plus collectives, dans les périodes électorales et surtout pendant le vote et l’annonce des résultats : les bureaux de vote sont pris d’assaut par le peuple en colère contre ses dirigeants, des violences électorales peuvent  être récurrentes et se généraliser, etc. : tout se passe comme si le peuple avait choisi ce moment précis de la vie démocratique, pour sortir de son silence et se venger de ses dirigeants. Un tel régime ne dure, en général, que le temps d’un mandat, à moins qu’il ne se transforme, dans le but d’avoir une durabilité plus longue, en une véritable « dictature institutionnelle » et répressive ou que le peuple ne se laisse diviser ou corrompre ;
  • La démocratie institutionnelle et légale, ainsi que les actes de gouvernance posés, est satisfaisante pour le peuple ; mais, néanmoins l’opposition plonge le pays dans un climat d’insurrection simulée. L’atmosphère insurrectionnelle régnante est trompeuse, car elle ne s’appuie pas réellement sur une subjectivité populaire qui soit en cohérence en intensité avec sa mesure apparente. Dans ce cas, le peuple apeuré par le risque grandissant d’insécurité, né du climat artificiellement provoqué  d’insurrection permanente, et aspirant à une paix sociale durable, optera pour la solution qui va le débarrasser soit, des cibles des « insurrectionnistes», c’est-à-dire le régime et ses dirigeants, soit de ces « insurrectionnistes » eux-mêmes, tout ne dépendant, en définitive, que du niveau de psychose du peuple lié à l’état d’anarchie dans lequel le pays est plongé, et de l’état du rapport de force entre les parties en conflit. Dans une situation du genre, ce qui va déterminer la conduite électorale ou politique du citoyen, ce n’est pas la nature de son aspiration pour demain pour son pays ; aspiration réalisable à travers un programme politique, mais son instinct de paix et de survie : il se rangera du côté du plus fort pour se débarrasser rapidement du plus faible, dans l’espoir que la paix reviendra immédiatement après. Et le peuple peut regretter, un jour, un tel choix qui n’a été dicté que par la peur.  
La légitimité, enjeu politique
Dans les pays de démocratie en voie de développement, le risque est bien toujours réel de voir les tenants du pouvoir instrumentaliser les institutions aux fins de créer les conditions légales ou non, qui vont leur permettre de rester le plus longtemps possible au pouvoir, et des fois contrairement aux vœux des populations, ce qui peut évidemment entamer leur crédibilité et leur légitimité même.

En effet, même si les tenants du pouvoir peuvent pendant un certain temps, bénéficier d’une légitimité populaire qui entraîne du côté du peuple, une tolérance par rapport à leurs écarts en matière de gouvernance, voire, une acceptation de lois « politiques » de confirmation et de renforcement de leur pouvoir, lequel peut des fois même prendre l’allure d’une dictature par certains de ses aspects, il n’empêche qu’à la longue, et à la faveur d’une prise de conscience populaire et citoyenne rendue possible par les erreurs et errements du régime, l’action d’alerte et d’éveil de la société civile, des médias et de l’opposition, il va y avoir, inévitablement, forcément, une perte progressive de légitimité pour un tel régime, qui va finir par devenir insupportable pour la grande masse.

Mais, c’est quoi la légitimité et la légalité dont il a été question tout au long de ce qui précède, mais dont la compréhension que les uns et les autres en ont eu, peut beaucoup différer ?

Si la légalité peut être clairement définie, et son niveau mesuré, car se référant toujours par rapport à des règles, des lois, des critères objectifs de mesure déjà là, par contre, il n’en est pas de même pour la légitimité qui est un concept aux contours  imprécis.

En effet, la légitimité, contrairement à la légalité qui se mesure par rapport au degré de conformité des actes posés par rapport aux lois, règles ou autres critères de référence éditées, n’a de mesure que dans l’envergure plus ou moins grande des mouvements sociaux qui s’en réclament, la clameur populaire plus moins persistante qui la manifeste, ou encore dans le plébiscite par les citoyens des leaders qui sont leurs favoris.

Ce comportement collectif est, à ne pas en douter, inspiré par un système de représentations partagées, construit progressivement par les citoyens, et s’exprimant globalement dans une « conduite éthique » citoyenne, populaire favorable à un jugement de légitimation déterminée pour tel ou tel acte de gouvernance, pour tel ou tel régime politique.

Pour fonder cette « conduite éthique », qui est considérée comme la seule qui est bonne, ou à tout le moins la meilleure à un moment donné par rapport à un fait ou un régime déterminés, il va être mobilisé un ensemble de valeurs et de normes par lesquelles devront être jugés la moralité des dirigeants et la justice qu’ils rendent, leurs rapports aux religions, la primauté accordée entre leurs intérêts personnels et familiaux d’un côté et ceux de la patrie, de la nation, de l’autre, etc.

Ces valeurs et normes vont se combiner pour chaque cas de jugement populaire suivant une hiérarchie spécifique et une cohérence déterminée, afin de constituer le justificatif idéel et idéal, c'est-à-dire le référentiel social et moral dominant, qui va conférer le jugement de légitimation sur le fait jugé.

Si les valeurs et normes qui fondent ce jugement sont fortes, et si leurs charges émotionnelles positives, ainsi que leurs capacités potentielles à motiver une mobilisation populaire sont élevées, alors on peut dire que la légitimité de la chose jugée par le peuple est grande ; à l’inverse, elle demeure faible, surtout si les variables déterminantes sont faibles elles-mêmes.

De même, plus un peuple est divisé dans ses valeurs et normes de référence, soit en termes de hiérarchisation de celles-ci, soit en termes de choix d’objets et ou situations pour leur application, alors moins il va s’accorder pour avoir une légitimité consensuelle, c'est-à-dire un même système cohérent et hiérarchisé des valeurs et normes de légitimation à appliquer à un fait donné, à un moment donné. 

Le mode de légitimation (le processus, les situations en jeu, les valeurs, normes de référence, leur hiérarchisation et combinaison, les acteurs concernés, etc.) et le contenu de la légitimité elle-même, peuvent donc bien varier pour un même objet ou une même situation, selon les rapports de forces entre les éléments en concurrence dans l’environnement sociétal pour une même période et un même peuple déterminés.

Cependant, si la légitimité est conférée à un objet ou à une situation déterminée, elle devient alors en ce moment l’expression la plus populaire de l’adhésion des citoyens aux valeurs et normes positives qui leur sont accréditées. Dans ce cas et en ce moment, c’est bien elle qui manifeste, avec le plus d’exactitude, la structure qualitative de l’état d’âme du peuple ou d’une partie de celui-ci, sur un problème jugé quelconque par lui : c’est elle qui donne alors le juste profil de l’éthique à laquelle adhère le peuple pour la chose jugée.

En conséquence, c’est le niveau de légitimité qu’un peuple confère à un régime donné, à un moment donné, qui détermine l’essence et la régularité de sa conduite collective à l’égard de ce dernier : conduite de défiance et de rejet, conduite d’acceptation et d’approbation.

Mais, quoi qu’il en soit, vu que la visée de la légitimité est toujours, en dernière analyse, d’être au service d’une politique, et en l’occurrence, celle qu’elle cautionne et qui incarne l’éthique qui la domine, on peut dire qu’elle est donc, aussi, une prise de position éthico-politique du peuple ou de ses parties, à une étape donnée de son histoire, toujours changeante.

De ce point de vue, on peut penser que toute légitimité populaire nouvelle forte conférée à un acte ou un fait déjà posé ou à poser est un appel, une aspiration à un nouvel ordre de vision et de légalité, en cohérence avec cette éthique, donc à un autre ordre de gouvernance qui devra se mettre en place pour conduire cette vision et cette légalité nouvelles.

Ainsi, la légitimité, même si elle ne peut être mesurée, peut cependant constituer, la base de l’orientation et de la définition des termes de la nouvelle mesure de légalité et de ceux de la nouvelle gouvernance à mettre en place.

De ce fait, elle constitue un enjeu politique important du changement social. Mais selon le peuple, quels sont les déterminants fondamentaux de la légitimité de l’action politique ? Autrement dit, quelles sont les valeurs fortes qui, intégrées, orientent la conduite collective et fondent le jugement du peuple sur la légitimité qu’il accorde à un régime donné ?

C’est toujours en interrogeant le peuple sur cette question dans les écoles, les universités, les marchés, les boutiques, les rues, les entreprises, les champs, les berges des fleuves et les plages des mers, les parcours de transhumances du bétail et dans les espaces de rencontre de la diaspora, etc., que l’on aura une réponse à cette question fondamentale. Mais la réponse la plus claire n’est-elle pas donnée par le choix de vote et le résultat des urnes ?



M.Abdoulaye NIANG
Professeur Titulaire de Sociologie
Université Gaston Berger de Saint-Louis