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La chichamania – Dakar fume à tous les parfums

Dans les maisons, dans les cafés, les restaurants ou encore les boîtes de nuit, la chicha est en train de prendre une ampleur et une place qui ne dit pas son nom dans la société sénégalaise. Jeunes, vieux, femmes, tous sont devenus accros à cette bouteille d’eau parfumée qui vous donne l’impression d’être dans le coup.


Rédigé par leral.net le Mardi 8 Novembre 2016 à 00:52 | | 0 commentaire(s)|

La chichamania – Dakar fume à tous les parfums
Dans le salon VIP de cette boîte de nuit très courue des Almadies, une jeune femme, cheveux courts teints en jaune, pantalon strech assorti de baskets lumineuses ne passe pas inaperçue. Son accent parigot haut perché, autant que le rire qu’elle laisse fuser de temps en temps, est comme une affiche : ‘’arrive tout droit de Paris wech’’. Sa coupe de champagne en main, elle tire depuis maintenant une dizaine de minutes sur la chicha posée devant elle sur la table. A son voisin qui lui demande de faire tourner, elle lance dédaigneuse : ‘’Heu mon pote, je ne partage pas. Si tu veux fumer, demande qu’on t’en apporte une autre. On ne va quand même pas se partager nos salives. Non, mais allô quoi !’’.

Derrière le bar, une vingtaine de chicha sont alignées dans un coin. En une soirée, elles pourront servir toutes, si la salle est comble, car les abonnés au tabac parfumés ne peuvent plus s’en passer. ‘’Au début, nous n’avions que deux chichias, mais nous avons eu tellement de demandes que le patron a décidé de s’approvisionner. Là nous avons des chichas qui coûtent 20 000 F CFA l’unité et qui peuvent nous rapporter entre 250 000 et 500 000 F CFA par soirée », explique une entraîneuse.

Ils sont un groupe de six jeunes garçons, dont l’âge varie entre 15 et 20 ans ; assis dans un coin de ce restaurant panoramique de Liberté 5. Leurs plateaux de hamburgers desservis, le serveur apporte deux pipes à fumer. «Laisse-moi commencer, lance l’un des garçons à la coupe Nelson Mandela. Parce que boy, quand tu vas prendre le tuyau-là personne ne pourra l’arracher de ta bouche». Et dans un éclat de rire général, la petite bande se met à tirer à grands coups de fumée sur les deux chichas. Comme ce restaurant, de nombreux lieux publics de Dakar ont investi dans la location de chicha pour les clients. Ici, les prix varient entre 2 500 et 3 000 F CFA pour une séance de fumette.

Il est de bon ton aujourd’hui de commander une chicha, quand on est assis à la terrasse d’un restaurant ou au bord de la plage. Une attitude qui ne manque pas souvent d’attirer les regards, parfois envieux ou curieux des autres. « Ça fait classe de fumer une chicha, explique un adepte. Beaucoup de gens ne connaissent pas ou n’ont jamais goûté à la chicha et ils sont curieux quand ils vous regardent ». Même dans l’attitude des fumeurs de chicha, on sent bien cette envie de se faire remarquer.

Un commerce qui marche bien


Il y a 5 ans, on ne trouvait les chichas que dans les maisons de quelques connaisseurs et les ventes dans les magasins n’étaient pas vraiment au top. Puis, les Sénégalais revenant des pays arabes ont commencé à ramener dans leurs bagages ces petits objets de leur quotidien. Mais c’est lorsque les touristes et vacanciers ont commencé à se plaindre de ne pas trouver de bars à chicha que les patrons d’enseignes ont compris qu’elle pouvait devenir un filon en or. Aujourd’hui, les ventes ont décollé dans les boutiques. Les vendeurs se frottent les mains devant une demande croissante.

Dans cette boutique de la rue Thiong, on se croirait dans le paradis du narguilé. On y trouve tous les accessoires nécessaires à une séance de chicha entre amis ou en solitaire. Les prix varient entre 20 000 F CFA et 120 000 F CFA pour une chicha. Les accessoires comme le parfum, le charbon ou encore les tuyaux s’achètent entre 4 000 F CFA et 10 000 F CFA. Les commerçants avouent sans ambages que, depuis quelques années, les ventes de ce produit ont explosé. La preuve, cette boutique du centre-ville qui vient de recevoir une commande d’une vingtaine de chichas par un établissement de la place.

Un plaisir pas si inoffensif que ça !


Une croyance populaire (ou tout simplement de ceux qui veulent se voiler la face) veut que la chicha soit la forme la moins nocive du tabagisme. Quand il a ce goût sucré et parfumé dans la bouche, le consommateur pense plus à un bonbon dont il avale la fumée. « Je vous conseille vivement de prendre la chicha, si vous voulez arrêter de fumer, conseille très sérieusement un vendeur à ce client qui hésite encore. Ici vous n’avez que de l’eau parfumée qui n’est pas dangereuse pour votre santé.» Convaincu, il fera l’acquisition d’une chicha qui coûte 75 000 F CFA, de deux boîtes de charbon et de parfum.

Mais ce que ce futur consommateur ignore sûrement, c’est que son alternative à la cigarette n’en est pas vraiment une. En voulant se mettre à l’abri du grand taux de nicotine contenu dans la cigarette, il est tout simplement tombé dans un piège parfumé, mais tout autant dangereux, sinon plus.

Des études scientifiques montrent qu’une séance de narguilé expose le fumeur à une quantité de fumée plus grande que pour les fumeurs de cigarette. Alors que le fumeur consomme généralement une cigarette en 5 minutes (entre 0,5 et 0,6 litre de fumée), le fumeur de narguilé fume pendant 20 à 60 minutes et inhale entre 50 et 200 bouffées de 0,5 à 0,25 litre chacune. Faites le calcul ! C’est dire qu’une séance de narguilé expose le fumeur à un volume de fumée correspondant à plus de 100 cigarettes par session.



La chicha tombe sous le coup de la loi antitabac

Considérée comme un dérivé du tabac, la chicha n’échappe pas au décret qui interdit de fumer dans les lieux publics. Bientôt, il ne sera plus possible de s’adonner à cette pratique, au même titre que la cigarette dans les lieux publics. Car, comme la cigarette, la chicha est dangereuse pour les consommateurs et ceux qui les entourent. Lors de la conférence de presse du Ministère de la Santé du 17 août 2016, il a été clairement dit que le tabac et tous ses dérivés tombaient sous le coup de cette loi. Une nouvelles qui risque de plomber sérieusement ce business qui arrangeait les propriétaires de lieux publics qui se pensaient à l’abri.

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