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Leçon d’un architecte de la paix: Comment Jaraaf Alieu Codou Ndoye réconcilia Ndakaarou ?

A partir de l’année 1914, marquée par l’entrée de Blaise Diagne au palais Bourbon, les crises devinrent récurrentes au sein de la collectivité lébou. Engendrées souvent par la politique et exacerbées par les nouveaux titres créés par le colonisateur, « chef supérieur de la collectivité lébou » et « chef de canton », elles furent porteuses de divisions préjudiciables aux intérêts de la collectivité.


Rédigé par leral.net le Lundi 24 Août 2015 à 16:11 | | 0 commentaire(s)|

De droite à gauche Mousse Diop (Serigne Ndakarou), Alieu Coudou Ndoye (Jaraf),  Mbor Diagne (Ndeye Dji Reew), Ibrahima Diop (Serigne Ndakarou), Babacar Thiaw Laye, Amadou Lamine Diene (Imam Ratib)
De droite à gauche Mousse Diop (Serigne Ndakarou), Alieu Coudou Ndoye (Jaraf), Mbor Diagne (Ndeye Dji Reew), Ibrahima Diop (Serigne Ndakarou), Babacar Thiaw Laye, Amadou Lamine Diene (Imam Ratib)
En effet, tout au long du siècle, on assistera à ce que d’aucuns ont appelé la « guerre des Serigne Ndakaarou » ou « la guerre des Jaraaf » qui firent vivre à la collectivité des déchirements mémorables. Mais, souvent, ces crises furent surmontées ; car le dispositif traditionnel de fabrication et de préservation de la paix était encore debout et les dignitaires et notables étaient à leur hauteur. Je donne en exemple la crise des années 40/50 et comment Jaraaf Alieu Codou Ndoye a réussi à la surmonter, d’après ce que Mbaye Diagne de Thieudème, Amadou Abass Diouf, chercheur, et d’autres, dont les parents et grands parents étaient acteurs ou témoins, m’en ont conté.

En effet, un matin du mois de juillet de l’année 1946, Alieu Codou Ndoye se réveilla anxieux et préoccupé ; car il avait fait un rêve qui l’avait beaucoup ébranlé. Alors il convoqua son cabinet et ainsi lui parla : « La division de Ndakaarou ne plait pas aux anciens qui sont dans l’au delà. On parle de deux Serigne Ndakaarou : Ibrahima Diop et Moussé Diop. De deux Jaraaf : Ndiaye Paye et Alieu Codou. Il faut une réconciliation ! Les anciens n’ont pas vécu comme nous ! Que leur aurions nous dit si nous mourrions aujourd’hui ?... »

Une réunion de réconciliation fut convoquée au penc de Mboth. Des convocations furent confectionnées. Mamadou Ousmane Mbengue de Diécko, secrétaire de la collectivité lébou, Guéye Mour Dial de Gouye Salane, son adjoint, El Hadj Amadou Sy de Mbakeuneu, père de Birame Sassoume, l’ex maire de Médina et Omar Diagne Thiaty de Yakhadieuf, furent chargés de remettre les convocations des 12 Borom penc, celles des 36 Diambour et des 72 Frey. Jaraaf Alieu Codou se chargea personnellement, malgré ses 81 ans, « par humilité, par amour pour Ndakaarou et par respect pour les anciens », de remettre main à main les convocations des dignitaires, pour s’assurer de leur présence à la réunion.

Accompagné de son petit fils et homonyme, Alieu dit Badou Ndoye, en guise de témoin pour la postérité, il fit le tour des membres du gouvernement lébou qui, pour la plupart, étaient pourtant bien moins âgés que lui : le Khaaly El Hadj Ibrahima Kane, son cadet de 24 ans, le Serigne Ndakaarou El Hadj Ibrahima Diop, son cadet de 23 ans, le Ndéye Dji Réw Mbor Diagne, son cadet de 19 ans, Imaam Mbor Diène, son cadet de 18 ans, le Saltigué Deungour Ndoye, son cadet de 17 ans, le Serigne Ndakaarou Moussé Diop, son ainé de 9 ans, Jaraaf Ndiaye Paye, son ainé de 2 ans, le Ndéyi Diambour Tafsir Abdoulaye Guéye Youssou Bamar, son ainé de 15 ans, etc.

A l’approche de la réunion, il fit acheter six bœufs bien gras au foirail de Ndiarapane, situé sur le site de la cité police actuelle et alentour, sur la rue Docteur Samba Guéye - ex rue 6 - appelé à l’époque rue des bœufs à cause de la proximité du foirail. Il les fit ainsi distribué, en accompagnant chaque bœuf de la somme de 100.000 francs : un pour le Ndéyi Diambour et les Diambour, un pour le Ndéye Dji Réw et les Borom penc, un pour le Président des Frey et les Frey, un pour les autres dignitaires, deux bœuf pour le repas du jour à la réunion de Mboth. D’autres dignitaires et notables de Ndakaarou, dont son jeune ami, Amadou Lamine Diéne, en firent autant, qui en distribuant des bœufs, qui en distribuant des béliers, qui en distribuant des sacs de riz, pour appuyer son initiative et lui marquer leur solidarité.

Le jour j, un dimanche de l’année 1946, fut un jour pas comme les autres, le penc de Mboth, orné et embelli, reçut, à l’ombre de son fromager tutélaire, les dignitaires et notables, dans leurs atours de jours de fête. Khaaly Ibrahima Kane, assisté du Saltigué Deungour Ndoye et de l’Imaam Mbor Diéne, fut désigné président de séance. Le Président des Frey, Baye Demba Ndoye, assurait le secrétariat de séance. A l’ordre du jour, un seul point : la réconciliation des Serigne Ndakaarou Ibrahima Diop et Moussé Diop et des Jaraaf Ndiaye Paye et Alieu Codou Ndoye. En vérité, la réunion était une simple formalité, car en bon diplomate maitrisant les techniques traditionnelles de fabrication de la paix, Jaraaf

Alieu Codou Ndoye avait déjà balisé le terrain et levé toutes les contraintes.
Prenant la parole, il parla ainsi après les salutations d’usage : « Ndakaarou se désagrège, entre nos mains. Nos ancêtres, qui sont dans l’au-delà, ne sont pas contents de nous, de ce que nous avons fait de l’héritage qu’ils nous ont légué. J’ai honte. J’ai honte. J’ai honte de nous. Et je crains les rejoindre dans la mort, en laissant Ndakaarou dans la division, car alors je n’oserai ni les regarder ni leur adresser la parole, etc. » Son discours pénétra les cœurs ; et lorsqu’il demanda à Moussé Diop, qui était parmi les doyens d’âge de la collectivité lébou et ainé d’Ibrahima Diop de 32 ans (après lui avoir rappelé tout ce qu’il représente pour Ndakaarou et tous les bienfaits qu’il a accompli pour sa communauté), d’être le Serigne Ndakaarou honoraire et de laisser le jeune Ibrahima Diop assurer la charge de Serigne Ndakaarou titulaire, le pieux patriarche rendit grâce à Dieu et accepta aussitôt : « Je pourrais ainsi d’avantage m’occuper de mes devoirs religieux », dit-il.

Ensuite Alieu Codou se tourna du côté de Jaraaf Ndiaye Paye et lui parla ainsi : « Vous êtes mon ainé de 2 ans. Vous êtes aussi mon oncle, car Beukeu Paye, la mère de ma mère, est la sœur de ton père. Alors soyez devant et je vous suis. » S’en suivirent des accolades et des formules de grâces à Dieu.

« Vous qui êtes présents, soyez témoins qu’à ce jour Ndakaarou s’est réconcilié », déclara le président de séance. C’est ainsi, grâce à la clairvoyance de Jaraaf Alieu Codou Ndoye, à son sens élevé de l’honneur et à son leadership, que prit fin la crise de la collectivité lébou de 1946. Ce fut là, en vérité, un événement digne d’être conservé dans les mémoires, une très belle leçon délivrée par un grand architecte de la paix qui avait compris, bien avant « le sage ivoirien » et tant d’autres, que la paix n’est pas qu’un mot, mais une volonté, mais un comportement, mais une construction.

Pour rappel, Jaraaf Alieu Codou Ndoye, parrain de l’école élémentaire ex paille d’arachide de la Gueule Tapée, est le fils de Codou Diéye et de Ma Ndoye Coumba. Doté d’une grande prestance physique, à l’instar des anciens, Alia Codou était un homme de foi et d’honneur très respecté par ses contemporains. Elu Jaraaf (autorité en charge des affaires domaniales) le 2 février 1935, un an après son installation à Mbothy Pom, à la Gueule Tapée, il est décédé le 8 mai 1961 à l’âge de 96 ans et enterré au cimetière des abattoirs, sur la corniche Ouest, auprès de son parent et grand ami, le Ndéyi Diambour Ousmane Diop Coumba Pathé, « Borom Weur ak Laar » (Le maître des îles de la Madeleine).

ABDOU KHADRE GAYE
Ecrivain, Président de l’EMAD
Tel : 33 842 67 36
Email : emadassociation1@gmail.com