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Le Sénégal peut-il réellement être autosuffisant en riz A l’année 2017 ?

Lorsque le Gouvernement du Sénégal était encore basé à Saint-Louis, les Autorités coloniales françaises de l’époque s’étaient rendu compte du fait que, la proximité du Gouvernement, par rapport à la vallée du fleuve Sénégal, amènerait celui-ci, tôt ou tard, à prendre toute la mesure de l’importance économique et politique, que revêt cette vallée du fleuve Sénégal. Dans l’esprit des Autorités coloniales, il fallait donc, coûte que coûte, briser cette cohabitation. C’est alors que quelques Conseillers techniques français, présents au sein du Gouvernement d’un Sénégal pourtant devenu indépendant, sont discrètement venus voir le Président DIA, pour l’informer de la volonté de leur pays, la France, de vouloir soustraire Dakar du Sénégal, pour en faire une colonie de peuplement de français ; et que pour l’empêcher, il fallait, sans délais, transférer le Gouvernement à Dakar et mettre ainsi les Autorités françaises devant le fait accompli. Ainsi dit, ainsi fait. Aujourd’hui encore, Dakar continue d’abriter le Gouvernement du Sénégal. Donc, avant même le début de la prise de conscience, par le Gouvernement du Sénégal, de la nécessité de la mise en valeur des potentialités de la vallée du fleuve Sénégal, le ver était déjà introduit dans le fruit. Et c’est faute d’avoir pris conscience de ce « mal congénital » et d’en avoir pris toute la mesure, que la mise en valeur du fleuve Sénégal continue et continuera d’être remise aux calendes grecques. Malgré les milliers de milliards de F CFA qui y ont déjà été injectés et continuent de l’être, les tentatives de mise en valeur du fleuve Sénégal se soldent par des séries d’échecs répétés, qui n’augurent d’aucun lendemain meilleur.


Rédigé par leral.net le Jeudi 27 Novembre 2014 à 21:31 | | 0 commentaire(s)|

Le Sénégal peut-il réellement être autosuffisant en riz A l’année 2017 ?
Paradoxalement, c’est durant la période coloniale de notre histoire, que débutent les grandes tentatives de mise en valeur des ressources de la vallée du fleuve Sénégal, avec (i) la fondation du comptoir français de St Louis en 1659 et le début du commerce du mil, de la gomme, de l’or, du morfil, des peaux, du tabac, mais aussi des esclaves, (ii) le commerce de la gomme, qui prend à partir du XVIIIe siècle la première place dans la région, permettant au Sénégal de fournir la totalité des besoins de l’Europe, (iii) la traite négrière qui restera la principale raison d’être de la colonie française du Sénégal jusqu’en 1817, date à laquelle, la reprise de la possession du Waalo par les Français, des mains des Anglais qui l’ont conditionnée par l’abolition de la traite des esclaves. Cette abolition entraîna la ruine des établissements français de St Louis, les obligeant à aller vers la colonisation agricole du Waalo et à engager le processus de transformation du commerce des comptoirs en une véritable colonisation agricole. Comme, à cause des Anglais, les Français ne pouvaient plus envoyer les esclaves du Waalo vers les activités agricoles des Antilles, ce sont les activités agricoles des Antilles qui allaient être transférées au Waalo.

Mais, bien avant le contact colonial, la vallée du fleuve Sénégal, notamment le royaume du Waalo, qui équivalait à l’actuel Delta du fleuve, essentiellement habité par une population paysanne par excellence, vivait de la culture des champs de mil et de riz, qui constituait la base de son économie de subsistance. Sur ces champs, souvent fort étendus, étaient également cultivées, des patates douces, des melons, du tabac, des pois de toutes espèces, etc. Les paysans faisaient deux cultures par an, dont (i) l’une pendant l’hivernage, avec une superficie moyenne cultivée par actif de 0.50 ha (Diéri) à 0.40 ha (Fondé), (ii) l’autre en saison sèche ou culture de décrue, après le retrait des eaux d’inondation, avec une superficie moyenne par actif de 0.40 ha (Waalo). Ainsi, non seulement les terres du Waalo et du Diéri, mais aussi des terres intermédiaires de Fondé, étaient mises en valeur.

Les cultures pluviales étaient presque exclusivement vivrières (mil, maïs, beref, niébé), les cultures industrielles (arachides, coton, tabac) occupant par rapport aux premières, une bien petite place. Il n’y avait pas une pratique systématique de la fumure des terres à partir d’engrais organique, mais un parcage des animaux dans les parcelles de culture, après les récoltes, pour leur permettre de consommer les tiges de mil et laisser sur place leurs déjections. Les rendements étaient meilleurs sur les terres enfumées, mais restaient relativement faibles, de l’ordre de 250 à 400 kg/ha.

Les cultures de Waalo ou cultures de décrue, de loin les plus importantes, étaient constituées de sorgho et de maïs, associés le plus souvent au niébé, beref, patates douces, tomates cerise, etc. Les rendements se situaient autour de 400 à 500 kg/ha. Il n’y avait pas de système de jachère ; les terres s’appauvrissaient très lentement, l’exploitation des éléments fertilisants semblait être généralement compensée par les apports de la crue. Les terres légères de Fondé, non atteintes par les eaux de crue, s’épuisaient rapidement si elles étaient cultivées plusieurs années de suite ; tandis que les terres lourdes de Hollaldé, travaillées plusieurs années de suite, s’aèrent et s’ameublissent de façon bénéfique.

Le Waalo vivait aussi de la pêche et de l’élevage qui y connaissaient un important développement ; la pêche, qui était une activité d’appoint, se déroulait pendant la période des hautes eaux dans le fleuve et ses affluents ; tandis que l’élevage, qui était une activité non moins importante, était le monopole, mais pas l’exclusivité, des peuples nomades, Maures et Peuls. La cueillette et la chasse fournissaient également au Waalo de larges possibilités avec la richesse de la flore et de la faune plus importante à cette époque qu’aujourd’hui.

L’économie du Waalo, soumise au rythme du temps et des aléas climatiques, était très fragile ; il suffisait d’une calamité naturelle ou d’une guerre pour que la famine s’installe au Waalo. Mais c’est justement cette fragilité et cette étroite dépendance aux aléas, qui avaient amené, très tôt, les systèmes de production du Waalo et, plus généralement, ceux de l’ensemble du continent noir africain, à choisir la sage voie de la diversité, non seulement des productions agricoles (variétés de céréales, de légumineuses, de fruits et légumes), mais aussi des activités de production (agro-sylvo-pastorales, piscicoles, apicoles et artisanales). Voilà ce que les systèmes traditionnels de production noirs africains avaient enseigné comme exigence : diversité des productions et des activités de production, pratique de restitutions organiques massives et régulières, ingéniosité, fourniture de travail en quantité et en qualité. Voilà également ce que les périodes coloniales et postindépendance semblent avoir perdu de vue ; ce qui a fait dire aux paysans qui en ont subi les conséquences, que ce sont les machines (agricoles) qui ont tué les sols, que tant que l'agriculture restait manuelle, les sols respiraient et vivaient, et que c'est lorsqu'on on a introduit les machines (qui déboisent et surexploitent la terre sans une restitution organique appropriée), que les sols ont commencé à mourir. D'ailleurs, ce point de vue est largement confirmé par les résultats des expériences de l'époque de la colonisation agricole du Waalo de 1818 à 1855, ainsi que par celles, plus récentes de mécanisation des cultures pluviales de BOULEL (KAFFRINE) et de SEFA (SEDHIOU), voire du coton de la SODEFITEX. De l’aveu même d’un des plus illustres champions de la colonisation agricole du bassin du fleuve Sénégal, le Baron ROGER, cette colonisation traversa une grave crise, en 1826, par suite du passage de la culture extensive à la culture intensive, malgré la disponibilité de nombreux moyens techniques.

De 1818 à 1822, le colonisateur français tenta d’abord, par divers moyens, de faire changer de méthodes de travail, le paysan indigène, afin d’augmenter sa production et sa productivité. Devant le constat d’échec de ces tentatives, une nouvelle impulsion va être donnée à la colonisation agricole, avec l’attribution de lots de terres (ou concessions) à des agriculteurs européens (ou colons) recrutés ou volontaires, qui devaient, avec la main-d’œuvre locale, faire du Waalo, une île de prospérité, car la conviction était faite selon laquelle, on pouvait y réussir toutes les cultures qu’on voulait, notamment la canne à sucre, l’indigo, le coton, etc.

Un jardin expérimental est mis en place en 1821 au point de confluence entre la Taouey et le fleuve Sénégal, confié à un pépiniériste français du nom de Richard, lequel jardin (ou Richard Tool) devient, en 1822, une vaste pépinière forestière destinée à l’acclimatation de nombreuses variétés de plantes, en plus de nombreuses études consacrées à des opérations culturales, à l’amélioration des terres, des outils et des labours. Tous les essais, qui avaient été faits sur de multiples variétés de plantes dans les autres colonies, y avaient prospéré ; et le Waalo possédait ainsi l’un des plus beaux jardins de naturalisation. En même temps, se mettaient en place des concessions agricoles, des périmètres de cultures aménagés par des colons agriculteurs et exploités par eux.

De 1822 à 1826, Richard y expérimenta la culture de pas moins d’une cinquantaine de spéculations locales ou d’origine étrangère : conifère, pin, acacias, fromager, caïcédrat, baobab, cocotier, goyavier, ananas, citronnier, vigne, olivier, corossolier, abricot, sapotille, groseille, manguiers, papayers, figuiers, orangers, ananas, bananes, caféier, melons, patates, tomates-cerises, piments, choux, salades, carotte, riz local, cotonnier, mûrier, etc. Selon toute vraisemblance, les tentatives d’acclimatation échouèrent toutes, sauf pour les légumes ; même le riz dût succomber sous l’envahissement des herbes. Les cultures industrielles enregistrèrent des résultats satisfaisants pour l’époque, avec le coton (1 T/ha).

Sur la base de ces résultats et pour développer la culture du coton, la superficie du jardin de Richard fut agrandie et d’autres jardins virent le jour dans la vallée où, en 1826, 6 500 ha étaient accordés sous forme de concessions de 130 ha à des colons européens qui bénéficiaient de primes d’encouragement et étaient encadrés par la Société Agricole et Commerciale du Waalo créée en 1824. Mais, malgré les apparences, la colonisation agricole traversait une grave crise résultant du passage de l’agriculture traditionnelle extensive à l’agriculture nouvelle intensive, en dépit du système de vulgarisation qui avait été mis en place pour élever le niveau intellectuel des planteurs colons au sein de la Société Agricole.

Cinq années plus tard, en 1831, c’est un constat d’échec qui est fait, l’exportation du coton, qui avait occupé toutes les énergies, n’avait atteint que 50 tonnes et l’ensemble des exportations n’avait pas rapporté plus de 15% des coûts de production engagés. Le prix de revient du coton récolté était supérieur au prix de vente sur les marchés d’Europe et cette opération coton sombra avec l’opération mise en valeur de la vallée du fleuve Sénégal. Le constat était finalement fait selon lequel, l’expérience n’avait pas confirmé les espérances placées dans la colonisation agricole ; et le Waalo ne paraissait pas être destiné à devenir jamais une colonie agricole. De telles conclusions vont être à la base de l’abandon et de la liquidation de la colonisation agricole du Waalo. En 1856 puis en 1863, le coton fut à nouveau semé dans la Vallée, favorisé par les cours mondiaux élevés du moment. En 1864, 1 000 ha de terre sont destinés à la culture sèche du coton au niveau du poste de Pout, sur le côté gauche de la route Pout-Thiès, dont le sol se prêtait à une telle culture. Mais, la fin de la guerre de sécession aux USA, ainsi que la fin de la révolte des Cipayes en Indes, amenèrent une baisse des prix du coton sur les marchés mondiaux et conduisirent à l’arrêt de cette seconde expérience du coton dans la Vallée. Incontestablement, les cultures d’exportation dans le Waalo, comme ce sera le cas, partout ailleurs en Afrique Noire, ont contribué à la destruction des systèmes de production agricole traditionnels et, le plus souvent, sans préserver leurs acquis.

A la colonisation agricole ratée, succède la colonisation politique, à partir de 1859, qui redéfinit une nouvelle politique indigène selon laquelle, le sol doit être laissé aux indigènes d’une manière générale, car le climat s’oppose à toute implantation européenne, l’intervention du colonisateur se bornant à assurer la répression des brigandages, la liberté des transactions et la tranquillité des populations laborieuses, de sorte que leurs productions puissent faire l’objet d’un trafic lucratif pour l’Europe. La conviction du colonisateur était faite selon laquelle un des obstacles au développement des industries agricoles qui peuvent seules faire la prospérité de la colonie, résidait dans le manque de bras, qui ne gênait pas l’agriculture traditionnelle laquelle ne demandait au sol que la satisfaction de besoins limités ; au point qu’il sera préconisé, comme remède, de faciliter l’immigration, dans la Vallée, de 20 000 familles indochinoises, pour assurer le développement agricole de la colonie. Finalement, le colonisateur s’en tiendra à la reconnaissance et l’expression d’une double exigence : (i) exigence du passage du colonat à l’indigénat, pour assurer le développement agricole, exigence également de la production prioritaire de denrées d’exportation vers l’Europe. C’était vouloir entreprendre la réorganisation des systèmes de production agricole traditionnels et leur intégration à l’économie européenne de marché. Cette intégration a apporté sur le marché les actions situées en amont (acquisition de facteurs de production) et en aval (transformation et commercialisation) de l’activité du paysan, sans que la précaution ait été prise de l’outiller convenablement, tant au plan technique qu’au plan organisationnel.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle et en dépit du commerce atlantique (traite négrière), le Sénégal est resté alimentairement autosuffisant ; la situation n’a commencé à changer qu’avec le développement de la culture de l’arachide. C’est l’augmentation du nombre de paysans s’occupant de production de l’arachide, jointe à la croissance des populations urbaines, qui a fait que, pour couvrir le déficit croissant en produits vivriers, le Sénégal a commencé à importer du riz d’Indochine. Les importations de riz au Sénégal vont ainsi évoluer d’une manière vertigineuse, passant de 20 000 tonnes entre 1905 et 1914, à 100 000 tonnes en 1958-1959, 210 000 tonnes/an de 1960 à 1965 et 265 000 tonnes/an de 1965 à 1970. Le déficit a continué à se creuser pendant la période des années de sécheresse de 1970-1980, pour se situer d’abord autour de 600 000 tonnes (en 2004), avant d’atteindre aujourd’hui le niveau record de plus de 1 100 000 de tonnes (2014).

Dans la Vallée du fleuve Sénégal, au lieu de chercher d’abord à améliorer les cultures de décrue ou de rendre plus productives les cultures pluviales, la politique coloniale a envisagé, dès 1904, de dépasser le caractère aléatoire de la mise en valeur agricole traditionnelle de la vallée, par la construction de barrages sur le fleuve et le creusement d’une série de canaux parallèles, la promotion de grands périmètres irrigués jugés plus modernes et plus prometteurs que les cultures traditionnelles, et mettre en valeur des centaines de milliers d’hectares de sols lourds de Hollaldé, voire de sols légers de Fondé, à partir de la régularisation des débits du fleuve et l’acheminement de l’eau là où on en avait besoin et démultiplier les sources d’eau. A plus long terme, c’est le développement à une grande échelle de ces périmètres qui est envisagé, grâce à une plus grande régularisation du débit du fleuve. Ce sont la SAED, l’OMVS et le PDRG, qui allaient se charger de défendre ou d’exécuter ce programme de mise en valeur agricole de la Vallée du fleuve Sénégal.

Dans cette optique, des constatations sont faites en 1922, qui ont montré qu’avec le déboisement autour du fleuve et la destruction de ses seuils naturels (par les bateaux français, à la recherche de voies de passage et de bois de chauffe), les eaux passent avec une grande célérité, gonflent moins et persistent moins longtemps ; d’où la nécessité, pour y remédier, de reconstituer et d’améliorer ces seuils et d’entreprendre le reboisement intensif de la Basse et de la Moyenne Vallée du fleuve Sénégal. De plus, il s’avère que dans cette Vallée du fleuve Sénégal, de grands travaux d’irrigation ne peuvent se justifier que si l’on veut se donner pour but de cultiver des produits d’exportation capables de supporter les charges toujours plus importantes qui résultent de l’établissement des ouvrages hydrauliques et de l’aménagement agricole du sol. A la suite d’autres réflexions menées vers 1928, il sera finalement préconisé la construction d’un grand barrage sur le Sénégal à GOUINA destiné à assurer la régularisation des débits du fleuve, sa navigabilité permanente, ainsi que la fourniture d’énergie hydroélectrique. Mais tous ces projets jugés démesurés furent par la suite abandonnés au profit d’aménagements plus modestes de périmètres en submersion contrôlée de plusieurs centaines d’hectares paradoxalement dénommés Grands Aménagements (GA).

En vue de réaliser de tels GA, la Mission d’Etude du fleuve Sénégal (MES) en 1935 puis la Mission d’Aménagement du fleuve Sénégal (MAS) en 1938, furent chargées de réaliser des études hydrologiques, pédologiques et agronomiques, en vue de déterminer les aptitudes réelles de la région. En 1939, la MAS tente de mettre en place sa version améliorée de la culture de décrue traditionnelle, en construisant des casiers étagés et ceinturés de digues qui permettent d’envoyer les eaux de crue dans les parties hautes et de retarder l’inondation des parties basses. C’était tout simplement une légère amélioration des conditions naturelles de la décrue, à partir d’une protection contre les crues du fleuve, par endiguement, des cuvettes à mettre en valeur, avec une entrée contrôlée des eaux de crue. En 1949, la MAS comptait aménager 50 000 ha en 10 ans, soit un rythme de 5 000 ha/an, en vue d’obtenir une production de 80 000 Tonnes de paddy (1.60 t/ha), avec à l’appui une puissante station de pompage et la mécanisation de toutes les opérations culturales.

Finalement, c’est le mode d’aménagement en submersion contrôlée, mais sans pompage, qui sera introduite dans le Delta, en rive gauche, à la fin des années 50. En 1960, le Gouvernement du SENEGAL avait défini une politique de mise en valeur des potentialités rizicoles de la région du Fleuve, par la définition de programmes et de projets confiés à des sociétés d’Etat telles que la Société de Développement Rizicole du SENEGAL (SDRS), l’Organisation Autonome du Delta (OAD), l’Organisation Autonome de la Vallée (OAV), ainsi que la Mission chinoise. A partir de 1960-1961, l’OAD prend en charge l’aménagement à grande échelle du Delta. A partir de 1961, l’Organisation Autonome de la Vallée (OAV) va, à son tour, étendre ce mode d’aménagement à la Moyenne Vallée. Les objectifs visés, par l’OAD et l’OAV, étaient de (i) aménager les cuvettes naturellement inondées par les eaux de crue, en cuvettes de submersion contrôlée pour la production du riz, (ii) encadrer le paysan local et l’initier à l’agriculture irriguée et (iii) permettre, à terme, la réduction des importations croissantes de riz du pays.

Dans la Moyenne Vallée, où le relief accidenté obligeait de procéder à un endiguement, cuvette par cuvette, l’OAV aménagea, de 1961 à 1964, quatre cuvettes (MADINA, MBOUMBA, PETE et SALDE), avec 53 km de longueur de digues protégeant 5 518 ha de superficie brute, dont seulement 855 ha (15.50%) de superficie rizicultivable. Quant au Delta, où les sols sont plats, une digue de 84 km construit le long de la rive gauche, par la MAS, en 1964, permit de protéger 30 900 ha de superficie brute, dont 7 500 ha dans le moyen Delta (DJEUS-THIAGAR-DIAMBAR, BOUNDOU NORD et OUEST, KASSAK NORD et SUD, TELEL et GRANDE DIGUE) et 23 400 ha dans le bas Delta (DEBI, DJOUDJ, DJEUS AMONT 1 et 2, DJEUS AVAL 1 et 2, LAMSAR-SAVOGNE) ; sur cette superficie totale, 27% (8 343 ha) étaient exploitées et seulement 5% (1 545 ha) réellement productifs. Devant un rapport aussi dérisoire entre superficie protégée et superficie réellement productive (5%), devait-on parler d’incurie ou de sabotage planifié ?

Créée en 1965, pour poursuivre les objectifs du programme de réalisation des GA de l’OAD, puis de l’OAV, la Société Nationale d’Aménagement et d’Exploitation des Terres du Delta du fleuve Sénégal et des Vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé (SAED) a décidé, à partir de 1967 (près de 20 ans après la MAS), de ramener l’objectif initial de la MAS d’aménagement de 50 000 ha en 10 ans, soit un rythme d’aménagement de 5 000 ha/an, à 30 000 ha en 10 ans, soit un rythme de 3 000 ha/an. Au bout de 2 ans seulement, ce rythme s’est révélé impossible à atteindre. A partir de 1974 et 1975, la responsabilité du développement agricole du fleuve (rive gauche) a été entièrement confiée à la SAED dont le champ d’action est étendu de ST-LOUIS à BAKEL et jusqu’à la Falémé. Au bout des 10 ans fixés par le SAED, en 1977, au lieu des 30 000 ha prévus, il n’y avait que 4 430 ha aménagés, soit un rythme de moins de 500 ha/an, soit dix fois moins que l’objectif initial de la MAS. De plus l’ensemble des GA de la SAED avait conservé un caractère aléatoire encore très marqué, attesté par l’éventail des rendements et le faible rapport entre superficies semées et superficies récoltées, au point qu’au cours de la campagne de 1977-1978, sur 4 510 ha semés, seuls 1 570 ha (35% des superficies semées) ont été récoltées avec des rendements allant de 0.5 à 3.5 ha.

Pourtant, à partir de 1972, avec l’installation de la sécheresse, il y a eu une évolution des GA avec, outre la maîtrise complète de l’eau par pompage, l’affinement de cette maîtrise de l’eau, l’introduction de semences améliorées avec des variétés à hauts rendements, mais aussi et surtout, l’introduction du repiquage et de la double culture annuelle qui permettent un accroissement considérable des rendements et des productions. Malgré tout, la gestion des GA a continué à révéler des problèmes aiguës de maintenance des infrastructures et d’entretien des machines, des retards de labours, de semis et de récolte, entraînant un faible rapport entre superficies aménagées, superficies semées et superficies récoltées, ainsi qu’une baisse des productions et des rendements. Comme exemples caractéristiques de GA, on peut citer :

(i) Le périmètre de DAGANA, d’une superficie brute de 5 000 ha, mis en exploitation à partir de 1974-1975. Pour l’hivernage de 1977, environ 1100 ha ont été mis en riziculture dont 715 ha seulement ont été récoltés. En 1978, la campagne rizicole d’hivernage a concerné un peu moins de 1 025 ha dont 964 ha ont été récoltés ;

(ii) Le périmètre de NIANGA d’une superficie brute de 10 000 ha, de laquelle est dégagé un casier pilote de 810 ha dont 650 ha sont aménagés. Pour la campagne d’hivernage de 1977, 435 ha ont été cultivés en riz avec un rendement de 4.5 T/ha, ainsi que 148 ha de tomate pour la contre-saison froide. En 1978, la campagne rizicole d’hivernage a concerné 406 ha et 136 ha de tomate de contre-saison froide ;

(iii) Le casier de RICHARD TOLL, aménagé à partir de 1946 comme première étape de l’aménagement hydro agricole de tout le Delta, qui devait atteindre, au bout de 10 ans, une superficie de 50 000 ha et une production de 80 000 T de paddy. La superficie du casier a été successivement de 120 ha (1946), 600 ha (1946-1947), 1 500 ha (1949-1953) et 6 000 ha (1953-1957). Le casier, divisé en quatre unités de 1 500 ha dont l’exploitation était entièrement mécanisée, faisait appel à une très faible main-d’œuvre salariée et saisonnière. Géré par l’Etat (Service de l’Agriculture et la MAS) jusqu’en 1953, le casier est ensuite confié à une société de TP (ORTAL) qui le gère jusqu’en 1960, date à laquelle le casier devient une ferme d’Etat hautement mécanisée et gérée par la Société d’Etat de Développement Rizicole du Sénégal (SDRS). Malgré des rendements contrôlés de 7.5 T/ha de paddy obtenus sur plusieurs dizaines d’ha (en 1970-1971), le mauvais entretien du casier, la mauvaise maîtrise de l’eau, ainsi que des difficultés croissantes d’organisation et de gestion, entraînent la chute progressive des rendements et, en 1971, le casier est transformé en casier sucrier et son exploitation confiée à la Compagnie Sucrière Sénégalaise.

La CSS se trouve être ainsi l’un des rares GA de la Vallée, sinon le seul à fonctionner de façon rationnelle et valorisante. Pourtant, elle ne se maintient pas que par une rentabilité découlant de sa seule production, exclusivement commerciale, de canne à sucre et de sucre. Même à 100 T/ha de canne et 10 T/ha de sucre raffiné à 250 F CFA/kg, pour 11 à 12 mois d’activité et des charges de raffinage, la CSS se retrouve dans une situation pas très loin de celle des GA rizicoles à double campagne annuelle. Et, tout en maintenant la production de sucre comme activité principale, la Compagnie s’est vue obligée de s’orienter vers des activités secondaires, pour diversifier sa production avec les volets fruits, légumes, etc.

Ainsi, la réalité des GA et leur évolution, depuis la submersion contrôlée et sans pompage jusqu’à la version CSS, révèlent deux exigences et deux seules, qui conditionnent leur efficience et leur viabilité, à savoir (i) leur rentabilité financière, économique et environnementale effective et (ii) une production conséquente qui puisse dégager un surplus (alimentaire ou de revenus monétaires) suffisamment motivant et mobilisateur.

Jusqu’en 1980, dans le Delta, l’organisation de l’exploitation des GA subsista, tant mal que bien ; tandis que dans la Moyenne Vallée, les GA sombrèrent dans le néant, faute de réfection des digues de protection contre les crues. Dans l’ensemble, le développent des cultures irriguées dans la Vallée du fleuve Sénégal, par les GA, s’est soldé par un échec. Presque partout, leur gestion a révélé des problèmes aiguës de maintenance des infrastructures et d’entretien des machines, des retards de labours, de semis et de récolte, entraînant un faible rapport entre superficies aménagées, superficies semées et superficies récoltées, ainsi qu’une baisse des productions et des rendements. La plupart des GA, sinon tous, ont été établis suivant le même modèle, alors que les problèmes de fonctionnement des premiers auraient du servir à adapter la conception des suivants. Au plan financier, on a cherché moins à optimiser le rapport coût/bénéfice qu’à réduire les coûts d’aménagement et d’exploitation. Dans la pratique, les coûts monétaires des productions dans les GA étaient très élevés, entraînant, de la part de la SAED, des subventions directes et indirectes qui, avec le temps, sont devenus de plus en plus insupportables. Au début des années 80, la rentabilité des GA est largement et définitivement remise en question : coûts élevés de production, rendements faibles. En 1982, 66% des superficies aménagées sont des GA se trouvant dans le Delta et s’occupant principalement de riziculture : c’est également le constat de l’échec de la monoculture étatique de riz.

En 1980, la SAED va traverser une grave crise financière, non seulement du fait du niveau devenu presque insupportable des subventions, mais aussi et surtout, à la suite d’un très mauvais recouvrement des dettes contractées par les producteurs sur l’eau et les intrants. En 1984, à la faveur de la politique de désengagement de l’Etat et de responsabilisation accrue des producteurs à la base, le processus de désengagement de la SAED est entamé, qui devient effectif à partir de 1987. La SAED s’engage alors dans un processus de désengagement et de transfert, au secteur privé, de toute la filière de production de riz : la gestion des périmètres aux organisations de producteurs, la fourniture des intrants et les opérations mécanisées aux opérateurs privés, le crédit agricole à la CNCAS, la transformation du paddy aux riziers privés. Les activités de la SAED se résument alors à (i) la planification des aménagements, (ii) la gestion et la police de l’eau, (iii) la formation et l’encadrement technique des producteurs et (iv) le suivi évaluation de l’activité économique. En 1987, plus de 20 ans après sa création, les superficies irriguées réalisées par la SAED, presque concentrées dans le Delta, dépassaient à peine 13 000 ha (650 ha/an), contre 30 000 ha initialement prévus sur une durée de 10 ans (3 000 ha/an).

En 30 ans, de 1965 à 1994, la SAED avait aménagé sur financement public 25 000 ha, soit un rythme de 850 ha/an ; en 10 ans, de 1984 à 1994, les aménagements sur financement public sont passés de 12 300 ha à 24 200 ha, soit un rythme de 1190 ha/an. De 1980 à 1994, la riziculture a occupé en moyenne 95% des superficies irriguées cultivées annuellement ; cependant, le taux de mise en valeur qui se maintenait au-dessus de 90% au début des années 80 est tombé à 60% en 1994. C’était là, une autre expression de l’échec de la monoculture du riz, au niveau des GA de la Vallée.

Parallèlement au déploiement, en rive gauche, des GA, avec leurs superficies brutes de plusieurs centaines ou milliers d’hectares, aménagés et équipés d’un ou de plusieurs grosses stations de pompage et faisant appel à une grosse mécanisation, sur la rive droite, en Mauritanie, dès 1960, se met en place une expérience de Petits Périmètres Irrigués Villageois (PIV), qui sont des aménagements hydro agricoles d’une superficie moyenne de 20 ha, dépassant rarement 50 ha et aménagés en maîtrise d’eau. A partir de 1972, ces nouveaux types de périmètres jalonneront tout le cours du fleuve, depuis le Delta jusqu’à la région de KAYES au MALI.

En rive gauche, le mouvement des PIV s’est développé durant la période de préparation des PIV de seconde génération de la rive droite, à la suite de la création, par la FAO en 1974, de deux périmètres (de 8 et 7 ha) dans la région de MATAM, sur fonds du programme de lutte contre la sécheresse. Dans ces PIV, tous les travaux d’aménagement ont été réalisés par les exploitants eux-mêmes, manuellement, de même qu’ils ont pris en charge l’achat des matériaux. Le mouvement s’est ensuite rapidement étendu, au point qu’en 1979, c’est déjà une centaine de PIV qui est recensée : en 1977, sur financement du FAC, 275 ha sont aménagés en PIV de 10 à 20 ha et pour 1 300 exploitants à raison de 0.20 ha par exploitant ; en 1978, les PIV étaient au nombre de 60 dont 34 (57%) en exploitation. Dans ces PIV, les labours mécaniques et les subventions gratuites ont été supprimés, prouvant qu’on pouvait aboutir à des résultats satisfaisants sans moyens mécaniques lourds et sans subventions.

Depuis 1977, la taille des PIV a évolué, pour se situer autour de 20-25 ha ; ils sont exploités en double culture annuelle dont une culture d’hivernage de riz sur toute la superficie et une culture de contre-saison froide en blé, maïs, tomate, sorgho et maraîchage sur une partie plus ou moins faible de la superficie, avec des rendements très élevés de 5.5 T/ha de riz et 2 T/ha de maïs ou sorgho, rendements d’autant plus remarquables que les aménagements hydro agricoles et la culture du riz étaient encore inconnus dans la région de MATAM. L’expérience des PIV de MATAM va ensuite s’étendre à la Moyenne Vallée, sur des superficies plus faibles de 12-15 ha, avec double campagne d’hivernage (de riz) et de contre-saison. Mais, attribués à des groupements d’exploitants constitués à partir des anciennes coopératives de l’OAV, ces PIV de la Moyenne Vallée ont connu beaucoup de difficultés dues à des jeux de relations, absentéisme, pratiques de rempétien (ou de rente foncière), effectifs pléthoriques, mécanisation de travaux, rémunération à la tâche de paysans, etc. C’est comme qui dirait que l’OAV, l’OAD, puis la SAED, de part leur stratégie d’intervention, avaient miné leurs zones d’implantation qui devaient arriver à des résultats décourageants.

Les PIV sont aussi passé à la zone de BAKEL, sur l’initiative même des paysans de cette région. Décidés d’améliorer leurs techniques culturales pour pallier les effets de la sécheresse, ils ont demandé et obtenu l’assistance de la Compagnie Internationale de Développement Rural (CIDR), à partir de 1973, sur la base d’une convention d’aide au développement de la région de BAKEL et à la réinsertion des émigrés à leur retour. En 1974-1975, un PIV sur terrain de Fondé est exploité collectivement en maïs, sorgho (en hivernage) et en légume (contre-saison). En 1975, le Ministère du Développement Rural exprime son désaccord et décide de développer la région selon les principes en vigueur dans la région de MATAM et avec l’encadrement de la SAED qui priorise la riziculture. Malgré cela, la Fédération des Groupements Villageois, qui se crée à cet effet, définira elle-même sa conception de la collaboration avec la SAED (qui sera essentiellement d’ordre technique) et du type de développement de la région : association complémentaire des cultures irriguées et des cultures pluviales, priorité aux cultures vivrières, gestion collective du périmètre assurée par un Comité de Gestion élu par les exploitants et qui s’occupe (i) de l’approvisionnement en facteurs de production, (ii) d’établir le programme de travaux collectifs et de veiller à son exécution (labour, tours d’eau, entretien des canaux), (iii) de la récolte des produits à effectuer chaque jour et de la commercialisation de la récolte.

C’est beaucoup plus tard, à la faveur des réformes intervenues en 1987 (désengagement de la SAED), qu’en rive gauche, le secteur privé s’est investi dans la réalisation des aménagements hydro agricoles, sous forme de Périmètres Irrigués Privés (PIP), à un rythme très rapide (4 500 ha/an), au point d’atteindre, en 6 ans (de 1987 à 1994) la même superficie aménagée que celle de SAED en 30 ans, entraînant un doublement du domaine irrigué qui passe environ de 25 000 ha à 50 000 ha. Cependant, en raison de leur caractère très sommaire et non viable, ces PIP ont contribué à une dégradation des terres, à l’abandon de périmètres et à rendre itinérants aménagements et cultures.

Faute d’avoir pu comprendre et conduire les mutations que l’expérience accumulée à travers les PIV, PIP et GA exigeait, les promoteurs du développement des cultures irriguées dans la Vallée, n’ont pas permis d’éviter les difficultés qui vont s’abattre sur le domaine irrigué, suite au désengagement de l’Etat et de la SAED ; ils vont même contribuer à aggraver la situation de crise que connaît depuis longtemps le domaine irrigué, qui finit par déboucher sur une impasse. Le désengagement de la SAED avec réhabilitation des grands aménagements sur fonds publics et transfert progressif aux organisations de producteurs, entraînant la promotion des aménagements privés, non seulement n’a pas réglé les problèmes, mais les a même amplifiés et en a créé de plus graves, notamment le recul de l’efficience des GA transférés et la prolifération des aménagements sommaires, qui ont achevé de paralyser le système de crédit.

A partir de 1990, la CNCAS fait de plus en plus face à des taux de remboursement très bas. Avec le début de transfert de la gestion de GA à des associations d’usagers, à partir de 1993, la situation du crédit se dégrade davantage et de nombreux Groupement de Producteurs n’ont pas pu rembourser leurs prêts, fragilisant ainsi la situation du crédit agricole, amenant la CNCAS à durcir les conditions de prêt et à restreindre les crédits accordés. En Janvier 1994, survient la dévaluation du franc CFA, et les prix des principaux intrants (dont le crédit) et matériels agricoles d’augmenter très fortement durant les premiers six mois qui suivent, sans entraîner un accroissement conséquent de la production agricole, contribuant à réduire les revenus des producteurs et leur capacité de rembourser leurs dettes. En Juin 1994, les rizeries industrielles de la SAED sont privatisées et la filière riz local est de fait totalement libéralisée, obligeant la CNCAS à réorganiser son système de recouvrement des prêts de campagne.

En 1996, après trente ans d’efforts, le patrimoine hydro agricole de la Vallée révèle que le potentiel aménagé n’est que de 68 000 ha dont 18 800 ha de Grands Aménagements et 49 200 ha de PIV et de PIP, 33 000 ha de périmètres abandonnés, 35 000 ha exploitables et 27 200 ha de mise en valeur. En 1996, le constat est fait d’une baisse graduelle de la mise en valeur, le rapport superficies mises en valeur et superficies aménagées étant de 1/3 ; autrement dit, 2 ha sur 3 ha sont aménagés et ne sont pas mis en valeur : un coût élevé des aménagements hydro agricoles dont 1/3 seulement est mis en valeur. Un glissement tendanciel des conduites culturales vers une manualisation des opérations est visuel, avec un resserrement sur la demande en prestations de services mécanisés ; et comme les GA ne peuvent être entièrement manualisés, l’avenir est au transfert des GA à des sociétés privées du genre CSS , à la promotion des PIV et des PIP, dans l’optique de nouveaux modèles de conception et de gestion des aménagements.

Quant à l’Organisation pour la Mise en Valeur du bassin du fleuve Sénégal (OMVS), dès sa naissance, en 1963, d’abord en tant que Comité Inter-états (CIE), puis Organisation des Etats Riverains du fleuve Sénégal (OERS), elle engage la lutte pour la maîtrise du régime du fleuve et le contrôle des crues et entreprend l’élaboration et la mise en œuvre d’un vaste programme qui comportait (i) la construction du barrage anti-sel et de retenue de DIAMA (ii) la construction du barrage hydroélectrique, de retenue et de régulation de MANANTALI, (iii) la régularisation du débit du fleuve à 300 m3/s à partir de BAKEL, (iv) l’irrigation, le long du fleuve, sur un potentiel de 800 000 ha de terres cultivables, de 375 000 ha dont 240 000 ha au SENEGAL, (v) la navigabilité annuelle du fleuve de KAYE (au MALI) à ST-LOUIS (au SENEGAL), sur près de 900 km, (vi) la production d’énergie électrique de 830 GWK, 9 années sur 10 et (vii) la constitution d’une crue « artificielle » à partir de BAKEL et pendant un mois, permettant de maintenir et d’améliorer les cultures traditionnelles de décrue sur 100 000 ha de terres, durant la période transitoire de promotion et de développement des cultures irriguées avec maîtrise totale de l’eau. Et, au fur et à mesure de la substitution de l’agriculture irriguée intensive et diversifiée à l’agriculture traditionnelle de décrue, l’importance de cette crue artificielle diminuera de plus en plus jusqu’à disparaître, permettant une maîtrise plus complète des eaux, un développement plus effectif des cultures irriguées et des résultats économiques plus viables.
Les résultats des études de ce vaste programme ont été que seule une agriculture irriguée intensive et diversifiée peut conduire à une augmentation importante de la production agricole dans le Bassin et que c’est le Secteur agricole qui est appelé, à court et moyen terme, à verser le montant le plus élevé au titre de contribution au fonctionnement et à l’amortissement des infrastructures mises en place. Le schéma d’aménagement retenu prévoit (i) l’irrigation de 335 000 ha en double culture dans la Vallée, ainsi que 50 000 ha de culture simple dans le Delta, (ii) la double culture de riz sur 1/3 des superficies irriguées avec des rendements de 3T/ha, (iii) la polyculture sur 2/3 des superficies irriguées, (iv) la culture de décrue sur quelques 100 000 ha/an durant une période de transition de 15 à 20 ans, après l’achèvement de MANANTALI, par la lâchure d’une crue artificielle entre le 15 Août et le 15 Septembre de chaque année, avec des débits de 2 500 m3/s et (v) la couverture, en 2028, de 255 000 ha de périmètres hydro agricoles, dont 185 000 au Sénégal, l’utilisation des terres du Diéri comme zones de pâturage et l’obtention d’une double récolte annuelle, avec les rythmes de développement suivants : 1977-1986 : 4800 ha/an ; 1987-1996 : 4400 ha/an ; 1997-2006 : 4800 ha/an ; 2007-2016 : 5300 ha/an ; 2017-2026 : 5800 ha/an et (vi) la disponibilité maximale du débit permanent au stade final de la régularisation qui peut atteindre 700 m3/s et qui peut permettre l’irrigation d’au moins 1 000 000 ha. Depuis 1988, les deux barrages sont devenus fonctionnels.

Certes, la démarche préconisée dans le programme de l’OMVS prenait bien en compte l’exigence de diversification des productions par la polyculture. Mais la diversification des activités de production est omise, qui devait faire intervenir l’arboriculture, l’élevage, voire la pisciculture ; de sorte que sont absents de l’exploitation agricole (i) le parc arboricole, qui devrait, à l’intérieur du périmètre irrigué, contribuer à empêcher ou réduire des phénomènes d’érosion (éolienne, hydrique et thermique), mieux fixer et stabiliser les sols, constituer un microclimat qui limite les effets de l’Harmattan et réduit les énormes pertes d’eau par évaporation, constituer une activité économique procurant fruits, fourrages, bois, produits de pharmacopée, etc., (ii) l’élevage stabulé à petite échelle de gros et petits ruminants et surtout de volailles, qui constitue une activité économique et procure fumure ou énergie animale et (iii) la pisciculture qui peut se constituer à partir du drainage des excès d’eaux d’irrigation qui posent souvent des problèmes d’évacuation.

Finalement, et dans la situation de crise et d’impasse dans laquelle le domaine irrigué de la Vallée se trouvait, en 30 ans (1965 à 1996), avec moins de 30 000 ha de mise en valeur sur un potentiel minimal de 240 000 ha, c’est le Plan Directeur de Développement de la Rive Gauche du fleuve Sénégal (PDRG) qui est venu servir de cadre de référence, par excellence, pour toute question relative au développement de la vallée du fleuve Sénégal. Le PDRG a été adopté en Conseil interministériel du 4 Mai 1994. L’enjeu principal du PDRG était de placer l’économie de la Vallée sur le sentier d’une croissance forte et soutenue, en se basant essentiellement sur (i) un compromis social, économique et écologique, (ii) une gestion rigoureuse et équilibrée des ressources hydrique de la vallée et (iii) une adéquation harmonieuse avec l’exécution des programmes de l’OMVS.

La démarche du PDRG visait à définir la stratégie de développement de la rive gauche pour la période 1990-2015. L’horizon de référence était 2017. Le PDRG voulait opérer une nette rupture par rapport aux évolutions passées, en termes d’aménagement et de mise en valeur agricole, contribuant à accroître la production agricole et agro-industrielle, les revenus ruraux, à sauvegarder les ressources naturelles.

Les enjeux principaux du PDRG consistaient à placer l’économie de la vallée du fleuve Sénégal sur le terrain d’une croissance forte et soutenue, afin de contribuer à l’atteinte des objectifs nationaux de lutte contre la pauvreté, de gestion des ressources naturelles et d’inversion des flux migratoires, de croissance économique et de sécurité alimentaire. Le scénario de développement retenu, parmi cinq identifiés, était celui qui permet d’amener les superficies irriguées à 88 000 ha et une intensité culturale de 1.60 (soit 140 800 ha), la riziculture sur 75% des surfaces irriguées et la polyculture (maïs, sorgho, cultures d’exportation, etc..) sur les 25% restant, la mécanisation à base d’artisanat locale sur au moins 2/3 des surfaces irriguées, la part des exploitations agricoles privées à hauteur de 50% des exploitations. Les résultats attendus du PDRG, à l’horizon de 2015, en terme de productions et de revenus, étaient de 564 000 tonnes de riz paddy ou 400 000 tonnes de riz de consommation, 150 000 tonnes de tomate, 97 000 tonnes de maïs et sorgho, 11 000 tonnes de cultures sèches (mil et sorgho), ainsi que la redistribution de 25 milliards de F CFA de revenus au niveau de la région.

Trois ans après, en 1996, l’état d’exécution du PDRG révèle une superficie aménagée de 68 000 ha dont 33 130 ha par la SAED et 34 870 ha par le secteur privé. Sur ce total, 33 000 ha sont abandonnés du fait de leur réalisation sommaire (PIV/PIP) ou le manque d’entretien (aménagements SAED), 35 000 ha seulement sont exploitables. En trois ans, les surfaces emblavées sont passées de 34 700 ha à 23 400 ha ; tandis que le coefficient cultural est passé de 1.04 à 0.8, aboutissant à un niveau de mise en valeur de 21 000 ha ; la production de paddy est passée de 166 000 t en 1993-1994, à 134 000 t en 1994-1995 puis à 100 000 t en 1995-1996. La production de tomate, de 80 000 t en 1980, tombe à 19 000 t en 1996.

Dans sa Charte du Domaine Irrigué (CDI) élaborée en 2004/2005, la SAED affichait des superficies de 95 000 ha aménagés, 70 000 ha exploitables et 40 000 ha exploités dont près de la moitié est l’œuvre du secteur privé. Pourtant, en moins de 40 ans, de 1965 à 2000, le Maroc a pu aménager et exploiter, en régie administrative, 1 000 000 ha de terres irriguées, soit pas moins de 25 000 ha/an ; en 40 ans, de 1965 à 2005, la SAED n’a permis que l’aménagement et la mise en valeur de 40 000 ha dont la moitié a été l’œuvre du secteur privé, soit 1 000 ha/an, voire même 500 ha/an. Près de 10 ans après, en 2014, le Ministère de l’Agriculture affiche fièrement une superficie de 30 000 ha de terres exploitées, pour une production de 300 000 tonnes de riz paddy et 210 000 tonnes de riz décortiqué.

Au vu de l’évolution de la riziculture dans la vallée du fleuve Sénégal, jalonnée d’échecs répétés, voulus, programmés et planifiés, on ne peut pas manquer de se demander si l’objectif fixé par les Autorités publiques, d’atteindre l’autosuffisance nationale en riz, en 2017, est bien réaliste ?

La riziculture pluviale, du fait de sa dépendance à la pluie et de l’incertitude de sa production, ne peut être prise en compte dans la recherche de l’autosuffisance nationale en riz. De plus, compte tenu de ses énormes potentialités en sols irrigables (375 000 à 1 000 000 ha), la vallée du fleuve doit assumer la plus grande part de responsabilité, dans cette recherche de l’autosuffisance nationale en riz. Dans ces conditions et en considérant que l’importation nationale de riz se soit stabilisée, à 1 000 000 t (avec le blocage de la demande ou l’apport des productions des autres régions du pays, pluviales comme irriguées), il faudrait, d’ici 2017, être en mesure de :

(i) Réduire notablement le coût de revient et de mise en valeur des aménagements hydro agricoles, en adoptant de nouveaux types d’aménagement, qui minimisent les énormes gaspillages d’eau et articulent simultanément riziculture ou céréaliculture, horticulture, élevage, pisciculture, etc. ;

(ii) Garantir une campagne (de contre-saison sèche froide) ou deux campagnes (de contre-saison sèche froide et chaude) de production horticole (légumes, fruits, fleurs) sur 150 000 ha à aménager, graduellement. Rien que la production maraîchère avec des spéculations à haut rendement et à haute valeur ajoutée, devrait alors pouvoir générer finalement, des revenus bruts annuels de 1 500 milliards de F CFA (une campagne) à 3 000 milliards de F CFA (deux campagnes/an), compte non tenu des autres revenus tirés de l’arboriculture fruitière, de la floriculture, de l’élevage, de la pisciculture, de l’apiculture, etc. Avec la mise en valeur de tout son potentiel de terres irrigables (375 000 à 1 000 000 ha), la vallée du fleuve Sénégal pourra alors jouer son rôle de véritable fer de lance de l’industrialisation et du développement du Sénégal, voire de toute la sous-région ;
(iii) Garantir une campagne d’hivernage de riz sur une superficie minimale de 150 000 ha, pouvant, avec un rendement record de 10 tonnes/ha, générer une production de 1 500 000 t de riz Paddy et 1 100 000 t de riz de consommation. Du fait de la grande exigence du riz en eau en contre-saison sèche froide et chaude (15 000 et 20 000 m3/ha) et de l’accroissement des coûts de pompage, sa production en contre-saison, au détriment de l’horticulture, n’est ni rationnelle, ni efficiente, ni soutenable. Tout cela veut dire qu’il faudra être en mesure d’aménager et de mettre en valeur, des périmètres irrigués, à un rythme record de 40 000 ha/an, à raison d’un investissement de 500 milliards de FCA/an. Au bout de trois ans (2015-2017), 120 000 ha de terre irrigable s’ajouteraient aux 30 000 ha actuellement mis en valeur, pour obtenir les 150 000 ha. Les ressources financières tirées de la mise en valeur horticole progressive des 150 000 ha permettront aux producteurs, non seulement de couvrir les investissements nécessaires, mais aussi de pouvoir casser, patriotiquement, les prix du riz, en les ramenant, volontairement et à leur prix de production, à 200 F CFA, 150 F CFA, voire 100 F CFA/kg, suivant les différentes qualités de riz qui seront produits ;

(iv) Stabiliser progressivement, puis réduire graduellement la consommation nationale en riz, en l’associant à d’autres types de produits locaux (céréaliers, légumineux, maraîchers, fruitiers, forestiers, etc.), en mettant à profit les résultats mis au rancard dans les tiroirs de notre Institut National de Technologie Alimentaire (ITA). A partir de ce moment, le Sénégal pourrait même se payer le luxe d’augmenter graduellement sa production nationale de riz et se tourner vers l’exportation d’une denrée qui devient de plus en plus rare sur le marché mondial ; car, même les pays anciennement exportateurs de riz sont devenus, pour la plupart, de grands importateurs ou ont notablement réduit leur offre de service.

Afin d’atteindre l’autosuffisance nationale en riz, en 2017, serons-nous en mesure de réaliser touts ces préalables, voire d’autres encore relatifs à la récolte, la transformation, le stockage, le transport, la commercialisation, etc., des productions ? « That is the big question and the only one » !


Pharaon Cheikhou GASSAMA
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