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Le Sénégal et la Guerre des princes

Rédigé par leral.net le Mardi 5 Mai 2015 à 21:09 | | 0 commentaire(s)|

Le Sénégal et la Guerre des princes
Le Président de la République vient de formaliser l'envoi de soldats d'élites Sénégalais pour prendre part à l'opération dite «tempête décisive» dans sa phase II. Cette opération montée par l'Arabie Saoudite et impliquant 9 pays arabes dont l’Égypte est d'une part le premier acte posé par le nouveau leadership saoudien incarné par de jeunes princes impudents et inexpérimentés à l'image du fils du roi Mohamed Ben Salmane 35 ans ministre de la Défense et Président de la Cour Royale. D'autre part elle constitue une nouvelle escalade dans la polarisation croissante du monde musulman en deux blocs, l'un Sunnite avec l'Arabie Saoudite et l’Égypte et l'autre chiite avec l'Iran et l'Irak.

Une mise en oeuvre de la diplomatie économique du Président Sall

Le Président Sall l'avait dit, sa doctrine diplomatique est on ne peut plus pragmatique, elle est au service du développement économique. D'autant plus que sur le plan diplomatique, notre participation à cette opération rentre dans la logique de la guerre du Golfe en 1990, guerre dans laquelle nos soldats avaient tout de même payé le plus lourd tribu après les États-Unis avec 92 morts dans le crash d'un avion militaire les transportant. Cette participation historique -il faut le dire- a valu au Sénégal une grande estime de la part de ces pétromonarchies et surtout du Koweït et de l'Arabie Saoudite. Ce statut avait permis l'intensification de nos relations de coopération avec ces deux pays notamment dans les domaines de l'aide au développement et du financement d'infrastructures. Cette coopération a pour symbole le King Fahad Palace offert au Sénégal en son temps par le roi Fahad d'Arabie Saoudite pour les besoins de la première OCI tenue au Sénégal en 1992 soit deux ans après la guerre.

Le fonds Koweïtien n'est pas en reste, il a financé de nombreux projets d'infrastructures au Sénégal et notamment une grande partie des infrastructures réalisées lors du sommet de l'OCI de 2008, mais aussi l'élargissement de l'avenue Cheikh Anta Diop, le Prolongement de la VDN etc..... L'importance de ces financements a certainement contribué à convaincre le pragmatique Président Sall du bien fondé d'une participation Sénégalaise à cette opération. Espérant au tournant des financements importants et la venue du Président de la Banque Islamique de Développement dont Riyad est le principal bailleur à peine une semaine après la demande saoudienne n'est pas venu le démentir sur les possibles retombées économiques rapides et fructueuses pour notre pays. Vue sous cet angle, cette guerre est une chance pour le Sénégal et surtout pour le Président Sall qui a là l'occasion de mettre en oeuvre sa diplomatie économique tout en espérant en tirer des financements pour son programme de développement économique résumé par le PSE.

L'argument de la menace sur les lieux saints et l'exemple pakistanais

Le Pakistan est l'une des premières puissances militaires du monde musulman, et sa seule puissance nucléaire. C'est un pays qui fait face au terrorisme de manière frontale depuis plus d'une décennie. Il a aussi refusé de participer à l'opération «tempête décisive» malgré les fortes relations qui l'unissent avec l'Arabie Saoudite dont il est un partenaire commercial important. Les Pakistanais ont tout même tenu à rassurer son engagement à protéger les lieux saints de l'Islam en cas de menace. Ce refus du Pakistan s'explique par le fait parce que l'argument de menace contre le territoire saoudien ne tient pas. Devons nous seulement rappeler que l'Arabie Saoudite est uni par un accord de défense avec la première puissance militaire au monde, qu'il dispose d'un des plus gros budgets de défense de la région.

Ce faisceau de faits nous pousse à plusieurs questionnements

Quelles sont les réelles motivations de l'implication de nos troupes dans cette guerre ? Quelles seront les limites à cette implication ? Nos Diambars seront-ils cantonnés dans un rôle défensif le long de la frontière Saoudienne du Sud, ou seront-ils impliqués dans une opération en territoire Yéménite sans mandat de l'ONU ? Sinon pourquoi avoir envoyé des troupes avec une configuration plus offensive que défensive ? Et Surtout, dans un monde musulman qui se polarise de plus en plus entre des blocs sunnites et chiites, ne serait-il pas plus sage pour le Sénégal de rester à l'écart de cet affrontement fratricide pour pouvoir jouer les arbitres en cas de besoin. Ces questions méritent d’être élucidées pour les Sénégalais qui sont aujourd’hui inquiets de voir leurs soldats s'envoler vers une guerre qui n'est ni la leur, ni juste, ni légale et au vu des motifs peut-être même Haram ? .

L'aventure d'une génération pour les nouveaux princes

L'Arabie Saoudite est un allié stratégique de premier ordre pour le Sénégal. Il n'est certainement pas question pour nous ici de remettre en cause cette alliance stratégique. Toutefois ce n’est pas là une excuse pour éviter que l'on se penche sur la légitimité de cette guerre et de notre participation. En d’autres termes cette alliance ne doit pas être un prétexte pour faire de nous des obligés des princes saoudiens. Cette alliance doit être raisonnable et bâtie sur des valeurs qui unissent nos deux pays, dont la sanctuarisation des lieux saints de l'Islam et l'engagement de les défendre contre toute menace extérieure, au vu de ce que ces lieux représentent pour la grande majorité des Sénégalais.

Toutefois comme nous l'avons affirmé, il n'y a en l’espèce aucune menace directe contre le territoire saoudien . Mais plutôt une escalade dans la lutte d'influence qui l'oppose l'Arabie Saoudite, à l'Iran chiite dont l’influence supposée ou réelle s'est fortement accrue ces dernières années un peu partout dans la région (Irak, Liban, Syrie, Afghanistan, Bahrein, et finalement Yémen) Il s'agit donc pour les Saoudiens de mener une offensive «décisive» pour endiguer la montée en puissance de l'Iran chiite avant la levée prochaine des sanctions économiques contre celle-ci, levée qui risque rendre à l'Iran la plénitude de sa puissance et de son influence. C'est donc une stratégie de «guerre préventive» chère aux néoconservateurs américains et notablement George Bush qui s'en était servi pour justifier les attaques contre l’Afghanistan et l'Irak.

Pour le nouvel establishment Saoudien constitué par de jeunes princes et notablement le fils du roi Mohamed ben Salmane (fer de lance de l'opération) ; il s'agit de faire leurs preuves en abandonnant l'ancienne approche plus sage de feu le roi Abdallah au profit des notions américaines du «Hard-Power» qu'avait défini le Pr. Joseph Nye Jr comme «la capacité d'utiliser la carotte de l'économie et le bâton militaire pour soumettre les autres à sa volonté». Pour le Sénégal on se doute bien qu'il s'agit de la carotte et quelles que soient les vitamines que pourraient en tirer notre économie et le PSE, les conséquences de notre implication dans cette guerre sur notre sécurité, et celle de nos soldats sont beaucoup trop hasardeuses pour qu'on se jette dans cette aventure la tête en première.

L'opération Tempête décisive ou l'expérimentation d'une puissance

L’opération «tempête décisive» est avant tout un message adressé par le nouvel establishment Saoudien à l'Iran, et c'est un message de fermeté et de résolution à user de la force armée si nécessaire. C'est aussi un message adressé à l'allié Américain et surtout l'Administration Obama dont le rapprochement des positions avec l'Iran, et le manque de fermeté sur le Nucléaire Iranien ont fini par irriter les Saoudiens au plus haut point. Ainsi, le nouvel establishment entend envoyer un message aux Américains en démontrant sa capacité à rassembler une large coalition (10 pays) et à capitaliser sur son influence, sa force de frappe économique et militaire ce sans l'assistance des Américains qui même s'ils n'ont pas condamné les frappes n'ont pas manqué de se réjouir de leur fin.

Alors dans sa première phase, cette opération s’était limitée au bombardement intensif de villes du Yémen dans une tentative d'anéantir les groupes zayidistes Ansar-Allah (une secte chiite supposée être sous l'escarcelle de l'Iran) et réinstaller le Président Hadi qui est allé se réfugier en Arabie Saoudite suite au renversement de son régime par ces mêmes rebelles. Malgré l'intensité des premiers jours de frappes qui ont vu la mort de plusieurs dizaines de civils et des destruction impressionnantes, les rebelles gardent toujours le contrôle sur une grande partie du territoire Yéménite, et l'opération dans sa première phase ne peut être qualifiée de sucés.

Les Saoudiens prépareraient donc la phase II de l'opération qui impliquerait une incursion en terre yéménite pour en finir avec les rebelles, dans un remake de l'opération «Tempête du désert» qu'avait menée jadis les Américains contre l'Irak a la tête d'une coalition dont faisait partie le Sénégal. A la différence prêt que cette fois ce sera sans les Américains mais bien avec nos Diambars. Du coté Yéménite, cette incursion terrestre pourrait être perçue par la population comme une agression extérieure. D'autant plus qu'il y a déjà eu des manifestations exigeant l’arrêt des bombardements saoudiens poussant le Président Hadi (dont l'appel à l'aide avait servi de prétexte au lancement de l'opération) à exiger à son tour l’arrêt des frappes aériennes.

Quand on lit cette situation à la lumière de l'histoire récente de la région et les guerres d'Irak et d'Afghanistan, on a tous les ingrédients pour que le Yémen devienne un nouvel Afghanistan là aussi à la différence prêt que les envahisseurs seront les Saoudiens et les Sénégalais parmi ses alliés. Quand on ajoute à cet équation le fait que le Yémen a la réputation d’être un pays guerrier où les grandes puissances régionales comme l’Égypte ont payé chèrement leur incursion, on peut en déduire que nos craintes au sujet de nos Diambars sont bien fondées. Les mêmes causes ne produisent-ils pas les mêmes effets? Dans tous les cas prions pour nos Diambars afin qu'ils nous reviennent tous sains, saufs, et ragaillardis.

Arabi Niasse
Juriste
Science-Po Lyon
arabiniasse@gmail.com