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Le Sénégal est-il sur la bonne voie dans la gouvernance des ressources minérales, au bénéfice des populations ? (Par Elimane H. KANE)

Rédigé par leral.net le Jeudi 10 Novembre 2016 à 19:53 | | 0 commentaire(s)|

Le Sénégal est-il sur la bonne voie dans la gouvernance des ressources minérales, au bénéfice des populations ? (Par Elimane H. KANE)

 L’actualité récente, depuis l’annonce d’importants gisements de pétrole et de gaz sur le territoire « on shore » et « offshore » du Sénégal fait l’objet de débats, suscite des convoitises et révèle de nouveaux enjeux dans la Gouvernance des ressources minérales au Sénégal. On a beau dit que le Sénégal n’est pas un pays minier, en considération des normes du FMI qui stipule qu’un pays minier doit au moins contribuer par ses revenus générés à 25% du budget national. Toutefois, le pays dispose dans  son bassin sédimentaire d’un potentiel énorme qui peut transformer sa structure économique.
 
Cependant, si les découvertes récentes de ressources en hydrocarbures ont provoqué un tollé dans ce pays, il revient curieux de noter l’absence d’un débat à cette échelle en ce qui concerne la gouvernance des ressources minières qui pourtant constitue une grande nébuleuse oubliée entre les mains d’un club fermé d’acteurs.
 
Ce secteur exploré depuis plusieurs années avec plus de 202 titres miniers (2014) et une exploitation effective de l’or depuis 2009, n’a que peu contribué à l’économie nationale, encore moins en terme de revenus au bénéfice de l’état du Sénégal.
 
Un rapport de l’IGE datant de 2014 comptait seulement 14 milliards de FCFA perçus par l’état du Sénégal sur une période de  15 ans. Fort heureusement, avec les différentes interventions des acteurs de la « société civile », le secteur s’est invité dans le  débat national dans les années 2010-2012, au point de favoriser la candidature du Sénégal à  l’ITIE annoncée en décembre 2011 lors de la déclaration à la nation de l’ancien président de la république, ensuite entériné lors du conseil des ministres de 3 février  2012.
 
Une volonté rendue effective par  l’actuel président qui officialise l’adhésion du Sénégal en Octobre 2013. Telle est la vérité historique du Sénégal dans le processus ITIE. Aujourd’hui la question de la gouvernance des ressources minérales devient centrale compte tenu des grands bouleversements que connaît ce secteur, mais aussi des belles promesses redoutées qu’il nous procure.
 
De la dépendance totale à la manne bénie ?
 
Le Sénégal est un pays dépendant de l’extérieur de par les caractéristiques de son économie, mais surtout sa consommation d’énergie, particulièrement des produits d’hydrocarbures. Toutefois, il est possible d’espérer que le pays passe de cette dépendance à une autosuffisance si la manne annoncée est bien gérée. Il suffit de voir comment pour seulement 117,708  milliards de revenus, les produits tirés des ressources minérales impactent positivement la balance de paiement à hauteur de 23% des exportations.
 
Il est donc raisonnable de penser à une révolution des statistiques économiques si on réussit à mettre en place un bon système de gouvernance du secteur avec une utilisation stratégique des revenus générés, même si l’importance reste marginale en termes d’impact envers les populations.
 
Des efforts  de transparence qui mettent à nue les faiblesses de la gouvernance du secteur
 
On a tendance à réduire la question  de la transparence du secteur au rapport ITIE. Ce qui est une grave erreur, fille d’une perception très minimaliste de la dimension de la transparence. En effet l’ITIE est une initiative qui obéit à des normes standards et se préoccupe plus de la disponibilité des données relatives aux paiements émis par les entreprises et ceux reçus par l’état à travers ses institutions publiques.
Il y a bien d’autres facteurs et paramètres à considérer pour juger de la transparence du système de gouvernance mis en place dans le cadre de la gestion des ressources minérales. L’ITIE est donc une brèche utile qui fournit une base de données relativement intéressante pour un suivi et un contrôle efficace du secteur. Il vient donc renforcer un cadre préexistant fait de règles juridiques, d’institutions de contrôle et surtout de dynamiques citoyennes favorables à une gestion transparences des ressources publiques.
 
Il faut noter qu’à ce propos nous sommes parti d’un test raté concernant le rapport dit provisoire (ce concept n’existe pas dans le langage ITIE) portant sur l’année 2013 vers  une base assez consolidante que constitue le second rapport de conciliation. C’est l’occasion de magnifier la qualité de ce dernier rapport sur plusieurs plans, par rapport notamment aux défis de conformité du Sénégal, mais aussi pour les informations utiles qu’il fournit favorisant une meilleure connaissance du secteur par le public sénégalais.
 
Au-delà des exigences de l’ITIE, ce rapport est le résultat d’efforts de transparence à propos des contrats et à l’exhaustivité en ce qui concerne le périmètre des flux.  Ce rapport, même s’il souffre encore de ne pas être à jour car traitant des données de 2014 et non celles de 2015 ; est un bon outil de contrôle parlementaire et citoyen, il favorise les conditions de la redevabilité et la responsabilité dans les affaires de la part des entreprises exploitantes.
 
Cependant, la qualité du rapport révèle aussi des manquements sur la gouvernance globale des ressources minérales. Il montre que l’état du Sénégal n’a pas encore atteint un niveau de souveraineté en ce qui concerne la maitrise de l’information. En effet c’est encore les entreprises privées étrangères qui fournissent les données concernant les gisements. Une sorte de dé-patrimonialisation qui ne dit pas son nom, surtout qu’il n’y a pas de politique d’encadrement du secteur privé national pour assumer sa participation dans le secteur.
 
Même si on peut parler de l’existence de cadastre minier, il n’en existe pas encore pour le secteur pétrolier. La question de la propriété des ressources minérales est aussi pendante. Par ailleurs le rapport ITIE met en évidence la non application de la loi 2012 -22 du 27 -12- 2012 portant Code de transparence qui exigent la publication de tous les  contrats et encore mieux favorise la construction d’un système d’intégrité national.
 
Affaire PETROTIM, des promesses non tenues…un débat encore pendant
 
Quel que soit la qualité du rapport ITIE, il demeure entamé par les dommages collatéraux occasionnés par le débat politique ou politicien en cours. Malgré le rendez-vous donné par le  premier ministre le rapport est resté muet sur l’Affaire PETROTIM. En effet, en réponse aux sollicitations de l’opposition politique et de quelques citoyens, le premier ministre avait renvoyé  les requérants au rapport de l’ITIE.
 
Le rapport esquive la question, en mentionnant dès le début que les procédures convenues entre le comité national et l’administrateur indépendant n’ont pas pour objet d’effectuer un audit ou examen limité des revenus extractifs, ni de déceler des erreurs ou actes illégaux ou autres irrégularités, en dehors de la mission prévue dans les termes de référence de départ.
 
Reste donc à vérifier si les demandes de cession ont été approuvées par le ministère de l’énergie ou si des autorisations préalables ont été octroyées aux acquéreurs pour procéder à ces transactions douteuses. Cependant, en rapport à l’article 8 du code pétrolier qui précise les conditions de cession ou de transfert de titre minier, le rapport ne va pas plus loin que l’évocation des deux cas de cessions ( Petrotim-Timis corporation/ Timis Corporation – Kosmos), en évitant de vérifier si ces conditions ont été remplies  par ces deux opérations, tout en niant l’existence de quelconque paiement effectué au cours de ces deux transactions. Le débat est donc loin d’être clos, en attendant l’issue des procès intentés à ce propos.
 
Les ressources naturelles sont –elles pour autant au bénéficie du peuple à qui elles appartiennent ?
 
La constitution du Sénégal adoptée par référendum en mai 2016 précise que les ressources naturelles appartiennent au peuple sénégalais. Cette nouvelle disposition juridique remet en cause la réglementation opératoire en vigueur, notamment la question de la propriété des ressources sur la base des dispositions des codes minier et pétrolier qui doivent être mis à jour mais aussi de la représentation légitime du peuple.
 
Le peuple est – il uniquement représenté par le président de la république et son gouvernement ? Ne devrait-on pas à partir de ce moment ouvrir le processus de gouvernance des ressources minérales de en amont et en aval, au parlement, aux élus locaux et aux associations citoyennes et communautaires ? L’implication de ces dernières catégories représentatives des citoyens devrait se faire à tous les niveaux de la stratégie de gouvernance du secteur et de manière multipartite et paritaire.
 
 Le Comité d’Orientation Stratégique Pétrole-gaz devrait partir de cette considération pour être un organe consultatif dans la définition de la stratégie nationale du secteur et pour piloter les réformes urgentes à faire dans ce secteur. Pour le moment, il faut déplorer cette forte concentration des pouvoirs entre le président de la république et le ministre des mines. Ni l’assemblée nationale, ni les conseils locaux, même des collectivités locales situées en zone minière ne sont impliqués dans le processus d’approbation des dossiers miniers.
 
Par ailleurs l’Etat ne dispose pas de moyens adéquats pour assurer une surveillance administrative et technique adéquate. Les moyens de contrôle, de vérification, de recouvrement, en qualité de régisseur, des droits d’entrée fixés et de redevances minières ne répondent pas au niveau de la direction des mines. Du coup la mobilisation des revenus tirés du processus d’exploitation des ressources locales souffre d’absence de rigueur, sans compter avec les multiples dispositions incitatives qui font perdre beaucoup d’argent au citoyen sénégalais. Les différents codes, minier, pétrolier et le code général des impôts permettent des exonérations fiscales pour les titulaires de permis d’exploitation et de concessions minières sur les 3 premières années.
 
Ceci, en plus des exonérations de douanes sur les exportations, alors que l’essentiel des produits miniers sont vendus à l’étranger. Les importations aussi sont exonérées de taxe dans de longues périodes allant de 3 à 15 ans dans un secteur où on sait que la durée de vie d’une mine est d’environ 25 ans. Les patentes, les contributions foncières et la contribution forfaitaire à la charge de l’employeur sont également exonérées. Ce qui représente un manque à gagner important pour les collectivités locales déjà faibles en mobilisation de ressources fiscales.
 
La redevance  fixée à 3% pour le secteur minier et  modulable selon les conventions demeure insuffisante. Cette question est toutefois prise en charge par le chef de l’état qui en a fait son cheval de bataille dans les réunions internationales alors qu’elle peut être directement réglée au niveau des conventions minières. Il s’avère également que l’Etat renonce parfois au paiement de bonus ou même à une participation gratuite à des entreprises d’exploitation minières, comme stipulé dans l’article 30 du code minier. Il urge de clarifier les raisons qui ont amené l’état du Sénégal à renoncer à sa participation à SOCOCIM, CDS, PROCHIMAT, SERPM-SOMIVA, SSPT.
 
Le régime fiscal du secteur des hydrocarbures ne prévoit pas de redevance dans la phase d’exploitation pour les contrats de services et il consent énormément d’exonérations sur les exportations. Mais l’ampleur de cette brèche fiscale peut –être atténuée par une bonne politique de développement des industries relatives à la chaine de valeur pétrolière et gazière favorable à la transformation des produits brut, particulièrement à travers la modernisation de la société Africaine de raffinage (SAR).
 
En ce qui concerne les collectivités locales et les populations vivant dans les zones minières, la situation est davantage préoccupante que celles-ci vivent généralement dans la précarité et la pauvreté extrême, alors que des dispositions dans certaines conventions signées prévoient le financement du développement économique et social des collectivités locales. Il est à ce niveau important aussi de clarifier la situation des paiements sociaux obligatoires et volontaires des entreprises extractives à la direction des mines ou directement au niveau des collectivités locales.
 
Le rapport ITIE révèle que les droits fixes et de la redevance minière devant être versés dans le fonds de péréquation n’ont  jamais été opérés. Il est donc légitime de se demander où est l’argent du fonds de péréquation ? Comment ce fonds est-il utilisé ?  La RSE peut-être un outil de prise en charge des besoins des populations au-delà des paiements obligatoires, mais cet instrument mérite d’être mieux pris en charge dans le cadre d’une stratégie nationale RSE qui implique l’ensemble des acteurs pour définir les priorités locales et aller au-delà de la simple volonté des entreprises qui utilisent souvent une approche philanthropique, voir même de marketing social.
 
Dans l’espérance que la mise en application du nouveau code minier adapté par l’assemblée nationale en Octobre 2016 sera plus bénéfique aux populations ; il reste à définir cependant les conditions d’un contrôle et suivi efficace. Pour ce faire, il est important de mettre en place des cadres de gouvernance  concertés qui impliquent à côté de l’état, les parlementaires, les élus locaux et les citoyens.  
 
De la nécessité de réformer le cadre juridique et institutionnel de gouvernance du secteur des hydrocarbures.
 
Le processus ayant abouti à la réforme du code minier, qui enregistre des avancées incisives sur les questions de transparence et de la prise en compte du contenu local, il est urgent de s’attaquer au code pétrolier et surtout d’ouvrir les travaux à l’ensemble des parties prenantes pour aller dans le sens d’un consensus qualitatif autour des nouveaux enjeux de ce secteur. Au-delà du code, des préoccupations majeures concernant l’architecture institutionnelle et la gestion des revenus sont identifiées 
 
Le cas PETROSEN
 
La société des pétroles du Sénégal est une S.A. à participation publique majoritaire avec une situation assez ambiguë dans l’architecture institutionnelle de la gouvernance du secteur des hydrocarbures. En effet, PETROSEN représente l’état du Sénégal dans sa participation aux opérations pétrolières dans les sociétés contrôlées par les privés et en même temps, elle assume plusieurs autres fonctions de souveraineté comme la promotion du bassin sédimentaire, la gestion des intérêts stratégiques de l’état dans le secteur, notamment dans les contrats de partage de production, sur la gestion de la chaine de valeur, la commercialisation et l’exploitation. En même temps la société assure pour l’état du Sénégal, le suivi et le contrôle technique des opérations.  Tout un imbroglio d’inefficacité !
 
Il est donc impératif de mettre en place un arsenal institutionnel plus adapté  qui sépare les différentes fonctionnalités et échelles de la chaine d’exploitation, de transport, de transformation  et de commercialisation des produits des hydrocarbures. Ainsi le Comité d’Orientation Stratégique du pétrole et du gaz,  dont la constitution n’est pas encore précisée(le décret n’est toujours pas circulé, même au niveau des administrations concernées), ne devrait pas être une seule réponse politique au débat dans un contexte d’opacité. Sa mise en place devrait répondre à une impérieuse nécessité de prise en charge sereine des nouveaux enjeux du secteur.
 
 Cette structure doit être un espace  élargi à toutes les parties prenantes étatiques et non étatiques pour définir une stratégie efficiente et claire découlant d’une politique énergique mise à jour et d’une vision à long terme sur les contributions du secteur dans le progrès économique et social congruent avec la préservation de la nature pour l’épanouissement de la nation sénégalaise. Cette stratégie devra permettre une séparation nette et efficace entre les fonctions de promotion et de marketing, les fonctions de recherche, les fonctions d’exploitation, les fonctions de contrôle et de suivi des opérations et de régulation, les fonctions de transport, les fonctions d’exploitation, les fonctions de transformation et les fonctions de commercialisation des produits miniers, pétroliers et gazier. 
 
Renforcer la transparence, l’efficacité fiscale et prévoir les générations futures de la nation
 
Au-delà de l’architecture institutionnelle, d’autres réformes s’imposent au niveau du cadre juridique et du système de mobilisation des revenus générés par le secteur. A cet effet, la réforme en cours du code pétrolier devra être rapidement élargie aux autres acteurs, particulièrement aux parlementaires et aux organisations citoyennes et discuté publiquement avec les communautés qui seront impactées par ces opérations.
 
Ceci pour mieux cerner les impacts économiques, sociaux et environnementaux et anticiper sur les risques encourus, tout en  s’assurant une mobilisation de revenus conséquents suffisamment importants pour participer à la transformation de la structure économique du pays. Le nouveau code devrait renforcer les dispositions de transparence dans l’octroi des contrats et conventions, principalement s’élargir des incitations fiscales et permettre un plus strict contrôle des opérations et des comptes des entreprises exploitantes.
 
 Par ailleurs, la répartition de ces ressources générées devraient se faire dans un esprit de consensus d’intégrité, républicain et patriote en tenant compte des réserves de fonds de stabilité et d’élargissement du niveau de participation dans les sociétés d’exploitation, mais également des fonds destinés à des  investissements de diversification des secteurs économiques moteurs (mix-énergie, agriculture, pêche, élevage,…)  et des fonds souverains destinés aux futures générations, avec des placements dans les marchés financiers rentables comme dans l’exemple de la Norvège.

Toutefois, une partie des revenus tirés de l’exploitation des ressources minérales devrait prioritairement être directement allouée aux dépenses sociales pour réduire la pauvreté et la précarité  qui hante encore une grande partie des sénégalais.
 
Par Elimane H. KANE
Legs-Africa