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L’Europe devrait parier sur l’Afrique

Rédigé par leral.net le Mardi 20 Juin 2017 à 19:31 | | 0 commentaire(s)|

La menace sociale est celle d’une rivière en crue, qui grossit toujours plus, derrière une digue toujours plus fragile et précaire. L’Afrique compte un milliard de personnes, qui deviendront 2,4 milliards en 2050, pour la plupart des jeunes et des adolescents. L’ONU prévoit qu’au moins un demi-million de personnes tenteront chaque année, de débarquer en Europe dans les prochaines décennies.


Maurizio Ricci, journaliste au quotidien italien La Repubblica.
Maurizio Ricci, journaliste au quotidien italien La Repubblica.

D’autre part, il y a 700 millions d’Européens, chiffre destiné à être réduit à environ 600 millions en 2050, avec une bonne part de centenaires et de 50 ans de moyenne d’âge.

De l’un et de l’autre, la comparaison des revenus n’est pas possible. L’occasion économique, évidente, est au contraire et dès maintenant, celle d’un marché d’un milliard de personnes, à nos portes, dont 600 millions ne possèdent pas l’électricité.

Si nous réussissons à la leur faire parvenir, éventuellement par un panneau solaire, combien de réfrigérateurs pouvons-nous leur vendre, nous Européens, avant que ne le fassent les Chinois? Eteindre la mèche et saisir l’occasion suppose de naviguer sur une rivière en crue et la canaliser. Comprendre le défi de ce siècle pour l’Europe.

Le point de départ est d’accepter l’idée que nous, Européens, avons besoin des immigrés. Aujourd’hui en Europe, il y a 4 personnes en âge de travailler, qui paient les contributions indispensables au financement du chèque mensuel d’un retraité.

Selon les tendances démographiques actuelles, en 2050 de nombreux pays n’en compteront que deux. Ou l’on inverse la démographie, en augmentant les actifs, ou nous doublons les contributions, ou nous diminuons les retraites. Ce constat devrait rendre plus facile un exercice de réalisme.

La vague migratoire marque un tournant et ne sera pas arrêtée sur les plages grecques ou italiennes et encore moins sur les plages libyennes. Pas même au nom de la sécurité.

Du reste, l’expérience connue ces derniers mois en France, en Belgique, en Angleterre montre que la sécurité est, essentiellement, un problème des secondes générations.

Par conséquent un problème d’intégration – processus auquel l’Europe est plus habituée et pour lequel elle dispose, si elle entend les utiliser, de plusieurs instruments sociaux et économiques – plutôt qu’un problème d’accueil, où aujourd’hui se concentre une urgence, dans une large mesure inédite.

La deuxième étape de cet exercice de réalisme est de se mettre dans la tête que, si le phénomène marque un tournant, il faut une réponse sur le long terme, en mesure d’imaginer l’Europe comme l’Afrique après 2025.

En 2015, dans une Allemagne parcourue par une vague migratoire sans précédents, le nombre de sociétés qui ont donné un travail aux réfugiés a triplé en douze mois. Le mérite revient-il à l’ouverture d’Angela Merkel? Non, la clef se trouve chez les réfugiés.

Le flux vers l’Allemagne provenait surtout du Moyen-Orient et notamment des classes moyennes syriennes: ingénieurs, architectes, techniciens, professions libérales, fuyant la guerre et Assad. Toutes proportions gardées, des migrants souvent hautement qualifiés professionnellement.

En Afrique au contraire, les classes moyennes, privilégiées, restent chez elles: ceux qui se déversent sur les plages siciliennes sont les ex-paysans du Nigéria, de la Guinée, de l’Erythrée.

En résumé, nous sommes en présence d’un problème de quantité, mais aussi de qualité d’immigration. Et une stratégie sur le long terme pour la gérer devrait agir sur ces deux axes.

Plusieurs points de vue indiquent une prospective favorable: par rapport au passé, le continent est dans une phase où la paix prévaut sur la guerre et des signes solides d’un décollage économique spontané se ressentent. C’est un cadre approprié pour lancer une sorte de Plan Marshall, qui garantirait à l’Europe, avant tout, son avenir.

Aujourd’hui, l’Afrique est le principal destinataire des aides internationales au développement concédées par les pays de l’Union européenne: plus de 140 milliards d’euros entre 2013 et 2017, environ 40 pour cent du total des aides.

Avant même d’établir s’il s’agit de beaucoup ou de peu, il faudrait comprendre à quoi elles servent. Si le problème est de parvenir toujours plus à filtrer non seulement la quantité, mais aussi quels types de personnes émigrent de l’autre côté de la Méditerranée, il n’est alors pas possible de penser des programmes, financés par l’Europe, de formation.

Si dans nos pays toujours moins peuplés, ce sont des plombiers et des infirmières qui manqueront, les préparer sur place peut également vouloir dire proposer un parcours alternatif de migration, plus attirant par rapport au saut désespéré sur un bombard dégonflé.

Le front des investissements privés est plus déterminant. En 2012, les sociétés européennes investissaient en Afrique 11,6 milliards de dollars, qui seront multipliés par trois avec 30,9 milliards en 2015. Mais c’est une illusion d’optique.

Parce que ces investissements comptabilisent ceux pour les explorations pétrolifères, mais aussi parce que, en y regardant bien, 25 milliards sur 30 en 2015 sont allés en Afrique du Sud, pays qui, avec tous ses problèmes, est une sorte de Suisse pour ce continent.

Une déception, parce que le levier est ici, plus que dans les aides publiques. Les investissements privés ne passent pas par les bilans nationaux, souvent assez opaques, et sont l’amorce la plus directe d’un développement économique qui ne semble plus aussi fuyant.

Pour les prochaines années, le FMI prévoit des taux de développement de 3,5-4 pour cent et des investissements pour 20 pour cent du PIB. L’économie africaine n’est pas destinée à toujours rester un géant endormi et son réveil est le pari sur lequel l’Europe devrait miser avec courage. 

La Tribune de Genève