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Lutte sénégalaise, le monde de la tricherie

A chaque saison de lutte ses problèmes. Et celle qui se termine le 31 juillet courant ne déroge pas à la règle, si elle n’est pas la pire. Procès en justice, transhumance, règlements modifiés en cours de saison, verdicts contestés, sanctions arbitraires, combats insipides et sans enjeux, longue trêve pendant les élections et volonté affichée des promoteurs de plafonner les cachets ; tout y était pour que les acteurs de la lutte veuillent oublier, très rapidement, une telle saison.


Rédigé par leral.net le Samedi 21 Juillet 2012 à 11:22 | | 0 commentaire(s)|

Lutte sénégalaise, le monde de la tricherie
Meïssa Diaw alias "Boy Kaïré", président de l’Association des lutteurs professionnels en activités, dans un entretien accordée au quotidien "Le Pays" (édition du vendredi 20 juillet 2012), a donné la position de son organisation sur l’intention des promoteurs de verrouiller les cachets payés pour les grands combats. Naturellement, une telle décision ne peut emporter l’adhésion des pratiquants, même si les cachets incriminés ne concernent qu’une petite pognée de champions. Car tout lutteur, quel que soit le niveau auquel il se trouve, ne rêve que de devenir "Roi des arènes" et de gagner beaucoup de millions, à l’instar de ceux que l’on appelle les "VIP".

Boy Kaïré et compagnie ont-ils les moyens de se battre contre ces promoteurs ? Non, très certainement, car il ne s’agit pas là de se battre, il faut plutôt s’entendre. Mais s’entendre avec qui et sur quoi ? La vérité est que l’arène sénégalaise de lutte avec frappe est le lieu par excellence de la menterie. Au sein des écuries et écoles de lutte, l’unité est toujours de façade. Prenez l’exemple des plus grandes structures et vous vous rendrez compte du grand écart entre l’excellence affichée et la médiocrité qui y a cours.



Ecuries en péril...

Balla Gaye 1 n’a pas arrêté de se plaindre de l’absence chronique des ténors de son école de lutte et leur désintérêt pour les combats de leurs jeunes collègues. Balla Gaye 2, Elton et Less 2, en effet, ont déserté l’école 6 de Guédiawaye depuis l’alignement de leur directeur technique derrière l’ancien président, Abdoulaye Wade, et l’éviction de leur ancien bienfaiteur, El Hadj Malick Gackou. Ce malaise a miné cette structure, durant toute la saison, même si l’effet BG2 a rassemblée tout le monde autour du champion.

A Fass, c’est plus un groupe de francs-tireurs qu’une équipe soudée avec, à sa tête, un leader irréprochable. Démission/renvoi de Boy Nar, menace d’exclusion de Moustapha Guèye n°2, qui titre à boulets rouges sur son «homonyme», par ailleurs deuxième "Tigre de Fass" et nouveau directeur technique de l’écurie, mise à l’écart de Balla Diouf lors de la préparation du combat Gris Bordeaux-Modou Lô, absence des membres de l’écurie au dernier combat de Ouza n°2... Autant d’impairs qui permettent de croire que Fass «est en eaux troubles». Ce que confirment du reste les propos de Balla Diouf qui, dans une interview à "l’Observateur" (jeudi 19 juillet), affirme que «Fass n’a qu’un seul dirigeant, le président». Balla «Cœur de Lion» a même indexé son ancien mentor, Moustapha Guèye, qu’il accuse de s’être «désintéressé de l’écurie depuis sa retraite», arguant son nouveau statut de consultant d’une chaîne de télévision qui lui impose, par déontologie, «une certaine neutralité entre les écuries et les lutteurs». Et la réplique de Balla Diouf est d’une pertinence à vous couper le souffle : «Père Balla Gaye n’est-il pas consultant d’une chaîne de télévision ? Pourtant, cela ne l’empêche pas de diriger la meilleure école de lutte de la place et, malgré tout, tous les lutteurs des autres écuries lui vouent le même respect, même les adversaires de ses poulains».



Litiges, favoritisme et cachets exorbitants...

Bref, la saison de lutte 2011-2012 s’est terminée comme elle avait commencé, c’est-à-dire dans le chaos et les tiraillements. Hier, c’était l’ouverture du premier procès en matière de lutte, entre Luc Nicolaï et Eumeu Sène, et ils attendent le verdict du tribunal. Aujourd’hui, c’est Gris Bordeaux qui saisit le CNG pour revendiquer «sa victoire», après avoir été déclaré vaincu pour cumul d’avertissements, chargeant au passage l’instance de direction de la lutte, dont Modou Lô serait «le chouchou», selon ses dires. Ce sentiment de favoritisme est d’ailleurs largement partagé par de nombreux lutteurs, longtemps frustrés par des décisions souvent très fantaisistes.

Enfin, la dernière des dernières, la volonté de certains promoteurs de stopper la flambée des cachets qu’ils ont instaurée eux-mêmes. Cette course effrénée a coulé nombre d’entre eux, aujourd’hui relégués au statut de figurants, alors qu’il y a seulement deux saisons, ils se réclamaient de «promoteurs du continent». Essoufflés et très endettés, ils en veulent particulièrement à ces ténors, dont ils ont porté la valeur marchande au-delà de la centaine de millions et qui leur refuse aujourd’hui la moindre concession. Alors, sont-ils parvenus à convaincre les «petits promoteurs», qui n’ont jamais payé plus de 30 millions - pour les plus dynamiques - de se liguer (une seconde fois, la première de 2002 ayant avorté) pour stopper la saignée.

Tels des sous-marins, les plus nantis n’hésiteront pas, à la première occasion, d’enlever le pain de la bouche des «petits promoteurs», dès qu’ils auront des visées sur les combats qui passionnent. Et malgré le gentleman-agreement passé récemment entre promoteurs pour fixer la barre à 75 millions Fcfa au plus, ceux qui l’ont instauré seront les premiers à «faire des rallonges secrètes» - pour ne pas utiliser le jargon de la lutte qui parle de «dessous de table» - qu’ils présenteront comme «un cachet de sponsoring». Alors, qui trompe qui ?



Des lutteurs conscients et organisés

Et l’idée lancée par Gris Bordeaux, lors de leur conférence de presse d’après-combat (avec Madou Lô), jeudi soir sur 2STV, de «créer une cellule de réflexion de tous les ténors de l’arène» afin de défendre leurs intérêts, ne semble pas être tombée dans l’oreille d’un sourd, car c’est son adversaire du 15 juillet dernier qui a été le premier à dire son engagement et sa disponibilité à œuvrer dans ce sens. Il est presque sûr que tous les VIP, qui aspirent à gagner autant d’argent que Yékini, Tyson et Balla Gaye 2, seuls à avoir empoché 100 millions, à ce jour, vont adhérer à cette proposition. Et, au besoin, ils pourraient même décider d’en arriver à décréter un mouvement d’humeur.

C’est cela la vie dans l’arène de lutte sénégalaise avec frappe, qui ressemble à biens des égards à un cirque, où chaque clown est payé pour faire son numéro et s’effacer. Pourtant, des idées ont toujours été dégagées pour professionnaliser la lutte, après une longue tentative d’assainissement qui tarde à faire ses preuves. Maintenant, il ne s’agit plus d’assainir, mais de professionnaliser. La période de trêve, qui débute le 1er août prochain, et ce mois béni de ramadan inspireront-ils les acteurs pour que la réflexion soit approfondie ?



SERIGNE MOUR DIOP lesenegalais.net

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