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Je n’étais pas au palais (Par Saër Ndiaye)

Rédigé par leral.net le Lundi 12 Août 2013 à 11:18 | | 0 commentaire(s)|

Je vais parler ! Encore ? Reparler enfin ? Je vais sortir de mon vœu de silence, de mon choix de cultiver mon jardin.
Je ne pouvais certes pas être au palais du fait de mon statut incertain : un peu enseignant, un peu journaliste, un peu écrivain, un peu éditeur… en définitive, rien de tout cela, aux yeux de certains ou dans leur esprit. Mais ce qui plombe surtout mon statut, c’est que je ne suis d’aucune engeance, d’aucune coterie, d’aucun réseau, d’aucun lobby, d’aucune agence de placement de membres d’associations ; et c’est bien fait pour ma gueule ! Je ne suis non plus d’aucun parti politique (ce qui est une faute sinon un crime dans le contexte hégémonique de la politique politicienne)…


Je n’étais pas au palais (Par Saër Ndiaye)
Si ! Si ! Je suis tout de même d’un parti, de celui de citoyens qui, même empêchés ou refusant de concourir pour les suffrages des Sénégalais, n’en ont pas moins le pouvoir de sanctionner même les plus hautes autorités. Et nous sommes plus nombreux que les militants tous partis réunis, plus que ceux qui, à coups de poing et d’invectives, veulent squatter et sévir sous les lambris dorés du pouvoir.

N’étant donc pas sûr d’être des invités du banquet annoncé par le poète Amadou Lamine Sall, je fais part au locataire du palais de mes questionnements sur la culture, secteur qui devrait être au cœur des échanges de ce gueuleton présidentiel. Je ne prendrai pas une lyre désaccordée pour charmer le Prince, d’autant plus que, si l’Ambassadeur Cissé a bien fait le compte rendu de nos échanges, lors de son passage aux éditions le Nègre International avant le premier tour de la présidentielle, M. Macky Sall a une idée de ce que nous pensons de la culture. A moins que Son Excellence n’ait eu d’autre motivation que d’éblouir le candidat par le recrutement qu’il aurait réussi si nous avions répondu positivement à ses coups de fils à chacun d’entre nous pris individuellement. Nous déplorions alors que la culture soit la cinquième roue de la charrette, voire qu’elle n’y soit même pas arrimée. Et nous proposions plusieurs actions et démarches pouvant figurer dans une politique culturelle.

Depuis lors, les élections sont passées, Youssou Ndour aussi. Abdoul Aziz Mbaye est « dans la place », comme disent les rappeurs. J’aime son concept de « diversité culturelle » ; mieux, je le sens, je le vis, je l’« habite », diraient les vrais poètes. On ne peut d’ailleurs enjamber cette notion qui cristallise les « expressions culturelles » diverses. Je lui demanderais seulement au passage de sauver, de sauvegarder les expressions culturelles en péril. Comment ? C’est à lui de les recenser et de voir.

Je suis tout aussi heureux qu’il ait l’ambition d’être celui qui va donner un statut aux artistes et mettre en place la Société de gestion collective. Mais qui est artiste ? Hum ! On peut s’attendre à des tiraillements monstres à ce sujet. Quant à la gestion des droits d’auteurs, elle intéresse ceux qui en gagnent, ceux dont l’expression est promue. Les musiciens en tout cas en sont.

D’ailleurs, ils font du BSDA leur propriété privée. D’autres artistes ont besoin d’être accompagnés. Les plasticiens ont des soutiens surtout privés, mais, souvent, c’est plus une affaire de copains que de sponsoring, de mécénat ou même de talent. Nous sommes bien au Sénégal !!! Quant aux plus nombreux, ils n’ont que le ministère de la Culture comme recours ! Monsieur le Ministre, à vous de trouver les formules pour que leurs expressions ne restent pas œuvres mort-nées.

Méditez aussi sur le danger de l’extraversion qui menace notre culture ; sinon votre cheval de bataille, la diversité culturelle, n’aura plus de sens ni de raison de prospérer. En effet, si notre culture est tributaire des financements étrangers, ne soyons pas étonnés de servir de véhicule aux idées et concepts venus d’ailleurs. Au point que nos intellectuels semblent même avoir honte de citer leurs concitoyens ou de se référer à nos réalités. La culture confondue à l’érudition extravertie, c’est le must ! N’est-ce pas ?

Comment s’étonner alors que les jeunes, manquant de confiance en leur culture et en leur pays, se lancent dans le « Barsa wala Barzaq » et qu’une cohorte d’artistes ne se détermine plus comme sénégalais sous le prétexte que l’art n’a pas de nationalité. Comme si on pouvait créer ex nihilo ou si l’art était juste une affaire de techniques et de techniciens ! Les débouchés étrangers y sont certainement pour beaucoup. Comme on peut le voir, la culture est vaste et transversale et les conséquences des ratages culturels énormes.

Senghor, lui, soutenait les artistes en instituant l’achat de leurs produits culturels par l’Etat. Cela concernerait aujourd’hui en premier le mobilier national, donc le design. L’Etat faisait aussi consommation, sans danger, des tableaux de nos plasticiens, mais aussi d’autres œuvres artistiques. Là aussi, je laisse l’initiative aux décideurs. Je ne parlerai pas du 1% à consacrer aux artistes dans tous les projets de construction dépassant certaines sommes. Cela existe toujours, mais seule une minorité en bénéficie. Mais en plus de ce qui précède, le poète-président faisait de la diplomatie culturelle. Attention ! Le concept dépasse la signature de conventions avec des pays frères ou amis !

Bref ! Les initiatives ne sont pas exhaustives. Et nul ne peut ni ne doit me soupçonner de plaider pour ma mosquée. J’aurais été le dernier à être proposé par ceux qu’on consulte et qui, debout dans la prairie, sont prêts à couper toute tête qui voudrait émerger hors de leur zone d’influence c’est-à-dire vivre de la culture hors des groupuscules organisés, capteurs de prébendes.

La politique culture ne peut pas être que cela !!! Et même Senghor, le grand accoucheur de concepts, a donné des coups de pied au cul… turel, à son corps défendant. En effet, avec les élites qui l’ont accompagné, il est arrivé que, en avant-gardiste généreux, il ait demandé aux Sénégalais, comme le roi Christophe aux Nègres, de forcer le pas pour certainement tenter de combler le retard du Sénégal sur l’Occident. En substituant, par exemple, le droit français aux droits coutumiers, il nous a légué des contradictions que nous sommes loin d’avoir fini de résorber. De nouveaux laman ont simplement remplacé les anciens ! Je vous l’accorde ! Il s’agit de législation. Mais où est la frontière avec la culture ? Interrogeons-nous aussi un peu sur les convulsions qui meuvent nos régions périphériques. Senghor a fait de grandes choses, mais il a voulu tout régenter, jusqu’à la manière de codifier le wolof. Il avait voulu créer une culture à son image, autour de sa personne, selon sa vision du monde et du métissage.

Faites gaffe à ne pas commettre les mêmes erreurs ! A regarder de haut des gens qui ont une autre idée de la culture, même sans pouvoir conceptualiser !

Prêtez aussi attention à l’incivisme et à d’autres attitudes qui relèvent certes de l’éducation ou d’autres secteurs, mais aussi de la manière des uns et des autres d’appréhender le monde, de le vivre, de le sentir. Bref ! Si on rate cette participation à la construction de l’homme sénégalais du futur, la crise des valeurs ne sera que plus profonde et nous aurions même raté l’économique dont nous avons fait la priorité des priorités.

Pourquoi devons-nous toujours être ceux qui s’adaptent ? Et pourquoi les autres ne s’adapteraient-ils pas un peu comme quand ils vont en Asie ? En effet, nous n’avons cessé de le clamer : le développement passe par la culture. Je ne parle pas seulement de l’économie de la culture, de ce que la culture peut rapporter (ce qui est déjà immense), mais de la manière dont être en accord avec soi-même et avec son environnement peut donner un surcroît de sens et de cohérence à celui qui affronte le monde.

Dans le même temps, tenons compte du dynamisme de la culture.
Comme vous voyez, créer une passerelle pour un passage en douceur du passé vers le futur, entre nos traditions et les apports modernes qui ne sont pas tous positifs, sans à-coups ni soubresauts frénétiques, voilà le vrai défi de la culture… au-delà des expressions artistiques !

Je n’étais pas au palais, je n’y serai certainement pas, mais j’ai parlé !

Saër NDIAYE
saerndiaye@gmail.com