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Le Grand Bégué de la mort (Par Abdoul Aziz Mbacké Majalis)


Rédigé par leral.net le Samedi 4 Avril 2015 à 23:39 | | 0 commentaire(s)|

Le Grand Bégué de la mort (Par Abdoul Aziz Mbacké Majalis)

Un chanteur de Khassaides très réputé, du nom de Serigne M., a récemment raconté une histoire fort étonnante. Une histoire qui nous a profondément touché et qui devrait tous nous interpeller.

C'était au cours de la cérémonie de funérailles d'une grande et célèbre cantatrice sénégalaise décédée il y a un an environ et que tout le monde connaît. La cérémonie (fort médiatisée, comme cela est désormais la tradition) avait rassemblé tout ce que le « showbiz » sénégalais comptait de célébrités et de stars (chanteurs, danseurs, lutteurs, comédiens, animateurs(trices), journalistes, communicateurs traditionnels etc.). Célébrités venues présenter (en grandes pompes) leurs condoléances à la famille éplorée. Noirs fumés et « sagnsé » discrets de classe, selfies pour sites web ; tout fut désormais culte pour le nouveau dieu du buzz.

Au cours des allocutions et témoignages d'usage devant l'assemblée des visiteurs, le préposé au micro (DJ ?) fit appel aux « Djangkat » présents à la cérémonie, afin qu'ils chantent quelques khassaides ou hymnes au Prophète (PSL), en guise de « barkerlou ». Ces derniers, s'étant concertés entre eux, laissèrent à Serigne M. l'honneur d’entamer ces chants religieux.

Prenant le micro, Serigne M. s'adressa alors à l'assistance en ces termes fort inattendus : « J'aimerais, avant de commencer, poser une question à l’assistance : Comment se fait-il que, parmi toute cette assemblée, qui compte en son sein les plus illustres chanteurs et chanteuses du Sénégal, auteurs de centaines de chansons, les plus populaires du pays, il n'y en ait point un seul qui puisse aujourd'hui venir ici, chanter ces chansons profanes devant ce public ? ».

Devant le silence pesant de l'assistance interloquée et apparemment secouée au plus profond d'elle-même par le vide soudain que la mort incohérente créait dans le monde des futilités qui les faisait vivre, Serigne M. leur asséna : « Comment se fait-il que dans de telles circonstances l'on fasse uniquement appel aux chants religieux et qu'on ne songe jamais, au contraire, à reprendre les chants (woy) et danses (fecc) auxquels le défunt consacrait pourtant sa vie ? KHANA WOY DAFA BAKHOUL (Vos chants sont-ils donc illictes) ? »

Serigne M. raconte que le « roi » d'une des musiques les plus populaires du pays, présent en ce moment dans l'assemblée, lui décocha alors, sous ses noirs fumés, un regard foudroyant qui l'aura anéanti sur place, si jamais le pouvoir lui en fut donné...

Moralité : Nous devons éviter de nous consacrer à toute activité dans laquelle nous ne souhaiterions pas que la mort nous surprenne ou à travers laquelle nous ne voudrions pas que l'on se rappelle à notre mémoire.

Car cette anecdote soulève, à notre sens, un ensemble de questionnements auxquels chacun d’entre nous devrait, dans la solitude de sa conscience, tenter de trouver ses propres réponses.

Pourquoi un chanteur n'aimerait-il pas que l'on organise un show le jour de ses funérailles ? Ces mêmes shows rassemblant hommes et femmes (non mariés) en tenues légères qui lui font vivre et qui ont assuré l’essentiel de la fortune et de la notoriété dont il se prévaut ?

Pourquoi un danseur n'aimerait-il pas que l'on organise, à chaque « anniversaire » commémorant sa disparition, un « Grand Bégué » au Grand Théâtre, réunissant tous les « Ndaanaan » de la place et toutes les « starlettes » à demi-nues, venues « battrer » ostensiblement leurs CFA devant les télés poubelles avides des « baadola » envieux ?

Pourquoi les familles de lutteurs décédés n'accepteraient-elles jamais la tenue d'un « mbappat », la quarantième nuit du décès de ces derniers ?

Alors que l'on accepte, sans aucune réserve, que l'on répète les sermons et versets auxquels se consacrait un imam décédé durant son magistère ? Que l'on rappelle les recommandations d'un chef religieux intègre le jour de ses funérailles ou durant les commémorations (Magal) qui lui sont consacrées ? Que l'on lise abondamment le Coran et les Khassaides, que l'on se rassemble pour prier, le jour de la mort d'un fervent musulman qui se consacrait studieusement à ces pratiques ? Un « Kourelkat » serait-il autant horrifié à la perspective d’un « daaju Serigne Massamba » lors de son enterrement qu’un rappeur du hip-hop de « Galsen », à la seule idée d’un « featuring » « hardcore » de ses « potes » du « underground », juste avant sa prière mortuaire ?

Si les réponses à ces questions nous paraissent aussi évidentes, pourquoi alors continuons-nous à aduler dans nos cœurs des stars et des anti-modèles si contraires aux valeurs enseignées par nos vertueux maîtres et auxquels nous prétendons pourtant nous conformer, en tant que mourides, tidianes, khadres, layènes etc. ?

Serigne Touba nous avait pourtant, et ce, depuis bien longtemps, avertis contre les nombreux dévoiements et amalgames qui risqueront de perdre, à l'au-delà, la plupart d'entre nous. Lui qui nous nous recommandait :

« Saches, ô mon frère, que la vie est très courte ; prends donc garde à ne pas dissiper ses précieux moments. Ne consacre jamais tes efforts à une occupation dans laquelle tu n'aimerais pas être surpris par la mort. Et quelque activité dans laquelle tu préférerais rendre l'âme, dévoues-y ton ardeur avant que le trépas ne fasse irruption. Évite de toujours nourrir d'interminables et lointains projets car cela mène l'adorateur vers les mauvaises pratiques. Persévère plutôt dans la quête de la droiture, dans l'observation des Ordres de DIEU, dans l'ascèse, la continence et la sobriété. Et ne recherche point des avantages ailleurs qu'en ton SEIGNEUR Seul ; n'ambitionne pas d'autre honorabilité que celle procédant de Sa Crainte Révérencielle. Si jamais tu te tournes vers un autre que ton SEIGNEUR, par espoir d'en tirer une quelconque faveur ou par peur des périls, saches alors, ô cher frère, qu'aucun mal ou avantage ne peut provenir d'ailleurs hormis que de DIEU. » ( Ilhamu-l-Wadûd, v. 4-11)

« Satan, le maudit, a abusé les gens. Raison pour laquelle ils s'occupent continuellement de choses qui ne peuvent que leur porter préjudice (…) La plupart des défauts de l'homme trouvent leurs origines dans la crainte des critiques et dans l'amour des éloges. » (Masalik-ul-Jinân, v. 152)

« Cette présente vie est remplie d'innombrables préoccupations détournant de la Voie Droite et qui, jamais, ne prennent fin. Alors que la mort, elle, survient à l'improviste et fauche fort souvent des hommes en pleine activité » (Nahju, v. 187-188)

« Sache que le souhait le plus cher aux morts est de pouvoir revenir à la vie, ne serait-ce qu'un tout petit laps de temps qui leur donnerait l'occasion d'accomplir une quelconque bonne action susceptible de leur être utile une fois de retour dans l'autre monde. Profite donc du reste de ta vie, en regrettant le temps passé [utilisé dans l’inaction et les péchés]. Précipite-toi vers les bonnes œuvres avant qu'il ne soit trop tard et ne néglige pas d'améliorer tes qualités. Cher frère, persévère à maîtriser tes sens et [gère bien ton temps] en utilisant chaque instant de ta vie, fut-il aussi bref qu’une respiration. Car toute unité de temps aussi minime que celle d’une respiration vaudra [à l’au-delà] le prix d’une inestimable pierre précieuse avec laquelle tu pourrais acheter un trésor incommensurable. Perdre ce temps dans des activités sans profit spirituel et sans adorer Dieu constituera assurément une perte inestimable le Jour du Jugement dernier. Mais si, par malheur, tu le passes dans la transgression, ce sera alors un dommage irréparable.» (Masalik-ul-Jinân, v. 133-