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Le dernier discours ( par Abdoulaye Coulibaly)

Rédigé par leral.net le Mardi 10 Janvier 2012 à 17:27 | | 0 commentaire(s)|

J’ai eu du mal à écrire ces lignes après le message du Nouvel An du Président de la République. Pourtant, dès dix-neuf heures trente, j’avais pris mon stylo et un bloc-notes dans lequel je n’ai, en définitive, écrit que l’heure de démarrage du discours et l’heure à laquelle le Président a clôturé son message.


Mon premier choc fut la lecture des titres du journal télévisé : il n’y eut aucune référence au message ! Etait-ce un oubli coupable ? Il n’en fut rien car madame Bineta Wagué commença à dérouler son journal comme elle le faisait les jours ordinaires. Ma confusion et mon trouble s’amplifièrent lorsqu’elle annonça que la diffusion du discours était différée à vingt-et-une heure. J’ai failli craquer, éclater en sanglots ! J’étais triste et je le suis resté jusqu’au bout, à la fin du discours.
Ai-je entendu les mots dits ? Ai-je saisi le message dilué dans des détails et des faits anecdotiques ? Me suis-je indigné de la manière dont la crise casamançaise fut abordée ? Enfin, je n’ai même pas pu rire de la confusion entre bulletin unique et scrutin de liste ! J’ai vu les yeux exorbités du Président, tournés vers le tableau imaginaire, placé en face de lui, tandis que ses mains maladroites jouaient à tenir des feuilles qu’il ne lisait pas ! J’ai observé un visage plastique d’où ne sortait aucun sourire encore moins de la chaleur, ce goût de la vie que le Président avait la magie de communiquer à son auditoire ! J’avais un sentiment fou que le Président n’éprouvait aucun plaisir à lire ce discours, il s’acquittait d’un devoir pour lequel, il assurait la présentation, je dirai la représentation.
Le rideau est tombé, un dernier symbole s’est affalé, le Discours à la Nation banalisé, désacralisé et la RTS1 y a rajouté sa touche, en le traitant comme un évènement ludique, en diffusant des clips pour faire patienter les téléspectateurs comme elle a l’habitude de le faire, lors des matchs de l’équipe nationale de football ! Je me suis senti mal dans ma peau, j’ai senti quelques frissons traverser mon corps. Ai-je pleuré ? Je ne sais plus !
J’ai voulu écrire, les mots furent introuvables et les idées impossibles à saisir. Ce trente-et-un décembre 2011, un ressort semble s’être cassé entre le Président et son peuple. Désormais, sa crédibilité intellectuelle et sa capacité physique sont en doute.
Au lieu d’écrire, dans mon esprit, trois choses différentes sans rapport se sont entrechoquées. Je ne sais pas d’ailleurs pourquoi ?
« Nguur kenn du ko ñedd ! »
C’est bien la fin, la tragédie prend le chemin d’une farce ! D’acteur lorsqu’on est réduit à jouer un rôle, fut-il le plus prestigieux, il est difficile de le réussir surtout lorsque le démenti d’une démission d’un ministre prend la place du message solennel alors que les partisans de ce dernier exprimaient leur colère dans les média. Il n’y a que l’entourage médiocre et transfuge du Président qui continue à croire à une étoile en phase d’extinction. L’homme a des limites naturelles !
« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai.»
Ces vers, d’un poème des Contemplations que Victor Hugo dédia à sa fille Léopoldine décédée, me sont aussi venus à l’esprit. J’ai eu de la compassion très forte pour Abdoulaye Wade, j’ai senti le sursaut de désespoir d’un père de famille qui se noie et qui veut sauver sa famille en danger de mort. J’ai vu des mains affaiblies s’agripper désespérément à la queue d’un caïman qui, saisi d’une première surprise, s’en prit aux premières pirogues sur son chemin. Les mots n’ont plus de sens, ils ne sont dits que pour attirer l’attention, les actes qu’ils soient choquants ou même ridicules vont paradoxalement dans le même sens. Les esprits sont braqués, les yeux ont des œillères, les sangs chauds, l’opposition veut en découdre car les signaux visibles appellent à la lutte sans merci.
Pourtant pour sauver le Sénégal, il faut comprendre qu’il faut sauver Abdoulaye Wade et sa famille ! Le M23 qui est le regroupement le plus large de l’opposition devrait aller le rencontrer, lui faire trois propositions. La première, contre le retrait de sa candidature, qu’aucune poursuite ne sera intentée contre lui et les membres de sa famille : son épouse, Sindiély et Karim. Je sais que certains lecteurs non avertis des risques que court ce pays pourraient ne pas comprendre mais, à mon humble avis, c’est la solution la plus économique pour le Sénégal. La seconde, reculer les élections au mois de juin pour permettre au PDS de trouver un candidat. Et, enfin, la troisième, mettre en place un gouvernement de large union pour conduire cette transition dont l’objectif unique est l’organisation d’élections législatives et présidentielles pacifiques et transparentes. Dans ce gouvernement, les ministères de l’Intérieur, de la Justice et des Forces armées seront confiés à des personnalités civiles ou militaires reconnues pour leur indépendance.
Ces vers du poème, la mort du Loup, du poète Alfred de Vigny, me viennent à l’esprit :
« Le Père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa Louve reposait comme celle de marbre
Qu'adoraient les Romains, et dont les flancs velus
Couvaient les Demi-Dieux Rémus et Romulus. »
Et je me suis dit que nous devons méditer la strophe suivante du même poème :
« Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé. »

Le pays est à un tournant de son histoire. Si le président de la République semble avoir perdu le sens de la raison, le M23 ne devrait pas le suivre dans cette course vers le chaos. Le M23 devrait, encore, pour une ultime fois tendre la main au président de la République.
Il ne reste guère que quelques petites semaines. J’ose espérer que les Khalifes, les bonnes consciences, l’Union Africaine et les amis du Sénégal joueront leur rôle.
Que Dieu protège notre cher Sénégal !

Abdoulaye Coulibaly
Dakar, le 1er janvier 2012