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Les hommes politiques font-ils de bons écrivains ?

Rédigé par leral.net le Mercredi 7 Août 2013 à 17:14 | | 0 commentaire(s)|

Les hommes politiques font-ils de bons écrivains ?
« Je ne suis pas un romancier, je suis écrivain » disait Jean Paul Sartre.

Ce propos du « chantre » de l’existentialisme n’est pas une simple boutade colérique. Il pose la problématique essentielle de l’écriture. Si un romancier n’est pas forcément un écrivain, mais qu’est-ce qu’un écrivain ? Des monuments de la réflexion sur l’écriture comme Jacques Derrida et Maurice Blanchot se sont penchés sur le phénomène, et le résultat est étonnant. Nous pensons pour notre part, qu’il n’y a d’écriture véritable que lorsque la forme possède son propre contenu ; lorsque le texte contient une singularité, une tonalité, une « musique » qui n’a d’autre origine que le texte lui-même : voilà que débute l’écriture. Il ne suffit pas de tenir une belle histoire captivante pour être écrivain. La littérature n’est pas que Mimésis, quoi qu’en dise le monumental Erich Auerbach. Mais pouvons nous établir une relation de nécessité entre l’écriture et la politique ? Un écrivain n’est pas forcément politique. Mais là n’est pas la question.
Nous pouvons trouver en l’occurrence des hommes dont l’engagement intellectuel se prolonge par la politique et d’autres parmi la grande caste des « politiciens » qui prennent la direction inverse en allant de la politique à l’écriture. Cette continuité qui fonctionne dans les deux sens pose certainement un problème affairant à l’acte de création. Comme l’écriture, la politique est davantage un art qu’une science. La politique en tant que « discours » pris dans le sens foucaldien du mot est une forme d’écriture qui peut se donner à lire rien que dans la manière de gouverner. Le grand Charles De Gaulle fut un modèle de « gouvernement par la litote » ; quant à François Mitterrand il reste à ce jour le plus florentin des hommes politiques français. Le très sombre Adolf Hitler, par un parallélisme nocif, est allé très loin chercher les Walkyries dans la mythologie nordique pour agir et écrire son funeste projet. Le Napoléon de Max Gallo écrivait « avec la spontanéité d’un jeune homme et la force d’une pensée qui invente son style ». Léopold Sédar Senghor avait son langage politique, une manière de faire puisée à coup sûr dans ses « humanités ». Il cherchait la grandeur littéraire et politique à travers l’écriture et cette manière autoritaire de gouverner. Tout cela fait penser que la politique est cette matière malléable que les hommes politiques pétrissent et lui donnent une forme à leur guise. De là à glisser vers « l’écriture au sens scripturaire du mot », il n’y a qu’un pas.
En France, le pays où l’écriture est inscrite dans l’imaginaire sociale, les hommes politiques pensent naïvement que le succès en librairie est une bonne entrée en matière dans la chose politique. Ils sont rares les hommes politiques français qui n’ont pas écrit « quelque chose ». Des publications de toutes sortes aux fortunes diverses, certaines vite oubliées, trônent au fond des bibliothèques empoussiérées. Toute cette volonté ostentatoire de « faire de l’esprit » ne fait pas forcément de Sarkozy, Ségolène Royal ou Manuel Valls des écrivains patentés. Au contraire elle participe d’une sorte de rituel « creux » qui a fait dire à Michel Rocard que la France est atteinte de graphomanie. Un auteur de livres n’est pas forcément un écrivain.
Un écrivain possède forcément un style. Selon la formule de Schopenhauer : « Le style c’est avoir quelque chose à dire ». Le mot style est devenu banal mais le contenu est difficile. Autant dire de façon sommaire que lorsqu’on n’a rien à dire, il vaut mieux se taire. Ce n’est certainement pas l’avis de ces « politiciens » qui pensent que l’écriture est un passage obligé.
Lorsque l’on tente de pousser l’analyse jusqu’à ses derniers retranchements l’incursion des politiques dans le monde de l’écriture est une sorte d’effraction, une manière de pirater et « voler » l’esprit aux écrivains. L’écriture est un rituel prestigieux et les politiciens sont tentés par le prestige. Chez « les politiciens » l’écriture est davantage une tentation qu’une tentative.
Au reste, François Bayrou le béharnais prof de Lettres Classiques, est l’auteur d’une excellente biographie d'Henri IV, Le Roi libre, vendue à 300 000 exemplaires. Le très cultivé Jack Lang, brillant Juriste est l’auteur d’une vingtaine de livres dont « Lettre à André Malraux » publié en 1996, le sulfureux et très brillant économiste Dominique Strauss Kahn a écrit en autres livres « La flamme et la cendre », Alain Juppé le féru de lettres classiques, a profité de l’exil au Canada à la suite de ses ennuis judiciaires pour écrire « La tentation de Venise », Laurent Fabius le cacique à l’agrégation de lettres modernes a publié « Les blessures de la vérité » prix du livre politique en 1996 et « Le cabinet des douze » prix Montaigne de Bordeaux 2000. Quant au fameux Dominique de Villepin, « accusé » d’avoir une vision livresque de la France (un compliment plus qu’un reproche), il a une graine d’écrivain. Il est l’auteur de romans, poèmes et essais. Plusieurs de ses ouvrages ont été primés dont « La chute ou l’empire de la solitude ».Hormis les ouvrages littéraires de Villepin, toutes ces publications fort intéressantes ne font pas pour autant de ces braves messieurs des écrivains au sens littéraire du mot. Ils restent tout de même des auteurs cultivés et talentueux.
Tout ce concert d’écriture relève peut-être d’une tradition fondée sur le malentendu suivant : tous les grands écrivains français du 19ème sont des hommes politiques. Mais ce n’est pas la politique qui a fait de Victor Hugo ou Lamartine un écrivain, mais bien le contraire. Cette réflexion fondée sur un fait historique appelle certainement une typologie « universelle » des écrivains-hommes politiques :
-Nous avons d’abord les écrivains qui font œuvre de politique parmi lesquels trône en maitre « le plus grand poète français hélas ! »Victor Hugo dont l’engagement politique lui a valu l’exil à Guernesey. Il est l’auteur de textes politiques inédits et presque prémonitoires sur l’avenir de l’Europe. Son modèle, le grand chateaubriand et Lamartine furent de grands hommes politiques. Léopold Sédar Senghor serait entré en politique « tout à ait par hasard » en faisant des recherches dans les campagnes sénégalaises pour enrichir sa thèse inachevée. Aimé Césaire avant de militer et quitter le parti communiste français est d’abord un poète accompli dont l’incandescence n’a d’égal que la grande idée qu’il se fait l’homme. C’est un poète politique. Il n’est que de lire l’abondante bibliographie du professeur Cheikh Anta Diop, chercheur émérite, illustre égyptologue, secrétaire général du RND, pour être édifié sur la relation parfois « génétique » entre l’écriture et l’engagement politique. Ses écrits ont subit le même sort que son action politique. Frappé d’ostracisme, les étudiants de l’université qui porte son illustre nom ignorent aujourd’hui son œuvre pionnière .Vaclav Avel président de la république tchèque est un immense dramaturge dont la voix autorisée a salué la disparition de Tennessee William comme l’un des plus grands dramaturges du 20ème siècle. Que dire alors des André Malraux, Cheikh Hamidou Kane et Mario Varga Llosa dont on ne sait même pas par quelle opération du Saint-Esprit, ils se sont retrouvés dans le monde politique qui n’est pas le leur.
-Arrive alors, en second lieu, la catégorie des hommes politiques qui font œuvre d’écriture. L’écriture n’est pas un « métier » pour eux, mais leur grande culture et leur expérience politique n’ont pas manqué de provoquer le désir d’écriture chez eux. Ils ont peut-être écrit par « amitié » comme le dit Jack Kerouac. Savez-vous à ce propos que John Fitzgerald Kennedy a raflé le prestigieux prix Pulitzer en 1957 pour son ouvrage « Profile in courage » ? Au Sénégal feu Abdoulaye Ly fondateur de PRA-Sénégal est l’un des plus grands historiens d’Afrique, lisez « La compagnie du Sénégal ». Quant à Lamine Gueye il n’a pas pris le temps d’écrire un ouvrage digne de son grand talent ; son « Itinéraire Africain » entre autres textes reste insuffisant pour un homme aussi instruit. Le président Mamadou Dia instituteur de métier est un homme étonnant par le « niveau doctoral » de son œuvre prolixe et éclectique qui va de la théologie à l’économie en passant par l’anthropologie ; ses « Mémoires d’un militant du tiers monde » sont l’un des textes politiques les plus « larmoyants ». Beaucoup de lecteurs ont pleuré après avoir lu ce livre. Ces mémoires larmoyants de vérité restent un avis aux futurs auteurs de vrais mémoires ou de vrais faux mémoires. Qu’ils fassent attention ! Les lecteurs et les témoins sont vigilants et veillent au grain. A ce propos « Le petit berger peulh au service de la République » de Monsieur Djibo Leyti Ka recèle des erreurs factuelles graves et peut-être volontaires, selon des témoins.
Que dire des Moustapha Niasse, Habib Thiam, Abdou Diouf et même du taciturne Ousmane Tanor Dieng ? Personne ne leur pardonnera de ne pas écrire leurs « Mémoires » tant leur présence au sommet de l’Etat a été longue. Les curieux lecteurs attendent de Monsieur Habib Thiam plus que son très personnel « Par devoir et par amitié ». Les mémoires font partie de l’historiographie moderne. Mais attention ! Les « diplomates » entretiennent un certain quiproquo avec la vérité historique. Le controversé Henry Kissinger l’a reconnu après en avoir fait les frais. Par ailleurs, il y a une bonne catégorie de politiciens dont les mémoires n’auront aucune forme de crédit à cause de la tortuosité de leur auteur. Quant au « très intéressant » Abdoulaye Wade il vaut mieux que des « écrivains sérieux » se chargent de sa biographie. Ce sera plus crédible ! « Un destin pour l’Afrique » qu’il a publié n’est pas un livre suffisant pour connaitre les convictions de l’homme. Au reste il est dommage que les mémoires du Professeur Assane Seck « Sénégal, émergence d'une démocratie moderne, (1945-2005) : un itinéraire politique (préface de Djibril Samb), 2005, n’aient pas du tout provoqué un « événement éditorial ».
Parmi les hommes de la gauche classique, Majmout Diop est l’auteur d’écrits politiques à caractère idéologique mais s’il avait publié ses mémoires ! Un Landing Savané n’a jamais continué et valorisé sa carrière de « jeune poète » de la gauche, ses textes poétiques restent méconnus, El Hadji Momar Samb a passé de justesse à coté du grand prix du chef de l’Etat pour les lettres avec « Ces dames de silex ». Le plus grand regret éditorial et intellectuel reste à ce jour le valeureux Tidiane Baydy Ly. Les Mémoires de ce conquistador de la liberté auraient pu nous éclairer sur l’historique Parti Africain de l’Indépendance. Amath Dansokho et Abdoulaye Bathily gagneraient à nous dire dans un livre à deux mains pourquoi « le grand soir » ne s’est jamais réalisé au Sénégal. Ce serait une expérience intellectuelle et militante inédite.
-Enfin s’approchent honteux les premiers à la queue, ceux qui seront condamnés par illettrisme à ne rien publier. Même pas de « Mémoires » ; ils mourront anonymes, la pire des fins pour un homme politique ; pas de gloire politique encore moins de gloire littéraire, gisant sans nom au cimetière de l’oubli.



Khalifa TOURE, Analyste politique et culturel
Sidimohamedkhalifa72@gmail.com