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La «particule de Dieu» enfin dévoilée

Rédigé par leral.net le Mardi 10 Juillet 2012 à 13:43 | | 0 commentaire(s)|

Le directeur du Cern a annoncé la découverte d'une nouvelle particule qui a toutes les apparences du célèbre boson de Higgs, imaginé au début des années 1960 et dont la traque expérimentale a démarré il y a environ trente ans.


La «particule de Dieu» enfin dévoilée
Au terme de deux présentations historiques effectuées au Cern*, à Genève, le directeur de l'organisation, Rolf Heuer, se tourne vers l'auditoire, un grand sourire aux lèvres: «Je pense qu'on l'a. Qu'est-ce que vous en dites?» Dans une grande clameur et un tonnerre d'applaudissements, les dizaines de physiciens réunis dans la salle lâchent un vibrant «Yeah!». L'explosion de joie est à la mesure de la découverte, l'une des plus importantes de ces dernières décennies: après trente ans de traque, ils ont enfin mis la main sur le boson de Higgs, la «particule de Dieu».

Ce boson serait à l'origine d'un mécanisme, imaginé au début des années 1960 par le Britannique Peter Higgs et les Belges François Englert et Robert Brout, qui expliquerait la notion même de masse. Neuf milliards d'euros et 7000 chercheurs du monde entier auront été nécessaires à la construction et à l'exploitation de l'instrument qui a permis aujourd'hui son observation: le LHC. Cet anneau de plusieurs kilomètres dans lequel des protons sont envoyés les uns contre les autres à des vitesses proches de celle de la lumière devait permettre de recréer les conditions extrêmes nécessaires à l'apparition de quelques-uns de ces bosons. Il a parfaitement rempli son office. Les deux principaux détecteurs, Atlas et CMS, aussi.

La chasse au boson de Higgs par CNRS


Sandrine Laplace, qui a travaillé pour le compte du CNRS sur Atlas, explique la prouesse expérimentale par une analogie. «Si nous avions pu emmagasiner toute la «musique» des données fournies par le LHC pendant un an, nous en aurions pour 600 millions d'années à tout écouter. Matériellement, nous n'avons pu enregistrer que quarante ans de musique en choisissant soigneusement les morceaux qui nous paraissaient les plus pertinents. Cela représente déjà une pile virtuelle de 20 kilomètres de CD. Dans cette masse, les apparitions du boson de Higgs ne représentent que quelques notes éparses noyées dans le bruit de fond. Quelques minutes de musique tout au plus.»

Devant la complexité de la tâche, on pensait qu'il faudrait plusieurs années de répétition à l'orchestre, le LHC, et aux ingénieurs du son, les détecteurs, pour effectuer les enregistrements et les retravailler. Il n'en a rien été. L'annonce de la découverte intervient ainsi quelques années plus tôt que prévu. Le théoricien Peter Higgs, qui assistait à la conférence du Cern, s'est d'ailleurs effacé devant le formidable travail des manipulateurs et leur a simplement rendu hommage.

Une masse entre 125 et 126 GeV
Les enregistrements des deux expériences Atlas et CMS ont été réalisés de façon indépendante avec des outils de détection très différents. Comme le boson de Higgs disparaît très vite, les chercheurs ne pouvaient le débusquer que par l'intermédiaire des particules issues de sa désintégration: généralement, deux photons ou quatre électrons. Problème, le boson de Higgs n'est pas le seul à émettre ces «notes de musique»…

Des analyses statistiques poussées ont été nécessaires pour assurer que les quelques bosons entraperçus dans les données de 2011 n'étaient pas le fruit du hasard. «Nous avons fait tous nos calculs en aveugle pour ne pas nous laisser influencer par ce que nous pouvions découvrir», raconte Florian Beaudette, un jeune chercheur du CNRS qui a travaillé sur CMS. «Lorsque nous avons ouvert la boîte noire mi-juin, la surprise était là. C'était très émouvant.»

Le boson pèserait environ 130 fois la masse d'un atome d'hydrogène. Cela représente, en termes d'énergie, l'unité couramment utilisée en physique des particules**, entre 125 et 126 GeV. La probabilité que les observations effectuées ne soient que des bruits de fond intempestifs n'est que d'une chance sur dix millions pour chacune des expériences: c'est le seuil minimal requis en physique des particules pour crier victoire. Dans quelques mois, quand les données des deux expériences auront été agrégées, ce chiffre va encore chuter.

Le fonctionnement du LHC prolongé quelques mois
Mais s'agit-il bien du boson de Higgs? Pour Laurent Serin, directeur de l'IN2P3, «on est quasiment sûr qu'il s'agit bien d'un Higgs. Mais certaines théories nouvelles prévoient qu'il puisse en exister plusieurs différents; cinq, pour être précis.» En d'autres termes, les chercheurs tiennent bien un boson, mais ils ne sont pas encore certains qu'il s'agisse exactement de celui prévu par la théorie. «Il manque notamment une information sur son spin, une caractéristique qui permet de qualifier le nombre de symétries de la particule», explique Philippe Chomaz, directeur de l'Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'univers du CEA. «Le boson de Higgs doit avoir un spin de zéro, c'est-à-dire qu'il doit toujours être identique quel que soit l'endroit d'où on l'observe. Un peu comme une sphère en géométrie.»

Le directeur du Cern, Rolf Heuer, a d'ores et déjà annoncé que la période de fonctionnement du LHC serait prolongée de quelques mois fin décembre afin d'emmagasiner un maximum de données avant son arrêt pour maintenance. Le LHC ne redémarrera ensuite qu'en 2014 et fonctionnera alors à une énergie deux fois plus grande qu'aujourd'hui. À ces énergies, les chercheurs n'ont aucune idée de ce qu'ils vont trouver. «Nos théories actuelles ne sont plus valables dans ces domaines, et c'est peut-être une nouvelle physique qui nous attend», s'enthousiasme Laurent Serin. Le voyage vers l'infiniment petit continue.


Par Tristan Vey
Journaliste web,