Leral.net - S'informer en temps réel

Le procès des destructions à Tombouctou démarre devant la CPI

Rédigé par leral.net le Lundi 22 Août 2016 à 11:25 | | 0 commentaire(s)|

La Cour pénale internationale (CPI) s’apprête à juger le Touareg malien Ahmed Al Mahdi pour un crime de guerre commis à Tombouctou au début de l’été 2012. L’ex-jihadiste d’Ansar Dine doit répondre de la destruction de neuf mausolées de la ville aux « 333 saints », et de la porte de la mosquée Sidi Yahia. Le procès ne devrait durer que quelques jours, car l’accusé a décidé de plaider coupable.


 

 

Ce 22 août s'ouvre le procès de l’auteur d’un crime qui « affecte l’âme et l’esprit d’un peuple », déclarait la procureure Fatou Bensouda en demandant aux juges de la Cour pénale internationale (CPI)  d’inculper Ahmed Al Faqi Al Mahdi, dit Abou Tourab. Une affaire qui dépasse « les murs et les pierres » détruits sous la supervision de ce chef de la brigade des mœurs lors de l’occupation de Tombouctou par les jihadistes d’Ansar Dine et d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), entre avril 2012 et janvier 2013.

Ahmed Al Mahdi avait été arrêté au Niger par les soldats français de l'opération Barkhane  dans la nuit du 9 au 10 octobre 2014, dans un convoi transportant près d’une tonne d’armements depuis le Sud libyen. Un an plus tard, il se retrouvait entre les murs de la prison de la CPI pour y répondre de la destruction de neuf mausolées de Tombouctou et de la porte de la mosquée Sidi Yahia.

Coupable, mais pas repenti

Devant la Cour, celui qui avait été repéré dès la prise de la ville pour devenir l’un des conseillers-clé des chefs jihadistes en matière islamique a déjà plaidé coupable. D’emblée, il a reconnu avoir préparé le prêche du vendredi, choisi les hommes, fourni haches et barres de fer, sélectionné les mausolées à abattre et dirigé l’exécution. « Dès le début, il souhaitait demander la grâce des habitants de Tombouctou et des Maliens », déclarait cependant devant la Cour son avocat tunisien, Mohamed Aouini.

Mais « ce n’est pas un repenti », précise maître Jean-Louis Gilissen. Laissant passer la crise qui suit le coup d’Etat de mars 2012 au Mali, Ahmed Al Mahdi revient dans la « perle du désert » dès le début de son occupation par les jihadistes. On lui propose alors de siéger au tribunal islamique. Il décline. Trop jeune. Mais il conseille la création de la « hesbah », cette brigade des mœurs dont il va prendre la tête. « En tant qu’institution, la hesbah était essentielle pour imposer l’idéologie des occupants à l’ensemble de la population locale », expliquait aux juges le substitut du procureur Gilles Dutertre.

La « perle du désert » est mise en coupe réglée : la musique, la cigarette et l’amour hors mariage y sont bannis. Lorsque, à la demande des émirs, Al Mahdi rend un avis sur le sort à réserver aux mausolées érigés sur la tombe des érudits de l’islam, il affirme qu’ils sont illégaux au regard de la charia. Les habitants de Tombouctou s’y rendent alors pour implorer les « saints » d’exaucer leurs vœux les plus simples.

Mais s’ils sont illégaux, Al Mahdi préconise de ne pas les détruire, car rien, dans le Coran, ne le justifie. « Il a conseillé de ne pas les abattre, a expliqué que les gens de Tombouctou y étaient très attachés et que cela risquait d’attiser des réactions hostiles de la population », affirme Me Jean-Louis Gilissen, l’un de ses avocats. A la demande des émirs, et contre son avis, le chef de la hesbah doit néanmoins s’exécuter, expliquent ses défenseurs.

Deux visions du monde

Le procès portera sur la destruction du patrimoine, mais la défense entend bien élargir le débat, « celui de deux visions du monde qui s’opposent », explique l’avocat belge. En plaidant coupable, Ahmed Al Mahdi ne renie rien de sa conception de l’islam. « Il croyait et voulait introduire et, si nécessaire, imposer, la pureté », déclare Me Gilissen à la Cour. Plaidant sur le fil, l’avocat ajoute : « la pureté, nous savons que cela peut souvent se révéler extrêmement dangereux ».

A la tête de la hesbah, ce proche du wahhabisme, dont il s’est rapproché suite à un séjour en Arabie saoudite, délivre les préceptes d’une charia rigoriste sur les radios de la ville. Lorsqu'il quitte la tête de la hesbah en septembre 2013, il participe à des réunions avec les chefs d’Aqmi et d’Ansar Dine, qui après s’être emparés du Nord-Mali, comptent bien poursuivre leur descente vers le sud.

Le patrimoine : un enjeu de guerre

A l’heure de la destruction de sites historiques « devenue une tactique de guerre pour disséminer la peur et la haine », assène la directrice de l’Unesco, Irina Bokova, le procès d’Al Mahdi est largement salué par la communauté internationale. Mais il suscite plus d’incrédulité au Mali et du côté des ONG. « Le procès est important pour démontrer que les groupes jihadistes s’attaquent à la diversité et la tolérance de l’islam africain, estime ainsi la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Mais d’autres crimes ont été commis, notamment des crimes sexuels, et Ahmad Al-Faqi Al Mahdi-Abou Tourab et les autres responsables d’Ansar Dine et d’Aqmi devraient répondre de ces crimes ».

L’organisation de défense des droits de l’homme a d’ailleurs porté plainte aux côtés de plusieurs organisations maliennes contre Al Mahdi et quatorze autres, en mars 2015. Mais à Bamako, le dossier est quasiment au point mort. « Le pouvoir politique libère plus qu’il n’arrête », déplore Florent Geel. Pour le responsable Afrique de la FIDH, « ils ont voulu donné des marques de confiance et libéré plusieurs personnes pour obtenir la paix et ensuite, lorsqu’il a fallu mettre en application l’accord d’Alger [signé en juin 2015 entre le Mali et la Coordination des mouvements de l'Azawad], ils ont aussi libéré, pour faire baisser les tensions ».

Seule l’enquête contre le général Amadou Haya Sanogo et ses complices du coup d’Etat militaire de mars 2012, qui marque le début de la crise au Mali, est bouclée. Mais le procès n’est toujours pas inscrit au rôle de la Cour d’assises, explique-t-on à Bamako. La CPI, qui n’intervient qu’en dernier ressort, si un pays ne peut ou ne veut juger l’un de ses ressortissants suspecté de crimes de guerre, et qui pourrait dès lors s’emparer de l’affaire Sanogo, pourrait inciter les autorités à agir.

rfi