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Les non-dits d'une allégeance

Moustapha Niasse a vendu son parti à l’encan au président Macky Sall ce 10 mars au cours d’une réunion de son politburo (le mot est bien choisi pour montrer la pensée unique qui règne au sein de l’Afp). Tenaillé par le prestige et les passe-droits que lui confère son poste de président de l’Assemblée nationale, il s’est livré pieds et poings liés au Seigneur Macky Sall. Cet acte d’allégeance pose un problème de démocratie interne et d’éthique politique.


Rédigé par leral.net le Mardi 18 Mars 2014 à 19:24 | | 0 commentaire(s)|

Les non-dits d'une allégeance
En 1996, quand Abdou Diouf imposait dans un congrès sans débat Ousmane Tanor Dieng comme Premier secrétaire du Parti socialiste (Ps), Moustapha Niasse a été le premier à désapprouver une telle mesure qui allait à l’encontre de la volonté des militants socialistes.

D’ailleurs, pour marquer son coup de colère, l’alors ministre des Affaires étrangères du gouvernement d’Habib Thiam (du 15 mars 1995), depuis l’étranger où il se trouvait, avait refusé lors du remaniement du 3 juillet 1998 de faire partie du gouvernement dirigé par Mamadou Lamine Loum.

La suite, on la connait. Le 9 mars 1999, le cardinal Hyacinthe Thiandoum dresse un portrait élogieux de Moustapha Niasse dans le magazine "Jeune Afrique" et regrette son effacement politique depuis son départ du ministère des Affaires Etrangères. Il déclare : "J'attendais comme successeur Moustapha Niasse. Jusqu'à maintenant, il a gardé le silence, et il a eu raison. Mais le moment va venir où il faudra qu'on sache où il se situe sur l'échiquier politique. Il lui faut se positionner dès à présent pour l'avenir, quand Diouf va se retirer. S'il ne m'appelle pas, c'est moi qui vais lui téléphoner, pour le sonder. Pour moi, c'est le candidat idéal : intelligent, formé par Senghor. Il connaît le pays, il est l'ami des Arabes et affiche une grande ouverture d'esprit à l'égard du christianisme."

L’espoir de conquête du pouvoir cède au désespoir des échecs répétitifs

Après mars 1999, Moustapha Niasse prépare méticuleusement son entrée en scène politique qui n'a pour seul but que de conquérir le palais présidentiel. Il l'indique clairement dans son message du 16 juin 1999 : "Des ruptures sont parfois nécessaires quand vient le temps du destin ; je suis prêt, je les accepte. Pour toutes ces raisons, la voie dans laquelle j’ai décidé de m’engager dans les semaines à venir s'inscrit dans la durée et se situe au niveau le plus élevé du sacrifice pour l'intérêt de tout un peuple pour les échéances immédiates et les échéances à venir."

Ce 16 juin 1999 fut alors le point fort de départ pour une mobilisation autour de Moustapha Niasse de Sénégalais qui vont s'engager à ses côtés, hommes, femmes, jeunes de tous les horizons, de toutes les sensibilités politiques, dans un formidable élan, vecteur propre d'espoirs et d'espérances pour le changement dans la dignité, la solidarité et la tolérance.

Et le 18 juillet 1999, Moustapha Niasse va créer l'Alliance des Forces de Progrès (Afp) au cours d'un voyage au Burundi dans le cadre de sa mission d'Envoyé spécial des Nations Unies dans les pays des Grands lacs. Ses ambitions présidentielles sont nettement indiquées dans l’article 2, alinéa 3 des statuts de l’Afp : ''L'Alliance des Forces de Progrès vise la conquête du pouvoir par la voie du suffrage, le développement du Sénégal aux plans culturel, économique et social ainsi que l'avènement d'un Etat socialiste, laïc et démocratique s'inspirant des valeurs spirituelles et de solidarité qui fondent l'unité nationale du pays."

Après trois échecs successifs aux élections présidentielles de 2000, 2007 et 2012, le vieux "progressiste", recasé à l’Assemblée nationale par le président Macky Sall qui a voulu lui tenir la bride, renie ses convictions de changements et se rend à Canossa.

Aujourd’hui après l’espoir de 1996, qui consacre l’acte fondateur de l’Afp, Niasse cède au désespoir des échecs répétitifs de 2000 à 2012. L’allégeance du 10 mars 2014 a éteint la flamme de l’espoir de 1996 atrophiée par toute une série de désillusions et de déboires.

Egocentrisme politique

Moustapha Niasse s’est renié. Mais c’est sa logique politique. Occuper le perchoir jusqu’en 2017 année pendant laquelle, le président Macky Sall donnera un second rendez-vous aux électeurs pour solliciter leurs suffrages, et vouloir présenter une candidature de l’Afp est une aberration politique.

On ne peut pas défier quelqu’un qui vous a nommé (j’insiste) président de la 2e institution de la République. On ne peut pas faire le bilan critique d’une gestion dont on est comptable littéralement.

Et une chose est sûre : si le président Macky Sall est réélu en 2017, le leader de l’Afp qui se satisfait, après 12 ans de disette politique, de la présidence de l’institution de la place Soweto voudra continuer à jouir des voluptés du perchoir jusqu’au terme du mandat présidentiel en 2022.

Hélas, ce reniement de Niasse pose un problème de démocratie interne au sein de l’Afp, son parti. Si le leader de l’Afp a eu le toupet de marteler cet oukase au cours de son fameux politburo : "Rien ni personne ne me poussera à être déloyal et personne ne détruira ma relation avec le président de la République Macky Sall. Par loyauté, l’Alliance des forces de progrès exclut toute idée d’affronter le parti au pouvoir, l’Alliance pour la République, à la présidentielle de 2017… Celui qui veut s’opposer, je ne le financerai pas."

C’est la pensée unique dans toute sa splendeur. Et Niasse de donner le coup de massue à ces jeunes loups qui pensent lui succéder à la tête du parti : "Tant qu’il me restera un souffle de vie, je serai à la tête de l’Afp."

Cette posture conjoncturelle dictée par les opportunismes et les intérêts du moment détonne avec sa déclaration faite lors du dernier Congrès de la LD où Abdoulaye Bathily a cédé son fauteuil à Mamadou Ndoye : "Cela fait trois ans que je demande mon départ mais, j’attends que le parti me libère car, cela ne dépend pas de moi. Je demanderai à Abdoulaye Bathily de m’aider et me dire comment il a fait pour se libérer de la tête de son parti."

Au vu de ce qui s’est passé lundi, quelle est la validité politique d’une telle déclaration qui n’engage aucune instance délibérante de l’Afp ? Quel intérêt réel pourrait-on accorder aux errements et aux élucubrations d'une momie politique depuis longtemps déconnectée des réalités de son parti et dont la praxis a toujours privilégié le griotisme, la roublardise, l'égocentrisme, l'ingratitude débridée et les déclarations mal pensées au détriment de méthodes de communication plus réfléchies ?

Quid des jeunes loups qui ont des ambitions pour leur carrière puisque le progressiste en chef, âgé aujourd’hui de 75 ans, a son avenir politique derrière lui ?

Sans doute, Malick Gackou, officieusement N°2 de l’Afp, et Mbaye Dione, patron régional de l’Afp à Thiès et d’autres moins soumis au despote Niasse, sonneront la révolte pour éviter d’être enterrés en même temps que leur parti dont l’oraison funèbre a été prononcée le 10 mars passé lors d’une messe politique dirigée par M. Moustapha Niasse.

Seuls des zélotes comme Malick Diop et Alioune Sarr et quelques autres qui vivent des ors du pouvoir avec leur mentor courberont l’échine jusqu’à 2017. De là, il faut voir une implosion du parti ou s’attendre à des départs massifs vers d’autres horizons politiques où la trahison, la soumission et le despotisme ne font pas la loi de la gouvernance des partis.

Moustapha Niasse, un as du contorsionnisme politique

Pour comprendre l’allégeance de Niasse, il est nécessaire de faire une analyse rétrospective sur le comportement allégeant de l’homme depuis les années 80.

Si, en 1981, année du départ du président Léopold Sédar Senghor du pouvoir, le tout nouveau président nouvellement installé en l’occurrence Abdou Diouf n’a pas songé une seule fois à le nommer Premier ministre comme son prédécesseur le lui avait recommandé, s’il en a fait le plus éphémère Premier ministre de l’histoire politique du Sénégal (du 3 avril 1983 au 29 avril 1983), s’il a osé imposer Ousmane Tanor Dieng en 1996 comme Premier secrétaire du Ps au moment où des éléphants comme Moustapha Niasse et Djibo Ka avaient plus de légitimité pour occuper l’instance faîtière du Ps, c’est parce que jamais Moustapha Niasse n’a su se tailler une dimension de leader.

Il a toujours eu une étoffe d’éternel second, toujours à la remorque des autres. Le cas de Niasse est triste et désespérant. Il est un traître aux yeux de bon nombre de ses compatriotes et n'a aucune conviction politique. Il fait semblant de faire de la politique mais, en réalité, il n’en fait pas.

Ce qui lui importe, c’est son image et ses intérêts. C’est quelqu’un qui a des atomes crochus avec l’ex-président ivoirien du Conseil économique et social sous l’ère Gbagbo, Laurent Dona Fologo, lequel donne la meilleure et réaliste définition de la politique : "La politique est la saine appréciation des réalités du moment. L’homme politique doit savoir changer son fusil d’épaule. La ligne politique n’est pas une ligne droite."

Et Fologo, agacé par les Ivoiriens qui moquaient ses contorsions politiques, d’asséner toute honte bue : "On ne crée pas un parti politique pour accéder au pouvoir. C’est une erreur. J’ai créé ce parti pour apporter ma contribution à la consolidation de notre pays. Tout le monde ne peut pas être ministre ou président. Que chacun fasse bien ce qu’il a à faire ! D’ailleurs, qu’est-ce que cela peut bien faire aux gens si je mange à toutes les tables ?"

Moustapha Niasse, devenu un as du contorsionnisme politique, pourra très bien se mirer dans les propos honteux du leader du président du Rassemblement pour le progrès, la paix et partage (Rppp).

De Taphus Clay à Edgar Faure

Moustapha Niasse est resté dans les annales politiques sénégalaises comme ayant été l’homme qui a donné un coup de poing mémorable à un certain Djibo Laïty Ka, un de ses rivaux au sein du Parti socialiste, au cours d’une réunion restée mémorable du Bureau politique de cette formation alors au pouvoir.

Parce que l’actuel leader de l’Union pour le Renouveau démocratique (Urd), et as de la contorsion politique lui aussi, avait tenu des propos qui n’avaient pas eu l’heur de lui plaire, Niasse l’avait giflé. C’était en 1984 si nos souvenirs sont exacts.

Pour ce haut fait de gloire, les journaux satiriques de l’époque l’avaient d’ailleurs surnommé "Taphus Clay", en référence au fameux champion du monde de boxe de poids lourd Cassius Clay qui s’était ensuite converti à l’Islam sous le nom de Mohamed Aly.

D’une manière générale, le contorsionnisme politique de Niasse nous rappelle celui d’Edgar Faure, célèbre homme politique français de la Quatrième République et qui était de tous les régimes. Faure avait à ce point la manie de changer d’idéologie politique qu’il avait été surnommé "la girouette".

Et lui, répondait à ses détracteurs ceci : "Ce n’est pas moi qui tourne, c’est le vent !" Moustapha Niasse pourrait donner la même réponse aujourd’hui à ses contempteurs…

Serigne Saliou Guèye

Le Témoin


*** Phrase empruntée à Laurent Dona Fologo, homme politique Ivoirien, président du Conseil Economique et Social (2010-2011) sous Gbagbo.