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La lutte contre le terrorisme, un nouveau biais de mendicité pour les Etats Africains (Par Amadou Guèye Coordonnateur MPCA)

Rédigé par leral.net le Lundi 16 Mai 2016 à 18:46 | | 0 commentaire(s)|

Non, Président, les racines du terrorisme ne sont pas liées à la pauvreté !
Comme beaucoup d’élites, de grandes et influentes personnalités, notre cher président fait partie de ceux-là qui soutiennent l’idée selon laquelle la pauvreté est la cause fondamentale du terrorisme.
Voilà une idée abusée à plusieurs égards, et nous tenterons d’en apporter la preuve. Voilà aussi, un argumentaire exploité à merveille par nombre de dirigeants pour quémander une aide étrangère au développement. Combien de fois avons-nous entendu que « pour lutter contre le terrorisme, il faut s’attaquer à la pauvreté ainsi qu’au chômage » et pour cela « nous, Etats d’Afrique avons besoin de moyens militaires et financiers ». Et pourtant face à cette « mendicité déguisée », les Occidentaux semblent très coopératifs, puisque la lutte contre le terrorisme en Afrique pourrait être un excellent alibi pour un « colonisateur voilé ».
Tout d’abord soyons clair. En s’affirmant ainsi, le Président est très loin d’être seul dans sa logique, puisque plusieurs autres personnalités africaines défendent la même pensée : de bonne foi ? Peut-être. Parmi les tenants de cette thèse consistant à indexer la pauvreté et le chômage comme fondement du terrorisme, on peut citer notamment:
Le Président Alpha Condé de la Guinée, qui, lors d’une visite de travail et d’amitié à Conakry, du Premier ministre éthiopien, avait soutenu avec vigueur que « le terrorisme est dû à la pauvreté ». Et il peut compter sur son homologue camerounais Paul Biya qui soutient lui aussi que les injustices et la pauvreté «font le lit du terrorisme». Cela n’est pas une exclusivité des présidents africains, puisque ceux-là n’ont commis que l’infraction du copier-coller. Et il faut à titre de rappel souligner la position initiale de Barack Obama qui soutenait, il ya fort longtemps que «le plus souvent », le terrorisme « se développe dans un climat de pauvreté et d'ignorance, d'impuissance et de désespoir. […] ». Certes il y a eu un peu de nuance depuis son accession à la tête de l’exécutif américain. Mais le moteur de son propos cliche fondamentalement la pauvreté comme cause du terrorisme.
Au regard de toutes ces déclarations de personnalités non moins influentes, il est vraisemblable que la pauvreté est la cause du terrorisme. Mais cela demeure une thèse trop fragile face à la réalité pratique et scientifique que nous abordons en cinq points.
1. La pauvreté, une fausse cause au terrorisme
La pauvreté est accusée à tort, et constitue une fausse cause à plusieurs égards.
• D’abord, sous l’angle des individus :
Les pauvres ne sont pas des terroristes et les organisations terroristes n’ont pas forcément besoin de pauvres. Au contraire, comme le démontrent plusieurs études et sondages (Alan Krueger, économiste à Princeton), les noms les plus connus du terrorisme sont loin d’être liés à des pauvres. Le cas d’Oussama Ben Laden en est une illustration. Ce dernier n’était ni pauvre de culture, ni pauvre d’instruction, ni pauvre économiquement. Il était d’ailleurs présenté comme un milliardaire saoudien. Plus loin encore, si nous prenons le cas du kamikaze qui se donne la mort, on admettra qu’il est très loin de le faire pour trouver un emploi, ou pour devenir riche. La cause est ailleurs et elle est déliée de la misère. Elle est aussi éloignée de l’ignorance et du manque d’instruction. La preuve, dans un attentat manqué en Grande-Bretagne, il a été découvert que sept des huit personnes arrêtées étaient des médecins. Et même en regardant de plus près (chez nous), le cas de ce jeune sénégalais répondant au nom de Sadio Gassama qui a rejoint le groupe terroriste AQMI en Libye conforte cette thèse. Plus percutent encore, l’un des commandos abattu lors de la tuerie de Garissa University au Kenya était un ancien étudiant de la Faculté des sciences juridiques de Nairobi. Un jeune réputé par ses anciens camarades comme esthétiquement correct et intellectuellement doué, un jeune à l’avenir prometteur. Tous ces éléments constituent des preuves établissant avec vigueur que ni le manque de connaissances, ni la pauvreté ne sont à la base du terrorisme.
• Ensuite, sous l’angle des Etats :
Les Etats les plus frappés par le terrorisme sont loin de la liste des Etats les plus pauvres au monde. Et à contrario les Etats les plus pauvres au monde sont de loin les Etats les moins frappés par le terrorisme. Le Sénégal qui loge parmi les vingt-cinq Etats les plus pauvres de la planète (classement 2015) en est une parfaite illustration. Alors que de l’autre côté, le Nigeria qui est la première puissance économique d’Afrique, qui est également dans la liste des vingt-cinq Etats les plus riches de la planète, à côté des Etats-Unis (1ere place) et de la France (6e place) est de loin le pays africain le plus touché par le terrorisme. D’ailleurs, c’est au Nigeria qu’est né le groupe terroriste le plus redoutable de la sous-région, à savoir Boko Haram.
Ce classement démonte ainsi, sèchement l’argumentaire de la pauvreté comme cause du terrorisme.
• Enfin, sous l’angle des organisations terroristes :
Dire que la pauvreté est la cause du terrorisme c’est aussi méconnaitre la diversité même des objectifs de différentes et nombreuses organisations terroristes. Le premier attentat terroriste à la bombe a été commis par des Israéliens membres du groupe extrémiste Irgoun, déguisés en Arabes pour commettre un attentat sans précédent le 22 juillet 1946, dans l’hôtel King David. Cet attentat qui a fait quatre-vingt-onze victimes et quarante-six blessés à Jérusalem a-t-il été perpétré pour des raisons de pauvreté ? La réponse est forcément négative. Et c’est le cas pour les attentats de nombreuses organisations terroristes d’Europe luttant non pas pour des causes économiques mais souvent pour des motivations indépendantistes, comme l’ETA des pays Basques qui luttent pour l’indépendance avec des actes qualifiés de terroristes comme moyen de lutte. Cela fut aussi pendant de longues années le cas du Front de Libération Nationale de la Corse (FLNC), qui est une sorte de MFDC à la française.

La pauvreté ne cause pas le terrorisme, mais les pauvres peuvent être une proie facile pour le recrutement terroriste. Puisque admettons-le, les organisations terroristes offrent un Smig largement supérieur à celui qu’offrent nos Etats. C’est à ce niveau qu’il faut s’arrêter un peu sur des déclarations de personnalités qui nous semblent plus averties. C’est le cas de celle du pape François, lors de sa visite du mercredi 25 novembre 2015, à Nairobi. En fait, le souverain pontife y affirmait que «le désespoir et la pauvreté nourrissent le terrorisme». La différence est nette, puisque entre causer et nourrir, il y aune forte nuance. Des études, notamment celles de Jessica Stern d’Harvard, ont démontré que les zones de pauvreté peuvent être présentées comme des terreaux fertiles pour le recrutement terroriste ; mais pas comme une cause du terrorisme. Et sur ce point des chercheurs comme Alan Krueger sont formels, « la pauvreté n’est pas la cause » du terrorisme. Les résultats d’un sondage effectué sur six mille (6 000) Pakistanais à l’échelle nationale par la Social Science Research Network (dont Christine Fair de l'Université Georgetown est partie), confirment que les partisans du terrorisme ne sont pas des individus marginalisés, mais plutôt des gens éduqués, issus de familles aisées. Pourtant, malgré toutes ces affirmations scientifiques, nos dirigeants semblent s’accrocher à cet argument fallacieux (la pauvreté comme cause du terrorisme) qui n’est pas loin d’un « pot » ou outil maquillé de mendicité.

2. La lutte contre le terrorisme, un nouveau biais de mendicité pour les Etats Africains :
Notre postulat de base repose sur une question paraissant si élémentaire, mais tellement fondamentale : Pourquoi les chefs d’Etats africains s’entêtent-ils à faire du terrorisme un problème purement et exclusivement économique ?
Leur stratégie est basique et se résume en ces termes :
Il s’agit dans un premier temps de mettre l’accent sur une situation catastrophique qui n’épargnerait aucun Etat, encore moins les intérêts des Occidentaux logés en Afrique. Par exemple la France dont les ressortissants sont en principe propriétaires des plus grandes sociétés de télécommunications (Orange) ou d’exploitations des hydrocarbures africains (Total), est plus concernée par les menaces de dommages de terrorisme dans ces pays africains que les Etats africains eux-mêmes.
Il s’agit, dans un second temps de trouver une cause fructueuse comme « la pauvreté » qu’il faudrait accuser, dans la finalité de solliciter légitimement des moyens, surtout financiers pour faire face au terrorisme. Une des publications du journal le monde rapportait une déclaration du président Macky Sall lors du second forum sur la sécurité du 9 novembre 2015 en ces termes « Nous avons juste besoin de davantage de ressources », avant de qualifier cette démarche de puits sans fonds.
D’ailleurs même, l’actualité marquée par le sommet au Nigéria consacré à la lutte contre Boko Haram révèle avec plus de vigueur l’existence de cette stratégie de mendicité déguisée. Lors de ce sommet, le président nigérien a déclaré que 10% de son budget est alloué à la lutte contre Boko Haram. Alors que le président Buhari lui emboitait le pas dans la même démarche, et sollicite indirectement une aide à la reconstruction de la région et au développement, évaluée déjà à 960 millions d'euros. Finalement le Président français, le « Monsieur terrorisme » ou Monsieur « Antiterrorisme en Afrique », a parfaitement joué le jeu en promettant une aide avoisinant des milliers d’euros d’aide. Á un moment où, même la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale s’est totalement désintéressée de cette lutte contre Boko Haram au Nigeria, malgré les importants intérêts pétroliers qu’elle y possède.
La France, comme un véritable guichet automatique pour les pays africains n’en est pas à sa première offrande. Puisque, apparemment convaincu qu’il faut s’attaquer à la pauvreté et au chômage pour endiguer le terrorisme, François hollande, avait déjà promis 1 milliard d’euros à la Tunisie pour contrer surtout le chômage.
Cette générosité de la France (ancienne colonie), qui se traduit d’une part, par des dépenses militaires énormes (opération Epervier, Opération Turquoise au rwandais, opération Pélican au Congo Brazza, opération Aramis au Cameroun, opération Malachite à Kinshasa, opération Licorne en Côte d’Ivoire, opération Harmatan en Libye, opération Serval au Mali, opération Sangaris en RCA, et récemment l’opération dite Barkhane) et d’autre part, parles aides financières ainsi que les onéreuses tournées africaines, est-elle gratuite ? N’ya-t-il pas, derrière un objectif de recolonisation ? En tout cas les Etat n’ont pas d’amis disait le Président Français Charles de Gaulle.
De toute façon si la France cherchait réellement à recoloniser l’Afrique et que les Africains ne quémandaient que du « financement » (« ndimbeul »), alors le terrorisme en Afrique ne serait qu’une aubaine, loin du hasard. Que Dieu nous en garde. Nous espérons que ce n’est pas le cas, et nous présumons de la bonne foi des acteurs.

3. La solution exclusivement économique et militaire, une fausse solution
Des lors que nos Etats surtouts ceux d’Afrique sont passés à côté des vraies causes, il est logique qu’ils nous proposent de fausses solutions. Comparaison n’est pas forcément raison, mais il y a des cas pour lesquels il est inutile d’aller loin. Si nous admettons par évidence qu’un Etat comme les Etats-Unis ou la France ou même la Belgique est économiquement et militairement quatre cent mille fois plus outillée qu’un Etat comme le Sénégal, et que ces Etats occidentaux malgré leurs forces économiques et militaires restent des victimes et continuent d’être des victimes d’attaques terroristes, sans pouvoir rien faire que riposter à la violence par la violence, alors comment pourrions-nous intellectuellement gober l’idée qu’une solution militaire et économique puisse prospérer comme moyens pour contrer le terrorisme au Sénégal ?

Il paraît dès lors clair que la solution militaire qui ne cause que la multiplication des violences n’est pas une solution pertinente, à elle seule. La solution est ailleurs et pour la trouver il faut résoudre l’impératif de la vraie cause.

4. Les vraies causes : idéologies dogmatiques, atteintes à la liberté et aux droits humains
S’il est désormais incontestable que la pauvreté n’est pas la cause du terrorisme, il faut alors forcément en trouver une. Il est inutile d’aller loin pour cela. Il suffit juste d’analyser le but poursuivi par la plupart des grandes organisations terroristes pour cerner la raison fondamentale de leur lutte. Prenons l’exemple de trois organisations terroristes, étant entendu qu’une telle qualification ne peut se fonder que sur les actes commis, faute de définition conventionnelle de la notion de terroriste.
1. L'organisation extrémiste juive de l'Irgoun qui a commis le premier attentat à la bombe en 1946 luttait pour l’indépendance : donc une cause politique, de liberté et d’autodétermination ;
2. L’organisation de l’Etat islamique (DEASH) qui prône un pouvoir politique très bien structuré sous un Califat (dirigé par Abou Bakr Al Baghdadi) établi sur un territoire désigné (notamment en Syrie) et sur lequel est établie une population se revendiquant de cet « Etat » à qui il ne manque que la reconnaissance diplomatique internationale : Là aussi, la cause est politique, mais aussi idéologique même si les moyens de propagande sont un peu mélangés de religion.
3. ALQAÏDA, une des plus célèbres organisations terroristes dirigée à l’époque par Oussama Ben Laden qui a fait son baptême de feu avec la destruction des deux tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 : l’objectif est de lutter contre la civilisation occidentale et détruire leurs intérêts par des attentats. La cause est purement idéologique.
Au regard des objectifs de ces trois organisations utilisant toutes, des moyens d’actions terroristes violents, il est clair que leur raison d’être est purement idéologique, politique ou juridique. Loin donc des considérations financières et économiques.
La cause du terrorisme est donc religieuse, confessionnelle, et/ou politique. Tout passe par la foi des auteurs, tout passe par la conviction intellectuelle et l’engagement idéologique. Les acteurs sont nécessairement mobilisés et embrigadés par l’endoctrinement, la foi et la propagande bien pensée dans la tête des leaders. Dès lors que nous sommes édifiés, nous pourrions alors agir avec les bonnes solutions.
5. L’éducation et l’action dans les têtes, une vraie solution
L’ « éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde » disait Nelson Mandela. Á juste titre, puisque la violence naissant dans les têtes, pour la bannir il faudrait nécessairement agir dans les têtes, en y cultivant des idéaux de partage, de tolérance et de vivre ensemble dans la diversité. Le vivre ensemble et l’acceptation de la diversité, voilà la carence idéologique ou morale dont souffrent les dirigeants des organisations terroristes qui n’hésitent pas à tuer surtout leurs frères musulmans pour une simple divergence doctrinale dans un même islam (sunnites contre chiites, salafistes radicaux contre soufis etc.). Et sur ce point, la destruction des mausolées de Tombouctou abritant de nombreux « walyous » ou saints, par des musulmans radicaux qui sont contre toute forme de construction de mausolées, comme il en existe d’ailleurs à Touba, à Tivaoune ou à Yoff, en est une preuve achevée.
L’éducation est le moyens approprié pour endiguer le phénomène du terrorisme et de la violence en général, dans le monde. Cette éducation à différencier de l’instruction (école, université) et elle est inextricablement liée à la culture de chaque contrée. Au Sénégal elle passera forcément par des leviers traditionnels comme le cousinage à plaisanterie, l’exceptionnel dialogue interreligieux, la tolérance, mais aussi par d’autres outils, empruntés, de promotion de l’altruisme et de la culture de l’intérêt général comme le bénévolat dans la vie associative. Et elle doit nécessairement impliquer la jeunesse, et une société civile citoyenne, apolitique, saine et neutre.
Toutefois, il est fort bien important d’éduquer pour semer la paix dans les têtes. Mais cela doit inéluctablement concerner au premier chef nos hautes élites, puisque toutes ces formes d’organisations sont fondamentalement nées suite à des violations des droits de l’homme comme le droit des peuples à l’autodétermination (attentats d’Irgoun en 1946), ou même de l’utilisation de la violence pour imposer une démocratie qui ne dit pas son nom. C’est le cas de l’Irak avec une déstabilisation du gouvernement de Saddam Hussein, qui n’a eu pour résultat que la multiplication des injustices, et même la naissance d’un monstre nommé « DAESH ». C’est aussi le cas de la Libye qui a engendré le désordre à la place de la démocratie (à la française) et un chaos collatéral matérialisé par une expansion du terrorisme au nord Mali dans lequel on a noté une transformation d’indépendantistes (touarègues) en terroristes. Le cas d’Al Faqi Al Mahdi détenu à la Cour Pénale Internationale en est une illustration.
La foi ne s’impose pas. Mais aussi la démocratie ne se décrète pas. Agissons d’abord dans les têtes par l’éducation pratique. Lutter contre la pauvreté et le chômage est une pratique extrêmement louable. Mais, l’utiliser comme solution pour enrayer le terrorisme est une utopie. Un problème non réglé n’est que différé. La solution n’est ni militaire, ni économique, elle est forcément idéologique morale, et juridique. Enfin, les pauvres ne sont pas de potentiels terroristes. Juste des victimes du terrorisme et de toutes les autres formes de violence.
Amadou Guèye
Coordonnateur MPCA
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