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L’approche par compétence au Sénégal : De la bonne intention aux défis de réalisation

La qualité de l’éducation tant recherchée au pays doit nous amener à former plus et mieux. On s’attend à ce que non seulement le plus grand nombre de jeunes réussissent, mais également qu’ils puissent être capables de participer activement aux développements social, culturel et économique. Confrontés à une sous production nationale et ce, dans presque tous les secteurs économiques, on s’attend de l’école qu’elle forme des personnes compétentes capables de prendre en charge les aspirations de développement. Cette exigence nous recommande d’opérer des changements paradigmatiques pour passer de l’enseignement à l’apprentissage d’une part; pour, d’autre part, passer d’un enseignement articulé autour d’objectifs à un enseignement axé sur le développement des compétences. Nous sommes loin de vouloir transformer nos écoles et facultés en atelier de menuiserie et autres; et nous ne rejetons pas d’emblée les grands principes qui voudraient que notre système scolaire doive établir un équilibre entre les finalités utilitaire, cognitive et culturelle. Cependant, dans notre contexte de développement, la demande sociale est beaucoup plus préoccupée par la finalité utilitaire de l’école; et pour satisfaire cette demande, l’approche par compétence parait devoir primer, même si son implantation ne va pas de soi dans un milieu traditionnellement orienté vers une approche d’enseignement par objectif.


Rédigé par leral.net le Vendredi 16 Janvier 2015 à 08:00 | | 0 commentaire(s)|

L’approche par compétence au Sénégal : De la bonne intention aux défis de réalisation
Dans cet article, nous présentons le concept de compétence en éducation, puis sa raison d’être et, enfin, les défis de sa réalisation dans un pays comme le nôtre.

1. L’approche par compétence

Notre système éducatif, tout comme la société dans son ensemble, est traversé par deux forces majeures. La première : le changement démographique sans augmentation adéquate de la richesse. La deuxième : l’obligation de mieux gérer le dit système. L’école constitue une des assises principales du pays; historiquement, on a dû faire subir des ajustements aux approches pédagogiques dans le but de mieux les amarrer à nos réalités.

Un des ajustements qui a été préconisé est précisément, l’approche par compétence, introduite dans le système depuis plusieurs années. Il est à noter que la notion de compétence s’est d’abord installée dans le monde de la formation en entreprise avant de faire son entrée à l’école. Plusieurs définitions sont associées à ce concept de compétence. Selon Lichtenberger(1999), «l’approche par compétence est de l’ordre de la mise en œuvre effective et non de la seule capacité, même éprouvée par un diplôme ou des tests professionnels.

Le fait qu’un individu ait appris à faire ou même ait fait, n’est plus un garant suffisant du fait qu’il saura faire dans des situations variées et variables non prédéterminées»; poursuivant sa définition, l’auteur mentionne: «Alors qu’à qualification égale deux salariés étaient censés faire la même chose et être interchangeables, on revient à une individualisation, ou plus justement à une personnalisation des manières de travailler. De plus, le fait qu’un salarié ait su faire n’est plus garant qu’en une autre circonstance, il fera, ni qu’il n’y fera aussi bien : entrent en jeu la variation de situations et des moyens accordés tout autant que des éléments d’intérêt au travail et de reconnaissance du travail qui débordent largement la situation de travail elle-même».

Pour Lanier (2000) : «Une compétence est un savoir-agir complexe résultant de l’intégration, de la mobilisation et de l’agencement d’un ensemble de capacités et d’habiletés (pouvant être d’ordre cognitif, affectif, psychomoteur ou social) et de connaissances (connaissances déclaratives) utilisées efficacement, dans des situations ayant un caractère commun.» Lors de l’élaboration du programme de formation à l’enseignement primaire, le ministère de l’éducation du Québec (MEQ, 2000) a défini la compétence comme un «savoir-agir fondé sur la mobilisation et l’utilisation efficace d’un
ensemble de ressources». Une année auparavant, il définissait la compétence comme «un savoir-agir qui fait suite à la mobilisation d’un ensemble de ressources (capacités, habiletés et connaissances) utilisées efficacement, dans des situations similaires».

En somme, peu importe la définition utilisée, certains dénominateurs communs sont irrémédiablement associés à la notion de compétence; à savoir :

- La compétence s’apprécie qu’en situation réelle et individuellement;

- Elle se réfère à un savoir-faire complexe intégrant les habiletés et les connaissances;

- Enfin, elle renvoie à un savoir-faire intégrant des habiletés sociales, affectives, cognitives, psychomotrices. Ce savoir-faire peut être spécifique ou non à une famille de situations.

Mais, pourquoi autant de préoccupations pour mettre en œuvre une telle approche?

2. La raison d’être de l’approche par compétence

Un certain nombre de raisons sont évoquées par les recherches en éducation. Dans cet article, nous en retiendrons deux. D’abord les recherches qui se rapportent à la qualité de l’éducation ont démontré l’établissement de liens (de causalité) discutables entre les notions enseigner et apprendre. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on enseigne que les élèves apprennent. Il fallait donc chercher les méthodes efficaces susceptibles de donner un sens à l’apprentissage et qui, par le fait même, motivent l’apprenant afin de permettre la réalisation des apprentissages.

Ensuite, il fallait trouver des méthodes susceptibles de mieux opérer le transfert entre les savoirs scolaires et les défis d’adaptation rencontrés quotidiennement. Et, compte tenu de l’imprévisibilité intrinsèque de la réalité, l’approche par compétence devait constituer une réponse à la complexité des situations rencontrées dans la vie réelle; l’approche par
compétence nécessitait que les formations ne soient plus séquentielles (par objectif). Ici, ce n’est pas la notion d’objectif qui est remise en question, mais plutôt l’abus qui en a été fait dans les approches pédagogiques précédentes. Ainsi, Jonnaert (1988) suggère de remplacer la notion d’objectif par celle d’hypothèse d’objectif ; de son côté, Martinand (1986) parle plutôt d’objectifs obstacles.

La pédagogique par objectif n’aurait pas permis de résoudre les problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés. C’est dans ce contexte que l’approche par compétences a été introduite afin d’apporter quelques réponses, notamment aux attentes sociales de développement. On le sait, des citoyens capables de percevoir globalement des tâches dans des situations complexes sont de plus en plus recherchés. Les personnes compétentes sont souvent dotées d’une marge de manœuvre leur permettant de mobiliser des ressources appropriées et variées et de réagir efficacement dans les situations complexes.

Nonobstant tout ce qui précède, la mise en œuvre de l’approche par compétence fait face à plusieurs défis.

3. Les défis de la mise en œuvre de l’approche par compétence

L’approche axée sur le développement de compétences exige un ensemble de préalables allant de la conception du curriculum, à la production du matériel pédagogique adapté jusqu’à la formation d’enseignants capables de prendre en charge un tel projet. Avant de mettre en place une approche par compétence, on doit s’attaquer avant tout à l’élaboration du curriculum dont le rôle est de guider l’enseignement dispensé dans les classes. À cet effet, nous partageons ce que Doron et Parot (1991) mettent de l’avant: «Au sens donné par les protagonistes anglo-saxons de l’éducation nouvelle, un curriculum désigne les expériences de vie nécessaires au développement de l’élève, développement qui exige aussi l’appropriation de savoirs et d’habiletés, mais qui s’opère en fonction de l’apprenant et des fins poursuivies. Cette notion s’oppose à celle, plus traditionnelle, de programme scolaire, qui est centré sur une matière à enseigner, découpée selon sa logique interne.»

Partant de ce qui précède, nous pouvons dire qu’un des objectifs du curriculum consiste à mettre l’élève au centre des activités scolaires en tenant compte des objets et contextes de l’enseignement-apprentissage au sein du système éducatif. Ainsi, la compétence se situe au cœur des situations et se traduit par la capacité pour un élève de mobiliser des connaissances, habiletés et procédures lui permettant de résoudre des situations- problèmes. Pour y parvenir, l’élève doit aller au-delà de la récitation des connaissances livresques prêtes à être restituées sur une copie d’examen. À terme, l’élève pourra s’appuyer sur des connaissances et des savoir-faire structurés en système et susceptibles
de se muer en schémas opératoires. Cependant, pour que l’élève puisse acquérir ces compétences, le curriculum doit être assez explicite.

Les responsables du ministère de l’éducation concepteurs du curriculum doivent définir les compétences essentielles, préciser les échelons intermédiaires, imaginer des pistes didactiques et des outils d’évaluation qui correspondent à la réalité d’une approche par compétence.

Un autre élément à souligner a trait aux méthodes d’évaluation en cours actuellement dans le système scolaire. Nous faisons référence à la sommation des notes obtenues par un élève pour sanctionner sa réussite ou son échec. Plus souvent, un élève est promu alors qu’il n’a pas acquis les compétences qui reflètent la progression de ses apprentissages. En effet, avec le système de pondération par les coefficients, un élève peut échouer dans trois matières mais, par le jeu des dits coefficients, il arrivera à obtenir une note moyenne supérieure ou égale à dix. Cette situation est plus que problématique dans une approche axée sur le développement des compétences : il est difficile d’imaginer en effet qu’une maîtrise de la compétence en mathématique compense celle relative à la langue. Alors pour garder une certaine cohérence, nous devons abandonner le système de notation actuelle pour la remplacer par un système modulaire qui tient compte de la philosophie de l’approche par compétence. Ainsi, l’acquisition de la compétence d’un élève dans une matière ne sera attestée que lorsque ce dernier aura la note de passage dans la matière en
question.

Un second défi associé à la mise en place de l’approche par compétence est relatif à la capacité des autorités à produire des manuels scolaires dont les contenus répondent aux exigences des enseignements-apprentissages axés sur le développement des compétences; il va sans dire que ces manuels doivent impérativement être produits en nombre suffisant. Dans la mise en place d’une éducation de qualité, le manuel scolaire est un outil d’équité puisqu’il constitue un support puissant d’apprentissage et d’approfondissement des compétences acquises en classe. Peu importe la forme qu’il prend, le manuel scolaire joue un rôle et une fonction particuliers qui font de lui un outil privilégié au service des méthodes et des contenus curriculaires. Le manuel scolaire est un outil important pour appuyer les démarches d’implantation de l’approche par compétence.

Comme nous l’avons déjà souligné, certains chercheurs s’intéressant à la qualité de l’éducation (Creemers, 1994 ; Creemers et autres, 1996) mentionnent que le curriculum est une des composantes importantes parmi l’ensemble des critères de qualité. D’autres (Leclerc, 1996; Creemers, 2005; Sané, 2011). suggèrent de porter une attention particulière à la formation des enseignants et à la disponibilité des manuels scolaires de qualité. Le manuel scolaire bien rédigé et conforme à la progression des apprentissages apparaît donc comme une des composantes à part entière du curriculum qui participe à l’efficacité scolaire. À cet effet, l’UNESCO (2004) affirme qu’« Un enseignement et un apprentissage efficaces exigent que les matériels d’apprentissage soient largement et équitablement disponibles, ce qui, dans de nombreux pays n’est pas le cas. Il faut d’urgence se préoccuper de cette situation, notamment en repensant les politiques de production et de diffusion des manuels et autres matériels d’apprentissage et en formant les enseignants à mieux utiliser ces matériels, conformément à une bonne pratique pédagogique ».

On ne répétera jamais assez que la formation des enseignants est une dimension importante, sinon la plus importante, de la démarche proposée car, un curriculum qui respecte l’esprit de la réforme axée sur le développement des compétences ne signifie rien tant et aussi longtemps que nos enseignants ne sont pas adéquatement formés pour conduire ces réformes. Ces formations, à la fois initiale et continue, doivent être mûrement planifiées et contextualisées. Dans une approche par compétence, il est important de maitriser les modèles d’apprentissage cognitiviste-constructiviste ainsi que les stratégies d’enseignement et d’apprentissage des différentes connaissances
(déclaratives, procédurales et conditionnelles).

Dans une approche par compétence, un des éléments importants consiste à se servir des capacités et des habiletés liées à une compétence pour s’approprier le contenu disciplinaire. Un tel changement de paradigme ne peut être pris à la légère. Notre ministère doit prendre toutes ses responsabilités pour faire une véritable refonte de la formation des enseignants et maintenir une collaboration étroite avec les facultés d’éducation afin de s’assurer que les formations qui s’y donnent répondent aux attentes du nouveau curriculum axé sur le développement des compétences. Comme je l’ai mentionné dans mon article précédent, presque tous les pays qui ont inscrit la qualité de leur système d’éducation comme une priorité ont opéré ce changement; cela est également possible au Sénégal.

La formation initiale des instituteurs qui ne possèdent pas un baccalauréat ne devrait pas poser de problème puisque les recherches démontrent qu’après cinq ans d’expérience en enseignement, un instituteur peut suivre et réussir des études universitaires en pédagogie.

Le Québec a fait ce virage vers les années 1970 en envoyant tous les instituteurs dans les facultés d’éducation. Aujourd’hui, l’enseignant du primaire, du secondaire comme celui du CEGEP ont la même formation initiale, c’est-à-dire quatre ans d’études universitaires. Au secondaire comme au primaire, les enseignants ont le même traitement salarial et la même charge de travail. En opérant un tel changement, les gains seront énormes pour notre pays : d’abord au niveau de la qualité des apprentissages ; ensuite, pour nos institutions de formation qui se verront sollicitées d’autant. Étant donné l’existence des universités régionales, on pourrait ouvrir des facultés d’éducation dans ces universités.

En somme, la mise en œuvre de l’approche par compétence exige que quelques défis soient relevés:
1. formuler le curriculum afin qu’il s’adapte à cette politique;
2. offrir une formation adéquate à nos enseignants en faisant de nos facultés de véritables partenaires afin de légitimer le caractère scientifique de nos politiques scolaires.
3. se doter d’un département chargé d’élaborer et de valider les manuels scolaires ; ouvrir le marché du manuel scolaire aux autres partenaires afin de satisfaire la demande;
4. décentraliser les budgets dans les établissements afin ces derniers choisissent les manuels.

Ensemble, nous pouvons relever le défi.

Mamadou Vieux Sané
Ph.D, administration de l’éducation
Université du Québec à Montréal-UQÀM
Intérêts de recherche
- Gestion par résultats
- Pratiques et processus d'amélioration de la qualité des systèmes scolaires et des
établissements d’enseignement
- Planification de l’éducation
- Étude comparée des systèmes et pratiques de formation à l'enseignement primaire,
secondaire, universitaire et de gestion du personnel enseignant