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LES 12 PENC DE DAKAR : Une histoire vieille de plusieurs siècles

Rédigé par leral.net le Dimanche 11 Janvier 2015 à 05:00 | | 0 commentaire(s)|

LES 12 PENC DE DAKAR : Une histoire vieille de plusieurs siècles
Ils sont nombreux ces quartiers et places de la capitale qui portent l’histoire de tout un peuple. Des noms méconnus des Dakarois qui ainsi n’en savent rien de leur sens et origine. Parmi eux, les 12 Pénc de la ville de Dakar. Ces villages lébous fondés dans le haut Plateau dont les noms, comme toujours et partout chez les lébous, sont porteurs de faits historiques méritent d’être connus par tous les Sénégalais surtout la génération actuelle. C’est tout à l’honneur du journal le populaire qui, à travers un bref aperçu de la culture léboue, tente de revisiter l’histoire de ces quartiers traditionnels symboles de pérennité et de stabilité appelés Pénc et de leurs dignitaires.
L’effet de la colonisation a pratiquement réussi à effacer de la mémoire collective des Sénégalais en particulier des Dakarois les noms des anciennes circonscriptions comme Kaay Findiw, Santhiaba, M’bakeundeu, Guy Salaan, Hock, Ngaraaf, Thieurigne, Yakh Dieuf, Diècko, Mbot, Thieudeme et Kaay Ousmane Diène. Ces noms atypiques renvoient aux 12 villages mythiques où vivait tranquillement la communauté léboue. Dénommées Pénc , cette division territoriale constituait jadis, la charpente administrative de Dakar dans l'ancienne organisation de ladite société. Ainsi, c’est à base de cette organisation administrative que les différents notables se rencontraient périodiquement pour débattre des questions relatives au fonctionnement de la cité. Le Pénc était, en effet, le lieu le plus indiqué pour les prises de décisions majeures mais aussi pour discuter des affaires courantes. Il abritait aussi les manifestations et rencontres des différents segments de la société léboue. Aujourd'hui, les noms authentiques d'une bonne partie de ces localités devenues juste des sous-quartiers presque noyés dans l’espace urbaine moderne en perpétuelle mutations sont méconnus par leurs habitants et certaines personnes âgées sensées perpétuer la tradition.

LES 12 PENC DE DAKAR : Une histoire vieille de plusieurs siècles
En effet, l’histoire montre qu’il ya de cela très longtemps, après un périple de plusieurs millénaires qui s’est fait en plusieurs étapes, les lébous, vers la fin du 14ème au début 15ème siècle, ont quitté le Djolof pour la presqu’île du Cap-Vert. Ce, pour se libérer des brimades du «Bourba». Les lebous, d’après Abdou Khadre Gaye, président de l’Entente des mouvements et associations de développement (Emad) (Ndlr : structure initiatrice du Fespenc qui fait des recherches sur la société leboue), constituaient un peuple avide de grand espace, assoiffé de liberté. C’est cette recherche incessante de liberté qui a fait que chaque fois qu’ils se sentaient opprimer, ils quittaient leurs terroirs pour d’autres contrées où ils espèrent trouver beaucoup plus d’autonomie. On dit même, raconte l’initiateur du Fespenc, que l’origine du mot lébou vient du wolof «luubu» qui signifie « guerrier belliqueux ». «C’est un peuple à forte valeur identitaire qui refuse toutes formes d’oppression» renseigne t-il. D’ailleurs, explique M.Gaye, en riant : «c’est la mer qui a certainement bloqué leur avancée sinon, ils auraient pu aller au-delà du Cap-Vert».
Installation des premiers villages lebous
De la sorte, une fois à Dakar, les lebous ont fondé les premiers villages dont Mbidiëm qui est le premier village à les accueillir, Beer Thialane, Toor, Djanki Malikunba dans le Djander (limite est du Cap-Vert) en passant par Rufisque, Mbao, Bargny, Yeumbeul… «Mais le village le plus important, l’un des premiers grands villages que les lebous ont construit dans la Presqu’île c’est « Mbuxex» renseigne Abdou Khadre Gaye. Ce village qui se situait au site actuel du Stade Leopold Sedar Senghor et alentours a vécu, selon lui, pendant 105 ans. C’est suite à une épidémie de la maladie du sommeil que «Mbuxex» a éclaté pour donner naissance à 3 groupes. Le premier groupe a fondé Yoff, Ngor, Ouakam. Ces trois villages sont appelés «tànk» (pied) du fait que leurs habitants étaient de grands randonneurs, de grands marcheurs. D’autres sources, par contre, disent que «tànk» fait référence aux trois pieds de la marmite et dès qu’il y a un pied qui disparait, la marmite tombe. Ce qui veut dire que ces trois villages traditionnels que sont Ngor, Ouakam, Yoff, malgré la distance qui les sépare sont liés. Le deuxième groupe a fondé un village vers Yarakh qui s’appelle Beeñ qui se traduit par «sable fin de plage». Le troisième groupe qui en fait n’est qu’un prolongement du premier fonda le village de Soumbédioun d’où se perçoivent les iles jumelles (iles des madeleines). La plus grande porte le nom de «Wër» et la plus petite «laar». C’est à « Wër » qu’habite le génie protecteur de Dakar « Ndëk Daour Mbaye »
Une épidémie de peste, prétexte de déguerpissement des «pénc»
C’est par la suite que les villages de Beeñ et de Soumbedioun se sont déplacés vers la Corniche Est dakaroise pour créer les Pénc. Au nombre de 12, tous les Pénc se situaient dans le haut plateau derrière l’actuelle immeuble Bceao jusque vers le palais de la République. C’est avec l’arrivée des Français à Dakar vers 1857 que la structuration des Pénc commence à connaitre des bouleversements. Parce que les Colons voulaient coûte que coûte occuper le haut du Plateau. Les premiers déplacements eurent lieu et c’est vers l’actuelle rue Vincent entre l’avenue William Ponty et l’avenue Faidherbe que ces Pénc ont été amenés.

LES 12 PENC DE DAKAR : Une histoire vieille de plusieurs siècles
Ainsi, en 1914, une épidémie de peste «assez douteuse» pour certains explique le prétexte de la délocalisation, hors du plateau, de six Pénc. La seule alternative pour faire quitter aux lebous leur terroir c’était de brûler leurs cases. Ces derniers, contraint de quitter, seront par la suite installés à la Médina qui, à l’époque portait le nom de Khourou khan ou Khan Khour (la dépression de Khan) au moment où d’autres l’appelaient Tilène (la brousse des chacals). L’actuelle avenue Malick Sy devait faire office de ligne de séparation entre la population européenne installée au Plateau et les lebous qui devaient tous quitter le Plateau pour la Medina. Ayant compris leur stratégie, les autochtones, très attachés à leur terres, armés jusqu’aux dents se sont regroupés au niveau de l’actuelle avenue Lamine Gueye x Faidherbe prêt à affronter «les brûleurs de cases».
Quand les abeilles mythiques freinent l’élan des «brûleurs de cases»
Toutefois, l’histoire a retenu que trois événements majeurs ont participé à l’arrêt du déplacement des Pénc vers la Medina. Il s’agit d’abord de la résistance des populations noires en 1914. Dès lors, une politique pour calmer les révoltés s’impose parce que la première guerre mondiale venait d’éclater et les colons déjà au front ne trouvent pas l’opportunité d’allumer un autre foyer de tension en Afrique. Ensuite, l’élection de Blaise Diagne, premier député noir à l’Assemblé Française a contribué à l’apaisement de la tension. En tant que lébou, il s’est levé avec William Ponty pour arrondir les angles. Enfin, le mysticisme a pris part aussi au dénouement de la situation. En effet, expliquent des dignitaires, le Djaraaf Farba Paye a fait sortir des abeilles du fromager géant du pénc de Mbot pour faire fuir les «bruleurs de cases».
Depuis lors, les 12 Pénc ont perdu leur uniformité. Désormais, 6 des 12 dont Sathiaba, Ngaraaf, Diècko créés par les Diagne, M’bakeundeu par les Mbaye, Thieurigne par les Ndoye et le dernier né des Pénc Kaye Ousmane Diène créé par les Diène se sont implantés au niveau de la Medina. Les six autres ayant échappé au déguerpissement de 1914 à savoir Kaay Findiw créé par les Diène, Guy Salaan par les Dione, Hock par les Guèye, Yakh Dieuf par les Samb, Mbot par les Paye et Thieudeme par les Mbengue sont restés au Plateau.
Cependant, une visite guidée par l’Emad dans les entités de Santhiaba, Ngaraaf, Thieurigne, Yak Djeuf, Mbot, Thieundeum a permis de découvrir les cotés mystiques et réels de ces Pénc dans lesquels se reflète la culture leboue.


Par Mously Ndiaye du journal le populaire.
Photos : Miroir Lebou de EMAD/FESPENC