Leral.net - S'informer en temps réel

Leçons de l’après-Jammeh : De la nécessité d’une Téranga armée (Par Yoro Dia)

Rédigé par leral.net le Lundi 23 Janvier 2017 à 11:41 | | 0 commentaire(s)|

La chute du Néron de Banjul dont j’avais annoncé le début de la fin après les manifestations d’avril, est un «superbe lever de soleil» pour la Gambie mais aussi pour le Sénégal. Le Sénégal a très bien manœuvré, avec une bonne division du travail de ses deux acteurs sur la scène internationale (le diplomate et le soldat). La symphonie a été parfaite, même s’il y a un gout d’inachevé. Je suis de ceux qui pensent qu’il ne fallait pas reporter les ultimatums.
 
 L’intervention aurait eu le mérite de régler le problème mais aussi de servir d’avertissement à nos voisins qui ne nous veulent pas que du bien, à commencer par le Président guinéen dont le sentiment anti-sénégalais est connu depuis qu’il était étudiant militant de la Feanf (fédération des Etudiants d’Afrique noire en France). Même si c’est le Sénégal de Diouf qui l’a sauvé des geôles de Lansana Conté, après qu’il s'est refugié à l’Ambassade du Sénégal, son sentiment anti-sénégalais demeure très vivace.
 
Alpha Condé et le Président Ould Aziz sont entrés par effraction dans la crise, parce que la CEDEAO avait mandaté Buhari et Ellen Johnson Sirleaf. Nos deux voisins sont entrés par effraction dans la crise, non pas pour la paix, mais pour exfiltrer le plus grand ennemi du Sénégal. La chute de Jammeh est un «  lever de Soleil » pour la bataille de la paix en Casamance, où l’armée a gagné depuis longtemps la guerre malgré Jammeh, qui a toujours soutenu le Sénégal par la parole le jour et armé le Mfdc la nuit. L’engagement du Mfdc à ses côtés jusqu’au bout est la preuve de leurs relations coupables.
 
Nous avons la paix en Casamance parce que l’armée s’est donné les moyens de gagner la guerre au sud (frontière de la Guinée-Bissau) et au Nord (frontière gambienne). Le Mfdc a été cassé par l’armée. C’est la première fois que nous avons une si longue crise, commencée avec les transporteurs par Jammeh, sans qu’il n’use du Mfdc, son instrument de chantage, parce que son instrument n’existe plus sur le terrain. La crise en Casamance a toujours été le talon d’Achille du Sénégal. C’est pourquoi la Guinée- Bissau et la Gambie l’ont toujours utilisée alternativement et même parfois concomitamment, pour faire pression sur le Sénégal.
 
 Les démocraties ne se font pas la guerre. Elles préfèrent faire du commerce. Apres la Guinée-Bissau, une  Gambie démocratique va hâter le retour de la paix en Casamance, parce que ce qui reste du Mfdc n’aura plus aucun soutien. Une Gambie démocratique n’acceptera pas de servir de base arrière au Mfdc. Sur le plan politique, le Gabou ou l’axe Banjul-Bignona-Bissau, était le rêve du Mfdc. Il faut qu’il devienne celui du Sénégal, mais sur le plan économique.
 
Avec la Guinée-Bissau et la Gambie devenues démocratiques, le Sénégal doit avoir l’ambition de créer une zone de co-prospérité économique  du Sud. Cette zone de co-prospérité fera passer la Casamance, «du désenclavement économique à l’intégration sous-régionale»,  avec une nouvelle forme de régionalisation qui transcende les frontières des trois pays.
 
Oublions le projet de confédération politique et concentrons notre énergie sur cette zone de co-prospérité, qui partirait de Banjul à Bissau. C’est la meilleure façon de gagner la paix après que l’armée a gagné la guerre en Casamance.
 
Le Sénégal est certes le pays de la Teranga, mais il faut que ce soit une Téranga armée, c’est-à-dire faire du soft power comme payer les droits de la Can à la Guinée Bissau et du hard power (l’armée) comme nous l’avons fait pour plier le Néron de Banjul. Ces 2 semaines, le Sénégal a tenu son rang de puissance régionale en usant du soft power avec Bissau et du hard power avec Banjul. Néron est parti non pas parce qu’il voulait éviter une effusion de sang, mais parce qu’il était convaincu que le Sénégal ne bluffait pas. Ce ne sont pas les principes mais l’épée de Damoclès des soldats qui a été déterminante.
 
La page de la menace venant du Sud (Casamance, Guinée-Bissau, Gambie) se ferme il faut se préparer à celle venant de l’Est. Tôt ou tard, la France va se retirer du Mali et il n’est pas évident que ce pays puisse avoir de sitôt les capacités d’assurer sa défense face aux Touaregs et aux islamistes. N’eut été l’opération Serval, nous aurions aujourd’hui les hordes djihadistes à nos frontières. Préparons-nous au retrait des Français du Mali et dans l’hypothèse de défendre nos frontières face aux djihadistes.
 
La crise gambienne montre qu’il y a deux puissances ou deux Etats-pivots  en Afrique de l’Ouest : le Sénégal et le Nigéria. Cette crise marque aussi le retour du Nigéria. Il y a quelques années, c’est l’armée du Tchad qui intervenait au Nigéria pour traquer Boko Haram, parce que l’armée nigériane était à terre. Aujourd’hui, après avoir cassé Boko Haram, Buhari reprend sa place de puissance en envoyant des soldats à l’étranger pour régler une crise régionale. La crise en Casamance a commencé 6 mois après Fodé Kaba 2. L’intervention de l’armée du Sénégal en Gambie pour faire échouer le putsch de Koukoy Samba Sagna.
 
Avec Jammeh qui s’exile sous la menace de l’armée du Sénégal, le Mfdc cassé par l’armée depuis longtemps, ce qui reste perd son dernier soutien. Une page se ferme, si l’Etat du Sénégal se donne les moyens de gagner la paix après que l’armée a gagné la guerre. La paix n’a jamais été aussi proche. Il ne reste qu’au gouvernement à offrir une porte de sortie honorable au Mfdc comme l’avait fait Lincoln avec les sécessionnistes du sud. Le Général Ulysse Grant a gagné la guerre sur le terrain, mais c’est Lincoln qui a gagné la paix en offrant une porte de sortie honorable aux rebelles.
 
Aujourd’hui, la seule porte de sortie honorable pour le Mfdc est que le gouvernement reconnaisse que leur combat n’a pas été vain. Le Mfdc nous a au moins permis de repenser notre contrat social national, en passant de nation une et indivisible à nation plurielle mais indivisible. Est-ce que Macky Sall aura la même stature que Lincoln ? Nous le saurons dans 6 mois.

Yoro Dia
Politologue
diayero@gmail.com