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L’Inconstitutionnalité de la loi base de l’arrestation du parlementaire Oumar Sarr : la vulnérabilisation de nos députés et l’affaiblissement du Pouvoir Législatif - Par Adama Ndao

Rédigé par leral.net le Mardi 19 Janvier 2016 à 10:00 | | 0 commentaire(s)|

L’Inconstitutionnalité de la loi base de l’arrestation du parlementaire Oumar Sarr : la vulnérabilisation de nos députés et l’affaiblissement du Pouvoir Législatif - Par Adama Ndao
L’Article 51 alinéa 3 de Loi Organique 2002-20 du 15 Mai 2002 portant Règlement Interieur de l’Assemblée nationale, sur la base duquel le parlementaire Oumar Sarr est mis aux arrêts, détenu et poursuivi pour flagrant délit de diffusion de fausses nouvelles, reste une disposition inconstitutionnelle. Elle viole une norme qui lui est supérieure, en l’occurrence l’Article 61 de la Constitution du Sénégal.

Comme dans chaque pays, il existe au Sénégal un systeme normatif, c’est-à-dire un ensemble de normes, de règles édictées par l’Etat et qui régisssent tout et tout le monde.

Certaines de ces normes viennent du gouvernement, de l’Administration sous forme d’actes généralement appelés actes administratifs, comme par exemple les décrets et les arrêtés. D’autres normes viennent des décisions du Judiciaire, c’est-à-dire des Cours et Tribunaux et que l’on appelle Jurisprudence, c’est-à-dire l’ensemble des décisions définitives (qui ne peuvent plus être contestées) rendues par ces juridictions.

Parfois ces règles nous viennent d’un référendum ou (plus souvent) de l’Assemblée Nationale, sous forme de lois. Ainsi on a les lois Constitutionnelles qui sont des lois qui modifient (et sont insérées dans) la Constitution. Ensuite on a les lois organiques: elles définissent, organisent, et précisent les rôles et les relations entre les pouvoirs publics, (c’est-à-dire les Cours et Tribunaux, encore appelés le Pouvoir Judiciaire, l’Administration ou le Gouvernement encore appelé le Pouvoir Exécutif, et l’Assemblée nationale appelé le Pouvoir Législatif. Suivent enfin les lois référendaires, et les autres lois votées par l’Assemblée y compris les lois de ratification des Traités, qui ont pour objet d’appliquer à notre pays une Convention Internationale ou Traité que notre Gouvernement a signé avec un ou plusieurs autres pays.

Dans ce systeme normatif, il existe une hiérarchie entre ces différentes normes. Au sommet de la pyramide se trouvent les Conventions Internationales tant qu’elles sont appliquées par l’autre pays Signataire et ne sont pas en conflit avec la Constitution de notre pays; ensuite viennent les lois constitutionnelles contenues dans la Constitution, puis les lois organiques, viennent après les autres lois (la prééminence devant, dans chaque catégorie, être donnée à la loi référendaire sur celle venant de l’Assemblée); enfin nous avons la Jurisprudence et au bas de la pyramide les actes administratifs.

Dans cet ordre hiérarchique, chaque norme doit, pour éviter toute contestabilité ou toute annulabilité, être et rester conforme à la norme qui lui est supérieure.

Ainsi un arrêté ne peut pas être pris en violation d’un décret, ou un décret pris en violation de la Jurisprudence, ni celle-ci et ni celui-là ne peuvent violer une loi, quelle qu’elle soit; mais aussi une loi donnée ne peut pas violer une autre loi qui lui est supérieure dans la hiérarchie des normes: ainsi une loi normale ne peut pas violer une loi organique ni une loi organique violer une la Constitution. La Constitution elle-même doit se conformer aux Conventions internationales toutes conditions étant par ailleurs réunies.

Le Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale du Sénégal étant une Loi Organique (car elle organise le fonctionnemet d’un Pouvoir public, en l’occurence le Législatif), elle doit être conforme à la Constitution qui est une norme qui lui est supérieure. Or l’Artcile 51 alinea 2 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale (une loi organique par nature), a ajouté une disposition plus punitive et suppressive de la protection du parlementaire que l’Article 61 de la Constitution, qui lui sert de base et dont il est une copie, ne contient pas du tout.

L’Article 61 de la Constitution alinea 2 dit: “Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle (de délits), qu’avec l’autorisation de l’assemblée dont il fait partie” C’est-à-dire seulement après levée de l’immunité du parlementaire par l’Assemblée nationale.

Or, l’Article 51 alinea 2 de la Loi Organique portant Règlement Intérieur de l’Assemblée, reprenant le texte de la Constitution, dispose: “Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de l'Assemblée.“ Mais le Règlement intérieur de 2002 a ajouté la curiosité suivante à ce texte. “Le député pris en flagrant délit ou en fuite, après la commission des faits délictueux, peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale“.

Rappelons que depuis la nouvelle Loi de Mai 2015 modifiant le Réglement Intérieur de l’Assemblée nationale, le Parlement Sénégalais ne tient plus qu’une session unique qui va de la première quinzaine d’Octobre à la deuxieme quinzaine de Juin de l’année civile suivante. Donc en ce moment la session 2015-2016 a été ouverte depuis le 15 Octobre 2015 pour prendre fin en mi-Juin 2016.

Les députes sont protégés par l’immunité de poursuite pénale du fait de leur statut de parlementaire, d’élus du peuple. Mais cette immunité parlementaire peut être levée par l’Assemblée afin d’autoriser des poursuites qui, sans cette levée d’immunité, sont illégales et interdites.
Pourquoi donc l’arrestation du parlementaire Oumar Sarr s’est-elle faite pendant la session parlementaire courante et sans autorisation, sans levée de son immunité parlementaire par l’Assemblée nationale?

Le Bureau de Procureur qui l’a fait arrêter et l’accuse de diffusion de fausses nouvelles entre autres dit baser son arrestation sur l’alinea 3 de l’Article 51 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale. Cet alinea indique que: “Le député pris en flagrant délit ou en fuite, après la commission des faits délictueux, peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l'Assemblée nationale. “

Cette disposition curieuse qui n’a pas de correspondante dans la Constitution a ajouté une punitivité au-delà de ce que le Constituant entendait édicter.

En effet, dans la Constitution du Sénégal, le seul cas où le flagrant délit dispense de la levée préalable de l’immunité parlementaire est lorsque les poursuites se passent hors sessions parlementaires (Art 61 alinea 3 de la Constitution). Donc, en supprimant, sans autoritè, la protection que la Constitution assure à un élu du peuple, cette disposition de l’Article 51 al. 3 du Règlement Intérieur de l’Assemblée nationale est en violation de la Constitution.

L’arrestation et la détention du Parlementaire Oumar Sarr étant fondées sur une loi inconstitutionnelle, mais que cette loi inconstitutionnelle est en vigueur depuis 2002, et les délais pour la demande de contrôle de sa constitutionnalité (sa conformité avec la Constitution) devant le Juge Constitutionnel avant sa promulgation étant passés depuis 13 années, quelles sont les options qui s’offrent alors à lui?

A notre avis les options suivantes sont envisageables:
1. L’arrêt pur et simple des poursuites par le Ministère Public (le Bureau du Procureur) car la loi sur la base de laquelle le parlementaire Sarr est arrêté est inconstitutionnelle et reste susceptible de contrôle a posteriori, par voie d’exception. Ici l’inconstitutionnalite de la loi est soulevée plus tard à l’occasion d’un procès ayant fait chemin jusqu’à la Cour Suprême. Et elle pourrait ne pas passer le teste d’inconstitutionnalité cette fois-ci, malgré une décision laconique, dans un teste apriori, par voie d’action, effectué par le Conseil Constitutionnel de 2002.

2. L’Assemblée Nationale demande la suspension de toutes poursuites ou détention en vertu de l’Article 61 alinéa 4 de la Constitution et l’Article 51 alinéa 5 du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale . Et nous pensons qu’elle doit le faire immédiatement et le Procureur renoncer aux poursuites de Sarr.

3. La procédure judiciaire se poursuit, le députe Sarr est condamné mais gracié de suite par le Président de la République. Au nom de la Constitution ce serait très recommendable en attendant une révision urgente des textes.4. La révision Constitututionnelle à laquelle le Président Macky Sall a l’intention de procèder prend place et le député Sarr fait Appel de la décision le condamnant puis soulève l’exception d’insconstitutionnalité devant le Juge d’Appel (la réforme offre cette excellente possibilité) au lieu d’attendre un pourvoi en cassation (qui pourrait prendre des années) pour soulever l’exception devant la Cour Suprême (ce qui est le cas dans la loi actuelle).

5. Ou alors le Parlementaire Sarr est condamné, il n’y a pas de réforme constitutionnelle à ce sujet, il fait appel, sa condamnation est confirmée par la Cour d’Appel, il se pourvoit alors en cassation et soulève l’exception d’inconstitutionnalité des dispositions de la loi organique (portant règlement intérieur de l’assemblée) base de son arrestation et incrimination.

Donc, au total, la Constitution, Article 61 alinea 2, dit que le parlementaire en session ne peut être ni pursuivi, ni arrêté, ni condamné même en cas de flagrant délit ou crimes. Toutefois, un texte inférieur, tel que la loi organique portant Règlement intérieur, dit que le parlementaire en session n’est plus protégé par l’immunité parlementaire lorsque qu’il est poursuivi pour délits ou crimes flagrants. Or, dans la hiérarchie des normes, la norme inférieure (ici la loi organique créant le Règlement Interieur de l’Assemblée nationale) ne peut contredire la norme supérieure (ici la Constitution) sans la violer.
En tous les cas, une loi modificative de la Constitution ou du Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale s’impose urgemment sur cette question. Le parlementaire est vulnérabilisé et l’institution parlementaire avec. L’Assemblée doit et peut agir immédiatement. Car outre le Président le Président de la République (avec les projets de lois), l’Assemblée nationale également peut prendre l’initiative d’une loi. Un nombre égal au 1/10 du membres de l’Assemblée, soit quinze députes (et cette question cruciale devrait dépasser les clivages partisans) peuvent et devraient à notre avis promptement prendre l’initiative d’une loi soit de révision de la Constitution pour introduire, dans le texte de l’Art 61 alinea 3 de la Constitution, l’exception de déchéance de l’immunité du parlementaire en session lorsqu’il aura éte allégué par la justice des faits de crimes ou delits flagrants contre lui. Ou bien alors ces quinze députes initient une proposition de loi cherchant à modifier l’article 51 alinea 3 du Règlement intérieur pour y restaurer la protection expressément garantie à nos parlementaires par la Constitution. Nous pensons que cette seconde voie est la meilleure par respect à la volonté du Constituant qui ne réserve l’exemption de la levée de l’immunité parlementaire qu’aux cas de délits et crimes flagrants hors session.

Adama Ndao, Juriste, Washington
luwaabi@gmail.com