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Hommage au Professeur Moctar Diack - Par Ousmane Badiane

Pendant que personne ne s’y attendait, la nouvelle est tombée, tel un couperet. Le Professeur Moctar Diack n’est plus. Il vient de partir pour l’éternité ! Je le connaissais bien et je l’appelai affectueusement « grand frère ». Nous sommes tous les deux de la même ville, Kaolack. Il était mon aîné de 5 ans. Politiquement, je l’ai connu au milieu des années soixante dix, entre 1974 et1975, quand je venais d’arriver à l’Université de Dakar. La Ligue Démocratique venait d’être créée à la suite d’une scission intervenue au sein du Parti Africain de l’Indépendance. Lui venait de rentrer au Sénégal, après plusieurs années passées à Prague où il représentait l’Union des Etudiants de Dakar (UED) à l’Union Internationale des Etudiants (UIE). Cette internationale étudiante était à l’époque une organisation anti-impérialiste extrêmement puissante qui regroupait de nombreuses associations d’étudiants de tous les continents. Les hautes responsabilités qu’il occupait au sein des instances dirigeantes de l’UIE, lui ont permis de beaucoup voyager à travers le monde et d’acquérir une grande expérience du mouvement communiste international et du mouvement international estudiantin, en particulier.


Rédigé par leral.net le Mardi 6 Octobre 2015 à 21:25 | | 0 commentaire(s)|

Hommage au Professeur Moctar Diack - Par Ousmane Badiane
Au Sénégal, la situation à l’Université de Dakar était extrêmement difficile avec la dissolution, par le régime du président Senghor en 1971, de toutes les organisations d’étudiants à la suite de la crise universitaire de mai 1968 dont les répercussions aux plans économique et social se sont prolongées jusqu’en 1969 et 1970. Le mouvement étudiant sénégalais connut alors une période de reflux dans la clandestinité. Il fut contrôlé par les maoïstes qui ont crée en 1973 l’Association Générale des Etudiants Sénégalais (AGES). Les conditions de vie et d’études des étudiants s’étaient considérablement dégradées puisqu’il n’existait plus à l’Université une organisation de masse et de lutte capable de prendre en charge les revendications estudiantines. C’est dans ce contexte que les étudiants de la LD et d’autres démocrates, décidèrent de créer en 1974, l’Union des Etudiants Sénégalais (U.E.S.) pour sortir le mouvement étudiant de la clandestinité afin de créer les conditions pour l’émergence à l’Université de Dakar d’une vaste et large organisation de masse, regroupant l’immense majorité des étudiants afin de pouvoir faire triompher leurs revendications matérielles et morales. Cette période fut celles de chaudes empoignades entre organisations étudiantes, sur fond de divergences idéologiques opposant pro-maoïstes et prosoviétiques ; l’AGES qui voulait le maintien du mouvement étudiant dans la clandestinité et l’UES qui militait pour un mouvement syndical étudiant à ciel ouvert, démocratique et de masse.

Les étudiants de ma génération ont pu bénéficier de l’expérience des dirigeants de la LD de l’époque, dont certains étaient d’anciens dirigeants du mouvement syndical enseignant, et d’autres, d’anciens leaders du mouvement étudiant des années 1968. C’est ainsi que Moctar Diack, figure emblématique de mai 68, qui avait une riche expérience du mouvement étudiant, aux plans national et international, nous a beaucoup apporté dans le domaine de l’encadrement politique et de la formation idéologique.

Pour asseoir notre implantation et élargir les bases de l’U.E.S, nous avions crée en 1976 un journal dénommé « Kaddug Njangaan Yi ».J’étais le Directeur de Publication et la camarade Fatou KA, étudiante en Philosophie et à l’époque, épouse de Moctar, en était la Rédactrice en Chef. Très souvent, on se réunissait chez le couple et on profitait de la présence de Moctar pour échanger avec lui sur les problèmes du mouvement étudiant. C’était très utile et très intéressant car on apprenait énormément de choses parce que Moctar était à lui seul une bibliothèque et il aimait partager son savoir. Son seul défaut sur ce plan là, c’est qu’il n’aimait pas prêter des livres. Il était très ferme sur cette question. Et s’il lui arrivait de prêter un livre à quelqu’un parce que ne pouvant faire autrement, chaque fois qu’il voyait cette personne, la première chose c’est de lui réclamer son livre. Un jour quand je lui ai demandé pourquoi il n’aimait pas prêter des livres, il m’a dit qu’il a tellement perdu de livres que finalement il a pris la décision de ne plus en prêter. Poursuivant la réflexion, il a fait observer qu’il y avait deux catégories de personnes : ceux qui n’achètent jamais de livres et qui ne rendent jamais les livres qu’on leur prête, et ceux qui, quand on leur prête un livre, ils vous le rendent dans un piteux état, presque mutilé, maltraité.

C’est donc par expérience qu’il a fait le choix de ne plus prêter des livres, sauf dans des cas extrêmement rares. C’est plus tard que j’ai su combien il avait raison, car s’il n’était pas rigoureux dans la gestion de sa bibliothèque, il n’aurait pas pu constituer ce patrimoine culturel qui vous frappe dès que vous mettez les pieds chez lui. Du salon à la cuisine, partout ce sont des livres qui vous accueillent et vous sourient. Un parent proche de Moctar m’a révélé que quand il était étudiant en France, il venait chaque année passer ses vacances à Kaolack. Ses amis d’enfance qui venaient lui rendre visite, étaient étonnés de constater que Moctar n’amenait dans ses valises que des livres, et rien que des livres, à la différence de ses camarades étudiants qui rentraient au pays avec énormément de matériel de sape et de musique. Cette appréciation est confirmée par Samba Diack Sall, homonyme du père de Moctar qui dit qu’il a « toujours été impressionné par le désintérêt de Moctar Diack pour les choses matérielles » ( L’AS, n°2997 du lundi 28 septembre 2015).

Chez Moctar Diack, deux choses m’ont toujours étonné : son éloquence et sa vaste culture.

Moctar Diack était un orateur hors pair. Je me souviens comme si c’était hier, entre vers 1968 et 1969, des cycles de conférence que les étudiants du MJUPS (Mouvement des Jeunesses de l’Union Progressiste Sénégalaise), affiliés au parti au pouvoir à l’époque, l’UPS (Union Progressiste Sénégalaise), organisaient chaque année dans les principales villes de Sénégal, sur des thèmes qui portaient sur la Négritude, le Socialisme africain, la Voie africaine du Socialisme… J’étais encore élève au Collège Gambetta de Kaolack. Les étudiants sénégalais organisés dans l’UDES (Union Démocratique des Etudiants Sénégalais), les suivaient partout pour leur porter la contradiction. Ce furent des moments inoubliables avec des duels idéologiques de très haut niveau entre étudiants pro-pouvoir et étudiants dits « contestataires », farouchement opposés au régime du Président Senghor.

Parmi les conférenciers et ténors du MJUPS, je me souviens de Moustapha Niasse, Djibo Kâ, Alioune Sène,… Du côté des étudiants de l’UDES, ils étaient nombreux à intervenir, et, manifestement, ils se concertaient avant la conférence pour se répartir les rôles, avec un ordre déterminé, dans l’ordre de passage des intervenants, afin de mieux démolir les arguments de leurs adversaires socialistes. Les débats, il faut le reconnaître, étaient passionnants et d’un niveau extrêmement élevé. Chaque camp mobilisait ses supporters et partisans dans une salle archi- comble de l’Assemblée Régionale du Sine Saloum située non loin des Champs de course de Kaolack. Parmi les étudiants de l’UDES, qui à vrai dire, étaient tous de très bons débatteurs, il y en a un qui se distinguait particulièrement par son éloquence, sa voix de tonnerre et sa verve : Moctar Diack.

Maîtrisant l’art de la rhétorique et doté d’une voix grave et puissante, il savait capter l’attention de son auditoire qui ne se lassait jamais de l’écouter grâce à son argumentaire cohérent, rigoureux et limpide comme l’eau de roche. La plupart des jeunes de mon âge qui assistaient à ces joutes oratoires palpitantes, ne maîtrisaient certes pas les enjeux idéologiques de ces batailles d’idées, mais ils étaient plutôt subjugués par les envolées lyriques et le talent oratoire des débatteurs. Moctar avait une capacité de séduction par le verbe à telle enseigne que ses interventions étaient toujours interrompues par des salves d’applaudissements.

La dernière fois que j’ai vu Moctar Diack, c’était le 8 août 2015, à l’occasion d’une table-ronde co-organisée, par le Groupe de Recherche d’Analyse et de Prospective sur les Processus Politiques Economiques et Sociaux (GRAPPE) et le Cercle d’Etudes et de Réflexions Stratégiques pour un Sénégal Emergent (CERSSEM) , à l’Hôtel Good-Rade de Dakar, sur le thème : « Les constitutions africaines à l’épreuve du développement et de la démocratie : l’exemple du Sénégal ». Ce thème avait été introduit par l’ancien Premier ministre Mamadou Lamine Loum qui, à vrai dire, a fait un exposé remarquable, documenté et riche d’enseignement sur les réformes constitutionnelles en Afrique et les problèmes de la démocratie et du développement.

Cette rencontre qui a vu la participation de nombreuses personnalité de la classe politique, de la communauté universitaire, du milieu des affaires,, des syndicats, de la société civile, des mouvements de femmes et de jeunes…,, avait pour modérateur Mamadou Ndoye, secrétaire général de la Ligue Démocratique (LD). Après avoir suivi attentivement l’intervention de Moctar, j’ai été saisi par un sentiment d’étonnement. L’homme avait certes pris un coup de vieux, mais l’éloquence, la puissance de la voix, les qualités de tribun et de dialecticien dans le raisonnement n’avaient subi ni ride, ni érosion, ni usure. Le surnommé « héros » de Mai 1968 gardait intacts toutes ses qualités.

La deuxième chose qui m’a toujours fascinée chez Moctar DIACK, c’est sa vaste culture et sa solide formation idéologique. J’ai assisté à plusieurs Conférences publiques qu’il a animées et à plusieurs rencontres où il est intervenu. Je ne l’ai jamais vu lire des textes, si ce ne sont des passages à citer ou à commenter dans des ouvrages objets des thèmes traités. Il a souvent un petit bout de papier sur lequel il a fixé quelques idées à développer. Parfois, il se passe totalement de ce bout de papier, car les idées sont dans la tête. C’est dire que Moctar était un sujet particulièrement brillant et à l’esprit vif. Certainement, sa formation de philosophe et sa longue expérience des débats idéologiques, polémiques et contradictoires ont fortement contribué à forger ses qualités de rhéteur redoutable et redouté. Sa thèse de doctorat en Philosophie, soutenue en 1991 à Paris I, sous la direction d’Olivier Bloch a porté sur « Le matérialisme médical en France au 19e siècle et sa critique de Broussais à Soury » La mention très honorable avec félicitations du Jury qui lui a été décernée, témoigne de sa vaste culture et de sa solide formation de philosophe.

Le GRAPPE a organisé récemment une importante conférence publique au Café de Rome. Le thème introduit par Moctar Diack a porté sur : « Lectures croisées entre deux Mémoires celles de Abdou Diouf et de Ousmane Camara », publiées respectivement aux Editions Seuil (2014) et Editions Kartala (2010). Cette Conférence a été un indice éclairant de l’étendue de l’érudition de Moctar DIACK, car au delà de l’approche comparative entre les ouvrages de Diouf et de Camara, c’est à un véritable exercice de réflexion philosophique, épistémologique et anthropologique sur la perception, la mémoire auquel le conférencier s’est attelé. Comme l’a fait observer le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le professeur Mary Teuw Niane, à l’occasion de la cérémonie du levée du corps du défunt, un grand savant doté d’un grand esprit de partage et de sacrifice vient de disparaître. Et le ministre d’ajouter : « Il s’est évertué durant ses années de formateur à l’université, à forger les convictions politiques de nombreux responsables de ce pays. En outre, il fut une référence pour toute une jeunesse qu’il a marquée par son érudition et sa dévotion sans faille pour le développement du Sénégal et de l’Afrique » ( L’AS du 28 septembre 2015).

En définitive, je garde de Moctar Diack, le souvenir d’un esprit brillant et éclairé, d’un patriote qui vécut ses convictions et ses idéaux de justice et de progrès jusqu’à sa dernière demeure. Son ami et compagnon de longue date l’honorable député Serigne Mansour Sy Djamil, a dit de lui « qu’il n’a jamais dévié de ses convictions politiques. Il est l’incarnation du militant révolutionnaire qui ne s’est jamais réajusté. Il n’a jamais tourné le dos aux idées de la ligne révolutionnaire qu’il a suivie jusqu’à sa disparition ». Une anecdote m’a été rapportée par un ancien dirigeant de l’UDES qui a partagé avec lui les heures de braise lors des événements de Mai 68. Lorsque les étudiants étaient arrêtés pour être incorporés dans l’armée, m’a-t-il dit, certains étaient enfermés au camp Archinard et d’autres au camp Fort B. La rue était en effervescence et partout il y avait des manifestations populaires pour exiger la libération immédiate des étudiants arrêtés. Moctar faisait partie des figures de proue qui organisaient la résistance, et quand la police l’a arrêté, le Président Senghor a été immédiatement informé.

Quand on lui a dit que c’est Moctar Diack qui organisait la résistance dans la rue avec les élèves, les travailleurs, les populations et les manifestants, il s’est écrié, « Ah, Moctar Diack, c’est cet anarcho -émeutier ! Elargissez-le ! ». C’est dire que cette tête « brûlée », mais bien « pleine », a donné beaucoup de soucis au régime de Senghor et à sa police politique qui traquaient les dirigeants de Mai 68 qu’ils considéraient comme des contestataires qui empêchaient de tourner en rond. Mactar Diack qui est aussi membre fondateur du Syndicat Unique et Démocratique du Sénégal (SUDES), appartient à cette génération qui s’est battue pour semer les graines de l’ouverture démocratique, de la liberté d’expression et du pluralisme médiatique.

Mais, Moctar Diack, c’est d’abord et avant tout la fidélité à l’amitié. Il avait un sens élevé des relations humaines. Ses amis d’hier sont restés ses amis d’aujourd’hui. Bien qu’il ait quitté la LD, il a conservé d’excellentes relations avec le parti et ses dirigeants. Il a assisté à tous les congrès et manifestations publiques organisés par la LD. Observateur engagé, mais distant, il a transformé son domicile en véritable laboratoire d’échange, de discussion et de partage des idées sur les grandes problématiques qui interpellent notre pays, l’Afrique et le monde. Il est resté un authentique homme de Gauche et s’est évertué toute sa vie durant à l’unification de celle- ci pour qu’elle devienne une force capable de peser sur les processus politiques en cours. Lors d’une conférence organisée le 28 mai 2013, par le Comité d’Initiative pour la Refondation de la Gauche, il disait : « La Gauche a porté tous les combats et défendu toutes les causes justes. Elle a joué les plus grands rôles dans la première et deuxième alternance en 2000 et 2012, mais elle est encore dans la périphérie du pouvoir ».

C’est cet homme courageux, pétri d’intelligence et de générosité qui a enseigné, inspiré et formé plusieurs générations d’intellectuels et de cadres que notre pays vient de perdre. Puisse us a légué, constituer de puissants projecteurs qui éclairent le chemin de l’action de notre jeunesse en quête de repères et de modèles. Les étudiants de ma génération qui sont vos cadets et à qui vous avez beaucoup apporté, vous disent ADIEU GRAND FRERE ! Que le Tout Puissant vous accueille dans son Paradis Eternel !

Dakar, le 06 Octobre 2015

Ousmane Badiane

Secrétaire national chargé des Elections de la Ligue démocratique