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L’élevage, un levier pour un Sénégal émergent

Rédigé par leral.net le Jeudi 25 Décembre 2014 à 23:34 | | 0 commentaire(s)|


I / INTRODUCTION

A l’occasion de la journée de l’élevage, célébrée cette année le 29 décembre 2014, nous versons, dans le cadre de la réflexion pour moderniser et rendre encore plus rentable l’élevage, la contribution suivante. Cette réflexion est axée sur l’industrie et la production laitières au Sénégal.
Les Sénégalais sont de gros consommateurs de produits laitiers : lait frais, lait en poudre, lait fermenté, beurre, fromage, crème fraiche, huile de beurre, etc.
La production locale de lait ne pouvant pas satisfaire la forte demande intérieure, l’Etat est contraint d’importer massivement du lait en poudre et divers produits laitiers.
Le lait local produit dans les exploitations extensives non autoconsommé est commercialisé dans les villes et les marchés hebdomadaires à travers le pays.
Autour des grands centres urbains comme Dakar, des fermes à production intensive de lait se sont développées. Le lait qui y est produit est vendu aux consommateurs urbains, à l’état frais ou fermenté. La production laitière de ces fermes périurbaines représente un faible pourcentage par rapport à la production extensive.
Finalement, l’essentiel de la consommation en lait des sénégalais est couvert par le lait en poudre importé. Elle constitue également la matière première de la quasi totalité des industries de reconditionnement et de fabrication de produits laitiers. Ainsi, coexistent au Sénégal des industries laitières relativement dynamiques utilisant la poudre de lait comme matière première et une production laitière locale non négligeable mais peu organisée et insuffisamment soutenue.
La présente contribution vise à lever toutes les contraintes qui pèsent sur le secteur laitier du Sénégal pour qu’il joue pleinement sa partition dans le PSE.

II/ ETAT DES LIEUX DU SECTEUR DU LAIT AU SENEGAL

1/ La production laitière nationale

La filière de la production de lait local est caractérisée par la coexistence de deux systèmes : production extensive et production intensive.

a/ Production extensive
Les acteurs de cette filière sont soit des pasteurs transhumants à la recherche de pâturages pour leur cheptel (Saint Louis, Matam, Louga, Kaffrine,…) soit des agropasteurs (Fatick, Kaolack, Kaffrine, Kolda, Tambacounda,…) rarement transhumants, alliant agriculture et élevage. La quasi-totalité du cheptel national (3 millions de bovins, 8 millions d’ovins et de caprins) est élevé de manière extensive.
Ce type d’élevage est caractérisé par une importante production de lait pendant l’hivernage (août à Février) et une production très faible pendant la saison sèche (Mars à Juillet). Il s’agit donc d’une production irrégulière, très difficile à collecter du fait de la mobilité des troupeaux et du manque de pistes de production dans les zones d’élevage. Le défaut d’infrastructures de conservation du lait est aussi un handicap important de ce système de production.
La production extensive de lait est aussi tributaire d’un matériel génétique peu performant, constitué de races locales plus aptes à faire de la viande qu’à produire du lait.


b/ Production intensive

Autour des grands centres urbains comme Dakar, des entrepreneurs volontaristes, ignorant souvent le métier d’éleveurs, se sont lancés dans la production intensive de lait avec des laitières à haut rendement (importées ou métisses).
Ces fermes périurbaines utilisent des équipements modernes de collecte et de conservation du lait, une stabulation des laitières qui sont surveillées et soignées par un vétérinaire avec une alimentation complémentée.
Le lait produit est stabilisé (stérilisé ou pasteurisé) ou fermenté sur place puis vendu dans les circuits modernes de distribution des produits alimentaires des villes (Vayembam, Niacoulrab,…).

2/ Importation de lait et de produits laitiers

L’importation de produits laitiers est une nécessité impérieuse pour combler le déficit de la production nationale de lait. Ce phénomène est loin d’être nouveau mais le Sénégal n’est devenu un grand importateur de produits laitiers que depuis la fin des années 70. C’est en effet depuis cette époque que notre pays s’est mis à importer massivement des produits laitiers destinés à la consommation des ménages et aux industries laitières. Cette période correspond aussi à l’avancée technologique de la maitrise du séchage du lait dans les pays développés.
En 2004, les importations de produits laitiers représentent 34 794 tonnes, soit l’équivalent de 250 millions de litres de lait, pour une valeur de 36,7 milliards de FCFA. En 2008, les importations représentaient 34 455 tonnes de produits laitiers soit 57 milliards en valeur monétaire CFA.
En 2009, le coût des importations de produits laitiers a dépassé les soixante milliards de Francs CFA annuellement ; On note ainsi une progression significative des importations de produits laitiers.
80 % des importations de poudre de lait proviennent de l’Union Européenne. La France est le principal exportateur avec 42% du total des importations entre 2000 et 2008, soit 14 471 tonnes.
En tout, l’Union Européenne contribue à hauteur de 79 % aux importations de lait en poudre avec 7 pays parmi les 10 premiers fournisseurs du Sénégal. Le lait liquide provient à 90% de la France avec près de 4 500 tonnes par an.
L’importation de lait en poudre est un facteur qui aggrave le déficit de notre balance du commerce extérieur.
a/ Lait en poudre
La poudre de lait est le principal produit laitier importé au Sénégal avec 88% du tonnage global. La quasi-totalité des besoins en lait des citadins est couvert par ce produit, qui est également consommé dans les coins les plus reculés du pays.

b/ Divers produits laitiers

Les produits laitiers autres que la poudre de lait importé se composent essentiellement de beurre, de yaourt, de crème fraiche et de fromage. Ces produits sont destinés essentiellement à une clientèle aisée que l’on rencontre surtout à Dakar et moyennement dans les villes situées à l’intérieur du pays. Le tonnage de ces produits est en constante baisse par rapport à la poudre de lait. La cause de cette baisse est la conséquence de la fabrication locale de yaourt par les industries laitières locales et la commercialisation de plusieurs marques de margarine, un substitut du beurre.

3/ Industries laitières au Sénégal

Le Sénégal est doté d’un tissu industriel laitier très dynamique. La variété des produits laitiers proposés dans les supermarchés et supérettes confirme ce dynamisme. C’est un secteur inventif et inovant.
Les industries laitières tirent leur performance de plusieurs atouts :
• Produits proposés appréciés par les consommateurs ;
• Main d’œuvre qualifiée ;
• Poudre de lait à bon marché et soutenu par l’Etat ;
• Equipement technique performant ;
• Etc.
Deux types d’industries laitières coexistent au Sénégal.

a/ Industries laitières à base de lait local
La seule unité industrielle de fabrication de produits laitiers à base de lait local se trouve à Richard Toll. Il s’agit de la Laiterie du Berger (LDB) créée par un jeune vétérinaire sénégalais avec l’appui de la multinationale DANONE. Cette laiterie produit des laits fermentés (yaourt) à partir de lait local collecté sur un rayon de 50 km. La LDB commercialise la marque DOLIMA.
Avec un investissement de 2,5 milliards de FCFA, la Laiterie du Berger fait son bonhomme de chemin. Elle est actuellement sur une pente ascendante avec un taux de croissance honorable qui lui a permis d’atteindre un chiffre d’affaire de plus d’un milliard de FCFA.
La ferme Wayembam, située dans les Niayes dans les environs de Dakar, utilise également du lait local pour certaines de ses fabrications. Avec un équipement adéquat, la ferme traite 6 000 litres de lait par jour, le stabilise et le distribue à travers un réseau de 300 kiosques implantés dans la région de Dakar. La ferme Wayembam commercialise la marque LACTA.
Ces deux unités emploient chacune entre 50 et 100 personnes.
A côté de ces deux unités industrielles modernes, il existe à travers le pays, des mini laiteries plus ou moins bien gérées, traitant globalement une quantité de lait local limité à cause de leur faible capacité (Louga, Tambacounda, Kolda).

b/ Industries laitières à base de lait en poudre importé

Les industries laitières à base de poudre de lait sont concentrées à Dakar où résident la plupart des destinataires de leurs produits. Les principales unités industrielles sont Saprolait, Mamelles Jaboot, Satrec, Simlait, Siegem, Kirène, Taïf, Baralait, etc.
Ces unités industrielles importent de la poudre de lait dans des emballages unitaires de 25 kg puis elles reconditionnent, dans des conditions hygiéniques normalisées, une partie de la poudre dans des emballages de 22,5 g à 500 g. Certaines de ces unités industrielles (Mamelles Jaboot, Saprolait, Simlait, etc.) fabriquent à partir de la poudre de lait des produits fermentés (yaourt) ou du lait frais stérilisé UHT (Kirène).
Ces industries laitières se caractérisent, pour le moment, par leur désintérêt total de la production locale de lait. Elles n’ont aucune stratégie, à long ou court terme, visant à substituer la poudre de lait importée par du lait frais local.

III /CONTRAINTES DE LA PRODUCTION ET DES INDUSTRIES LAITIERES

Le secteur laitier au Sénégal est en pleine croissance tant au niveau de la production locale qu’à celui des industries de transformation. Toutefois, une analyse attentive du secteur montre que tout n’est pas rose.

1/ Production laitière

Avec un cheptel bovin de 3 millions de têtes dont 1 million de laitières, le potentiel de production de lait du Sénégal est intéressant. S’il était possible de collecter tout le lait produit dans les différents bassins d’élevage, on serait très proche de l’autosuffisance en lait. Malheureusement la réalité est autre. Le Sénégal est un grand importateur de ce produit tout comme le Nigeria et la Cote d’Ivoire.
Pour booster la production laitière et atteindre l’autosuffisance, beaucoup de contraintes doivent être levées :

a/ Faible potentiel de production des laitières

Une augmentation significative de la production laitière locale sera très difficile à obtenir avec les espèces exploitées au Sénégal. L’amélioration de leur potentiel génétique par la sélection et l’insémination artificielle est la voie la plus rapide pour atteindre cet objectif.

b/ Très grande mobilité des laitières

La transhumance en tant que méthode d’élevage est incompatible avec une production importante de lait. Les éleveurs qui veulent produire et vivre de ce lait doivent renoncer progressivement à la transhumance au moins pour les laitières.

c/ Alimentation insuffisante des laitières surtout pendant la saison sèche
Une femelle mal nourrie, quelque soit son potentiel génétique, ne sera jamais une bonne laitière. L’alimentation des laitières est un facteur essentiel et déterminant pour augmenter la production laitière.

d/ Non maîtrise de l’eau dans les zones d’élevage
Le lait contient 87% d’eau. Donc, pour fabriquer du lait, la laitière a besoin de beaucoup d’eau. L’eau est un facteur déterminant pour booster la production laitière nationale et elle n’est pas partout et toujours disponible.

e/ Manque d’organisation des éleveurs
Pour lever la plupart des contraintes qui pèsent sur la filière laitière, les éleveurs bien organisés ont plus de chance d’avoir gain de cause. Le secteur de l’élevage est plombé par un nombre élevé de syndicats et d’autres organisations qui sont plus proches des autorités étatiques que des éleveurs en activités.

f/ Insuffisances des infrastructures de conservation du lait
Le lait est un produittrès périssable. Il n’y a pas de production importante de lait et d’industrie de transformation en aval sans infrastructures de conservation. Un effort doit être fait dans ce domaine et vite.

g/ Insuffisance de la ligne de crédit bancaire dédiée aux éleveurs
Comme toute activité économique, les éleveurs ont besoin d’un crédit adapté à leurs besoins. Il existe déjà des financements possibles, mais insuffisants.

h/ Insuffisances des pistes de production
La collecte du lait dans les bassins d’élevage nécessite un effort de la part des autorités pour construire davantage de pistes de production, surtout dans les zones d’élevage.
Tous les pays qui exportent actuellement du lait, dont les fournisseurs du Sénégal, ont levé préalablement ces contraintes.

2/ Industries laitières

Les deux types d’industries laitières qui opèrent au Sénégal semblent prospères. Cependant, un certain nombre de facteurs non pris en compte peuvent à court et à long terme diminuer leur prospérité voire hypothéquer leur existence :

a/ Garantie de ravitaillement en lait en toute saison

Les industries laitières doivent s’assurer qu’elles seront ravitaillées en lait en toute saison, en quantité et en qualité. C’est un préalable avant tout investissement.

b/ Contrat en bonne et due forme avec les éleveurs ou autres fournisseurs

Les industries laitières doivent officialiser leur collaboration avec les éleveurs ou autres fournisseurs par des contrats réguliers. C’est un moyen de sécuriser les investissements.

c/ Investissement inadapté
Les équipements des industries laitières sont onéreux. Des études de faisabilité et de marché doivent être faites sans complaisance avant tout investissement.

d/ Qualité des produits
Dans l’industrie laitière, l’application des bonnes pratiques d’hygiène et le HACCP est obligatoire. Elle permet à l’entreprise d’être compétitive et sécurise les consommateurs.

IV/ RECOMMANDATIONS POUR BOOSTER LE SECTEUR DU LAIT
Le lait et ses dérivés sont des aliments essentiels pour une bonne nutrition des populations. Les protéines du lait sont les protéines animales les moins chères. C’est parce que c’est compris ainsi que les pouvoirs publics prennent diverses mesures pour garantir aux Sénégalais l’accès au lait à bon prix partout et à tout moment, quel que soit le coût du lait importé et quel que soit le prix du soutien au secteur laitier pour booster la production nationale.
Augmenter la production laitière puis atteindre l’autosuffisance en lait est possible si toutes les contraintes qui pèsent sur la filière sont levées. A cette fin, nous recommandons :

a/ Elaborer une politique nationale laitière
Cette politique laitière doit s’appuyer sur une vision et une stratégie axée sur :
- La construction de pistes de production dans les bassins de lait ;
- Une politique de maitrise de l’eau dans les aires d’élevage ;
- Elaboration et adoption d’une réglementation adaptée en matière de produits laitiers ;
- Evaluer et améliorer les lignes de crédit dédiées aux éleveurs ;
- Créer et sécuriser des aires protégées d’élevage dans les bassins de lait ;
- Réaliser des unités départementales ou régionales de conservation du lait dans des zones ciblées ;
- Encourager les sénégalais à consommer le lait local et ses dérivés par une campagne de sensibilisation appropriée ;
- Choix préférentiel des produits frais lors de l'attribution des marchés publics de produits laitiers élaborés, en exigeant par exemple au moins 50% de lait local (restauration collective, hôpitaux, cantines scolaires, etc.)

b/ Favoriser l’augmentation de la production laitière locale
Cette recommandation est axée sur diverses actions réalistes :
- Augmenter significative le budget du Ministère de l’Elevage pour un meilleur fonctionnement de ses services déconcentrés. Ce sont ces services qui encadrent les éleveurs.
- Elaborer un plan national d’insémination artificielle avec les chercheurs de l’ISRA et des universités afin de
o améliorer le potentiel génétique des races locales par la sélection :
o produire des métisses laitières à haut rendement par insémination :
o produire des métisses F1 à haut rendement par insémination ;
- Réhabiliter le laboratoire d’Elevage de Hann pour la production en quantité et à temps des vaccins dont l’élevage a besoin ;
- Limiter la mobilité des laitières et les cantonner autour des unités de collecte ;
- Améliorer l’alimentation des laitières par une politique de production et de conservation du fourrage.

c/ Organiser, motiver et renforcer les capacités des éleveurs
- Organiser des sessions de formation et de sensibilisation destinées aux acteurs de la filière pour la modernisation de l’élevage au Sénégal ;
- Aider les éleveurs à s’organiser en GIE ou en coopérative ;
- Encourager et soutenir les propriétaires de fermes à production intensive autour des centres urbains ;
- Récompenser les éleveurs qui se seront distingués dans la politique d’augmentation de la production laitière ;
- Encourager et soutenir la formation de mouvements de promotion du lait local.

d/ Promouvoir le lait et le tissu industriel laitier national
- Encourager et soutenir les industries laitières à base de poudre importée à utiliser progressivement le lait local dans leur fabrication ;
- Mettre un terme à l’inégalité des taxes appliquées à la filière industrielle par rapport à la filière importation ;
- Subventionner certains matériels de collecte, de conservation et de traitement du lait local ;
- Encourager et soutenir les mini laiteries disséminées à travers le pays ;
- Encourager le secteur privé à investir dans l’industrie laitière par des mesures fiscales incitatives.
- Créer un cadre de concertation formel entre les acteurs de la filière laitière regroupant les collectivités locales, les services déconcentrés de l’Etat, les ONG et le secteur privé.
- Instituer une journée nationale du lait pour favoriser des contacts et échanges entre acteurs. Cette journée sera l’occasion de montrer les progrès réalisés en matière de promotion du lait local. Elle permettra de montrer aux populations les bienfaits du lait.
- Eriger la zone sylvo-pastorale en zone de production privilégiée de lait avec les moyens d’accompagnement nécessaires.

V/ CONCLUSION
Le secteur laitier occupe une place prépondérante sur le double plan de l’alimentation des sénégalais et de l’économie nationale.
Au plan alimentation, le lait et ses dérivés sont les principales sources de protéines disponibles pour les populations. Ils sont accessibles à tous et partout.
Si globalement les sénégalais sont relativement bien nourris, c’est notamment grâce au lait.
Sous l’angle économique, le secteur laitier occupe plusieurs millions de sénégalais et contribue très significativement à la formation du PIB. Le secteur laitier est un puisant levier de lutte contre la pauvreté et la malnutrition.
Il est donc évident que tout effort allant dans le sens de l’augmentation de la production laitière nationale et du développement des industries laitières contribue concrètement au développement économique et social du Sénégal. C’est un levier incontestable du PSE

Professeur Demba Sow
Ancien député