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M. Ibrahima Macodou Fall, PDG de la NSTS : « Il faut rompre avec les pratiques qui ont mis à genoux notre tissu industriel »


Rédigé par leral.net le Vendredi 5 Septembre 2014 à 14:06 | | 0 commentaire(s)|

M. Ibrahima Macodou Fall, PDG de la NSTS : « Il faut rompre avec les pratiques qui ont mis à genoux notre tissu industriel »
M. Fall, le Pr Moustapha Kassé s’est exprimé récemment sur notre retard industriel qu’il impute en partie à la mort du textile qui, dit-il, a partout impulsé le développement économique. Dans quelle mesure partagez-vous cet avis ?

Le professeur Kassé a effectivement fait un vibrant plaidoyer pour l’industrialisation du continent, en insistant particulièrement sur l’importance du secteur textile dans ce processus au Sénégal. Je partage totalement son point de vue et ses analyses. Tous les observateurs avertis s’accordent sur l’importance d’une industrie textile dans l’économie d’un pays comme le nôtre. L’histoire économique nous enseigne aussi que plusieurs pays avancés et émergents ont élaboré des stratégies d’industrialisation reposant sur le développement d’industries légères de transformation, telles que l’industrie textile. Il est établi enfin que ce secteur constitue incontestablement le secteur manufacturier offrant le plus d’opportunités en termes de création d’emplois et de valeur ajoutée, de par les synergies e les effets d’entraînement qu’il crée. Il est grand pourvoyeur d’emplois et très consommateur de services, sans compter son rôle de soutien et de dynamisation du secteur agricole artisanal. L’effondrement d’un tel secteur dans un pays affaiblit ses fondements économiques. La crise que traverse notre industrie textile bâtie depuis les années 60, a effectivement impacté négativement notre croissance économique, et, en conséquence a contribué à creuser notre retard sur le plan du développement industriel et économique. Les statistiques attestent que la valeur ajoutée manufacturière par habitant dans notre pays s’est effondrée et est inférieure aujourd’hui à son niveau d’il y 20 ans. M. Kassé a bien raison.

Vous avez activement participé à la réflexion sur le secteur, laquelle n’a toujours pas produit de résultats. Quel est le diagnostic ?

C’est vrai que depuis de longues années, je défends l’idée que le secteur textile doit être au cœur de nos stratégies de développement industriel et économique. Plusieurs études et réflexions ont été menées ces dernières années sur les problèmes du secteur. De nombreuses recommandations ont été faites, mais le déclic n’a pas eu lieu. Maintenant, de grandes institutions internationales qui accompagnent nos Etats dans la formulation de leurs politiques économiques élèvent la voix, et invitent nos dirigeants à promouvoir l’industrialisation dans leurs pays. Elles les exhortent à la transformation e leurs économies au moyen d’une stratégie d’industrialisation fondée sur la valorisation des matières premières telles que le coton. Vous voyez bien qu’il a une grande évolution au plan de la réflexion et des choix de politiques économiques. Mais, malgré toutes les réflexions menées sur le secteur et sa place dans la stratégie de croissance accélérée –SCA-, le diagnostic est sans appel, la situation de l’industrie textile dans notre pays, s’est lourdement détériorée ces dix (10) dernières années. Les industries du secteur ont souffert d’une dégradation de leur environnement, due à un immobilisme incompréhensible de l’Etat, et à l’absence d’une stratégie industrielle pertinente face à une concurrence asiatique dévastatrice. Cette situation a fini par entrainer la fermeture du coton : ICOTAF, CCV, NSTS, FTT, SOTEXKA, des industries d’impression : SESEFIL, SOTIBA, COSETEX, ICOTAF et de confection industrielle : INDOSEN. Le secteur est totalement sinistré. Le Sénégal ne transforme plus un gramme de son coton produit, après avoir atteint un taux de transformation de l’ordre de 40% en 1998. Il se retrouve dernier des pays de l’UEMOA producteur de coton et disposant d’industries textiles. Finalement, à cause de plusieurs facteurs internes et exogènes, l’industrie textile n’a pas pu exploiter tous les atouts dont elle dispose. N’étant plus compétitive ni dans son marché intérieur, ni sur le marché international, elle est entrée dans une crise profonde.

Les autorités semblent être dans de bonnes dispositions avec le PSE, puisque le Prsident Macky Sall a annoncé certaines reprises. Comment envisagez-vous le renouveau ?

Absolument, les choses ont beaucoup changé depuis l’arrivée du Président Macky Sall à la tête de notre pays. Il faut reconnaître qu’il a posé des actes qui marquent des ruptures fondamentales pour un cadre meilleur et propice à l’essor économique. L’adhésion de la communauté internationale au Plan Emergent qu’il a initié en est un témoignage éloquent. Une marque de confiance en notre pays et un signal fort du monde des affaires ont été exprimés. C’est incontestable. Notre pays, au cours de ces deux dernières années, a opéré des ruptures et a entrepris d’importantes réformes économiques appréciées par nos partenaires. Plusieurs initiatives gouvernementales récentes marquent des changements qui du reste, demeurent favorables à la relance de ce secteur sinistré. On peut citer : la reprise du dialogue entre l’Etat et les vrais acteurs du secteur, les mesures de soutien envisagées par l’Etat pour les entreprises en difficultés, la volonté d’assurer à l’artisanat, un dispositif d’approvisionnement local, le renforcement des instruments de financement des investissements tels que, la BNDE, le FONSIS et le FONGIP, le focus sur le problème de l’énergie qui demeure un facteur essentiel dans le processus de développement d’une industrie textile, etc. L’Etat a exprimé la volonté de soutenir le déploiement industriel en renforçant la compétitivité des industries de transformation des productions du secteur primaire, et d’accélérer le processus de développement industriel à travers la réalisation de plateformes industrielles intégrées dans le cadre du Plan Sénégal Emergent (PSE). Le textile a toute sa place dans ce plan. Très honnêtement, un cadre favorable à l’investissement est en train de se construire et en conséquence, va permettre au secteur de se redéployer.

Comment y arriver face à la puissance de certains pays comme la Chine ?

Vous savez, dès qu’on parle de relance de l’industrie textile, effectivement on suscite de nombreuses interrogations en raison de l’état du secteur, et de l’hégémonie de la Chine dans le secteur. Mais, il faut savoir que le contexte actuel ouvre des voies de solutions pour une renouveau industriel dans notre pays en dépit de la crise. C’est vrai et j’insiste, de réelles possibilités d’avenir s’offrent à notre industrie textile en considérant les mutations qui se sont opérées au plan international et les ruptures observées au plan national. En réalité, le succès des plans dépend de nous-mêmes. Si le Sénégal décidait de développer des plateformes spécialisées dédiées à la production de vêtements en partenariat avec des privés dans le cadre du PSE, les bailleurs de fonds nous suivraient. Je n’ai aucun doute là-dessus. Le PSE, c’est d’abord notre affaire avant d’être celle des autres et notre pays dispose, pour le développement du textile, d’atouts sérieux à faire valoir.

Lesquels ?

Notre pays est stable. Nous avons un marché intérieur fort que j’estime à près de 300 milliards F Cfa par an. En effet sur la base des statistiques de 2012, et en considérant la dépense textile annuelle par habitant au Sénégal estimée à environ 4,5% du Pib, elle s’établit à 2.000 F Cfa, soit 300 milliards Cfa par an pour les 13,7 millions de sénégalais. Vous conviendrez avec moi que cette hypothèse est relativement basse au regard de nos habitudes de consommation textile. Trois cent milliards Cfa, c’est plus que la dépense en riz du Sénégal ! Ets-ce que nous allons continuer à donner du travail aux autres et nous en priver ? En plus, le Sénégal qui appartient à deux espaces économiques, celui de l’UMEOA et de la CEDEAO, est à la fois gros consommateur de produits textiles et gros producteur de coton. Nous disposons d’une position géographique privilégiée, d’un savoir-faire avéré de la création et le design, d’un secteur textile artisanat fort et dynamique dans le tissage, l’impression et la confection, d’une proximité de marchés gros consommateurs d’intrants textiles comme le Maroc, d’un potentiel important d’accroissement de notre production cotonnière, etc. C’est tout cela qui va permettre le renouveau industriel car notre pays a tous les moyens pour se doter d’une industrie textile viable et compétitive capable de répondre aux besoins du marché intérieur et à la demande des marchés d’exportation.

Comment ?

Il faut d’abord rompre définitivement avec les pratiques qui ont mis à genoux notre tissu industriel. Le dispositif de relance doit privilégier la création d’un climat d’affaires sain favorisant le dialogue et la concertation entre les décideurs et les professionnels du secteur. Ensuite, des mesures concrètes sont nécessaires pour la mise à niveau des outils de production, et l’amélioration des conditions d’exploitation. Pour le financement des investissements, les entreprises ont besoin de ressources longues à des taux compétitifs. Des initiatives importantes ont été déjà lancées dans ce cadre. Il faut s’en féliciter. Il faudra nécessairement définir un cadre favorisant l’intégration de la filière et le renforcement de la compétitivité des entreprises notamment au plan réglementaire et fiscal. Enfin, des actions énergiques pour lutter contre la fraude et accélérer la mise en place de dispositifs de formation professionnelle pour préparer les compétences nécessaires au développement de l’industrie devraient être mises en œuvre. Dans ces conditions, notre pays pourra relancer durablement son secteur textile, et attirer de nouveaux investissements.

Il reste que la matière première fait défaut. Que préconisez-vous pour y pallier ?

La matière première, le coton n’a jamais fait défaut au Sénégal. C’est sa disponibilité pour l’industrie textile locale dans des conditions compétitives qui pose problème. Notre pays produit certes une quantité faible par rapport au Mali et au Burkina, mais celle-ci dépasse largement les capacités industrielles installées. Les seules questions qu’on devrait se pose aujourd’hui portent sur les voies et moyens pour augmenter significativement notre production cotonnière qui stagne à 50.000 tonnes de coton graine, comment améliorer les revenus de nos producteurs, et comment doter notre pays d’infrastructures industrielles fortes de transformation capables de proposer une offre globale, c’est-à-dire depuis la production du coton jusqu’à la fabrication du produit fini. C’est en cela que notre pays tirerait des avantages économiques réels en termes de création de valeur ajoutée et d’emplois et de sécurisation de notre production agricole. Continuer à exporter le coton au détriment de sa transformation, est une grande aberration économique pour un pays comme le nôtre qui cherche les voies de l’émergence économique.

La concurrence sera tout de même difficilement tenable avec les asiatiques et les « Feug Jaay ». Des mesures de sauvegarde sont-elles envisageables alors qu’on approche de la fin des moratoires ?

Nous sommes dans une économie mondialisées, la concurrence sera toujours rude et plus forte, mais les conditions concurrentielles changent et les marchés évoluent. Savez-vous que le coût de la minute de confection au Sénégal est aujourd’hui inférieur de la Chine ? Nous avons des forces et des faiblesses parfaitement identifiées. Des mesures nécessaires pour lever les freins à notre compétitivité et pour relancer l’investissement dans le secteur. Les asiatiques ont fait ce qu’il fallait pour construire une industrie textile forte ; il nous appartient, à nous, d’élaborer une politique et des stratégies pour améliorer notre compétitivité et prendre notre part au partage de ce gigantesque marché du textile. En incitant les indiens à produire leurs propres étoffes pour ne plus dépendre des tissus provenant des tissages anglais, Mahatma Gandhi a fait de l’Inde l’un des plus grands pays textile du monde. Aujourd’hui l’industrie textile indienne constitue la plus grande source de devises de l’Inde, emploie plus de 38 millions de personnes et représente environ 8% du produit intérieur brut du pays, 20% de la production industrielle et 30% des exportations. Chaque pays élabore ses stratégies pour développer son industrie textile. Prenons aussi l’exemple de la Chine. Pour renforcer sa position dominante et protéger ses industries des fluctuations des cours du coton, la Chine est en train de mener une politique de stockage public du coton. Il faut admettre que la compétitivité se construit et partout dans le monde, on s’adapte et on réagit en fonction de ses objectifs stratégiques et de ses propres intérêts économiques. S’agissant du « Feug Jaay », c’est-à-dire la friperie, si le Sénégal décidait de sa disparition de nos marchés dans les prochaines années, il pourrait y arriver comme d’autres pays.

Comment peut-on éliminer la friperie de nos marchés ?

Il faut un traitement industriel du problème de la friperie. Pour éradiquer ce mal, il faudra mettre en œuvre toute une politique de promotion de la confection industrielle et artisanale au plan national. Il faudra former des milliers de jeunes dans les métiers de la confection, soutenir le financement des équipements nécessaires à l’implantation des plateformes de confection et appliquer une fiscalité appropriée à la friperie et aux intrants textiles. Lorsque le produit neuf est proposé au prix de la friperie, celle-ci disparaîtra tout naturellement. Cela est tout à fait réalisable. C’est une question de choix économiques et de la volonté politique. La friperie est source de pauvreté, il faut des solutions industrielles pour l’éradiquer.

Quels messages lanceriez-vous aux autorités et aux acteurs du secteur ?

Le secteur textile constitue incontestablement un secteur important dans le processus d’émergence de notre pays du fait de son interdépendance avec l’agriculture et de sa capacité à générer de la valeur ajoutée et des emplois. La mondialisation, l’évolution des marchés, et la recherche effrénée d’une compétitivité plus grande pour répondre à une demande en quantité, qualité, prix et délai imposent de nouveaux comportements et ont fondamentalement bouleversé le déplacement de l’investissement dans l’industrie textile mondiale. Notre pays dispose d’atouts qui lui permettent un positionnement stratégique dans cette nouvelle recomposition et de s’intégrer dans le commerce mondial du textile et de l’habillement. La relance de notre industrie va exiger du temps et des moyens importants. Elle oblige toutes les parties prenantes à œuvrer dans une stratégie cohérente et bien comprise. L’Etat a un rôle déterminant car aucun pays du monde n’a pu développer son secteur textile sans l’implication de l’Etat. Son importance au plan économique en termes d’enjeu pour l’emploi et pour la création de valeur ajoutée, justifie que tout doit être mis en œuvre pour sa relance et son développement. Le processus nécessite donc l’implication forte de l’Etat, et une concertation permanente avec le secteur privé pour la conception et la mise en œuvre de stratégies de développement. Il requiert aussi le soutien de l’Etat au secteur privé sous forme de politiques et d’incitations pour attirer l’investissement direct étranger. C’est pourquoi il faut que la volonté politique forte exprimée au plus haut niveau de l’Etat, se traduise concrètement par des mesures audacieuses et fortes d’accompagnement pour les entreprises, en s’appuyant sur les atouts réels du Sénégal que je viens d’indiquer. La réussite de la relance et du développement de notre industrie textile dépend de la capacité des décideurs à agir vite et de l’aptitude des industriels à saisir toutes les opportunités qui s’ouvrent dans le contexte de la nouvelle configuration des marchés textiles. Le défi est de taille, mais c’est un défi que nous pouvons relever tous ensemble. Mes convictions sont restées intactes malgré cette longue crise. Je continue à croire que le Sénégal peut être un acteur important en Afrique de l’Ouest dans le secteur du textile et de l’habillement dans les prochaines années. Le Groupe que je dirige s’est inscrit dans cette dynamique en décidant de rouvrir ses deux usines qui étaient fermées à Thiès, et de poursuivre les programmes d’investissements qui avaient été gelés.


Source : La Gazette